La kilonova du 17 août 2017 AT2017gfo qui a vu fusionner sous nos yeux deux étoiles à neutrons avec un flot d'ondes gravitationnelles n'a pas fini de faire parler d'elle. Une étude révèle la forme géométrique de cette explosion et elle défie les spécialistes, car elle aurait été parfaitement sphérique. L'étude est parue dans Nature.
Lorsque les étoiles à neutrons entrent en collision, on ne s'attend pas à ce que le résultat soit une distribution de matière sphérique, mais plutôt en forme de disque reflétant le plan orbital du couple d'étoiles à neutrons initiales. C'est pourtant bien ce que Albert Sneppen (université de Copenhague) et ses collaborateurs ont trouvé. La géométrie de la kilonova est un diagnostic clé de la fusion et est dictée par les propriétés de la matière ultra-dense et l'énergie de l'effondrement en trou noir. Or, les modèles de fusion hydrodynamiques actuels montrent généralement des éjectas asphériques.
Lorsqu'une kilonova a été détectée à 140 millions d'années-lumière le 17 août 2017, c'était la première fois que les astrophysiciens pouvaient en recueillir des données détaillées. Albert Sneppen et ses collaborateurs continuent d'analyser les données plus de 5 ans plus tard, correspondant à 1,4 et 2,4 jours après la fusion, et ils parviennent à montrer que la distribution de matière résultant de la collision des deux étoiles à neutrons est non seulement complètement symétrique à ces époques mais a une forme proche d'une sphère parfaite. Sneppen et ses collaborateurs ont combiné la forte caractéristique spectrale d'absorption du strontium ionisé Sr+ et la nature du corps noir du spectre de la kilonova pour déterminer sa forme aux premières époques. Les raies d'absorption du Sr+ fournissent la vitesse d'expansion du résidu dans la ligne de visée (v_para), et le spectre thermique associé à la connaissance du temps exact de l'explosion (donné par le signal gravitationnel GW170817), de la distance cosmologique de la galaxie hôte via son redshift (44,2 ± 2,3 Mpc) et de sa vitesse spécifique (373 ± 140 km s−1) donnent la vitesse orthogonale à la ligne de visée (v_ortho). L'index de sphéricité, noté ϒ est ensuite égal à (v_ortho-v_para)/(v_ortho+v_para), il doit égal à 0 si les vitesses sont égales, indiquant une sphère. Sneppen et ses collaborateurs ont effectué des mesures à deux époques différentes, ils trouvent respectivement pour ces deux mesures un index ϒ égal à 0,00 ± 0,02 et −0,02 ± 0,02. Une sphère parfaite.
La façon la plus probable de rendre l'explosion sphérique est si une énorme quantité d'énergie souffle du centre de l'explosion et lisse une forme qui serait autrement asymétrique. Ainsi, la forme sphérique dit qu'il y a probablement beaucoup d'énergie au cœur de la collision, ce qui était imprévu. On estime généralement que lorsque les étoiles à neutrons entrent en collision, elles forment brièvement une seule étoile à neutrons hypermassive, qui s'effondre ensuite en un trou noir après quelques millisecondes. Les chercheurs se demandent si c'est dans cet effondrement qu'une partie du secret est cachée.
Pour Sneppen et son équipe, l'injection d'énergie par désintégration radioactive apparaît insuffisante pour rendre l'éjecta sphérique, car il faudrait plusieurs dizaines de MeV par nucléon pour forcer une distribution de densité sphérique, d'après leur modèle hydrodynamique. Ils constatent également qu'un chauffage très puissant seul (par exemple, par reconnexion magnétique) ne semble pas mélanger de manière significative les éjectas équatoriaux et polaires et générer une composition sphérique. Ils montrent ensuite qu'un vent de magnétar ou un jet du disque du trou noir pourrait en revanche injecter suffisamment d'énergie pour induire une distribution un peu plus sphérique dans l'éjecta global, mais cela nécessite un ajustement très fin, peu naturel.
En tous cas, un processus supplémentaire semble nécessaire d'après eux pour uniformiser la distribution des éléments légers entre la zone polaire et la zone équatoriale. Car Sneppen et ses collaborateurs observent un autre phénomène, qui pourrait mettre sur une piste très intéressante : d'après les modèles classiques de fusion d'étoiles à neutrons, on s'attend à voir la production de grandes quantités d'éléments lourds, plus lourds que le fer, des noyaux d'atomes formés par capture de neutrons rapides juste après la fusion, lorsque de grandes quantités de neutrons sont éjectés. Et les éléments les plus lourds devraient se retrouver dans des zones différentes des éléments plus légers autour de l'étoile à neutrons hypermassive devenue trou noir. Mais ce n'est pas ce qu'observent les chercheurs danois. Au contraire, l'élément léger qu'ils observent, le strontium, se trouve être réparti uniformément dans tout le résidu de la kilonova, de la même façon dans les régions polaires et équatoriales du résidu. Pour expliquer cela, Sneppen et ses collaborateurs font entrer en jeu les neutrinos qui pourraient jouer un rôle clé dans le phénomène. Ils proposent que dans les millisecondes que vit l'étoile à neutrons hypermassive, elle émettrait éventuellement un très grand nombre de neutrinos. Or, les neutrinos électroniques peuvent provoquer la conversion des neutrons en protons et en électrons (désintégration béta + induite), et ainsi créer des éléments plus légers dans l'ensemble et uniformiser leur distribution spatiale. Selon eux, les théories et les simulations de kilonovas qui ont été développées ces 25 dernières années manquent d'un ingrédient fondamental de physique.
Si toutes les kilonovas sont effectivement de forme sphérique quasi parfaite, cela ferait des kilonovas de nouveaux outils très intéressants pour effectuer des mesures de distance car leur luminosité serait indépendante de l'angle avec lequel on les observe. Elles pourraient former un nouveau type de chandelle standard pour mesurer la valeur de la constante de Hubble Lemaitre à l'image des supernovas de type Ia qui sont massivement utilisées. Sneppen et ses collaborateurs font la démonstration en calculant la distance de la kilonova, et ils trouvent une distance de luminosité très précise de 45,5 ± 0,6 Mpc (à comparer avec la valeur de issue de la mesure du redshift beaucoup moins précise de 44,2 ± 2,3 Mpc), ce qui les mène à une valeur de H0 = 65,6 ± 3,4 km/s/Mpc, une valeur plutôt basse, dont l'incertitude est majoritairement liée à l'incertitude existant sur la vitesse spécifique de la galaxie NGC 4993 qui a abrité la kilonova AT2017gfo.
Reste maintenant à comprendre pourquoi et comment une très importante émission de neutrinos électroniques, suffisante pour homogénéiser toute la région entourant la coalescence des deux étoiles à neutrons aurait eu lieu. La balle est dans le camp des théoriciens.
Source
Spherical symmetry in the kilonova AT2017gfo/GW170817
Albert Sneppen et al.
Nature 614, 436–439 (16 february 2023)
Illustration
Vue d'artiste d'une kilonova sphérique (A. Sneppen)
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