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lundi 27 février 2023

OJ 287 : le trou noir qui fait pschitt !


OJ 287 est un quasar, ou plus exactement un blazar, situé à environ 5 milliards d'années-lumière : le jet relativiste du quasar propulsé par le trou noir supermassif qui vit en son centre est pointé dans notre direction. Mais OJ 287 a aussi la particularité de voir évoluer non pas un seul trou noir supermassif, mais deux. Des observations d'une forte éruption en 2016 avaient permis de prédire grâce à un modèle du couple de trous noirs qu'une nouvelle éruption aurait lieu en octobre 2022. Mais rien de ce genre n'a été observé, en revanche, le suivi a permis une autre découverte, remettant drastiquement en cause la masse du trou noir supermassif qui avait déterminée.  Deux articles sont consacrés à ces observations et non-observations dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters et dans The Astrophysical Journal.

Ce sont les émissions périodiques d'OJ 287, qui se produisent environ tous les 12 ans, qui avaient intrigué les astrophysiciens pendant des décennies. L'explication la plus probable pour eux était que le centre d'OJ 287 contient deux trous noirs massifs, tournant l'un autour de l'autre, et provoquant une éruption à chaque fois que le plus petit trou noir traverse le disque de gaz accrété autour du plus massif. Les éruptions périodiques de OJ 287 sont considérées comme la meilleure preuve indirecte d'une telle paire de trous noirs. Ces éruptions répétées sont si remarquables que plusieurs modèles binaires différents ont été proposés et discutés dans la littérature pour les expliquer.  La masse du plus gros trou noir du couple avait ainsi été estimée à 10 milliards de masses solaires à partir des propriétés des éruptions et du moment où elles avaient lieu, mais cette masse très élevée était peu confortable, compte tenu de la nature de la galaxie. 
Stefanie Komossa de l'Institut Max Planck de radioastronomie à Bonn et ses collaborateurs ont effectué les observations directes les plus étendues des émissions de la galaxie qui aient été entreprises à ce jour, à l'aide de plusieurs outils d'observation, notamment le radiotélescope d'Effelsberg (ondes radio), le télescope spatial Swift (UV, X et visible), en orbite depuis 2004, le télescope spatial Fermi (rayons gamma), en orbite depuis 2008, et le Submillimeter Array hawaîen (ondes radio). Pour la première fois, plusieurs observations simultanées de rayons X, UV et radio, ainsi que des bandes optiques et rayons gamma ont été utilisées sur un tel objet. Il s'agit du projet MOMO (Multiwavelength Observations and Modeling of OJ 287), qui est l'un des projets de surveillance multifréquence les plus denses jamais réalisé sur un blazar, démarré en 2015. 
Et pour la première fois également, une détermination de la masse du trou noir du système a été effectuée de manière indépendante et la quantité de matière dans le disque entourant le trou noir a pu être estimée. Leur résultat permet de dégonfler le trou noir le plus massif des deux par un facteur 100 ! 
Les résultats favorisent les modèles avec une masse de 100 millions de masses solaires pour le trou noir primaire. 
Le jet domine l'émission électromagnétique d'OJ 287. Le jet du blazar est si brillant qu'il éclipse le rayonnement du disque d'accrétion (le rayonnement de la matière tombant dans le trou noir), ce qui rend difficile voire impossible l'observation de l'émission du disque d'accrétion. Mais, grâce au grand nombre d'observations de MOMO (une nouvelle observation presque tous les deux jours avec Swift), Konossa et ses collaborateurs ont découvert des "états bas profonds". Ce sont des moments où l'émission du jet s'estompe rapidement, permettant aux chercheurs de percevoir l'émission du disque d'accrétion et de pouvoir déterminer une limite supérieure de sa luminosité et de son rapport d'Eddington. Les résultats montrent que le disque de matière entourant le trou noir est au moins un facteur 10 plus faible qu'on ne le pensait auparavant : correspondant tout de même à environ 5000 milliards de fois la luminosité du Soleil.
A partir de là, la masse du trou noir primaire d'OJ 287 a été dérivée du mouvement du gaz lié au trou noir. C'est ainsi que les chercheurs arrivent à une masse de 100 millions de masses solaires. Ce résultat est très important, car la masse est un paramètre clé dans les modèles qui étudient l'évolution de ce système binaire : de quelle distance les trous noirs sont-ils séparés, à quelle vitesse vont-ils fusionner, quelle est la force de leur signal d'onde gravitationnelle, etc... 
Une masse exceptionnellement grande du trou noir d'OJ 287 dépassant 10 milliards de masses solaires n'est plus nécessaire ; ni un disque de matière particulièrement lumineux autour du trou noir.
Parallèlement à la détermination de la masse du gros trou noir, Komossa et ses collaborateurs résolvent plusieurs mystères qui restaient en suspens, notamment l'absence apparente de la dernière grande éruption d'OJ 287 et le mécanisme d'émission très discuté lors des éruptions principales.
Les observations MOMO permettent aux chercheurs de déterminer avec précision le moment de la dernière éruption. Elle ne s'est pas produite en octobre 2022, comme le prédisait le modèle à 10 milliards de masses solaires, mais plutôt en 2016-2017, que MOMO avait largement couvert. 
De plus, les observations radio obtenues avec le télescope Effelsberg de 100 m révèlent que ces éruptions de rayonnement sont de nature non thermique, ce qui indique que ce sont des processus dans le jet qui sont la source d'énergie des éruptions. Stephanie Konossa et ses collaborateurs interprètent  cette éruption de 2016-2017 comme la dernière des fameuses éruptions optiques à double pic de OJ 287, qui favorise les scénarios binaires qui ne nécessitent pas de trous noir binaire secondaire à précession élevée. Cette interprétation conduit les astrophysiciens à la prédiction du prochain déclenchement éruptif à double pic pour la période 2026-2028... Le programme MOMO devrait se poursuivre jusque là, puisque ses responsables ont pour objectif d'effectuer un suivi de OJ 287 (au moins en ondes radios) sur 20 ans...
Ces découvertes auront à n'en pas douter de fortes implications pour la modélisation théorique des systèmes binaires de trous noirs supermassifs et leur évolution, ainsi que pour comprendre la physique de l'accrétion et de l'éjection de jets à proximité de trous noirs supermassifs.

Sources

MOMO. VI. Multifrequency Radio Variability of the Blazar OJ 287 from 2015 to 2022, Absence of Predicted 2021 Pecursor-flare Activity, and a New Binary Interpretation of the 2016/2017 Outburst
Stephanie Komossa et al.
The Astrophysical Journal, Volume 944, Number 2 (23 february 20123)

Absence of the predicted 2022 October outburst of OJ 287 and implications for binary SMBH scenarios 
Stephanie Komossa et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters (23 february 2023)

Illustration

Image dans l'UV de OJ 287 par Swift et image d'artiste du système binaire (S. Komossa et al.; NASA/JPL-Caltech)




 

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