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dimanche 26 mars 2023

Le plan de galaxies satellites de la Voie Lactée est compatible avec le modèle cosmologique standard


Les galaxies naines satellites entourant la Voie Lactée forment un plan mince, un phénomène qui contredit le modèle cosmologique dominant ΛCDM. Mais une équipe d'astrophysiciens vient de montrer que cet arrangement pourrait n'être qu'un alignement temporaire, ramenant notre galaxie en accord avec les attentes théoriques, une fois que la distribution radiale des satellites est prise en compte. L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

Le modèle cosmologique standard prédit que la distribution spatiale des galaxies satellites autour de grandes galaxies comme la Voie lactée devrait être légèrement anisotrope, une configuration définie par l'accrétion continue de satellites depuis la toile cosmique et où le moment cinétique joue un rôle négligeable. Les structures planaires minces et co-rotatives ne sont pas rares en astrophysique, mais tout à fait inattendues lorsqu'il s'agit de satellites galactiques. Les disques astrophysiques se forment à la suite de la dissipation d'énergie et de la conservation du moment cinétique, un processus qui prend de nombreuses périodes orbitales pour se finaliser. Mais aucune de ces conditions ne s'applique au plan de galaxies satellites de la Voie lactée : il n'existe aucun mécanisme connu permettant aux satellites de dissiper leur énergie orbitale, et de nombreuses galaxies satellites de la Voie Lactée n'ont effectué tout au plus que quelques orbites autour de leur hôte. Un plan mince de galaxies satellites en rotation est donc complètement inattendu, non seulement dans ΛCDM, mais aussi dans la plupart, sinon tous les modèles potentiellement viables de formation de galaxies. 
Or il a été découvert au cours des quinze dernières années que les onze galaxies satellites les plus lumineuses de la Voie Lactée se répartissent dans un plan mince dont le petit axe coïncide avec le moment cinétique orbital de beaucoup d'entre elles. Comme de tels plans sont hautement improbables dans ΛCDM, ces observations produisaient une tension avec la théorie, qui restait jusqu'ici non résolue. Till Sawala (université de Helsinki) et ses collaborateurs démontrent que cette tension est en fait injustifiée : d'après leur analyse, la minceur du plan de la Voie lactée est juste transitoire et elle est renforcée par l'alignement aléatoire de ses deux satellites les plus éloignés,  Leo I et Leo II, et selon eux, la probabilité de trouver de telles configurations dans les simulations fondées sur ΛCDM aurait été gravement sous-estimée dans des travaux antérieurs, et ce en raison d'une mauvaise prise en compte de la distribution radiale des satellites simulés.
Leo I et Leo II qui ont des distances supérieures à 100 kiloparsecs, sont principalement responsables des rapports d'axes très extrêmes calculés pour le plan de galaxies satellites. Les chercheurs calculent l'évolution de l'orbite qui est attendue pour ces deux galaxies satellites pendant 1 Gigannée et démontrent que l'alignement actuel n'est que temporaire, devenant rapidement une distribution plus épaisse lorsque Leo II se déplace perpendiculairement au plan. Il s'agirait donc selon les chercheurs que d'une rare coïncidence. 
Leur analyse démontre que la finesse du plan satellitaire de la Voie Lactée qui est entraînée principalement par les deux objets les plus éloignés (Leo I et Leo II), est la conséquence de la distribution radiale du petit échantillon de satellites considéré. Et l'épaisseur du plan est transitoire car Leo I et Leo II sont en fait sur des orbites différentes alignées par hasard à l'heure actuelle : la configuration des mêmes satellites, considérés 1 Gigannée avant ou après aujourd'hui aurait été beaucoup plus proche des attentes typiques du modèle ΛCDM.


Bien que la présence de plans galaxies satellites en rotation autour d'autres galaxies, telles que M31 (Andromède) et NGC 5128 (Centaurus A) ait également été évoquée depuis 2013, les preuves dans ces cas sont beaucoup plus faibles et peu concluantes en raison principalement du manque de détails cinématiques (car seules les vitesses dans la ligne de visée sont disponibles pour les galaxies externes). Des travaux de 2018 avaient aussi utilisé des simulations fondées sur ΛCDM pour quantifier la probabilité de trouver un plan de galaxies satellites comme celui de la Voie Lactée, et avaient conclu que les chances étaient extrêmement faibles. Sawala et ses collaborateurs estiment que ces simulations devraient être réexaminées de manière critique concernant la probabilité que de telles configurations apparaissent dans ΛCDM.
Ils ont donc produit de nouvelles simulations pour corriger la perturbation de la distribution des galaxies satellites qui est due à une résolution numérique limitée, un défaut identifié dans les simulations antérieures. Ils analysent des systèmes où la distribution radiale des satellites correspond approximativement à celle de la Voie Lactée. Les chercheurs trouvent alors que la probabilité d'avoir un système de galaxies satellites aussi planaire que celui de la Voie Lactée actuelle est environ 50 fois plus grande que ce que disaient les simulations précédentes, atteignant maintenant ∼ 2% de tous les objets simulés de type Voie Lactée. Cette conclusion est d'ailleurs similaire à celle que d'une très récente étude d'une équipe de Chicago parue fin janvier dans Monthly Notices of the RAS (quelques semaines après celle-ci), qui trouve une probabilité entre 1% et 10%. 
Le plan de galaxies satellites entourant la Voie Lactée n'est donc pas extrêmement commun, mais il est tout à fait possible, et ne semble plus du tout contradictoire avec le modèle cosmologique standard. Il reste maintenant à comprendre quelles sont les particularités de l'histoire de l'assemblage et de l'environnement local de la Voie Lactée qui ont conduit à une configuration aussi particulière. Si elle résulte d'une direction d'accrétion préférentielle dirigée par des filaments de la toile cosmique, il pourrait exister des signatures de tels filaments en dehors du halo de la Voie Lactée. Il existe aujourd'hui peu de preuves de telles structures dans les données actuellement disponibles, mais il y a de bonnes raisons de croire que l'inventaire des galaxies naines dans le groupe local est encore incomplet. Les futurs grands télescopes devraient pouvoir découvrir des nouvelles galaxies naines satellites peu lumineuses et éclairer cette question. Du côté des simulations, il ne suffit plus maintenant d'affirmer que des configurations particulières se produisent effectivement, mais d'essayer de savoir pourquoi et comment cela se produit, ce qui nécessite des puissances de calcul toujours plus importantes pour des simulations toujours plus réalistes, jusqu'aux plus plus petits détails... 

Sources

Planes of satellites no longer in tension with ΛCDM
Laura Sales & Julio F. Navarro 
Nature Astronomy (17  march 2023)

The Milky Way’s plane of satellites is consistent with ΛCDM
Till Sawala et al.
Nature Astronomy (19 december 2022)


Illustrations

1. Position et orbites des 11 galaxies satellites principales de le Voie Lactée (Sawala et al.)
2. Evolution de l'inclinaison du plan des galaxies satellites entre -1 Gigannée et + 1 Gigannée (Sawala et al.) 

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