Jusqu'à récemment, on pensait que le disque stellaire nucléaire au centre de notre Galaxie s'était formé via une formation quasi-continue d'étoiles sur des milliards d'années. Mais une nouvelle analyse révèle que plus de 80% de ces étoiles ont plus de 8 milliards d'années. Et 15% se sont formées lors d'un événement qui a eu lieu il y a environ 1 milliard d'années. L'étude est parue dans Astronomy&Astrophysics.
Rainer Schödel (Instituto de Astrofísica de Andalucía) et ses collaborateurs ont exploité les données du relevé nommé GALACTICNUCLEUS, un catalogue d'observations du centre galactique qui a été mené avec le télescope Hubble. Ils se sont plus spécialement intéressés au champ de l'amas Quintuplet, qui se trouve à une distance projetée de 30 pc de Sgr A*, dans le but d'obtenir des nouvelles contraintes sur l'histoire de la formation du disque stellaire nucléaire.
Ce qu'on appelle le disque stellaire nucléaire est une structure stellaire dense, plate et en rotation d'environ un milliard d'étoiles qui est alignée avec le plan galactique, avec des dimensions d'environ 90 pc dans la direction radiale et 30 pc dans le sens vertical. On pense qu'il s'est probablement formé à partir de gaz transporté vers le centre galactique par la barre galactique, de la même manière que les disques nucléaires dans d'autres galaxies. En raison de l'extrême densité d'étoiles, les études de la population stellaire du disque nucléaire devraient être menées avec des résolutions angulaires inférieures à 0,2″, c'est-à-dire soit avec le HST ou le JWST, soit depuis le sol avec des techniques de speckle ou d'optique adaptative. Et en raison de la forte extinction interstellaire vers le centre galactique, les observations sensibles sont principalement limitées à la gamme de longueurs d'onde supérieures à 1,5 μm, où les couleurs stellaires intrinsèques sont faibles. Étant donné que l'extinction varie également à l'échelle de la seconde d'arc, il est extrêmement difficile d'utiliser des couleurs pour distinguer les différents types d'étoiles, mais les couleurs observées peuvent servir à réduire les magnitudes stellaires observées. En conséquence, les études de l'histoire de la formation d'étoiles du centre galactique utilisent soit la spectroscopie de champ intégrale à haute résolution angulaire pour étudier de petites régions, telles que le parsec central ou bien elles s'appuient sur l'analyse des fonctions de luminosité, lors de l'étude photométrique de grandes surfaces. C'est cette seconde méthode qu'on utilisée Rainer Schödel et ses collaborateurs sur un champ de 2' x 2'.
Les chercheurs ont ainsi sélectionné dans le catalogue GALACTICNUCLEUS environ 24 000 étoiles qui appartiennent au disque stellaire nucléaire dans ce champ de l'amas Quintuplet, de manière à venir compléter une étude similaire qui avait été menée en 2020 par Nogueras-Lara et al.
Les analyses des âges des étoiles de Schödel et ses collaborateurs indiquent que plus de 70% de la population stellaire du disque nucléaire s'est probablement formée il y a plus de 10 Gigannées, tandis qu'environ 15% s'est formée lors d'un événement (ou d'une série d'événements) qui aurait eu lieu y a environ 1 Gigannée. Le disque nucléaire est donc bien plus vieux que ce que l'on pensait, comme l'avaient déjà trouvé Noguerras-Lara il y a trois ans avec des données différentes et avec des instruments différents. Mais il y a aussi une population d'étoiles très jeunes dans le lot, puisque 10% des étoiles observées ne sont pas plus vieilles que quelques dizaines de Mégannées, avec un taux de formation d'étoiles nettement accru dans les dernières dizaines de millions d'années. Ce qui se dessine c'est une absence notable de formation d'étoiles durant une longue période, entre il y a 10 Gigannées et il y a 1 Gigannée.
La formation d'étoiles au centre galactique dépend de la disponibilité du gaz, qui est censé être acheminé vers cette région par la barre galactique. Ce n'est pas un hasard si des disques stellaires nucléaires semblent être présents dans la plupart des galaxies spirales barrées. La datation du temps de formation des disques stellaires nucléaires peut donc fournir une très bonne approximation du temps de formation des barres galactiques. L'analyse de Schödel et ses collaborateurs suggère une formation encore plus ancienne du disque stellaire nucléaire de notre Galaxie que celle qu'avaient proposé Nogueras-Lara et al. en 2020. Les chercheurs pensent que la formation du disque nucléaire stellaire peut coïncider avec le moment où la Voie Lactée a subi sa dernière fusion majeure il y a environ 10 Gigannées. Concernant l'événement hypothétique d'il y a 1 milliard d'années, Nogueras-Lara et al. avaient estimé qu'il pourrait être lié au dernier passage rapproché de la galaxie naine Sgr. Ce passage proche de la galaxie naine Sgr pourrait avoir induit un épisode de formation d'étoiles renforcée il y a 1 Gigannée dans le voisinage solaire, selon les chercheurs.
L'observation d'une suppression de la la formation d'étoiles entre la formation originale du disque stellaire nucléaire et l'événement d'il y a 1 Gigannée est déroutante pour les Schödel et ses collègues, car les barres sont réputées être très efficaces pour transporter le gaz vers le centre des galaxies. Par exemple, on estime que la barre de la Voie Lactée fournit de l'ordre de 1 M⊙ par an au Centre Galactique. Et les barres sont généralement considérées comme des caractéristiques stables à longue durée de vie, et il y a des raisons de croire que la barre de la Voie lactée a au moins 8 milliards d'années. Il semble donc peu probable que la barre de la Voie Lactée ait été absente pendant plusieurs Gigannées...
Il faudrait donc supposer qu'il y avait peu de gaz disponible pour la formation d'étoiles dans les centaines de parsecs internes de la Voie Lactée pendant des milliards d'années. Des écoulements peuvent éliminer une fraction considérable de gaz du Centre Galactique, mais soit une accrétion sur Sgr A*, soit une formation intense d'étoiles sont nécessaires pour entraîner de fortes sorties sur de longues périodes. Étant donné que les deux nécessitent également des entrées de gaz, ce scénario se poursuivant sur des milliards d'années ne semble pas plausible, selon Schödel et al.
Mais il existe peut être un biais, comme le précisent les auteurs dans la conclusion de leur article : en effet, cette étude, comme celle de Nogueras-Lara de 2020 se limitent à des distances projetées inférieures à 50 pc du centre galactique. Or, des observations très récentes montrent qu'il existerait un gradient d'âge dans le disque nucléaire: les étoiles se formeraient de l'intérieur vers l'extérieur : Nogeras-Lara et ses collaborateurs, encore eux, ont trouvé en 2022 que la région externe du disque nucléaire de la Voie Lactée contient une fraction importante d'étoiles qui se sont formées à des âges intermédiaires entre 2 à 7 Gigannées. Et en utilisant des mesures de mouvement, ces mêmes astrophysiciens ont publié il y a quelques semaines la découverte d'un gradient d'âge à l'envers pour le disque stellaire nucléaire le long de la ligne de visée. Cela pourrait donc être une explication de l'absence d'étoiles d'âge intermédiaire dans l'étude de Schödel et al. (et dans celle de Nogeras-Lara de 2020).
Il reste encore du travail à faire avant de bien comprendre l'histoire du centre de notre galaxie. Il faudra étudier l'histoire de la formation des étoiles dans le disque nucléaire à de plus grandes distances de Sgr A*. L'utilisation d'échantillons plus grands avec des données de mouvement propre pourrait notamment permettre de démêler les différentes populations stellaires. Et des observations à plus grande résolution résolution angulaire de la population stellaire seront aussi extrêmement utiles car elles pourraient aider à déterminer les caractéristiques des populations les plus anciennes, et constitueraient un indicateur d'âge très fiable.
Source
The formation history of our Galaxy’s nuclear stellar disc constrained from HST observations of the Quintuplet field
R. Schödel et al.
Astronomy&strophyscis Volume 672 (14 April 2023)
Illustration
Le disque stellaire nucléaire défini dans un graphe de mouvement propre, et l'amas Quintuplet étudié dans cette étude (Schödel et al.)
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