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22/10/23

Record de distance pour un FRB : 8 milliards d'années-lumière


Des astrophysiciens ont mesuré le sursaut radio rapide qui a parcouru le plus long trajet à ce jour : ses photons ont traversé l'Univers pendant environ huit milliards d’années, soit près de la moitié de son âge, avant d'être détectés par nos radiotélescopes sur Terre. Ce FRB, nommé  FRB 20220610A est également plus de trois fois plus puissant que prévu, ce qui remet en question les modèles actuels. L'étude est publiée dans Science.

Stuart Ryder (Université Macquarie de Sydney) ont détecté ce très vieux sursaut en juin 2022 à l’aide du réseau de radiotélescopes ASKAP (Australian Square Kilometer Array Pathfinder). ASKAP est un interféromètre radio comprenant 36 antennes de 12 m de diamètre chacune. Chaque antenne est équipée d'un système de réception à "réseau phasé", qui fournit 36 ​​faisceaux sur le plan focal, couvrant environ 30 degrés carrés dans le ciel. Les FRB sont recherchés en temps réel à l'aide de la somme des intensités de chaque antenne dans chaque faisceau. Lorsqu'un FRB est détecté, des signaux d'analyse spécifiques sont produits qui permettent de mesurer les positions des salves détectées avec une précision absolue de quelques dixièmes de seconde d'arc, ce qui est remarquable. Une fois la position du sursaut déterminée, les chercheurs ont ensuite utilisé le VLT de l'ESO au Chili et l'observatoire Keck à Hawaï pour localiser la galaxie d'où provenait le sursaut radio rapide et obtenir des spectres.
Lorsque les sursauts radio rapides traversent les galaxies et l'espace intergalactique entre elles, ils traversent des gaz chauds, ce qui ralentit davantage leurs ondes radio à basse fréquence que celles à fréquences plus élevées, un phénomène connu sous le nom de dispersion. Cela signifie que des ondes radio avec des fréquences distinctes atteignent les télescopes sur Terre à des moments légèrement différents, ce qui permet aux chercheurs par exemple de déduire la présence de matière entre les galaxies, qui est invisible pour d'autres types de télescopes. Les sursauts radio rapides sont ainsi des outils cosmologiques très utiles pour analyser l’Univers dans de grands volumes, et d'autant plus qu'ils sont plus éloignés. 


Les FRB localisés à différents redshifts présentent une corrélation positive entre leur mesure de dispersion et le redshift de leur galaxie hôte, qui est connue sous le nom de relation de Macquart. Cette relation a déjà été utilisée pour mesurer la fraction baryonique cosmique et le taux d'expansion de l'Univers. Certains FRB non localisés (avec des galaxies hôtes inconnues) ont des mesures de dispersion cohérentes avec un z > 1 mais en 2022, Niu et al. avaient montré qu'un FRB associé à une galaxie à z = 0,241 (FRB 20190520B) avait une mesure de dispersion très élevée qui aurait impliqué un redshift z > 1 si sa galaxie hôte avait été inconnue. Les estimations de distance à partir de la mesure de dispersion seule peuvent ainsi être trompeuses. C'est le cas si elles sont affectées par le plasma au sein de la galaxie hôte (qui apporte également une contribution à la dispersion) en plus de celui du milieu intergalactique.
Il était donc très important pour Ryder et son équipe de pouvoir localiser la galaxie d'où provenait ce FRB et de pouvoir déterminer son redshift en observant des décalages de raies dans le spectre de la lumière galactique. Pour estimer la distance réelle de FRB 20220610A, les chercheurs ont donc cherché la présence de galaxies autour de la position du sursaut et ils ont découvert une galaxie hôte à la morphologie complexe, composée de deux ou trois amas brillants. Cela suggère selon eux que l'émission aurait pu provenir d’un groupe de galaxies en collision plutôt que d’une seule, un événement somme toute classique à cette époque de l'histoire de l'Univers. Ce système de galaxies hôtes se situe à un redshift z=1,016 ± 0,002 (7,9 milliards d'années de trajet pour la lumière). La masse stellaire de cette galaxie triple est assez modeste avec seulement 9,5 milliards de masses solaires, pour un âge estimé de 1,02 milliards d'années.
Les mesures de redshift et de dispersion sont cohérentes avec le passage à travers une quantité substantielle de plasma dans le milieu intergalactique et elles étendent la relation de Macquart qui avait été établie à un redshift inférieur entre les quantités mesurées : globalement, plus les FRB sont éloignés, plus leurs signaux seront dispersés lorsqu'ils atteindront la Terre. FRB 20220610A montre néanmoins des preuves de passage à travers un plasma magnétisé turbulent supplémentaire, potentiellement associé à la galaxie hôte selon Ryder et ses collaborateurs. 

FRB 20220610A était également très puissant (2 1042 erg), émettant 3,5 fois plus d’énergie que la quantité maximale prévue par les modélisations actuelles. Comparé au FRB qui avait été observé dans notre galaxie en avril 2020, FRB 20200428 issu du magnétar SGR 1935+2154, la différence de luminosité atteint un facteur 100 000...Cela contraint les modèles d'émission des FRB car l'intensité du champ électrique à la source peut être estimée ici indépendamment de l'angle de rayonnement.
Dans une classe de modèles, l’émission FRB est produite près de la surface d’une étoile à neutrons. À partir de la luminosité du sursaut, ~3 10 46 erg s-1 dans le référentiel de repos de la galaxie hôte, Ryder et al. déduisent une intensité de champ électrique de 4,2 × 1012 ( r /10 km)-1 V m-1 pour un champ électrique polarisé linéairement, où r (~ 10 km) est le rayon de courbure du champ magnétique de l'étoile à neutrons. À la surface d'une étoile à neutrons, cette valeur représente quelques pourcents de l'intensité du champ critique de Schwinger, à laquelle un champ électrique aligné parallèlement au champ magnétique local serait associé à la production spontanée de paires électrons-positrons à partir du vide. Cette luminosité limite dite de Schwinger vaut environ 2 10 47 erg s-1.
Dans une autre classe de modèles, les FRB sont produits lors d'un choc provoqué par des éjectas relativistes, associés à l'éruption d'une étoile à neutrons hautement magnétisée et interagissant avec le vent de l'étoile à neutrons. Dans ces modèles, l'efficacité radiative en cas de choc est très faible (inférieure à 10-5), et donc l'énergie requise dans l'éjecta devrait être supérieure à 10 47 erg s-1, l'énergie totale de l'éruption étant encore plus élevée. 

Pour Ryder et ses collaborateurs, la grande luminosité intrinsèque de FRB 20220610A, qui rejoint quelques autres spécimens encore plus lumineux, est difficile à expliquer dans les deux classes de modèles, et ces modèles devraient être modifiés ou raffinés pour tenir compte de tels événements extrêmes. Les sursauts radio rapides n'ont pas fini de nous surprendre et de nous apprendre des choses.

Source

A luminous fast radio burst that probes the Universe at redshift 1
Stuart Ryder et al. 
Science Vol 382 (19 Oct 2023)

Illustrations

1. Diagramme temps fréquence et courbe temporelle de FRB 20220610A
2. Le réseau ASKAP (CSIRO)
3. Stuart Ryder

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