La NASA est aujourd'hui très anxieuse de devenir à court de plutonium-238. Le plutonium-238 (Pu-238) est cet isotope du plutonium qui est très intéressant à utiliser dans une sonde spatiale devant voyager très longtemps et très loin.
Une pastille d'oxyde de plutonium 238 destinée à une RTG. Elle rougeoie sous l'effet de sa chaleur interne produite par radioactivité alpha. |
C'est vers le début des années 1960 que fut inventé le concept de générateur thermique à radioisotope (RTG, Radioisotope Thermoelectrioc Generator). Le principe repose sur l'effet thermo-couple, qui fait que certains matériaux, quand ils ont un côté froid et un côté chaud, se mettent à produire un courant électrique entre les deux extrémités. Il est donc assez facile de créer une source d'énergie électrique à partir d'une source de chaleur.
Et le Pu-238 est une source de chaleur "naturelle". Enfin, ce n'est pas un isotope radioactif naturel, car il est produit par l'homme, mais il chauffe naturellement grâce à sa radioactivité alpha. Cet isotope est d'ailleurs sympathique parmi tous les autres isotopes radioactifs, parce qu'il n'émet que du rayonnement alpha, aucune émission gamma ou neutronique n'accompagne cette décroissance radioactive, qui donne de l'uranium-234, ce qui permet de le manipuler assez facilement.
C'est donc tout naturellement que les premiers générateurs thermiques à radioisotope ont employé le Pu-238 comme source primaire d'énergie, et de très nombreuses sondes spatiales américaines et satellites russes, ont exploité des RTG au Pu-238.
La demie-vie radioactive du Pu-238, la durée au bout de laquelle il a perdu la moitié de sa radioactivité, vaut environ 88 ans, ce qui permet de fournir à un engin spatial une énergie presque stable et continue durant des dizaines d'années. C'est notamment grâce à cette source d'énergie que nous pouvons continuer à suivre les données des sondes Voyager qui quittent aujourd'hui le système solaire près de 40 ans après leur lancement.
Depuis les années 50, du Pu-238 était produit comme un résidu de la fabrication (massives) des armes nucléaires, aux Etats-Unis et en Union Soviétique. C'est sans doute pour cette raison que ni les européens ni les japonais n'ont développé cette technologie des RTG pour leurs sondes respectives, ils ne disposaient pas assez (pour les anglais et français) ou pas du tout (pour les japonais) de Pu-238.
Mais les américains vivent sur leurs stocks depuis le début des années 1990, depuis que l'usine de Savannah River a fermé ses portes et ne produit plus de Pu-238.
Schéma d'un des 3 RTG de type GPHS de la sonde Cassini en orbite autour de Saurne. (NASA/JPL) |
La NASA dispose donc aujourd'hui de seulement 35 kg de plutonium pour fabriquer des RTG, mais plus de la moitié semble déjà inutilisable car ayant une puissance thermique déjà trop faible. C'est un réel problème, car les programmes futurs de la NASA ont un besoin énorme d'énergie car la plupart ont lieu à très longue distance, où des panneaux solaires ne servent plus à grand chose.
Aujourd'hui, les sondes équipées d'un RTG au plutonium sont parmi celles qui nous ont apporté ou qui vont nous apporter les plus beaux résultats : outre les deux Voyager, on peut citer les expériences scientifiques des missions lunaires, les sondes Pionner 10 et 11, les sondes Cassini (autour de Saturne), Ulysses (autour du Soleil), Galileo (Jupiter), New Horizons (Pluton et au delà), mais aussi sur Mars, les atterrisseurs Viking 1 et 2 et le plus récent Curiosity, toujours en activité.
Mais avec 15 kg de plutonium-238, on ne fabrique pas beaucoup de RTG et on ne propulse pas beaucoup de sondes... il n'est qu'a rappeler que la sonde Cassini a elle seule est munie de trois RTG pour une masse totale de plutonium de près de 24 kg! New Horizons est moins gourmande avec seulement 1 kg de Pu-238, mais Curiosity en utilise 4 kg et le prochain rover martien de la NASA prévu pour 2020 en utilisera déjà 5 kg...
Face à cette situation plus qu'alarmante, la NASA avait proposé de lancer la conception d'une nouvelle génération de générateurs thermiques, permettant de consommer 4 fois moins de plutonium, un générateur nommé ASRG fondé sur un cycle thermodynamique de Stirling, mais des coupes budgétaires fin 2013 ont mis un terme à ce programme (lire à ce sujet Adieu planètes lointaines). La NASA a dû faire un choix, et ce choix a été celui de relancer tant bien que mal la production de Pu-238.
La NASA vient donc de passer un contrat avec le DOE américain (Department Of Energy) pour la fourniture de 1,5 kg de plutonium par an à partir de 2021, pour un montant de 50 millions de dollars/an. Elle pourra ainsi produire environ un RTG tout les 4 ans à partir de cette date, mais pas plus, soit deux missions par décennie.
Intégration du RTG au plutonium (en noir) sur la sonde New Horizons en 2005 (NASA) |
Produire 1,5 kg d'oxyde de plutonium-238 par an (soit 1,1 kg de Pu-238 pur) n'est pas du tout facile, fut-ce pour un pays comme les Etats-Unis. LE DOE va mobiliser trois grands centres de recherche. La production se fait à partir du retraitement du combustible usé de centrales nucléaires : on en sépare chimiquement le neptunium-237 dans l'Idaho, au Idaho National Laboratory, puis ce neptunium-237 métallique est mis sous forme de petites pastilles, mises dans des gaines pour former des crayons qui vont ensuite être mis dans le cœur d'un des réacteurs produisant le flux de neutrons le plus intense, le High Flux Isotope Reactor à Oak Ridge National Laboratory dans le Tennessee. Le flux de neutrons va produire le précieux Pu-238 par capture neutronique par le Np-237 (pour seulement 10 à 12% du neptunium initial). Le plutonium-238 est ensuite extrait du réacteur pour être reconditionné sous forme de pastilles d'oxyde de plutonium, au Los Alamos National Laboratory (Nouveau Mexique), avant de pouvoir être livré au Jet Propulsion Laboratory de la NASA basé en Californie.
Mais tous ces efforts pour produire plus de plutonium risquent d'être encore très insuffisants, si la NASA a besoin d'énergie pour une exploration spatiale habitée, comme elle le suggère en imaginant visiter un astéroïde ou Mars. Car, alors qu'une sonde planétaire nécessite une puissance électrique entre 300 et 900 Watts, il en est tout autre dans le cas d'un gros vaisseau habité vers l'espace lointain qui aura besoin de dizaines de kilowatts. Des rapports internes de la NASA suggéreraient déjà l'idée de passer à la gamme supérieure : un réacteur nucléaire à fission... Une solution qui a n'a jamais été retentée dans l'espace depuis 1965.
Source :
Nuclear power: Desperately seeking plutonium
Alexandra Witze
Nature 515, 484–486 (27 November 2014)