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vendredi 24 février 2023

Découverte de 6 galaxies candidates très massives environ 600 mégannées post Big Bang


Il aura fallu plus de six mois entre sa soumission à Nature (et le dépôt de cet article sur le serveur de preprints arXiv) le 25 juillet 2022, et son acceptation par la célèbre revue britannique après pas mal de modifications. Il révèle grâce à Webb une population de galaxies massives candidates, très massives, environ 600 mégannées après le Big Bang. L'existence de telles galaxies aussi massives si peu de temps après le Big Bang n'est pas cohérent avec le modèle standard cosmologique. Cela valait bien quelques mois de vérifications des données... 

Ivo Labbé (université de Swinburne) et ses collaborateurs ont utilisé la couverture de 1 à 5 μm des premières observations du télescope Webb pour rechercher des galaxies intrinsèquement rouges au cours des 750 premières mégannées de l'histoire cosmique. Dans la zone étudiée, ils trouvent six galaxies massives candidates (avec une masse stellaire supérieure à 10 milliards de masses solaires) à des redshifts 7,4 ≤ z ≤ 9,1, ce qui veut dire entre 500 et 700 mégannées après le Big Bang. Parmi elles, une galaxie possède une masse stellaire d'environ 100 milliards de masses solaires, presque autant que ce possède notre Voie Lactée. 
Ces galaxies ont été identifiées lors des premières observations du programme CEERS (Cosmic Evolution Early Release Science) du JWST. Ce programme a obtenu des images multibandes avec la caméra infrarouge proche (NIRCam) dans un champ vierge, qui a été choisi pour se superposer aux images existantes du télescope spatial Hubble. La surface totale couverte par ces données initiales est d'environ 40 arcmin².
Labbé et ses collaborateurs ont alors créé un catalogue de sources, en commençant par la détection dans une image profonde combinée à trois filtres : F277W+F356W+F444W. Un total de 42 729 objets se trouve dans ce catalogue parent, puis les astrophysiciens y ont sélectionné des galaxies massives candidates à haut décalage vers le rouge en identifiant les objets qui possèdent deux ruptures dans leurs distributions spectrales d'énergie, la rupture de Lyman à λrest = 1216 Å et la rupture de Balmer à λrest = 3600 Å. Cette sélection garantit que les distributions de probabilité de décalage vers le rouge sont bien contraintes, qu'il n'y a pas de solutions secondaires à des décalages vers le rouge plus faibles, et que sont inclues des galaxies qui ont des rapports masse/luminosité potentiellement élevés. Labbé et al. ont spécifiquement sélectionné les galaxies qui ne sont pas détectées aux longueurs d'onde optiques ; bleu ou dans le proche infrarouge, et plus lumineuses que 27 de magnitude AB. Après une inspection visuelle visant à éliminer les artefacts (tels que les pics de diffraction), cette sélection a produit 13 galaxies avec les distributions spectrales d'énergie à "double-break" recherchées. Ensuite, Labbé et ses collaborateurs ont déterminé les décalages vers le rouge et les masses stellaires à l'aide de trois techniques largement utilisées, en tenant compte de la contribution des raies d'émission fortes à la photométrie optique. Parmi les 13 galaxies candidates, 7 d'entre elles offrent des mesures individuelles de masse et de redshift. Labbé et son équipe précisent bien que ces masses et décalages vers le rouge ne sont pas définitifs et que toutes les galaxies mentionnées doivent être considérées comme des candidates.

Six de ces galaxies ont des masses supérieures à 10 milliards de M⊙. Leurs redshifts photométriques varient de z=7,48 à z=9,08.  La galaxie la plus brillante de l'échantillon, 38094, est à z = 7,48 (700 mégannées post Big Bang) et peut avoir une masse stellaire aussi élevée que M*≈ 78 milliards M⊙, presque massive que la Voie lactée actuelle. Elle possède deux compagnes proches avec une rupture similaire dans leur spectre optique à proche IR, suggérant que la galaxie pourrait faire partie d'un groupe. La plus éloignée de l'échantillon, celle qui est nommée 35300, se trouve à un redshift de 9,08 (545 mégannées post Big Bang) et aurait déjà une masse stellaire de 25 milliards de masses solaires. 
Comparées à des études antérieures de la distribution de masse des galaxies en fonction du redshift, qui avaient été effectuées à l'aide de Hubble et de Spitzer, les galaxies présentées ici sont beaucoup plus rouges et les différences ne se limitent pas à une ou deux bandes photométriques, la distribution spectrale entière est qualitativement différente. Ces nouvelles observations montrent ainsi que les galaxies peuvent être identifiées de manière robuste à z>7 avec le JWST.
Selon les chercheurs, il est probable que ces galaxies ont aussi des rapports Masse/Luminosité beaucoup plus élevés, mais ça doit être confirmé par spectroscopie. Ce qui est sûr, c'est que les nouvelles galaxies sont très faibles dans l'UV (dans le référentiel terrestre), et les études antérieures à grand champ avec HST et Spitzer n'ont pas atteint les profondeurs nécessaires dans l'UV pour trouver cette population.
Les masses trouvées sont en tous cas très intrigantes dans le contexte des études précédentes, dixunt les auteurs. Aucune galaxie candidate avec une masse stellaire supérieure à 30 milliards de masses solaires n'avait été trouvée au-delà de z ~ 7, et aucune candidate avec plus de 10 milliards de masses solaires n'avait été trouvée au-delà de z ~ 8. De plus, les ajustements aux candidates précédentes prédisaient des densités extrêmement faibles de telles galaxies aux décalages vers le rouge les plus élevés : la densité de masse attendue dans les galaxies avec une masse supérieure à 10 milliards de masses stellaire à z ~ 9 était de ~100 M⊙ Mpc-3, et la densité totale de masse stellaire précédemment dérivée, intégrée sur la plage entre 100 millions et 1000 milliards M⊙ est inférieure à 100000 M⊙ Mpc-3. Les densités de masse dérivées des observations du JWST sont bien plus élevées que les valeurs attendues sur la base des échantillons sélectionnés dans l'UV. La masse dans les galaxies avec plus de 10 milliards de masses solaires serait un facteur 20 plus élevé à z ~ 8 et un facteur de 1000 plus élevé à z ~ 9 !  Et les différences sont encore plus grandes pour les galaxies de plus de 30 milliards de masses solaires.
Pour tenter d'interpréter ces observations de ces "galaxies de rupture optique" identifiées par le JWST, les chercheurs évoquent deux extrêmes entre lesquels elles pourraient se situer.
Si les décalages vers le rouge et les masses sont corrects, alors la densité de masse dans les galaxies les plus massives dépasserait la densité de masse totale estimée précédemment (intégrée jusqu'à M*=100 millions M⊙) par un facteur 2 à z~ 8 et par un facteur 5 à z ~9. A moins que les échantillons de faible masse ne soient très incomplets, on peut en déduire que la plus grande partie de la masse stellaire totale à z = 8 - 9 réside dans les galaxies les plus massives. Bien qu'extrême, cette interprétation est qualitativement cohérente avec l'idée que les régions centrales des galaxies elliptiques massives actuelles abritent les étoiles les plus anciennes de l'univers (ainsi que les amas globulaires), et avec la découverte qu'à z ~ 2, les étoiles des régions centrales des galaxies massives représentent déjà 10 à 20 % de la densité de masse stellaire totale à ce décalage vers le rouge. Mais le gros problème, c'est que ces densités de masse stellaire sont difficiles à réaliser dans le modèle cosmologique standard ΛCDM, comme l'ont souligné plusieurs études récentes datant de l'année dernière. Les densités de masse se heurtent à la limite fixée par le nombre de baryons disponibles dans les halos de matière noire les plus massifs.
L'autre interprétation extrême qu'évoquent Labbé et ses collaborateurs est que toutes les masses calculées seraient en fait plus grandes que les vraies masses, par des facteurs >10-100. Les chercheurs utilisent des techniques standard et des méthodes multiples pour estimer les masses. Ils notent que sous certaines hypothèses pour la loi d'atténuation de la poussière et l'échantillonnage de l'âge de la population stellaire (favorisant les âges jeunes avec de fortes raies d'émission), de faibles masses peuvent être produites. Ceci ne se produit qu'à des décalages vers le rouge spécifiques (z=5,6, 6,9, 7,7, ou environ ~10% de la gamme de décalages vers le rouge de l'échantillon), où les modèles dominés par les raies et les modèles dominés par le continuum produisent des couleurs similaires. En outre, il est possible que les techniques qui ont été calibrées avec des objets à faible redshift ne soient pas applicables. Par exemple, les chercheurs n'incluent pas les effets des raies d'émission exotiques ou des noyaux galactiques actifs brillants.
Le fait d'avoir un signal résolu dans le filtre F200W33 du télescope Webb rend toutefois moins probable une contribution significative des AGN, mais les chercheurs indiquent que des AGN rouges de faible intensité sont possibles et seraient très intéressants en soi, même s'ils pourraient conduire à des changements dans les masses.
Pour Labbé et son équipe, il est plus probable que la situation se situe entre ces deux extrêmes, certaines des couleurs rouges reflétant des effets exotiques ou des AGN, et d'autres des rapports M/L élevés. Le spectromètre NIRSpec du télescope Webb devra être utilisé pour mesurer des décalages vers le rouge précis, ainsi que les contributions précises des raies d'émission à la photométrie observée. Avec des données plus profondes, l'émission du continuum stellaire pourra aussi être détectée directement pour les galaxies les plus brillantes. Enfin, la détermination des masses dynamiques (masse stellaire + masse noire) sera nécessaire pour tester l'hypothèse selon laquelle notre description de l'assemblage des halos massifs dans ΛCDM est incomplète. Il pourrait être possible de mesurer la cinématique requise avec ALMA ou bien à partir des courbes de rotation avec NIRSpec si le gaz ionisé est spatialement étendu.

Source

A population of red candidate massive galaxies ~600 Myr after the Big Bang
Ivo Labbé et al.
Nature (22 february 2023)


Illustrations 

1. Images des 6 galaxies de plyus de 10 milliards de masses solaires observées moins de 700 millions d'années post-Big Bang NASA, ESA, CSA, I. Labbe (Swinburne University of Technology). Image processing: G. Brammer (Niels Bohr Institute’s Cosmic Dawn Center at the University of Copenhagen)

2. Distribution des masses stellaires des galaxies en fonction  de leur redshift. Les 13 galaxies de l'échantillon sont en rouge, le pointillé indique la limite à 10 milliards de masses solaires. (Labbé et al.)

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