Une équipe de chercheurs germano-américaine vient de déceler la présence d'un trou noir supermassif de 3,3 millions de masses solaires au cœur de la galaxie naine sphéroïdale Leo I en observant la dynamique de ses étoiles. Jusqu'à aujourd'hui, on pensait que ce type de galaxie ne pouvait abriter que des trous noirs de masse intermédiaire, de moins de 100 000 masses solaires. Les astrophysiciens montrent également que la galaxie naine serait très pauvre en matière noire. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal.
Leo I est la galaxie satellite de la Voie Lactée qui en est l'une des plus éloignées et des plus brillantes, située à 257 kpc de la Voie Lactée. Leo I intrigue les astronomes depuis longtemps déjà car elle semble posséder peu de matière noire. L'étude des galaxies naines sphéroïdales comme Leo I offre une occasion unique de caractériser en détail la structure des sous-halo de matière noire. Comparées à d'autres galaxies, les naines sphéroïdales sont relativement simples à mesurer et à simuler, ce qui permet de faire des inférences fiables sur leurs paramètres, et donc de mieux contraindre les propriétés de la matière noire.
Car les galaxies naines satellites de la Voie Lactée sont suffisamment proches pour fournir des traceurs dynamiques individuels (c'est-à-dire des étoiles résolues individuellement), et par rapport aux autres galaxies, elles sont réputées pour avoir une influence relativement insignifiante des baryons, ce qui permet une estimation plus robuste de leurs propriétés dynamiques et de leurs profils de matière noire.
En 2008, Srigari avait montré que dans un rayon de 300 pc, toutes les galaxies naines sphéroïdales satellites de la Voie lactée ont une masses dynamique de M300 ∼ 10 millions de masses solaires, malgré le fait qu'elles s'étendent sur quatre ordres de magnitude en luminosité. Ceci implique qu'il existe une échelle de masse interne caractéristique pour les halos de matière noire, en dessous de laquelle ils ne peuvent pas former d'étoiles ou n'existent tout simplement pas.
La nature de la matière noire a également été remise en question lorsque les simulations basées sur le modèle standard ΛCDM n'étaient pas en accord avec les observations des abondances des halos de matière noire et le profil de leur distribution au sein des galaxies. On appelle ces problèmes, le problème des "satellites manquants" : la surabondance de sous-halos de matière noire dans les simulations ΛCDM par rapport aux observations, et le problème "core/cusp" ou la nature plus arrondie des profils de densité de matière noire dans les observations apparaissent en contradiction avec la nature plus cuspide de ces mêmes profils dans les simulations de ΛCDM.
Ces deux divergences ont vu apparaître une variété de formes un peu plus exotique de matière noire pour mieux correspondre aux observations, comme par exemple la matière noire qui interagit avec elle-même sans interagir avec les baryons ordinaires. Mais des travaux publiés en 2013, 2014 et 2017 montrent que l'inclusion de la physique baryonique dans les simulations aplatit les profils de densité des noyaux de type "cusp" pour les arrondir sans avoir à faire intervenir une propriété de la matière noire.
Concernant les trous noirs, les astrophysiciens ont suggéré que la formation d'un trou noir peut être une conséquence naturelle pour les galaxies naines sphéroïdales dans l'Univers jeune.
Il existe en tous cas une corrélation empirique entre la masse d'un trou noir et la dispersion de la vitesse du bulbe de la galaxie. Ces corrélations empiriques n'ont pas encore été étudiées dans les naines sphéroïdales, mais si elles sont extrapolées à ce régime de masse, on doit s'attendre à avoir des trous noirs avec des masses de 10 000 à 100 000 masses solaires.
En 2014, le théoricien Pau Amaro-Seoane avait suggéré avec ses collègues que les galaxies naines pouvaient abriter un trou noir beaucoup plus massif s'approchant de 1 million de masses solaires, via des collisions multiples au sein d'amas stellaires compacts.
C'est pour tester ces différents scénarios concernant la matière noire et les trous noirs dans les galaxies naines sphéroïdales que María José Bustamante-Rosell (Université du Texas) et ses collaborateurs américains et allemands ont étudié de près Leo I, en utilisant les mêmes modèles dynamiques rigoureux appliqués aux galaxies plus grandes.
Des études de la métallicité, de mouvement propre et des mesures de vitesse radiale ont accumulé une quantité importante de données sur la galaxie Leo I. Mais pourtant, ces données n'ont jamais permis de converger vers une image unique des caractéristiques du halo de matière noire de Leo I. Certains trouvent un halo étendu à partir d'une mesure de la courbe de rotation et d'autres vont même jusqu'à l'absence de halo de matière noire. Toutes les analyses récentes s'accordent quand-même sur une valeur du ratio Masse/Luminosité qui est compris entre 8 et 15, ce qui est dans la fourchette basse pour les galaxies naines satellites de la Voie Lactée.
Bustamante-Rosell et ses collaborateurs apportent aujourd'hui une nouvelle pierre à l'édifice en mesurant le profil lumineux stellaire et en explorant la cinématique des étoiles avec le télescope de 2,7 m du McDonald Observatory. Les astrophysiciens exploitent une nouvelle méthode d'intégration de la lumière associée à une modélisation avancée qui tient compte d'une anisotropie générique de la vitesse stellaire et différents aspects des effets de marée induits sur Leo I par la Voie Lactée.
C'est en jouant sur les paramètres du modèle pour faire coller les observations avec les simulations que Bustamante-Rosell et ses collaborateurs tombent sur une valeur étonnante : il doit exister un trou noir au centre de la galaxie naine, et ce trou noir doit avoir une masse de 3,3 millions de masses solaires ! Il s'agirait donc non pas d'un trou noir de masse intermédiaire comme on pouvait s'y attendre (de moins de 100000 masses solaires) mais d'un trou noir supermassif (plus de 100 000 masses solaires), dont la masse n'est pas si éloignée de celle de Sgr A*, le trou noir supermassif de la Voie Lactée (4,15 millions de masses solaires). L'autre paramètre du modèle qui montre une valeur étonnante, seul à même de reproduire les dispersions de vitesses stellaires qui sont observées, c'est la densité de matière noire. Leo I n'en aurait finalement pas beaucoup. La masse de matière noire dans un rayon de 300 parsecs autour du centre de la galaxie ne serait que 1,8 fois plus élevée que la masse des étoiles, selon les chercheurs (7,5 millions de masses solaires contre 4,2 millions).
Si la masse du trou noir central de Leo I est confirmée dans le futur, cela ouvrira des perspectives nouvelles pour comprendre la croissance des trous noirs supermassifs par fusions successives. Si les galaxies naines abritent déjà des trous noirs de l'ordre du million de masses solaires, 10 fois plus massifs que ce que l'on pensait, il faudrait alors soit 10 fois moins de fusions galactiques ou bien 10 fois moins de temps pour former un très gros trou noir supermassif de l'ordre du milliard de masses solaires.
Source
Dynamical analysis of the dark matter and central black hole mass in the dwarf spheroidal Leo I
Maria Jose Bustamante-Rosell et al.
The Astrophysical Journal, Volume 921, Number 2 (5 november 2021)
Illustration
Leo I (Sloan Digital Sky Survey)
2 commentaires :
Bonsoir,
Il est beaucoup question de fusions de trous noirs super massifs (SMBH) ces temps ci, sujet boosté par l'astronomie gravitationnelle (même si elle ne concerne pour l'instant que des TN stellaires), et plusieurs épisodes de ce blog ces jours-ci s'en font le reflet. Outre Leo I, NGC 7727 prend les coupables sur le fait, et montre que des SMBH peuvent fusionner dans l'univers actuel avec un temps typique d'un milliard d'années.
Or dans le cas de J 0100+2802, il semble qu'on n'a considéré que la croissance par accrétion ; des fusions dans l'univers précoce ne pourraient-elles expliquer des croissances supra Eddington sur quelques centaines de millions d'années (que représentent les lignes évolutives du diagramme masse/Z, une croissance Eddington ?) allégeant la contrainte sur les graines ?
C'est vrai Pascal, je n'ai jamais vu d'études proposant des fusions d'IMBH puis SMBH en cascade pour produire un specimen comme J0100+2802. On finira peut-être par converger vers cette solution... Mais il faut pour cela une grande population de TN déjà assez massifs à des z élevés. Une grande quantité de graines assez proches les unes des autres. Des TN primordiaux ?
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