vendredi 29 mars 2013

Annonce des Résultats de AMS-02, enfin !

Lundi dernier, je me languissais (voir là) de voir les résultats de AMS-02 sur l'excès (ou pas) de positrons dans le rayonnement cosmique, et bien ça y est ! Le jour tant attendu des résultats de AMS-02 est annoncé ! A vos écrans :

mercredi 27 mars 2013

Le Jour où Bételgeuse Explosa.

C’était la veille de mon 71ème anniversaire, comment oublier un soir pareil ? Le 14 février 2044, déjà plus de dix ans. Depuis tout petit j’aimais contempler le ciel pendant la saison hivernale, et surtout la constellation emblématique du ciel d’hiver, ce guerrier céleste d’Orion. Je ne me suis toujours pas fait à cette nouvelle forme, je l’avoue. Bételgeuse me manque.
Comment oublier ce soir de février lorsque je vécus en direct la fin annoncée de cet astre devenu monstrueux ? Et pourquoi devrai-je oublier après tout ?
Comme à mon accoutumée, j’étais dehors, il était presque 20h30, et je promenais mon regard entre les Pléiades, qui avait à ce moment-là la visite du gros Jupiter, et plus au sud mon cher Orion. Le ciel était d’une pureté indicible comme souvent en Provence.
Et puis ce fut le flash, ou plutôt l’allumage de ce phare. Mon regard était porté sur Bételgeuse et sa teinte orangée, je la regardais, oui, je la regardais à cette seconde précise, et je l’ai vue mourir. Mourir et se transformer en trou noir. J’ai reçu ses premiers photons gamma dans mes pupilles dilatées. Je fus le premier homme, avec des milliers d’autres, à savoir que Bételgeuse telle que des centaines de milliards d’humains l’avaient connue, n’était plus dans le ciel.
Je reçus sur toute la surface de ma peau ses neutrinos vieux de 450 ans, incrédule et joyeux en même temps, et pour tout dire inconscient de ce qui se passait dans la stratosphère.
Cet éclat presque aveuglant avait d’abord pris une teinte bleue, durant les quelques premières secondes qui me laissèrent sans voix, figé. Puis la blancheur fantômatique pris le dessus, j’ai même cru qu’elle produisait des ombres  alentours, mais je ne regardais qu’elle, croyant à peine à ce que je voyais. C’était pourtant la réalité, ce moment que j’attendais depuis enfant c’était finalement réalisé. Rien ne serait plus comme avant, nous étions entrés dans l’ère de la Supernova.

C’est vrai, depuis dix ans, l’astrophysique a supplanté toutes les autres sciences. L’humanité entière a été touchée par ce cataclysme stellaire finalement si proche de nous et s’est mise à s’intéresser de très près à tout ce qui se passe là-haut, au-dessus de nos têtes. Depuis que tous les détecteurs de neutrinos se sont affolés, cette particule étonnante n’a plus aucun secret pour des milliards d’hommes et de femmes qui auparavant ignoraient jusqu’à l’existence de ce monde fugace des particules produites dans les étoiles.
Depuis dix ans, la science qui étudie les interactions des rayons gamma avec l’atmosphère, ces gerbes gigantesques de particules chargées, a fait un tel pas de géant dans la compréhension que tout semble désormais à portée de main… sans parler de la physique des trous noirs que nous connaissions si mal avant.
Je l’aimais bien Bételgeuse et son halo rougeoyant au sommet d’Orion dans le vent glacé. Je l’imaginais souvent comme une sorte de pelote boursoufflée éjectant par périodes ces masses  d’hydrogène et d’hélium qu’elle souffla si vite cette nuit-là.
Bien sûr, il nous reste ce magnifique résidu, ce si bel anneau de gaz aux reflets rubis. Une nouvelle nébuleuse d’Orion, comme si la constellation n’en possédait pas déjà suffisamment. Il est certain que nous, qui avons été élevés dans l’admiration de la Grande Nébuleuse, celle du baudrier, nous aurons toujours du mal à expliquer aux jeunes générations qu’il y avait plus beau dans Orion que cette incroyable nébuleuse de la Perle, cette perle multicolore admirable par tous, le cadeau que nous a offert Bételgeuse en partant. Même si elle a supplanté tous les autres objets, le ciel est désormais riche de nombreux observateurs avertis qui ne se contentent plus d’admirer la Perle dès la nuit tombée.
Bételgeuse en explosant ce jour-là nous a ouvert les portes de l’Univers.


lundi 25 mars 2013

AMS-02, Détecteur d'Antimatière pas Comme les Autres

AMS-02 est un instrument unique. Signifiant Alpha Magnetic Spectrometer, ce gros détecteur de particules est fixé sur la station spatiale internationale depuis mai 2011.
Il permet de détecter des milliards de particules du rayonnement cosmique, et surtout de les trier, c'est à dire de déterminer leur nature, leur énergie et leur direction d'incidence.


Le concept utilisé est basé sur la déviation d'une charge électrique en mouvement par un champ magnétique. Une particule chargée subit une courbure de sa trajectoire en présence d'un champ magnétique. Cette courbure est plus ou moins forte en fonction de la masse de la particule. Et une charge électrique opposée provoque une courbure en sens opposé.
A partir de ces interactions de physique "classique", AMS-02 permet ainsi de compter chaque type de particule et d'antiparticule qui vient à sa rencontre, et à mesurer leur énergie.
Il peut s'agir de protons, d'électrons, mais aussi de noyaux d'atomes légers comme des noyaux d'hélium (qu'on appelle aussi particules alpha), jusqu'à des noyaux de béryllium, et bien sûr de leurs antiparticules respectives...
Et des particules, AMS-02 en a compté plusieurs dizaines de milliards depuis sa mise en service il y a deux ans (bientôt 31 milliards à l'heure où j'écris ces lignes).


Le père de AMS est un ancien prix Nobel de physique (Nobel 1976) : Samuel Ting. Il a proposé cette idée à l'administration américaine à la fin des années 1990. Un prototype (AMS-01) avait été tout d'abord conçu au debut des années 2000 et a volé 12 jours à bord d'une Navette afin de montrer la faisabilité. AMS-02, lui, est voué à fonctionner jusqu'à la fin de la station spatiale internationale, pour un coût de 1,5 milliards de dollars...

L'une des informations les plus attendues des résultats d'AMS-02 concerne l'antimatière. Les détecteurs d'AMS-02 permettent de mesurer très précisément par exemple quelle est la proportion de positrons (anti-électrons) dans l'ensemble des particules détectées (la paramètre clé étant le ratio positrons/électrons). 

La proportion de positrons a été mesurée par d'autres expériences dans le passé (PAMELA et FERMI-LAT) et montrait un léger excès mal compris (voir aussi mon précédent post Trop de positrons dans le rayonnement cosmique).
Or, AMS-02, de par sa sensibilité beaucoup plus grande et sa capacité à analyser finement l'énergie des particules, devrait pouvoir révolutionner les choses. C'est du moins ce qu'attendent nombre de physiciens des astroparticlues, pour qui les résultats d'AMS-02 peuvent confirmer (ou infirmer) de manière éclatante l'excès de positrons aux hautes énergies (que ne pouvaient pas atteindre les expériences précédentes).

Et un tel excès de positrons à haute énergie en provenance du centre galactique est tout sauf anodin, car il s'agit de l'une des signatures indirectes de l'existence de matière noire!...
Lorsque des particules de matière noire (hypothétiques pour le moment) rencontrent leurs antiparticules, elles s'annihilent en produisant soit des photons gamma, soit des paires électrons-positrons.
La masse de ces hypothétiques WIMPs étant importante, l'énergie correspondante des photons gamma ou des électrons et positrons produits est également très élevée.
Et comme c'est au centre de la galaxie que la densité de WIMPs serait la plus importante, c'est aussi là que leur probabilité d'annihilation serait la plus grande. Observer des positrons de haute énergie en provenance du centre galactique, on le comprend, serait donc un signal très intéressant!...

Synoptique des types de signaux mesurés par les détecteurs de AMS-02 en fonction de la particule (LAPP/CNRS - Collaboration AMS)
C'est pour cette raison que depuis quelques mois, les premiers résultats de AMS-02 sont attendus avec fébrilité par toute la communauté des astroparticulistes. Il se trouve que Samuel Ting entretien le suspense et le teasing. Invité le 15 février dernier au meeting annuel de l'AAAS (American Association for the Advancement of Science) au MIT, Ting n'a rien dévoilé, mentionnant juste qu'un des 6 groupes de chercheurs de l'équipe qui a analysé plus de 25 milliards de particules avait des conclusions très différentes des 5 autres et que rien ne pouvait être publié si ça n'en valait pas la peine (comprendre : si la conclusion n'est pas robuste), en tout cas pas avant plusieurs semaines...
Début Mars aux Rencontres de Moriond de Physique des Particules, aucun résultat n'a été annoncé non plus au grand désespoir des participants, juste la précision qu'un article était en attente d'approbation pour être publié, rien de plus...

Cela fait maintenant plusieurs mois qu'une publication est annoncée pour le début 2013, puis pour le mois de mars. Nous y sommes et toujours rien. La tension est à son comble... La collaboration AMS-02 a-t-elle trouvé quelque chose ?

Les jours ou semaines qui viennent vont être décisifs. Restez à l'écoute et retenez ces trois lettres : A, M, S...

Compte twitter de la collaboration AMS-02 : @ams_02
Site web : http://ams.cern.ch/

samedi 23 mars 2013

C-4 : Détecter les WIMPs en Moins de Deux Ans.

Parmi les nombreuses expériences dédiées à la détection directe de la matière noire sous forme de particules exotiques de type WIMPs, trois expériences ont annoncé avoir mesuré un excès de signal ne pouvant pas être a priori du bruit de fond. Ces manips sont l'italienne DAMA (depuis 2002), l'allemande CRESST (en 2011) et l'américaine CoGeNT (en 2010).
Les données des trois expériences ne sont pas tout à fait compatibles entre elles, ce qui donne un doute logique sur ces différentes annonces.



Parmi ces trois résultats, deux d'entre eux montrent une modulation annuelle du signal (DAMA et CoGeNT) : l'amplitude du taux d'interaction observé varie au cours d'une année avec un maximum fin mai et un minimum 6 mois plus tard. Ce phénomène de modulation du signal est justement ce qui est attendu pour les WIMPs... Le phénomène est dû à la différence de vitesse relative de la Terre par rapport à la galaxie lorsqu'elle se déplace dans le même sens que le soleil ou dans le sens opposé au cours de sa rotation annuelle.
Modulation du signal de CoGeNT et C-4

Bien évidemment, tout le monde a cherché à mettre en cause l'existence d'une source de bruit de fond non prise en compte et qui aurait elle aussi une modulation annuelle expliquant les observations. Et il se trouve qu'il en existe deux. Les détecteurs utilisés pour la détection directe de WIMPs peuvent être de différents types (comme le sont les trois en question) mais ils ont en commun d'être ultra sensibles à toutes sortes de rayonnements, aussi bien des électrons, des particules alpha, des rayons gamma ou des neutrons.
Les deux sources de bruit de fond (signal parasite pouvant mimer celui d'une WIMP) qui montrent une variation au cours de l'année avec un maximum à la fin du printemps et un minimum en hiver  sont d'une part la quantité de radon et d'autre part le flux de muons cosmiques.

Il faut se rappeler que les expériences comme DAMA, CRESST ou CoGeNT sont enfouies sous terre (une ancienne mine pour CoGeNT) ou sous des montagnes (sous le Gran Sasso pour les deux autres).
Les roches entourant les cavernes utilisées par les physiciens sont naturellement radioactives comme toute la croûte terrestre. Un des radioéléments descendants de l'uranium est un gaz radioactif, le radon 222, qui peut se retrouver ainsi dans l'atmosphère proche des détecteurs.
Et il se trouve que la quantité de radon dans le laboratoire souterrain est légèrement dépendante de la pression et de la température de l'atmosphère extérieure au laboratoire (il faut bien que nos physiciens puissent respirer!), qui elle, varie globalement entre l'été et l'hiver. Il s'ensuit une variation annuelle de la quantité de radon dans le laboratoire.

La deuxième source de bruit de fond modulé annuellement est le flux de muons cosmiques. Produits dans la haute atmosphère par des interactions secondaires de rayons cosmiques primaires, les muons pour arriver à la surface de la Terre doivent traverser plusieurs kilomètres d'atmosphère, or, cette atmosphère se trouve être plus ou moins dense en fonction de la température qui y règne. Là encore, les différences de température entre été et hiver suffisent à faire varier très légèrement le flux de muons cosmiques qui arrivent à la surface, et donc les quelques uns qui parviennent (malheureusement) à traverser les montagnes et se retrouver dans le laboratoire souterrain... Par la suite, ce ne sont pas directement les muons qui vont produire un bruit de fond gênant dans les détecteurs mais le produit de leurs réactions dans des matériaux denses comme le plomb (qui entoure le plus souvent les détecteurs) : des neutrons.
Schéma de l'expérience C-4, les détecteurs sont au centre: (1) : blindage Cu ultrapur (16 mm); (2) : Plomb très basse radioactivté (25 mm); (3) : Plomb basse radioactivité (25 mm); (4) Plomb standard (254 mm); (5) boitier aluminium étanche au radon (3 mm); (6) polyéthylène boré (25 mm); (7) scintillateur plastique détecteur de muons (50 mm); (8) eau (500 mm).


Pour savoir si ces pistes étaient les bonnes, des expériences, indépendantes des chercheurs de WIMPs, ont mesuré le plus précisément possible comment variaient ces deux contributions potentielles, à la fois dans le laboratoire du Gran Sasso, par l'expérience BOREXINO et dans la mine de Soudan (par l'expérience MINOS). 
Et le résultat est clair, net et précis : que ce soit au Gran Sasso ou à Soudan : à la fois l'amplitude de la modulation des deux bruits de fond, mais aussi (et surtout!) la phase (c'est à dire les dates du maximum et du minimum) sont incompatibles avec la modulation des signaux observés par DAMA d'un côté et CoGeNT de l'autre!... En d'autres termes, les modulations observées par DAMA et CoGeNT ne peuvent pas être issues des bruits de fond radon et muons.

Alors que la modulation observée par DAMA est très claire et possède une statistique énorme, celle de CoGeNT en revanche n'est pas basée sur un nombre d'événement suffisant pour être statistiquement irréfutable (elle n'est définie qu'à un niveau de confiance à 2.8 sigma, contre 8.9 sigma pour DAMA).

Sensibilité prévue de C-4 pour les WIMPs de faible masse, par rapport à DAMA, CRESST et CDMS

C'est pour confirmer (ou inversement infirmer) l'existence d'une modulation annuelle dans leurs mesures que les physiciens américains initiateurs de l'expérience CoGeNT ont décidé de décupler leur expérience. Ils proposent aujourd'hui de transformer CoGeNT en une nouvelle expérience baptisée C-4.
C-4 sera basée sur exactement la même technologie que CoGeNT, des détecteurs semiconducteurs au germanium refroidis, relativement classiques. Ces détecteurs ne permettant pas de discrimination des particules incidentes, mais permettant de rejeter les interactions ayant lieu en surface. Ces détecteurs seront surtout extrêmement bien blindés contre la radioactivité extérieure (voir la figure ci-dessus).

C-4 sera constituée en fait de 4 détecteurs Germanium, chacun étant 3 fois plus gros que l'unique détecteur de l'expérience initiale CoGeNT, qui faisait un peu moins de 500 g. C-4 disposera ainsi d'environ 10 fois plus de masse utile pour la détection de collisions élastiques de WIMPs. C-4 obtiendra donc en 1 année ce que CoGeNT aurait mis 10 ans à enregistrer...

Les physiciens américains prédisent qu'ils pourront, à partir du début du fonctionnement à 4 détecteurs, en moins de deux ans, soit confirmer définitivement l'existence d'une modulation et d'en préciser l'énergie des interactions (et donc les caractéristiques des particules responsables) ou bien d'infirmer (avec un niveau de confiance à 5 sigmas) l'existence de ces signaux en excès modulés et rejeter définitivement les annonces des expériences concurrentes...

Il est bien possible que dans la course aux WIMPs, le Germanium gagne finalement face au Xénon... à moins que LUX, qui débute ses opérations, nous réserve des surprises...

source :
The C-4 dark matter experiment
R.M. Bonicalzi et al.
Nucl. Instr. Meth. A 712, 27-33 (June 2013)

Lire aussi : La Bataille du Xénon Liquide