lundi 30 mars 2015

La matière noire dévoilée dans les collisions d'amas de galaxies

Il est décidément beaucoup question de matière noire ces derniers temps... C'est au tour d'une équipe de chercheurs britanniques avec à sa tête un jeune chercheur officiant à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, de nous offrir dans le tout dernier numéro de Science, une belle étude sur l'auto-interaction des particules de matière noire grâce à l'étude de dizaines de cas de collisions d'amas de galaxies.


15 configurations parmi les 30 étudiées par Harvey et al. montrant la répartition spataile des trois composantes de masse : gaz (en rouge), galaxies (en vert) et matière sombre (en bleu). Les images de fond sont des images du télescope spatial Hubble (Harvey et al., Science)
Comme les galaxies prises indépendamment, les amas de galaxies sont apparemment emplis de matière noire, celle-ci étant préférentiellement composée de particules massives interagissant très très faiblement avec la matière ordinaire hormis par gravitation. Il y a quelques nombreuses années déjà, une observation d'un amas appelé l'amas du Boulet avait fait beaucoup parler d'elle car cet amas était issu de la collision de deux amas, et il avait permis de cartographier l'emplacement théorique de la matière noire par des mesures de lentilles gravitationnelles et celle de la matière ordinaire, lumineuse ou moins lumineuse, et ses deux distributions ne coïncidaient pas, indiquant des caractéristiques d'interactions très différentes entre matière ordinaire et matière noire.
C'est en partant du même principe que l'équipe de David Harvey a pris comme sujet d'étude toutes les collisions d'amas disponibles par des observations conjointes effectuées avec les deux télescopes spatiaux Hubble (dans le visible) et Chandra (en rayons X) et qui offraient de surcroit un effet de lentille gravitationnelle sur des galaxies lointaines en arrière plan. 
Ainsi, la masse équivalente de matière noire peut être cartographiée assez précisément d'un côté avec l'effet de lentille gravitationnelle (qui cartographie en fait la courbure locale de l'espace-temps), et de l'autre, le gaz diffus par son rayonnement X et enfin les galaxies par leur émission visible ou UV.
La plupart des modèles de matière noire fonctionnent bien aux très grandes échelles mais pose encore des problèmes à l'échelle des galaxie et des petits amas : le profil de densité devrait être plus concentré au centre des amas de galaxies, les sous-structures galactiques devraient être plus nombreuses et notre galaxie devrait posséder plus de galaxies naines satellites capables de produire des étoiles, par rapport à ce que nous observons. Ces petites incohérences peuvent être résolues si les particules de matière noire sont de type "chaudes", c'est à dire plutôt des particules très légères (des neutrinos plutôt que des WIMPs, pour faire court), ou bien si ces particules de matière noire interagissent d'une certaine manière entre elles.
Images composites en visible (bleu) et rayons X (rose) de quelques amas
X-ray: NASA/CXC/EPFL, /D.Harvey & NASA/CXC/Durham Univ/R.Massey;
Optical & Lensing Map: NASA, ESA, D. Harvey and R. Massey (Durham University, UK)
Pour évaluer comment les particules interagissent les unes sur les autres, on utilise un paramètre que l'on appelle le transfert d'impulsion par unité de masse, sigma/m, qui à la dimension d'une section efficace par unité de masse, exprimée en cm²/g. Pour résoudre notre petit problème de matière noire, nos chères particules doivent avoir un transfert d'impulsion par unité de masse qui soit compris entre 0,1 et 1 cm²/g. Des extensions du modèle standard des particules donnent une valeur pour ce paramètre, qui vaudrait justement 0,6 cm²/g et l'étude de l'amas du Boulet avait permis de fixer une valeur pour l'amplitude de cette auto-interaction et donnait une valeur maximale : < 0,7 cm²/g avec une précision pas top.
C'est donc pour évaluer beaucoup plus finement ce paramètre de transfert d'impulsion par unité de masse qui signe l'intensité de l'auto-interaction des particules de matière noire que Harvey et son équipe ont finalement retenu 30 cas de collisions d'amas de galaxies impliquant 72 sous-structures...
A partir de ce grand échantillon statistiquement représentatif de toutes les orientations possibles et imaginables par rapport aux observateurs que nous sommes, les auteurs parviennent à mesurer les écarts séparant les barycentres des trois types de masses : matière noire, gaz diffus et galaxies. Ces amas étant en collision, il est normal que le gaz ne se trouve jamais au même endroit que les galaxies, leur caractéristiques dynamiques étant bien différentes. Il en est de même pour la masse noire. 
Les auteurs montrent que la présence d'un équivalent de masse noire est indiscutable. Et le barycentre de la masse noire est très légèrement décalé sur l'axe galaxies-gaz qui représente la direction du mouvement de collision des amas : il se trouve entre les galaxies et le gaz, mais plus proche des galaxies. En moyenne, la distance séparant les galaxies de la masse noire vaut 18900 années-lumière (5800 parsecs). C'est cet écart qui permet aux astrophysiciens d'en déduire l'intensité du transfert d'impulsion par unité de masse pour la matière noire, en utilisant un modèle dit de "profondeur optique". En effet, le modèle fournit l'écart relatif attendu qui doit exister entre galaxie et gaz et entre galaxie et matière noire. L'ajout du paramètre d'auto-interaction vient légèrement modifier cet écart relatif et permet alors d'en fixer la valeur en ajustant son effet dans la modélisation par rapport à ce qui est observé.
Ce que trouvent David Harvey et ses collègues, c'est que la matière noire ralentit moins fort que prévu initialement par auto-interaction. L'auto-interaction est donc moins forte que prédit auparavant. La valeur obtenue par Harvey est ses collaborateurs est, comme pour l'étude de l'amas du Boulet, une limite supérieure, mais cette nouvelle limite se trouve donc être plus contraignante : sigma/m < 0,47 cm²/g.
Souvenez-vous, pour résoudre les problèmes des modèles de matière noire, il faut un sigma/m compris entre 0,1 et 1 cm²/g, l'amas du Boulet avait fixé une limite supérieure à 0,7 cm²/g et de nombreux modèles théoriques extensions du modèle standard des particules prédisaient une valeur de sigma/m égale à 0,6 cm²/g. 

L'étude de David Harvey vient donc renouveler l'affirmation de l'existence d'une anomalie gravitationnelle visible par lentille gravitationnelle et attribuée à de la matière noire, et dans le même temps, vient contraindre fortement une bonne partie des modèles théoriques qui pouvaient expliquer les incohérences associées à la matière noire froide de type WIMPs dans les amas de galaxies. Ces travaux montrent que la matière noire semble donc bien observable indirectement, mais avec un peu moins de probabilité que ce soient des WIMPs.


Source : 
The nongravitational interactions of dark matter in colliding galaxy clusters
David Harvey et al.
Science 27 March 2015: Vol. 347 no. 6229 pp. 1462-1465 

dimanche 29 mars 2015

Quizz Astro n°2

Merci aux 125 participant(e)s (en date du 29/03) au premier quizz de cette année. Un grand bravo spécial aux 18 parmi vous qui ont obtenu plus de 8 bonnes réponses sur 10 (et qui ont laissé leur nom/pseudo):
Nelly (10), jeanber06 (10), Xx (10), PL56 (10), David Loureiro (9), scottola (9), curu (9), rene66 (9), Dr Goulu (9), yuhn (9), padoue (9), dominique boid (9), Ryuzaki21 (9), Clem (8), Yvounet (8), Tootow (8), alain P (8), babayaya (8)

Poursuivons tout de suite avec notre deuxième volet, à vos souris ! (toutes les réponses sont cachées dans les billets de Ça Se Passe là-Haut)




jeudi 26 mars 2015

Des plans de galaxies étonnants découverts au sein d'un amas

Voilà une découverte importante. Importante car pouvant remettre en cause des idées jusqu'alors bien établies. Il s'agit d'observations de galaxies au sein d'un amas de galaxies appelé le groupe de Centaurus A. Brent Tully, astrophysicien à l'université d'Hawaï, accompagné de collègue européens, viennent de publier leur découverte que les galaxies de cet amas se distribuent sur des plans ! 


Distribution des galaxies du groupe de Centaurus A (les distances sont exprimées en mégaparsec,
1 Mpc = 3,26 millions d'années-lumière). Deux plans distincts apparaissent clairement (ronds = plan 1, carrés = plan 2),
les lignes pointillées ont été ajoutées pour aide visuelle. (Tully et al.)
Si vous vous souvenez, nous avions déjà parlé à deux reprises ici et d'observations un peu similaires de galaxies satellites se répartissant en un plan de rotation autour de la grande galaxie d'Andromède. Ici, il s'agit  d'un petit amas de galaxies, dans lequel les astrophysiciens ont pu mesurer précisément les distances de 29 galaxies. Et ils obtiennent le résultat fascinant que 27 galaxies parmi ces 29 se distribuent en 2 plans fins parallèles entre eux, et aussi parallèles au plan de l'équateur supergalactique (le plan du superamas de galaxies, duquel le Groupe Local incluant notre galaxie fait partie). Cette observation est totalement inédite.

Les deux plans sont de taille semblable, avec un grand axe d'environ 1 million d'années-lumière et un petit-axe d'environ 200000 années-lumières. Ils apparaissent séparés d'une distance de 1 million d'années-lumière environ.
Le groupe de Cen A est proche de nous, la galaxie elliptique Centaurus A est elle-même seulement à 12 millions d'années-lumière. Au delà des 29 galaxies dont les distances ont pu être mesurées avec précision, il y a encore 7 autres galaxies dans ce groupe, mais dont les chercheurs n'ont pas pu obtenir de valeur de distance précise, mais ils précisent que même en connaissant leur caractéristiques dynamiques, la conclusion en serait inchangée, il existe bel et bien deux plans de galaxies parallèles dans le groupe de Centaurus A. 
Brent Tully et ses coauteurs montrent que les directions normales aux deux plans ne diffèrent entre elles que de 7°, et que cette différence n'est pas statistiquement significative. L'écart angulaire avec le plan supergalactique, lui, n'est que de 17°. 
L' "épaisseur" de ces deux plans de galaxies vaut respectivement 250000 années-lumière et 180000 années-lumière.
Image composite de Centaurus A
ESO/WFI (Optical);
MPIfR/ESO/APEX/A.Weiss et al. (Submillimetre);
NASA/CXC/CfA/R.Kraft et al. (X-ray)

Les auteurs font alors un petit calcul statistique pour évaluer quelle est la probabilité qu'un tel nombre de galaxies qui se retrouveraient en deux sous groupes au sein du groupe de Centaurus A forment deux plans comme ceux qui sont observés. Ils trouvent une probabilité de 0,03%...  Clairement, ces plans de galaxies ne sont pas dus au hasard.
Mais alors, d'où viennent-ils ? 

Il faut également rappeler que le plan de galaxies autour de la galaxie d'Andromède qui a été reporté il y a quelques mois et lui aussi parallèle à l'équateur supergalactique. Alors que ce passe-il là-haut ? 

L'équipe de Brent Tully n'apporte pas de réponse définitive ni très argumentée, ils tentent une explication en rappelant que toutes les galaxies qui nous entourent dans un rayon de 25 millions d'années-lumière font partie de ce qu'on appelle un grand "mur", ou Feuille Locale, frontière d'une zone "vide", le Vide Local. Ce vide est actuellement en expansion, ce qui produit un mouvement vers le "bas" de la Feuille Locale à une vitesse de 260 km/s. 
Selon les chercheurs, un scénario plausible serait qu'il y aurait eu initialement deux grands groupes situés à des distances très différentes du centre du Vide Local mais orientés vers la même direction, ces deux entités auraient été étirées parallèlement à l'axe orthogonal au plan supergalactique par une répulsion radiale du grand vide, et seraient aujourd'hui en train de se rapprocher, ce qui aurait eu pour effet de donner à Centaurus A une grosse influence sur la formation des deux plans.

Si cette explication vous paraît être une jolie petite usine à gaz, vous pouvez également vous souvenir du billet que j'ai consacré il y a deux semaines à une théorie développée par un chercheur indépendant français pour éliminer les notions de matière noire et d'énergie noire par la prise en compte d'un champ gravitique, dont l'une des prédictions annexes est l'existence de plans de galaxies au sein d'amas de galaxies... 


Source : 
TWO PLANES OF SATELLITES IN THE CENTAURUS A GROUP
R. Brent Tully et al.
A paraître dans Astrophysical Journal Letters

mercredi 25 mars 2015

La Nova de 1670 n’était pas une Nova

A l'heure où une nova vient d'apparaître dans le ciel en plein milieu de la constellation du Sagittaire, on imagine combien l’émotion fut grande il y a 345 ans en 1670 lorsque de nombreux observateurs du ciel, astronomes établis ou simples amateurs de la nuit aperçurent une nouvelle étoile brillante apparaître dans la constellation du Petit Renard (en latin Vulpecula), non loin de la grande constellation du Cygne. Cette nova stella fut depuis lors classée dans la catégorie des novae, éruptions transitoires d’étoiles. Mais cette nova, Nova Vul 1670, reste mystérieuse car aucune étoile résiduelle n’a jamais pu être observée à cette position.




CK Vul (détail de la zone d'émission submillimétrique à droite)
(T. Kaminski et al, Nature)
En revanche, c’est en 1982 que quelque chose a pu être détecté à l’emplacement exact de la nova de 1670, sous la forme d’une nébuleuse bipolaire, ayant un peu la forme d’un sablier, qui fut nommée CK Vulpeculae. Une équipe de chercheurs a décidé d’enquêter sur le cas de CK Vulpeculae (CK Vul) et parvient aujourd’hui à démontrer que l’événement de 1670 n’était pas une nova, mais autre chose.
Tomasz Kamiński et son équipe euro-américaine publie leur étude dans la revue britannique Nature. Ils ont observé CK Vul avec un télescope situé dans les Andes chiliennes, APEX (Atacama Pathfinder Experiment), qui explore le ciel dans le domaine des ondes millimétriques. Leur trouvaille qui permet d’exclure une origine de type nova se trouve dans la composition de la nébuleuse résiduelle. L’analyse spectrale des émissions de la nébuleuse (fréquences entre 217 et 910 GHz) montre en effet pléthore de molécules différentes. De plus, à l’aide d’un autre radiotélescope, le radiotélescope d’Effelsberg, des raies caractéristiques de la molécule NH3 ont été mises en évidence. La température du gaz moléculaire a d’ailleurs pu être estimée et se trouve basse, entre 8 et 22 K.

L’image qui se dégage de cette nébuleuse est qu’elle est très pauvre en composés oxygénés et carbonés, et au contraire étonnamment riche en composés azotés qui sont très diversifiés. De fait, parmi toutes les molécules azotées susceptibles d’être rencontrées dans ces conditions, seules le NO et le N2 manquent à l’appel. Cette composition chimique très azotée est très rare, il existe deux autres systèmes connus pour posséder les molécules azotées observées ici dans CK Vul, il s’agit d’une supergéante jaune, IRC+10420 et de la célèbre supergéante Eta Carinae. Ces deux objets ont d’ailleurs récemment été proposés pour être des étoiles prototypes riches en azote.
Les astronomes ont ensuite cherché à préciser d’où venaient exactement ces émissions caractéristiques dans CK Vul, et pour « zoomer » et atteindre une meilleure résolution angulaire, ils ont exploité un autre radiotélescope, le réseau interférométrique SMA (SubMillimeter Array) situé à Hawaï. Grâce à cet outil, Tomasz Kamiński et ses collègues sont parvenus à déterminer que ce gaz moléculaire si spécifique provenait de la zone centrale de la nébuleuse, et formait également une distribution bipolaire de manière similaire à la nébuleuse elle-même. Les données de SMA ont également permis de déterminer la présence de quantités importantes de poussière froide (15 K), qui semble former une enveloppe aplatie, peut-être ayant la forme d’un tore, ainsi que de deux jets symétriques.

Crédit: ESO/Digitized Sky Survey 2/N. Risinger (skysurvey.org) Acknowledgement: Davide De MartinMusic: Johan B. Monell (www.johanmonell.com)

Pour savoir si ces émissions submillimetriques pouvaient être attribuées au résidu d’une nova, l’équipe d’astrophysiciens a observé dans les mêmes conditions 17 specimens de novae du disque galactique, et ne trouvent aucun point commun. D’autres candidats potentiels, qu’on appelle des étoiles rouges transitoires et qui sont connues pour avoir des spectres d’émission moléculaire riches, ont de la même façon pu être éliminés.
Un nouvel élément est venu s’ajouter dans l’enquête sur les origines de CK Vul, c’est la présence de molécules ionisées, comme par exemple HCO+ et N2H+. Ces deux molécules ne peuvent se former, en absence d’eau, qu’avec une forte abondance de H+3. Et ce H+3 ne peut se former qu’à partir de la molécule de dihydrogène H2 soit exposée à un fort rayonnement UV ou soit à des ondes de choc. Or, comme la vitesse des nuages de gaz est ici très élevée (210 km/s), le mécanisme d’ionisation du dihydrogène le plus probable apparaît être celui de l’onde de choc.

L’indice peut-être définitif pour exclure une origine de type nova vient de l’évaluation des ratios isotopiques du gaz observé. Les astrophysiciens ont réussi à mesurer des rapports d’isotopes des trois éléments fabriqués classiquement dans les étoiles : C N et O, et ils les ont comparé avec les ratios mesurés sur le soleil. Les résultats sont si différents qu’ils indiquent immédiatement l’existence d’une activité nucléaire au sein même du nuage de gaz circumstellaire. 12C/13C = 4 (contre 89 pour le soleil), 14N/15N = 26 (contre 272 pour le soleil), 16O/18O = 23 (499 pour le soleil) et 16O/17O supérieur à 225 (2682 pour le soleil).
A partir de tous ces indices concordants, et après avoir méthodiquement étudié et éliminé toutes les autres solutions possibles, Tomasz Kamiński et son équipe proposent le scénario suivant pour expliquer le cataclysme vu en 1670 : deux étoiles seraient entrées violemment en collision en fusionnant. L’explosion qui s’ensuivit aurait pu être assez violente pour être bien visible depuis la Terre et surtout pour disperser complètement les enveloppes internes des deux étoiles, exposant ainsi à cœur ouvert la matière qui était alors active dans le processus de combustion thermonucléaire des deux étoiles.
Ce phénomène est certainement aussi peu probable qu’une explosion « classique » de supernova.


Source :

Nuclear ashes and outflow in the eruptive star Nova Vul 1670
T. Kamiński et al.
Nature (2015) publié en ligne 23 Mars 2015

lundi 23 mars 2015

Quizz Astro 2015, n°1

Vous l'aurez remarqué, le printemps est revenu ! Et avec lui le grand Quizz de Ça Se Passe là-Haut! Le QUIZZ ASTRO, c'est 10 questions chaque semaine durant tout le printemps, pour apprendre en s'amusant. Testez vous, les réponses aux questions vous seront données dès l'envoi de vos réponses au formulaire.  N'hésitez pas à utiliser les commentaires pour discuter...
A vos souris ! (toutes les réponses se trouvent quelque part dans Ça Se Passe Là-Haut...)





Les lunes de Mars, Phobos et Deimos, pourraient être des morceaux de la planète rouge.

Les deux lunes de Mars, Phobos et Deimos, ont longtemps été considérées être des astéroïdes capturés par la planète rouge. Mais il se pourrait bien que leur nature et leur histoire soit bien différente...



Les satellites de Mars Phobos et Deimos, imagés par la
sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter,
échelle différente sur les deux images(NASA/JPL)
Les premiers indices qui ont mis la puce à l'oreille des planétologues sont des observations de la composition des deux satellites ainsi que la forme de leur orbite. Des observations effectuées par la sonde européenne Mars Express ainsi que par l'américaine Mars Global Surveyor, ont montré en 2011 et en 2014 que les émissions thermiques infra-rouge de Phobos et de Deimos ne correspondaient pas à celles de matériaux riches en carbone comme le sont les chondres carbonacés formant les astéroïdes. De plus, ces mêmes missions ont mis en évidence la présence de minéraux sur Phobos, qui se retrouvent également à la surface de Mars. Enfin, l'expérience Mars Radio Science qui était embarquée sur la sonde Mars Express a permis de mesurer en 2010 la densité et la porosité de Phobos, avec pour résultats respectivement une densité de 1,87  et une porosité d'environ 30%. Une si faible densité et si forte porosité sont inconnues pour la plupart des astéroïdes... Des astronomes ont même montré qu'avec de telles caractéristiques, un astéroïde n'aurait pas survécu à une capture gravitationnelle et se serait désagrégé.

Quant à leur orbite, que ce soit celle de Phobos ou celle de Deimos, elles se trouvent quasi circulaires et presque exactement dans le plan équatorial martien. Or, s'il s'était agit d'une capture gravitationnelle, les deux petits corps auraient dû montrer des orbites aléatoires, très elliptiques, pas forcément dans le plan équatorial et même pourquoi pas rétrograde. Rien de tout ça en réalité.

Des chercheurs américains, mené par Robert Citron de l'université de Californie à Berkeley viennent de montrer à l'aide de simulations numériques qu'il se peut très bien que et Phobos et Deimos soient le produit de débris de Mars issus d'un ou plusieurs impacts géant sur Mars.
Mars
Il se trouve qu'il existe sur Mars une très vaste zone de 7700 km de diamètre nommée le bassin Borealis, qui ressemble à s'y méprendre à un énorme bassin d'impact météoritique, et qui recouvre presque la totalité de l'hémisphère nord de Mars. Les planétologues sont donc partis de l'hypothèse qu'un corps d'une masse égale à 1% de la masse de Mars a impacté la planète au niveau du bassin Borealis, puis ont simulé ce qui se passerait.
Avec un impact produisant une énergie colossale de 3 10^29 joules, énergie nécessaire pour produire le bassin Borealis, les chercheurs trouvent qu'une énorme quantité de poussière et de débris se retrouve éjectée en orbite de Mars : pas moins de 500 millions de milliards de tonnes... correspondant à quelques pourcents de la masse du corps à l'origine de l'impact. Pour fixer les ordres de grandeur, la masse de Deimos est de 1480 milliards de tonnes et celle de Phobos de 10700 milliards de tonnes...

Une fois en orbite, ces débris sont pour certains éjectés hors de l'influence martienne ou bien se retrouvent former un disque autour de Mars, bien sûr dans le plan de l'équateur, ou enfin retombent sur la planète. S'ensuit pour les débris formant un disque ce que l'on appelle une ré-accretion : tous les grains de poussière et de débris s’agrègent les uns avec les autres en formant des corps de plus en plus gros, à l'image d'une boule de neige que l'on fait rouler, jusqu'à entièrement nettoyer l'orbite. C'est ainsi qu'auraient pu naître Phobos et Deimos.

Robert Citron et ses collègues montrent en tous cas grâce à leur code de calcul SPH (Smoothed Particle Hydrodynamics simulationque la matière injectée en orbite est très largement suffisante pour expliquer la naissance des deux lunes de Mars à partir d'un disque et sous un régime d'effet de marée fort.
Reste maintenant à comprendre où serait passée toute la masse de débris en surplus du disque...

Source : 
FORMATION OF PHOBOS AND DEIMOS VIA A GIANT IMPACT
Robert I. Citron et al.
Icarus 252 (2015) 334-338

vendredi 20 mars 2015

Une seule supernova produit suffisamment de poussières pour fabriquer des milliers de planètes

Une équipe de chercheurs internationale vient de mettre en évidence comment une supernova peut produire des quantités phénoménales de poussières, sources de plusieurs milliers de planètes potentielles...




C'est grâce à un télescope un peu particulier appelé SOFIA (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy)  que les astronomes ont pu observer en détail ce résidu de supernova. SOFIA est un télescope de 2,5 m aéroporté, qui est installé à bord d'un Boeing 747 SP (Special Performance), modifié spécialement par la NASA pour accueillir un télescope infra-rouge et qui vole à très haute altitude, entre 39000 et 45000 pieds (entre 12000 m et 14000 m). Il est exploité conjointement par la NASA et le German Aerospace Center allemand.
Les astronomes se sont intéressé à un nuage de poussière interstellaire nommé SNR Sgr A East, qui est le résidu d'une supernova qui a explosé il y a maintenant 10000 ans. Ce qu'ont pu montrer l'américain Ryan Lau et ses collègues, c'est que cette supernova avait produit assez de poussières pour fabriquer plus de 7000 planètes comme la Terre...
L'équipe a estimé la masse totale de poussière dans le nuage à partir de l'intensité de ses émissions infra-rouge.
Les astronomes savaient déjà que les ondes de chocs générées par les supernovas pouvaient produire des quantités non négligeables de poussière, et jusqu'à aujourd'hui, on se demandait surtout si les toutes nouvelles particules de poussières produites pouvaient survivre au rebond de la première onde de choc quand cette dernière impacte les nuages de gaz et de poussière environnants. 

Et la réponse est donc : oui. La poussière résiste bien à ces ondes de choc de rebond et peuvent alors se disperser dans l'espace interstellaire pour devenir les graines de futurs petits corps rocheux, qui peuvent par le suite devenir grands comme des planètes.
Ce que ces résultats montrent aussi c'est que les grandes quantités de poussières qui sont observées dans les jeunes galaxies très distantes sont probablement le fruit d'explosions de supernovas d'étoiles massives, car aucun mécanisme ne permet aujourd'hui de l'expliquer autrement. 

L'observation d'un résidu de supernova situé non loin du centre galactique permet ainsi d'en déduire des informations cruciales sur les processus en jeu dans les premières galaxies de l'Univers...  et nous rappeler ô combien nous ne sommes que des poussières d'étoiles.

L'article de Ryan Lau et ses collègues est paru en ligne le 19 mars dans Science.


Source : 
Old supernova dust factory revealed at the Galactic center
R. M. Lau et al.
Science, Published Online March 19 2015

mardi 17 mars 2015

Observer l'éclipse de Soleil sans lunettes spéciales, grâce à un sténopé.

Vous aimeriez observer l’éclipse partielle de soleil ce vendredi 20 mars, mais vous n’avez pas pu vous procurer les lunettes spéciales en mylar ? Qu’à cela ne tienne, il existe une autre méthode très simple qui vous permettra de voir en toute sécurité ce croissant de soleil et d’en faire profiter tout un groupe en même temps. Il vous suffira juste d’un peu de travail manuel, pour fabriquer un sténopé « maison ». Le gros intérêt d’un sténopé est qu’il permet une observation par projection et qu’il ne fait intervenir aucun système optique de focalisation, donc sans risque pour les yeux.



Le concept de sténopé repose sur la projection de l’image du Soleil par un petit trou, ce qui est le principe même de la chambre noire. Il existe par ailleurs différentes façons de construire un sténopé pour l’observation du soleil.

Le sténopé « à tube »
Vous avez besoin d’un tube de carton, d’une feuille de carton rigide, d’une feuille de papier translucide (papier calque ou papier sulfurisé par exemple), d’une épingle, et d’un rouleau de ruban adhesif. 
Fermez la première extrémité de votre tube avec la feuille de carton rigide en la scotchant, aucune lumière ne doit pouvoir rentrer dans le tube par cette ouverture (pour le moment).
A l’autre extrémité du tube, faites de même, mais avec le papier translucide. C’est par ce côté que vous pourrez voir le croissant solaire, mais pas en regardant directement avec l’œil dans le tube, non, simplement en regardant la surface du papier calque en restant sur le côté. Mais pas si vite, il nous faut encore faire quelque chose.

Percez la feuille cartonnée qui ferme la première extrémité du tube à l’aide de votre épingle, de manière à faire un petit trou circulaire, au centre du tube. Ce petit trou doit faire environ 1 mm de diamètre seulement (au maximum). Plus votre tube a une petite longueur, plus le trou à percer doit être petit.
Voilà, votre sténopé à tube est prêt à être utilisé.
Le plus dur reste à faire puisqu’il faut maintenant orienter votre tube dans la direction du soleil, l’idéal étant de pouvoir le fixer par exemple à l’aide de sangles élastiques sur un poteau, puis de le positionner en altitude et azimuth jusqu’à ce qu’apparaisse le disque solaire sur la surface du papier calque.  Une fois que vous l’avez, si l’éclipse n’a pas encore commencé, vous devrez bouger légèrement le tube pour suivre la course du soleil durant les deux heures du phénomène.

Le sténopé « à miroir »
Le sténopé à miroir est encore plus simple à fabriquer que le sténopé à tube. Vous avez besoin d’un miroir bien plan de faible dimensions et bien réfléchissant, d’une feuille de carton rigide, d’une épingle, de ruban adhésif et d’un mur uni bien orienté par rapport à la position du soleil (à peu près dans la même direction que celle du soleil au moment de l’éclipse, ici vers le sud-est), situé à plusieurs mètres, mais moins haut que le soleil bien sûr !
De la même façon que précédemment, percez un petit trou de 1 à 2 mm de diamètre dans la feuille de carton opaque, puis collez ce carton sur la surface du miroir. Le carton opaque doit recouvrir entièrement le miroir.

C’est tout ! Vous avez donc dans les mains en quelque sorte un minuscule miroir de 1 mm. Vous devez maintenant  orienter ce miroir de manière à projeter l’image réfléchie du soleil sur le mur. Repérer où se trouve l’image réfléchie du  disque solaire peut être assez difficile. Pour vous aider, il convient de faire la manip avant de placer le carton sur la surface du miroir pour voir où se trouve l’image du miroir pour une position donnée (vous verrez dans ce cas non pas le disque solaire mais un rectangle (si votre miroir est rectangle).
Ne pas tenir le miroir à la main mais plutôt le positionner au sol avec le bon angle et la bonne orientation, de manière à obtenir une image fixe qui ne tremble pas.

Le sténopé « à plaque »
C’est la version la plus simpliste, mais qui peut aussi marcher. Elle se rapproche du sténopé à tube. Le principe est toujours le même, on perce un petit trou dans une plaque de carton fine mais rigide, à l’aide d’une épingle, puis on projette l’image du soleil qui passe par ce trou. Cette fois-ci non pas sur une feuille calque translucide, mais sur un « écran », blanc de préférence.

Cet écran peut être constitué simplement d’une ou plusieurs  feuilles de papier. La plaque percée doit avoir une surface assez grande, de manière à produire une ombre la plus grande possible au niveau de l’écran blanc (qui peut être simplement posé au sol, mais préférentiellement orienté perpendiculairement à la direction du soleil).

A vous de jouer et d’observer le Soleil se faire grignoter par la Lune…

credit photo : sciencevirale.com

dimanche 15 mars 2015

Découverte de 9 galaxies naines satellites dans l'hémisphère sud

Notre galaxie, la Voie Lactée, possède des satellites, des petites galaxies qui se trouvent en orbite autour d'elle. Les plus connues sont le grand nuage de Magellan et le petit nuage de Magellan, et ce sont aussi les plus grosses. La plupart sont petites, voire très petites. 
Et jusqu'à présent, la majorité des galaxies satellites connues étaient situées dans l'hémisphère nord (même si les deux nuages de Magellan se trouvent dans le sud), mais l'équilibre est aujourd'hui un peu rétabli par la découverte de 9 nouvelles petites galaxies satellites.


Les nuages de Magellan et localisation de 6 des 9 nouvelles galaxies naines découvertes, image avec en premier plan les télescopes auxiliaires de l'observatoire Paranal V. Belokurov, S. Koposov (IoA, Cambridge)
C'est deux équipes d'astronomes, la première à dominante anglaise, de l'université de Cambridge au Royaume-Uni, et la seconde plus internationale (collaboration DES) qui viennent de rendre publique cette découverte dans deux articles soumis à The Astrophysical Journal. C'est la première fois que l'on découvre d'un coup autant de galaxies naines. Ces résultats sont issus de recherches effectuées grâce aux données de la première année d'observation du programme de grand relevé DES (Dark Energy Survey), produit avec une caméra exceptionnelle de 570 mégapixels installée sur le télescope Victor Blanco  au Cerro Tololo Inter-American Observatory dans les andes chiliennes.
On n'avait plus découvert de galaxies naines proches depuis près de 10 ans, lorsqu'en 2005 et 2006, plusieurs dizaines avaient été mises en évidence dans l'hémisphère nord. Ces toutes petites galaxies sont très peu lumineuses : environ 1 milliard de fois moins que la Voie Lactée pour une masse un million de fois plus faible. Quant à leur distance, elle s'étale entre 97 000 années-lumière pour la plus proche et plus d'un million d'années-lumière pour la plus éloignée.
Mais ces candidates au statut de galaxie naine sont si petites que leur nature n'est pas encore certaine. Seules 3 parmi ces 9 sont à coup sûr des galaxies naines, les 6 autres pourraient être ou bien des galaxies naines ou bien des amas globulaires. La différence entre un amas globulaire et une petite galaxie naine serait lié à la présence ou non de matière noire liant gravitationnellement l'ensemble.

Le modèle cosmologique standard prévoit l'existence de nombreuses galaxies naines autour des grandes galaxies, mais leur petitesse et leur faible luminosité les rendent très difficiles à détecter. Les plus petites ne contiennent que quelques milliers d'étoiles seulement... (à comparer aux 200 milliards de la Voie Lactée).
D'après les modèles actuellement dominants, les galaxies naines sont très particulières car elle contiendraient une proportion énorme de matière noire : 99%, et seulement 1% de matière visible. Elles sont donc un laboratoire très intéressant pour la recherche de matière noire et le fait d'avoir trouvé de nouvelles candidates est donc doublement important.

Répartition des galaxies naines et des amas globulaires autour de notre galaxie.
(V. Belokurov, S. Koposov (IoA, Cambridge), 2MASS)
La plus proche galaxie naine découverte est située dans la constellation du Réticule (Reticulum 2), à 97000 années-lumière, et semble en train d'être déchirée par des effets de marée produits par le champ gravitationnel de la Voie Lactée.
La plus lointaine, Eridanus 2, a en outre la particularité de posséder un petit amas globulaire en son sein, ce qui lui confère le titre de galaxie la plus faible contenant un amas globulaire.
Les astronomes sont assez étonnés de trouver ces 9 candidates galaxies naines à proximité des deux nuages de Magellan. Certains pensent que ces galaxies ont pu être en orbite autour des nuages de Magellan et être éjectées par des interactions entre le Grand Nuage et le Petit Nuage de Magellan. D'autres pensent qu'elles pouvaient faire partie d'un vaste groupe de galaxies incluant les nuages de Magellan, et seraient en train de tomber vers notre Galaxie...

Comme de telles galaxies naines sont des objets cruciaux pour mettre en évidence la présence de matière noire, les mêmes équipes qui ont fait cette découverte se sont déjà penché sur l'émission de rayons gamma en provenance de ces galaxies naines, notamment celle qui est la plus proche, Reticulum 2, en braquant vers elle le télescope spatial Fermi-LAT spécialisé dans la détection de rayons gamma. En effet, si la matière noire se trouve sous forme de particules massives qui ont le pouvoir de s'annihiler entre elles, elles doivent produire au final des photons gamma énergétiques, après désintégration des paires de particules-antiparticules produites lors de l'annihilation.

Les résultats de deux équipes différentes viennent d'être publiés en pré-print dans la foulée des articles de la découverte des galaxies naines, et soumis tous les deux à the Astrophysical Journal Letters. Mais leurs résultats sont contradictoires, cette fois! L'une, qui est menée par l'américain Alex Geringer-Sameth avec les anglais, annonce voir un excès de rayons gamma avec une statistique significative, et donc potentiellement un signe indirect de présence de matière noire, et l'autre, dirigée par les collaborations DES et Fermi-LAT, ne voit aucun excès de rayons gamma dans les mêmes données du satellite Fermi-LAT... 
La recherche va donc se poursuivre intensément sur ces nouveaux objets.

Sources : 

Beasts of the Southern Wild. Discovery of a large number of Ultra Faint satellites in the vicinity of the Magellanic Clouds
Sergey E. Koposov et al.
arXiv:1503.02079v2 [astro-ph.GA]
soumis à The Astrophysical Journal

Eight New Milky Way Companions Discovered in First-Year Dark Energy Survey Data
The DES Collaboration, 
arXiv:1503.02584 [astro-ph.GA]
soumis à The Astrophysical Journal

Evidence for Gamma-ray Emission from the Newly Discovered Dwarf Galaxy Reticulum 2
Alex Geringer-Sameth, et al.
arXiv:1503.02320 [astro-ph.HE]
soumis à the Astrophysical Journal Letters

Search for Gamma-Ray Emission from DES Dwarf Spheroidal Galaxy Candidates with Fermi-LAT Data
The Fermi-LAT Collaboration, The DES Collaboration
arXiv:1503.02632 [astro-ph.HE]
soumis à the Astrophysical Journal Letters

samedi 14 mars 2015

La matière noire, une sombre affaire - La Conversation Scientifique, par Etienne Klein

Etienne Klein invite Françoise Combes, astrophysicienne à l'Observatoire de Paris, professeur au Collège de France (chaire Galaxies et cosmologie) pour parler de la matière noire, une émission à écouter, ou à réécouter ... Emission diffusée le 28 février dernier.



vendredi 13 mars 2015

Matière Noire et Energie Noire : de purs et simples produits de la Relativité Générale ?

La Relativité Générale a été une véritable révolution scientifique. Nous fêtons cette année le centenaire de cette grande théorie d'Albert Einstein. Cette théorie, qui a été validée des millions de fois depuis 100 ans nous a permis de voir le monde autrement, en nous montrant un Univers espace-temps modelé par la masse qu'il contient.
Aujourd'hui plus que jamais, la Relativité Générale est la théorie physique la plus fondamentale. Mais la Relativité Générale ne pourrait-elle pas aujourd'hui être à la source d'une nouvelle révolution scientifique ?  C'est ce qui pourrait peut-être arriver si l'on en croit un chercheur non professionnel français qui vient de rendre public simultanément, dans la plus grande discrétion, deux gros articles assez incroyables.


Equation du champ après linéarisation (Le Corre)
Stéphane Le Corre, c'est son nom, propose dans ses deux articles théoriques, en le démontrant très sérieusement et de manière très documentée, que l'existence d'une apparente masse manquante, que l'on a pris l'habitude d'appeler la matière noire, matière toujours totalement inconnue aujourd’hui, et l'accélération de l'expansion cosmique, que l'on attribue aujourd'hui à une énergie noire, énergie tout autant inconnue, ne seraient ni plus ni moins que des phénomènes tout à fait naturels, qui peuvent se déduire d'une propriété de la gravitation issue de la Relativité Générale.
Le point de départ du développement de Le Corre consiste à utiliser  une approximation des équations de la Relativité Générale, ce qu'on appelle une linéarisation des équations. Il s'agit d'une approximation de la Relativité Générale comme peut l'être la théorie de Newton, mais qui se trouve bien moins approximée que cette dernière. 
La linéarisation des équations de la Relativité Générale produit un fait marquant : elle fait apparaître clairement un terme gravitomagnétique, et les équations obtenues se trouvent être très semblables à celles des équations de Maxwell de l'électromagnétisme. Le champ gravitomagnétique (ou champ gravitique comme l’appelle l’auteur de ces travaux) qui apparaît dans les équations, arrive tout à fait naturellement, il n'est pas un ajout ad hoc. 

Les masses apparaissent ainsi similaires aux charges électriques de l'électromagnétisme, le champ gravitationnel agit entre les masses comme le champ électrique entre les charges et un champ gravitique apparaît lorsque des masses se meuvent dans l'espace, tout comme apparaît le champ magnétique quand des charges électriques sont en mouvement. 
Et, de la même façon que les charges électriques subissent une force dans un champ magnétique, qui va modifier leur trajectoire, les masses subissent, en plus de la force de gravitation "classique" une seconde force liée au champ gravitique
Cette linéarisation des équations de la Relativité Générale possède un domaine de validité pour les faibles vitesses et les champs gravitationnels faibles. C'est justement le cas pour le mouvement des galaxies dans leur zone externe. Stéphane Le Corre repart justement de l'origine des observations qui ont mené à l'idée de la présence d'une matière non visible dans les galaxies à la fin des années 60 (grâce notamment à Vera Rubin) : les courbes de rotation des galaxies. 
Courbes de rotation de galaxies spirales (vitesse de rotation en fonction de la distance du centre galactique)   (Sofue & Rubin, 2001)
Il montre à partir d'un panel de courbes de rotations de différentes galaxies que la prise en compte du champ gravitique permet d'expliquer complètement la forme des courbes de rotation à longue distance, sans avoir besoin de supposer la présence d’une matière noire additionnelle. Le champ gravitique peut d'ailleurs se décomposer en une contribution interne aux galaxies et une composante externe. La composante interne décroit très vite avec la distance du centre galactique. Ne reste au-delà de 50 000 années-lumière du centre des galaxies que la composante externe : un champ gravitique faible et constant qui serait le champ gravitique de l'amas dans lequel se trouve la galaxie en question. Ce serait ainsi selon Le Corre cette composante qui serait la principale responsable de la forme anormale des courbes de rotation des galaxies, qui nous a incités à penser à la présence de matière supplémentaire non visible. La seule hypothèse que fait Stéphane Le Corre est ici que les galaxies doivent se trouver au sein d'amas de galaxies, or c'est ce qui est observé dans la très grande majorité des cas. Il n'existe pas ou très peu de galaxies isolées.
La similitude des équations développées par Stéphane Le Corre entre gravitation et électromagnétisme est frappante, et revêt une élégance certaine. Le titre de l'article n'en est pas moins raffiné : Dark Matter, a new proof of the predictive power of General Relativity (la "matière noire", une nouvelle preuve du pouvoir prédictif de la Relativité Générale).
Et l’existence d’un champ gravitique à des conséquences qui vont au-delà de la distribution des vitesses des étoiles au sein des galaxies : il induit également une certaine répartition des galaxies satellites autour des grosses galaxies, qui devraient se distribuer en un vaste disque. Or il existe déjà des indices observationnels de telles répartitions de galaxies satellites, par exemple autour de la galaxie d’Andromède

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Concernant l'explication de l'accélération de l'expansion, que Stéphane Le Corre développe dans son second article au titre très proche du premier, où c'est l'énergie noire qui apporte une nouvelle preuve de la puissance prédictive de la théorie einsteinienne, une hypothèse un peu plus spéculative est faite pour soutenir la démonstration, toujours fondée sur les effets du champ gravitique. Mais cette fois c'est l'antimatière qui joue un rôle particulier, car l'hypothèse faite est que l'antimatière possède une masse gravitationnelle négative et qu'il existe alors une interaction répulsive entre matière et antimatière (la masse inertielle, elle, reste toujours positive). Il faut préciser tout de suite que la masse gravitationnelle est ce qui produit le champ gravitationnel et la masse inertielle ce qui subit le champ gravitationnel. Le parallèle avec l'électromagnétisme est d'ailleurs sous-jacent, où les charges électriques existent avec les deux signes. En considérant l'existence possible de masses négatives, l'expression du terme incluant le champ gravitique dans les équations relativistes devient négative et peut être assimilé au terme L de constante cosmologique produisant une accélération de l'expansion. 

En fait, l'introduction d'une masse gravitationnelle négative pour les antiparticules en plus de l'existence d'un champ gravitomagnétique permet de fournir une solution non seulement à l'accélération de l'expansion, mais aussi au problème de l'absence d'antimatière, tout en préservant l'existence d'une phase inflationnaire dans l'Univers primordial. L'idée de Le Corre est que, du fait de la répulsion gravitationnelle inhérente entre particules et antiparticules, ces dernières ont subi une ségrégation très tôt dans l'histoire de l'Univers, créant de fait des "univers" séparés, les uns faits de matière et les autres d'antimatière. Notre univers de matière serait ainsi entouré de plusieurs univers d'antimatière, à la manière d'un réseau d'atomes. Or chaque univers avec sa masse propre produit un champ gravitationnel, ainsi qu'un champ gravitique constant non négligeable, qui bien sûr va agir sur les univers voisins (c'est la seconde hypothèse de cette théorie)... Notre univers de matière aurait alors pour plus proches voisins des univers d'antimatière.
Schéma de la distribution d'"unvivers" de matière et d'antimatière qui agissent
les uns sur les autres, telle que proposée par l'auteur.
Le Corre fait les calculs au premier ordre en considérant 8 univers d'antimatière entourant notre univers, avec chacun une densité strictement opposée à la densité de notre univers. Et ce qu'il trouve est troublant.  Il calcule quelle devrait être la vitesse d'expansion à la frontière entre univers voisins à partir de la valeur du paramètre WL mesuré par le satellite Planck (et qui vaut 0,7), associé à la constante cosmologique (qui est directement associée au champ gravitique dans la solution de Le Corre). La vitesse obtenue vaut 0,5 c, ce qui est tout à fait cohérent avec les observations aux plus grandes échelles.
En outre, à partir de ces mêmes calculs et avec cette valeur de vitesse, Stéphane Le Corre peut donner une valeur numérique à la valeur du terme de constante cosmologique L, il obtient : 1,4 10-52 m-2, toujours avec 8 univers d'antimatière voisins. Cette valeur de L est tout à fait dans l'ordre de grandeur de ce qui est observé aujourd'hui (10-52 m-2)...

L'hypothèse essentielle de toute cette démonstration est l'existence d'une masse gravitationnelle pouvant être négative, associée à une masse inertielle devant toujours être positive. Le Corre démontre comment une telle masse négative est tout à fait cohérente, à la fois dans la gravitation Newtonienne et dans la Relativité Générale. Ces théories le permettent. Stéphane Le Corre fait à nouveau la correspondance entre électromagnétisme et Relativité Générale Linéarisée pour montrer qu'à la conjugaison des charges entre particules et antiparticules est naturellement associée une conjugaison des masses. Ce point est la clé de voûte de la solution proposée, et il se trouve que c'est un phénomène testable expérimentalement. Il existe d'ailleurs déjà plusieurs expériences, notamment au CERN qui tentent de déterminer si des atomes d'antihydrogène sont attirés ou repoussés dans un champ gravitationnel de matière ordinaire (expériences AEgIS, GBAR ou ALPHA par exemple, qui n'ont pas encore des résultats suffisamment précis pour trancher dans une sens ou dans l'autre).
La conséquence du fait que les particules auraient forcément une masse gravitationnelle opposée à celle de leur antiparticule est qu'aucune particule ne pourrait être identique à son antiparticuleles particules de Majorana n'existeraient tout simplement pas, alors que c'était envisagé pour les neutrinos, qui n'ont pas de charge électrique mais une toute petite masse. Or il existe des expériences qui tentent de mettre en évidence l'existence de tels neutrinos de Majorana (expériences GERDA, NEMO ou MAJORANA par exemple). L'absence de résultats positifs pour ces expériences conforterait alors la solution proposée par le chercheur français. 

Pour résumer, Stéphane Le Corre parvient à expliquer le comportement attribué à la matière noire et à l'énergie noire, uniquement par une propriété cachée de la gravitation qui existe en Relativité Générale : la présence d'un champ gravitique, très similaire au champ magnétique en électromagnétisme, et qui produit une force par le mouvement des masses dans l’espace-temps. Ce champ agirait à l'échelle des amas de galaxie pour la matière noire, et à l'échelle de l'Univers concernant  l'énergie noire. La grande force de cette théorie est qu’elle n’introduit que très peu d'hypothèses. L’hypothèse la plus forte est l'existence d'une masse négative pour l'antimatière. Et la bonne nouvelle est que cette théorie est à la fois prédictive et testable.

Ces deux articles publiés en pré-print de manière assez confidentielle sur le site des archives ouvertes du CNRS méritent vraiment de s'y attarder, tant les solutions proposées sont séduisantes et rendent à nouveau à la Relativité Générale toute sa grandeur, peut-être même en font la théorie ultime qui pourrait bien nous réserver encore des surprises en résolvant naturellement les plus grandes énigmes cosmologiques actuelles…


Références :
Stéphane Le Corre. Dark matter, a new proof of the predictive power of general relativity. 2015. <hal-01108544v3>

Stéphane Le Corre. Dark energy, a new proof of the predictive power of general relativity. 2015. <ensl-01122689>

jeudi 12 mars 2015

Découverte d'une activité hydrothermale sur Encelade, satellite de Saturne

Encelade est un satellite de Saturne. Mais ce n'est plus du tout un satellite comme les autres. Une étude venant de paraître dans Nature montre pour la première fois des indices forts de l'existence d'une activité hydrothermale sur Encelade.


C'est la toute première fois qu'une activité hydrothermale est mise en évidence au delà de la Terre. Activité hydrothermale, comme vous le comprenez bien signifie eau chaude, et qui dit eau chaude dit... Bon, en un mot comme en cent, cette découverte est très importante.

Le panache de vapeur du pôle sud d'Encelade vu par Cassini
NASA/JPL-Caltech/Space Science Institute
Une activité hydrothermale signifie l'existence d'interactions fortes entre eau et roches résultant de la circulation d'eau  chaude. Alors qu'on estime que de tels processus physico-chimiques se sont passé dans la jeunesse du système solaire, c'est aujourd'hui seulement sur Terre que nous connaissions de tels phénomènes, auprès de systèmes volcaniques sous-marins par exemple. La sonde Cassini qui se promène depuis plus de 10 ans autour de Saturne et de ses plus gros satellites avait repéré en 2005 ce qui ressemblait bien à de vastes éruptions de vapeur sortant du pôle Sud d'Encelade. Et une analyse chimique avait pu être effectuée sur ces panaches et avait révélé la présence de sel... de l'eau de mer! De fait, il est aujourd'hui communément admis dans la communauté des planétologues qu'Encelade renferme un océan liquide sous sa grosse croûte de glace.
La sonde Cassini avait par ailleurs détecté de fines particules de poussières très riches en silicium, qui restaient pour le moins énigmatiques.
Hsu et ses collègues, qui signent cette étude, ont essayé de comprendre d'où pouvaient provenir ces petits grains de ... sable, en modélisant la dynamique de ces particules et en les traçant jusqu'à l'anneau E de Saturne, un anneau très fin situé entre Mimas et Titan, majoritairement peuplé de grains de glace, qui sont pour l'essentiel fournis par de la matière venant d'Encelade. Le lien était donc fait. Ces grains de silice devaient provenir d'Encelade. Trouver de la silice (SiO2) autour de Saturne est tout à fait inédit. Et le fait que ces grains soient si petits à posé d'autres questions aux planétologues. Après avoir imaginé différents scénarios pour expliquer cette taille, le seul qui persiste est une origine dans le processus même de leur formation : une cristallisation rapide à partir de solutions aqueuses saturées.

Pour vraiment comprendre ce qui se passe sur (sous) Encelade pour que de telles nanoparticules soient produites, les auteurs ont reproduit expérimentalement en laboratoire le processus envisagé. Ils parviennent ainsi à déterminer les conditions physico-chimiques qui règneraient dans l'océan d'Encelade, notamment la température, qui est un élément crucial.
La situation est la suivante : le corps rocheux doit avoir une température de 90° au moins, avec une eau très basique (un pH de 8,5 au moins) pour pouvoir dissoudre de la silice en quantité suffisante. De plus, la salinité de l'océan doit être inférieure à 4% pour permettre la production de grains de silice nanométriques. La surprise de taille vient de la température trouvée, 90°; elle implique l'existence d'une source de chaleur interne à Encelade, qui ne devrait théoriquement pas en posséder au vu de sa petite taille (500 km de diamètre). Le plus probable est l'existence de frictions par effets de marée, mais d'autres explications sont activement recherchées.
Vue d'artiste de l'intérieur d'Encelade, des points chauds sous-marins seraient présents chauffant localement l'eau à 90° NASA/JPL-Caltech
Toutes ces caractéristiques sont étonnamment similaires à une zone hydrothermale atypique située au milieu de l'océan l'Atlantique, appelée Lost City et qui a été découverte il y a une dizaine d'années. On y trouve des cheminées calcaires de plusieurs dizaines de mètre, brassant de l'eau à 90° avec un pH de l'ordre de 10. Ces sources hydrothermales sont également la source de nombreuses molécules organiques et autre méthane. Les autres sources hydrothermales terrestres connues sont plutôt acide, riches en métaux et en soufre, avec des températures proches de 300°.
Comme les sources thermales alcalines comme Lost City ont pu abriter les premières formes de vie sur la Terre primordiale, la découverte d'une activité hydrothermale ressemblante sur Encelade ouvre des perspectives plus qu'intéressantes...

Hsu et ses collègues estiment que les particules de silice observées ont du être transportées de leur zone de production vers le panache qui les a propulsé ensuite dans l'espace en très peu de temps, quelques mois ou années seulement, sinon leur taille aurait été plus grande. Cela implique qu'en analysant les éjections d'Encelade, on doit obtenir une image de ses processus physico-chimiques complexes presque en temps réel. Comme la sonde Cassini fonctionne toujours à merveille, il est prévu qu'elle retourne au plus près du panache d'Encelade à la fin de l'année 2015. En revanche, Cassini n'est pas très bien équipée pour faire des analyse plus fines que ce qui a pu être analysé ici.
Pour savoir si une vie a pu se développer dans l'océan chaud d'Encelade, il faudra sans aucun doute aller voir sur place...


Sources : 
Enceladus' hot springs
Gabriel Tobie
Nature 519, 162–163 (12 March 2015) 

Ongoing hydrothermal activities within Enceladus
Hsiang-Wen Hsu et al.
Nature 519, 207 (12 March 2015)