Le 12 avril dernier étaient publiés
dans le European Physical Journal (1)
les résultats tant attendus de l’expérience de recherche de matière noire
CRESST (collaboration européenne), qui cherche à détecter des WIMPs grâce à des
détecteur scintillateurs cryogénique (détection des collisions élastiques
produisant de la lumière de scintillation plus une élévation de température dans des cristaux de Tungstate de Calcium).
Cette publication était attendue
car on savait déjà via des présentations antérieures que CRESST annonçait un
excès de signal qu’ils attribuent à la détection probable de WIMPs de faible
masse. Un gros coup.
Ce type d’expérience, comme vous
le savez, est très délicat à mener, il faut protéger les détecteurs du moindre
bruit de fond radioactif ou du rayonnement cosmique, pour ne conserver que
l’hypothétique signal utile, celui que l’on cherche à mettre en évidence. Et le
signal produit par la radioactivité naturelle est identique à celui qui est
recherché, d’où la difficulté et la nécessité de très bien connaître toutes les
sources de bruit de fond radioactif en présence autour des détecteurs. Car il
reste toujours un petit peu de radioactivité, toujours… même infime.
Tour de détecteurs de l'expérience CRESST (TUM) |
Après avoir posé la situation,
venons-en à cette publication de CRESST. Pour faire simple, l’analyse est très
riche et se base sur une quantité de données très importante, égale à 730
kg.jours de mesures (l’équivalent d’un détecteur de 1 kg pendant 730 jours
d’affilée sans arrêt).
Pour faire leur analyse, les
physiciens de CRESST utilisent des méthodes très élaborées que je ne
développerai pas ici, et, à partir de tous les événements détectés, procèdent
par éliminations successives pour en enlever les différentes sources de bruits
de fond connues. Ils en arrivent à la conclusion qu’ils observent un nombre
assez important d’événements de type recul de noyau, qui ne correspondraient à
aucun bruit de fond connu, et seraient ainsi des candidats pour être les WIMPs
que nous cherchons si avidement.
Et ces WIMPs auraient la
particularité d’avoir une masse relativement faible, ce qui est quelque chose
d’un peu nouveau dans les modèles généralement admis aujourd’hui.
Ils font une analyse des signaux
selon deux analyses statistiques un peu différentes qui conduisent à des
valeurs légèrement différentes ainsi qu’à une masse et une section efficace qui
ne sont pas les mêmes, mais dans les deux cas, ils évoquent plus de 20 WIMPs
détectés (les signal events).
Les événements (et leur nature)
détectés dans la zone d’intérêt sont donnés ci-dessous pour les deux analyses
statistiques :
M1 M2
e-/γ
–events 8.00 ± 0.05 8.00 ±0.05
α-events 11.5
+2.6 −2.3 11.2 +2.5 −2.3
Neutron events 7.5 +6.3−5.5 9.7 +6.1−5.1
Pb recoils 15.0
+5.2−5.1 18.7 +4.9−4.7
Signal events
29.4 +8.6−7.7 24.2 +8.1−7.2
mχ [GeV] 25.3 11.6
σWN [pb] 1.6 10−6
3.7 10−5
Les niveaux de confiance
statistiques correspondant, considérant que les événements en excès ne peuvent
pas être juste du bruit de fond sont donnés à 4.7 sigmas et 4.2 sigmas respectivement
pour les analyses M1 et M2. Ce qui veut dire un résultat très robuste statistiquement.
Les différentes sources de bruit
de fond identifiées sont prises en compte et pour chacune d’elle le nombre
d’événements est donné : électrons et gamma (radioactivité béta), alpha
(isotopes radioactifs émetteurs de particules alpha, neutrons (pouvant être
issus d’interactions secondaires de muons ou de fissions spontanées d’uranium
dans les roches environnantes), ainsi que des reculs de noyaux de Plomb...
Tiens, pourquoi cette dernière contribution ?
Parce qu’il existe un isotope,
issu de la décroissance radioactive du Plomb-210, puis du Bismuth-210, qui
s’appelle le Polonium-210, qui lui-même décroit en un autre isotope, le
Plomb-206, en émettant une particule alpha. C’est le Radon-222, ambiant dans
tout laboratoire, surtout souterrain, qui est à l’origine de cette chaine de
produits radioactifs. Le Radon-222 est lui-même un lointain descendant de
l’Uranium-238 contenu dans toutes les roches.
Chaîne de décroissance depuis le Pb-210 |
Alors, pourquoi je ne saute pas
en l’air en clamant à hue et à dia que ça y est, on a découvert les WIMPs et
ils n’ont pas la masse prévue ! C’est une révolution scientifique !
Et bien parce que d’une part ces
résultats ne collent pas avec d’autres expériences du même type. Et surtout,
surtout… Un nouvel article est paru à peine un mois plus tard…
Le 19 mai, donc, à peine un mois
après la publication de l’article de CRESST, une équipe de physiciens
canadiens, ayant été confrontés visiblement au même type de problème sur
l’expérience DEAP (une autre manip de recherche de matière noire), ont publié
un article dans Astroparticle Physics
(2) reprenant les données de CRESST (on suppose aisément qu’ils avaient déjà
fait leurs calculs mais attendaient la parution officielle de l’article de CRESST
avant de publier le leur).
Ils y démontrent que les
allemands et leurs collaborateurs auraient sans doute raté une source de bruit
de fond, et que cette source de bruit de fond à elle seule pouvait expliquer en
très grande partie les événements en excès observés à basse énergie (attribués
aux WIMPs)!...
Quelle est donc cette nouvelle
source de bruit de fond ? Elle
serait en fait liée au fameux Polonium-210 qui contaminerait en surface un
élément de support en argent des détecteurs scintillateurs cryogéniques.
Le Po-210 comme on l’a vu plus haut émet un noyau de Pb-206 et une
particule alpha avec une période radioactive de 138,38 jours. Ces derniers
reculent dos à dos dans la matière (de l’argent dans notre cas) et peuvent en
sortir dans certains cas pour atteindre le détecteur.
Plot des événements détectés par CRESST (scintillation en fonction de l'énergie de recul) |
C’est une composante du bruit de fond qu’ont bien prise en compte les
allemands de CRESST. Mais les canadiens montrent que, en plus, il peut avoir
lieu un phénomène de sputtering, c’est-à-dire
que les noyaux de Pb-206 dans leur mouvement de recul peuvent collisionner des
noyaux d’atomes d’argent à la surface du support et ces noyaux d’argent vont
ensuite être éjectés et produire des interactions dans le détecteur situé non
loin de là, simulant alors un signal de WIMP… Et ça, les allemands de CRESST n’y ont pas
pensé !
Qui plus est, les physiciens canadiens ont simulé en grands détails
ces phénomènes de collisions interatomiques et montrent notamment que modéliser
une surface complètement lisse (non réaliste) ne permet pas de reproduire le
nombre d’événements en excès. En revanche, la prise en compte d’une surface
rugueuse à l’échelle microscopique fait augmenter significativement le nombre
de noyaux d’argent qui viennent interagir dans le détecteur cryogénique,
donnant alors des valeurs tout à fait compatibles avec la petite trentaine
d’événements « WIMP » clamée par CRESST...
Alors, WIMPs ou noyaux d’atomes d’argent ? La question est désormais
ouverte et la balle est maintenant retournée dans le camp des physiciens de CRESST
qui vont devoir redoubler d’efforts pour tenter d’isoler cette potentielle
source de bruit de fond pour élucider la réalité de leurs événements « en
excès ».
En excès de sensationnel, peut-être ?
Sources :
(1) Results from 730
kg days of the CRESST-II Dark Matter search
G. Angloher et al
Eur. Phys. J. C (2012) 72:1971
(2) Surface roughness
interpretation of 730 kg days CRESST-II results
M. Kuźniak et al.
Astroparticle Physics 36 (2012) 77–82