23/04/25

FCC 224, l’autre galaxie sans matière noire


Une équipe de chercheurs vient de montrer l’existence d’une nouvelle galaxie très déficiente en matière noire qui possède des caractéristiques très similaires à d’autres galaxies pauvres en matière noire déjà identifiées (DF2 et DF4). Ces caractéristiques communes signalent l'existence d'une classe de galaxies déficientes en matière noire jusqu'à présent non reconnue. L’étude est publiée dans Astronomy&Astrophysics

La découverte de galaxies ultra-diffuses (UDG) quiescentes et déficientes en matière noire avec des amas globulaires (GC) surlumineux a remis en question les modèles de formation des galaxies dans le cadre du paradigme cosmologique ΛCDM. Auparavant, de telles galaxies n'avaient été identifiées que dans le groupe de NGC 1052, ce qui soulève la possibilité qu'elles soient le résultat de processus uniques et spécifiques au groupe, et limite leur signification plus large. En effet, les galaxies naines DF2 et DF4 possèdent de nombreuses caractéristiques inhabituelles, la plus significative étant leur absence totale apparente de matière noire dans leurs régions internes. Ces caractéristiques ont suscité de nombreuses théories sur leurs origines depuis 2018. Parmi ces scénarios, on trouve celui de la « naine à balles » proposé par Silk (2019) et van Dokkum et al. (2022), dans lequel des interactions à grande vitesse séparent la matière noire et la matière baryonique tout en générant la pression intense nécessaire à la formation d'amas globulaires exceptionnellement brillants.

Car DF2 et DF4 abritent des amas globulaires étonnamment surlumineux, avec une fonction de luminosité de l'amas globulaire (GCLF) qui les distingue des galaxies naines normales. La prédiction de ce scénario est que huit interactions de type « bullet dwarf » produisant des UDGs déficientes en matière noire devraient se produire dans un volume de 20 Mpc de côté. Les galaxies formées par ce processus constitueraient probablement une nouvelle classe de galaxies naines. Cependant, jusqu'à présent, de telles galaxies n'ont pas été identifiées. Jusqu’à aujourd’hui. Maria Luisa Buzzo (Swinburne University) et ses collaborateurs ont cherché à étudier le contenu en matière noire de FCC 224 et à explorer ses similarités avec les naines du groupe NGC 1052: DF2 et DF4, afin de déterminer si elle appartient ou non à la même classe de galaxies UDG déficientes en matière noire.

La première indication d'un lien entre FCC 224 et les galaxies déficientes en matière noire du groupe de NGC 1052 est venue de sa population d’amas globulaires inhabituellement brillants, une caractéristique qui a suscité un regain d'intérêt et des observations de suivi avec le télescope spatial Hubble en 2024 et 2025. Ces études ont mis en évidence des similitudes frappantes entre FCC 224 et les galaxies du groupe de NGC 1052, suggérant des éléments d'une origine commune. FCC 224 répond à la définition d'une UDG dans les limites des incertitudes, avec un rayon effectif de Re = 1,89 ± 0,01 kpc, et une luminosité de surface centrale de 23,97 ± 0,03 mag arcsec-2. Sa masse stellaire est de log(M⋆/M⊙) = 8,24 ± 0,04 et on estime qu'elle héberge 13 ± 1 amas globulaires (Tang et al. 2025). 

Compte tenu de ces caractéristiques particulières, FCC 224 pourrait être un nouvel exemple de galaxie naine sans matière noire. Buzzo et al. ont utilisé la spectroscopie à haute résolution du Keck Cosmic Web Imager (KCWI) pour déterminer directement le contenu en matière noire de FCC 224 et étudier ses similarités avec DF2 et DF4. En analysant leur cinématique, leurs populations stellaires et leur système d’amas, ils ont exploré la possibilité que ces galaxies forment une nouvelle classe de galaxies. Et Buzzo et ses collaborateurs trouvent que FCC 224 présente un ensemble distinct de caractéristiques partagées avec DF2 et DF4, notamment une rotation lente et prolate, une quiescence dans des environnements à faible densité, ainsi qu’une formation simultanée d'étoiles et d’amas globulaires, des gradients de population stellaire plats, une fonction de luminosité de d’amas globulaires lourde au sommet, et des amas globulaires qui apparaissent monochromatiques. Pour les chercheurs, ce cadre de diagnostic devrait permettre d'identifier d'autres exemples et soulève en tous cas de nouvelles questions pour les modèles de formation des galaxies dans le cadre de la cosmologie ΛCDM. 

FCC 224 est bien une galaxie déficiente en matière noire, avec une dispersion de vitesse stellaire de σ=7.82 (-4.36 , +6.74) km s-1, significativement plus bas que les 25 km s-1 prédits pour une galaxie naine typique de sa masse stellaire. La masse dynamique dans un rayon effectif, estimée à log(Mdyn/M⊙) = 7.9 ± 0.4, est cohérente avec sa masse stellaire dans le même rayon, et qui vaut log(M⋆/M⊙) = 7.94 ± 0.04, ce qui implique une fraction de matière noire négligeable dans cette région. La population stellaire de FCC 224 est uniformément vieille et pauvre en métaux (c'est-à-dire des profils d'âge et de métallicité plats), avec un âge pondéré par la masse qui est de 10,2 ± 0,5 Gigannées et une métallicité [M/H] = -1,3 ± 0,3 dex, correspondant étroitement (et curieusement) à ceux de ses amas globulaires.
De plus, la galaxie héberge un système d’amas globulaires inhabituel, incluant une fonction de luminosité lourde au sommet et des amas monochromatiques, similaires à ceux de DF2 et DF4. FCC 224 tourne lentement (7,5 ± 3.0 km s-1) et présente une rotation prolate. Elle réside dans un environnement de faible densité, comme le confirme l'absence de gaz et de raies d'émission. 


Ces résultats alignent FCC 224 avec DF2 et DF4 et signalent l'existence d'une nouvelle classe de galaxies naines déficientes en matière noire, suggérant une pertinence cosmologique plus large qui remet en question les modèles de formation des galaxies avec le paradigme ΛCDM et fournissant un cadre pour identifier d'autres galaxies sans matière noire. 

Source

A new class of dark matter-free dwarf galaxies ?
Maria Luisa Buzzo et al.
A&A, 695, A124 (12 march 2025)


Illustrations

1.Image et modèle de FCC 224 ( Buzzo et al.)
2. Maria Luisa Buzzo

17/04/25

Le système de galaxies satellites d'Andromède très fortement asymétrique


Une équipe d'astrophysiciens a caractérisé l'asymétrie du système d'Andromède et a testé sa concordance avec les prévisions du modèle standard. Toutes les 37 galaxies satellites d'Andromède, sauf une, sont situées à moins de 107° de notre Galaxie vu depuis le centre d'Andromède. Or, dans les simulations cosmologiques fondées sur le modèle standard, moins de 0,3 % des systèmes similaires à Andromède présentent une asymétrie comparable. Conjointement avec son plan de galaxies satellites, cela montre que le système d'Andromède paraît aberrant dans le paradigme cosmologique standard, et ça remet encore plus en question notre compréhension de la formation des structures à petite échelle. L'étude est parue dans Nature Astronomy.

La distribution spatiale des galaxies fournit des informations cruciales en cosmologie et en physique de la matière noire. Selon le modèle cosmologique standard, les petites galaxies fusionnent au fil du temps selon un processus chaotique pour former des galaxies plus grandes, laissant derrière elles des essaims de galaxies naines peu lumineuses qui orbitent autour de galaxies hôtes massives selon un arrangement quasi aléatoire. Mais ce que montrent Kosuke Jamie Kanehisa de l'Institut Leibniz d'astrophysique de Potsdam et ses collaborateurs, c'est que les galaxies satellites de la galaxie d'Andromède (M31) ont des propriétés surprenantes et jusqu'à présent inexpliquées. 

Au lieu d'être réparties aléatoirement autour de leur galaxie hôte, comme le prédit le modèle cosmologique standard, plus de 80 % de ces galaxies naines sont concentrées d'un côté de la galaxie d'Andromède. Plus précisément, tous les satellites d'Andromède, sauf un, se situent à moins de 107 degrés de la ligne pointant vers la Voie lactée, une région qui ne couvre pourtant que 64 % des environs de la galaxie hôte. Jusqu'à présent, on ignorait si cette configuration particulière remettait en cause de manière significative le modèle cosmologique actuel ou si elle s'inscrivait dans la fourchette de la variance cosmique. Mais cette asymétrie a persisté et s'est même accentuée à mesure que des galaxies moins lumineuses ont été découvertes et que leurs distances ont été affinées.
Les simulations cosmologiques modernes, qui suivent l’évolution des galaxies au cours du temps cosmique, fournissent un outil précieux pour prédire et comparer les systèmes de galaxies dans le cadre cosmologique standard. Kanehisa et ses collaborateurs ont utilisé des simulations pour rechercher des galaxies hôtes de type Andromède et analyser la distribution spatiale de leurs galaxies naines satellites à l'aide de mesures pour quantifier l'asymétrie.
La comparaison de la configuration observée d'Andromède avec ces analogues simulées révèle que la distribution de ses satellites est extrêmement rare. Il faut examiner plus de trois cents systèmes simulés pour en trouver un seul dont l'asymétrie soit aussi extrême que celle observée. Et l'asymétrie d'Andromède devient encore plus déroutante lorsqu'elle est combinée à une autre caractéristique inhabituelle : le fait que la moitié de ses satellites co-orbitent dans une structure fine et plane.

Pour Kanehisa et ses collaborateurs, la formation de cette structure anisotrope autour de M31 pose un mystère qui, compte tenu de sa rareté parmi les analogues simulés, nécessite une histoire évolutive unique pour être expliquée. Et compte tenu de l'excellent alignement de l'asymétrie du système d'Andromède avec notre Galaxie, ils posent la question de savoir si la Voie lactée pourrait potentiellement jouer un rôle dans le maintien du déséquilibre observé. Si tel était le cas, en supposant que les deux galaxies hôtes du Groupe local aient une masse similaire, les satellites de la Voie lactée devraient également subir un effet comparable dû au potentiel de M31. Mais, bien que difficile à déterminer de manière fiable en raison de la couverture inégale du ciel et à l'obscurcissement dû au disque galactique, aucun degré notable d'asymétrie n'a été signalé pour l'instant dans la distribution des satellites de la Voie lactée. Il est également peu probable selon les chercheurs que les effets de marée soient suffisamment puissants pour reproduire l'asymétrie qui est observée. Néanmoins, comme l'alignement de 6° entre le cône d'asymétrie maximale le plus significatif de M31 et la direction de la Voie lactée se produit avec une probabilité de seulement 0,27 % si l'orientation de l'asymétrie observée est aléatoire, les astrophysiciens estiment que notre Galaxie joue un rôle important dans la formation ou l'évolution du système déséquilibré d'Andromède.

Il faut savoir qu'une autre équipe a exploré en 2020 la possibilité d'une accrétion unique d'une association bien peuplée de satellites formant le système actuel d'Andromède. Mais, compte tenu de la large distribution radiale observée et de la gamme d'énergies orbitales, ils ont constaté que la structure asymétrique résultante se dissoudrait probablement dès 500 millions d'années plus tard. Dans ce scénario, l'asymétrie importante observée dans le système d'Andromède doit être dominée par une population dynamique de satellites jeunes. Un excès similaire de satellites récemment accrétés pourrait également exister autour de la Voie lactée comme l'ont montré Hammer et al. et Taibi et al. il y a quelques années.
Kanehisa et ses coauteurs notent que bien que le faible signal asymétrique dans les hôtes appariés simulés soit effectivement dû à des satellites récemment accrétés à partir de filaments proches, de tels processus sont déjà inclus de manière auto-cohérente dans les simulations cosmologiques utilisées. De plus, si l'asymétrie observée était due à des satellites récemment tombés, la nature bien peuplée de la distribution asymétrique des satellites de M31 impliquerait une pénurie catastrophique de satellites avec un temps de chute plus ancien que l'échelle de temps de dispersion de l'asymétrie.

Contrairement à l'omniprésence apparente des plans corrélés de satellites dans notre voisinage cosmique, les échantillons statistiques d'associations de naines dans l'Univers local montrent généralement un degré de déséquilibre cohérent avec les simulations. Pour Kanehisa et al., cela renforce la nécessité d'une histoire évolutive unique pour M31 dans un contexte ΛCDM. Néanmoins, ils soulignent que les populations limitées de satellites dans ces échantillons peuvent masquer des systèmes individuels qui sont comparables à l'asymétrie du groupe d'Andromède. Des relevés de nouvelle génération avec des limites de luminosité de surface plus basses seront nécessaires pour déterminer de manière concluante si l'incidence de systèmes de satellites individuels hautement asymétriques correspond également aux attentes cosmologiques.

À l'heure actuelle, aucun mécanisme de formation connu ne peut expliquer l'asymétrie collective du système d'Andromède. En conjonction avec le plan des galaxies satellites de M31, qui présente un degré de tension similaire avec les simulations, ces nouveau résultats présentent le système de galaxies satellites d'Andromède comme une valeur aberrante frappante par rapport aux attentes du modèle cosmologique ΛCDM.
Cela soulève évidemment des questions quant à savoir si l’histoire évolutive d’Andromède est particulièrement anormale ou bien si notre compréhension de la formation des galaxies à petite échelle est incomplète.

En conclusion, on rappellera que bien que ces résultats remettent en question les théories cosmologiques actuelles, ils dépendent fortement de la précision des simulations sous-jacentes, qui sont limitées par la qualité de leur modélisation de la physique stellaire et de l’évolution des galaxies. Les prochaines étapes vont donc consister à déterminer si la configuration d’Andromède est vraiment une valeur aberrante unique ou bien si des systèmes de galaxies anisotropes similaires existent ailleurs. Le télescope Euclid devrait permettre d'avancer dans cette recherche. 


Source

Andromeda’s asymmetric satellite system as a challenge to cold dark matter cosmology
Kanehisa, K.J., Pawlowski, M.S. et N. Libeskind.  
Nature Astronomy (11 april 2025).


Illustration

Vue latérale de la distribution asymétrique des satellites d'Andromède.

12/04/25

L'étoile à neutrons la plus légère connue peut avoir été produite par une supernova de type II


Le pulsar PSR J0453+1559 a été découvert en 2015, il est remarquable car il s'agit d'un système binaire rare composé de deux étoiles à neutrons. Ce qui a rendu PSR J0453+1559 encore plus surprenant, ce sont les masses des étoiles à neutrons. Alors que la première étoile a une masse de 1,559 masses solaires, la seconde atteint seulement 1,174 M☉, ce qui en fait l'étoile à neutrons la plus petite connue, une masse si faible qu'elle est difficile à expliquer. Une équipe d'astrophysiciens ont effectué des simulations et arrivent à produire une étoile à neutrons de 1,192 masses solaires... on y est presque. L'étude est parue dans Physical Review Letters.

Non seulement la petite étoile à neutrons du couple a la masse la plus faible de toutes les étoiles à neutrons observées à ce jour, mais en plus, la différence de masse entre les deux étoiles à neutrons est tout à fait inhabituelle, car les binaires d'étoiles à neutrons ont historiquement été observées avec des masses assez similaires. Bernhard Müller (Monash University, Australie) et ses collaborateurs ont adopté une approche computationnelle pour comprendre comment une supernova a pu former une étoile à neutrons d'aussi faible masse. 

C'est la masse initiale d'une étoile qui va déterminer son destin. La théorie générale pour les étoiles de masse comprise entre 8 M☉ et 20 M☉ est que, tout au long de leur vie, elles subissent de multiples cycles de combustion d'éléments de plus en plus lourds, commençant par leurs réserves initiales d'hydrogène et d'hélium, puis formant finalement un noyau de fer et une structure en oignon composée de différentes couches d'éléments de plus en plus légers quand on va vers l'extérieur de l'enveloppe. Une fois que le noyau atteint la masse limite de Chandrasekhar d'environ 1,4 M☉, il s'effondre et produit une supernova à effondrement de cœur (de type II). Les neutrinos emportent alors très rapidement une grande quantité d'énergie hors du noyau, amplifiant l'effondrement gravitationnel. L' étoile à neutrons résultante a généralement une masse qui ne dépasse pas environ 2 M☉, une valeur théorique obtenue via l'équation d'état de la matière nucléaire ultra-dense des étoiles à neutrons (une relation décrivant le comportement de la pression et de la densité dans des conditions extrêmes) et qui est confirmée observationnellement pour l'instant.

En revanche, l'estimation de la masse minimale d'une étoile à neutrons est complexe, car la formation des étoiles à neutrons est encore mal comprise. Par exemple, les détails de l'explosion d'une supernova, comme la quantité de masse éjectée et celle restante sont mal contraints. Le rôle des champs magnétiques dans leur formation est également un sujet d'étude actuel. 

Des simulations d'explosions de supernovas avec une physique précise, notamment la prise en compte de la physique des neutrinos qui entre en jeu ici peuvent ainsi aider les astrophysiciens à déterminer quel type de progénitrice et quel scénario d'explosion pourraient produire une étoile à neutrons aussi légère que celle de PSR J0453+1559. 

Müller et ses collaborateurs ont effectué des simulations tridimensionnelles de supernovas à effondrement de cœur sur une gamme de progénitrices potentielles dont les masses s'étendent de 9,45 M☉ à 9,95 M☉. Après des tests initiaux, ils ont sélectionné cinq candidates prometteuses parmi cette gamme. Après avoir reproduit une supernova avec chacune de ces progénitrices, ils ont déterminé la masse de l'étoile à neutrons résultante. Parmi leurs cinq modèles, celui de 9,9 M☉ semblait le plus prometteur, produisant une masse de 1,313 M☉ (masse baryonique : neutrons + protons). La conversion de cette valeur en masse gravitationnelle (c'est à dire la masse décrite par les observations de 2015, qui doit être plus faible en raison de l'énergie perdue par liaison lors de la formation de l'étoile à neutrons) donne une valeur de 1,192 M☉. On n'arrive pas à 1,174 M☉, mais c'est tout de même beaucoup plus proche que ce à quoi on pouvait s'attendre.
L'un des avantages des simulations 3D plutôt que 2D, c'est qu'une explosion peut présenter une asymétrie qui mieux décrite en trois dimensions. Lorsqu'une supernova à effondrement de cœur explose, l'étoile à neutrons produite par l'explosion est « éjectée » à grande vitesse. Avec une masse minimale de 1,192 M☉, Müller et al. ont obtenu une éjection à environ 100 km/s pour l'étoile à neutrons, ce qui correspond approximativement à l'échelle de l'éjection attendue pour une supernova de ce type. 
Les chercheurs ont donc établi un nouveau record pour la plus faible masse d'étoile à neutrons, obtenue grâce à des simulations 3D de supernovas intégrant une physique précise des neutrinos. 

Cette étude est importante car elle contribue à apaiser certaines tensions entre théorie et observation. Les supernovas à effondrement de coeur produisent probablement aussi des étoiles à neutrons de faible masse, soit à la place , soit en complément des supernovas à capture d'électrons, un type particulier de supernovas qui sont souvent produites par des systèmes binaires dont on pensait qu'ils produisaient des étoiles à neutrons de faible masse. Müller et ses collaborateurs rappellent qu'il existe toujours une tension de 2σ par rapport à la masse de 1,174 M⊙, et la nature d'étoile à neutrons de la petite composante du système binaire a été remise en question en 2019, par Tauris et al. (voir ici) qui montraient qu'il pouvait s'agir d'une naine blanche. Mais pour eux, la tension est si faible que des variations systématiques ou stochastiques mineures dans l'évolution de l'étoile progénitrice et la dynamique des supernovas pourraient étendre la gamme des masses des étoiles à neutrons d'environ 0,01M⊙ et résoudre cette divergence. En outre, les perturbations convectives de la graine dans l'étoile progénitrice pourraient entraîner un début légèrement plus précoce de l'explosion et réduire encore la masse de l'étoile à neutrons, selon les chercheurs.

L'interprétation de l'étoile à neutrons présente l'avantage que le kick émerge naturellement d'une simulation en 3D, alors que l'interprétation d'une naine blanche repose sur une estimation optimiste de l'anisotropie de la quantité de mouvement de l'éjecta pour expliquer le kick observé. Globalement, les
nouvelles simulations de Müller et al. apportent plusieurs informations importantes. Premièrement,
la nouvelle limite de masse atténue les tensions entre les modèles 3D et plusieurs étoiles à neutrons de faible masse qui ont été observées entre 1,21 et 1,22  M⊙. Deuxièmement, contrairement à ce que l'on pensait depuis longtemps, les masses les plus légères des étoiles à neutrons ne semblent pas forcément produites par des supernovas à capture d'électrons, mais peuvent l'être par des supernovas à effondrement de coeur. De plus, on constate que les étoiles à neutrons les plus légères peuvent provenir d'étoiles situées plusieurs dixièmes de M⊙ au-dessus du seuil de masse pour les supernovas à effondrement de coeur.
Et Müller et ses collègues montrent aussi qu' il n'y a pas de corrélation stricte entre la masse des étoiles à neutrons et les kicks (impulsions natales). Ils prévoient que les étoiles à neutrons les plus légères peuvent encore avoir kicks substantiels (bien qu'inférieurs à la moyenne). 

On le voit, combiner des prévisions de plus en plus détaillées et précises de la masse des étoiles à neutrons et de leur kick à l'extrémité de la distribution des faibles masses à partir des modèles d'explosion en 3D est très prometteur pour tester et valider notre compréhension de la physique des supernovas et de l'évolution stellaire. 

Source

Minimum Neutron Star Mass in Neutrino-Driven Supernova Explosions
Bernhard Müller et al.
Physical Review Letters vol 134 (21 february 2025)

Illustration

Simulation d'une supernova d'une étoile de 9,9 masses solaires (Müller et al.)

02/04/25

Un trou noir de 600 000 masses solaires dans le Grand Nuage de Magellan révélé par des étoiles hypervéloces


Une équipe d’astrophysiciens vient de mettre en évidence la présence d’un trou noir supermassif de 600 000 masses solaires dans la Grand Nuage de Magellan (LMC), grâce à l’analyse de la trajectoire de 10 étoiles hypervéloces qui en sont issues. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

Les étoiles hypervéloces (HVS) sont principalement produites par le mécanisme de Hills. Le mécanisme de Hills nous dit que lorsqu'une binaire stellaire s'égare près d'un trou noir supermassif, une étoile du couple peut être capturée, tandis que l'autre est éjectée à des vitesses pouvant atteindre plus de 1000 km s-1. L'étoile capturée peut ensuite produire un événement de rupture de marée observable ou une variété de classes apparentées de transitoires. L'étoile éjectée, elle, est projetée dans le halo galactique, où elle peut être observée pendant des centaines de mégannées avant de sortir de la galaxie à jamais. Le relevé HVS Survey a permis de détecter 21 étoiles de type B de la séquence principale qui se trouvent dans le halo extérieur de la Voie Lactée et qui sont compatibles avec une éjection par le mécanisme de Hills.

Jiwon Jesse Han (Smithonian Center for Astrophysics, Harvard) et ses collaborateurs ont revisité les trajectoires de ces étoiles à la lumière des mouvements propres du relevé astrométrique de précision de Gaia ainsi que des contraintes modernes sur l'orbite du LMC autour de la Voie Lactée. Ils ont constaté que la moitié des HVS découvertes par le HVS Survey remontent non pas vers le Centre Galactique mais vers le LMC.

La recherche observationnelle de HVS la plus fructueuse à ce jour a été le HVS Survey (W. R. Brown et al. 2006). Suite à la découverte fortuite d'une étoile B non liée dans le halo externe par W. R. Brown et al. en 2005, le relevé HVS a effectué une recherche systématique d'étoiles B non liées dans le halo via un suivi spectroscopique de candidates sélectionnées par photométrie. Comme il n'y a pas eu de formation récente d'étoiles dans le halo, toutes les jeunes étoiles trouvées dans le halo doivent y avoir voyagé d'ailleurs. L'étude HVS a ciblé les étoiles B parce qu'elles sont principalement jeunes et qu'elles peuvent être efficacement sélectionnées par photométrie. Pendant près d'une décennie, l'étude a permis d'obtenir les spectres de plus de 1400 sources du halo, conduisant finalement à la découverte de 21 étoiles de type B suspectées d'être non liées (W. R. Brown et al. 2014). Ces étoiles se trouvent à des distances de 50 à 120 kpc et ont des masses de 2,5 à 4 M. Le relevé avait une fonction de sélection bien définie, ce qui rend l'échantillon bien adapté à la modélisation de la population.

Il existe d'autres processus, en plus du mécanisme de Hills, qui peuvent accélérer les étoiles à des vitesses élevées. Le plus important est le kick décrit par Blaauw  en 1961, où une étoile est éjectée d'une binaire lorsque sa compagne explose. Pour les étoiles compactes, telles que les naines blanches et les sous-naines chaudes, cela peut produire des vitesses d'éjection comparables au mécanisme de Hills. En effet, la deuxième candidate HVS découverte a été US 708 (également connue sous le nom de HVS 2 ; H. A. Hirsch et al. 2005), qui est une naine chaude brûlant de l'hélium, qui a presque certainement été éjectée d'une supernova. Cependant, les étoiles B de la séquence principale ne peuvent pas être éjectées de supernovas avec des vitesses aussi élevées : leur vitesse maximale d'éjection de supernova est d’environ 500 km s-1, et la grande majorité d'entre elles sont éjectées à des vitesses beaucoup plus lentes de seulement quelques dizaines de kilomètres par seconde. Les interactions à trois et quatre corps dans les amas d'étoiles ont également été proposées comme un autre mécanisme de production d'étoiles à grande vitesse, mais elles produisent généralement des vitesses plus lentes que le mécanisme de Hills, et le taux d'éjection prédit des étoiles avec des vitesses supérieures à 500 km s-1 est beaucoup plus faible que le taux de naissance des HVS observés (W. R. Brown 2015).

Une caractéristique de l'échantillon de HVS découvert par l'étude HVS qui s'est avérée difficile à expliquer, c’est la distribution anisotrope des étoiles sur le ciel : environ la moitié des HVS non liées se trouvent dans la direction de la constellation du Lion, avec 52% (11 sur 21) des étoiles regroupées dans seulement 5% de la zone couverte par l'étude HVS. Les chercheurs appellent ce regroupement la « surdensité de Leo ». Plusieurs modèles ont été proposés pour expliquer la surdensité de Leo, comme par exemple un potentiel gravitationnel galactique anisotrope ou l'éjection d'étoiles d'une galaxie naine perturbée par la marée. Mais une idée particulièrement convaincante a été avancée par D. Boubert & N. W. Evans en 2016, ils ont étudié la distribution des HVS provenant d'un hypothétique trou noir de 170 000 M dans le Grand Nuage de Magellan et ils ont trouvé que la distribution résultante est dipolaire sur le ciel, en raison du mouvement orbital du LMC.

Han et son équipe ont repris la même idée, mais cette fois en bénéficiant des données astrométriques de Gaia. Etant donné leur distance typique de ∼70 kpc, les HVS ont de petits mouvements propres de l'ordre de 1 mas par an. Il est donc difficile de retracer les HVS jusqu'à leur site de lancement. Les mesures de Gaia ont permis à plusieurs auteurs de réexaminer les trajectoires des HVS et de monter que plusieurs HVS ne remontent pas jusqu'au centre galactique.

Parmi ces étoiles hypervéloces, l'étoile HE 0437-5439, également connue sous le nom de HVS 3 (H. Edelmann et al. 2005), fournit un indice très intéressant. Cette étoile de 9 M⊙ se trouve à ∼60 kpc du centre galactique mais à seulement ∼15 kpc du LMC. Il est peu probable qu'elle provienne de la Voie Lactée, car cela nécessiterait un temps de vol beaucoup plus long que la durée de vie d'une étoile de 9 M. Les mouvements propres de Gaia permettent maintenant de déterminer définitivement que l'étoile est tracée jusqu'au LMC (D. Erkal et al. 2019).

Han et ses collaborateurs ont donc construit un modèle prospectif pour des HVSs éjectées par un trou noir supermassif dans le LMC par le mécanisme de Hills et qui seraient observées par la fonction de sélection de l'étude HVS. Les distributions spatiales et cinématiques des HVSs prédites par la simulation sont remarquablement similaires aux distributions observées. En particulier, les chercheurs reproduisent le regroupement évident d’HVS autour de la constellation du Lion. Ils expliquent que ce regroupement se produit parce que les HVSs du LMC voient leur vitesse boostée de 300 km s-1 par le mouvement orbital du LMC, et que les étoiles lancées parallèlement à ce mouvement sont préférentiellement sélectionnées comme candidates HVS.

Les astrophysiciens ont construit un test selon lequel chaque étoile provient soit du centre galactique, soit du centre du LMC. Parmi les 16 étoiles qu’ils peuvent classer avec confiance, sept sont cohérentes avec une origine du Centre Galactique, tandis que les neuf autres étoiles sont cohérentes avec une origine du centre du LMC.

Les HVS originaires du LMC sont regroupées sur le ciel et montrent des vitesses d'éjection systématiquement plus faibles, ce qui est cohérent avec le fait qu'elles ont été produites par un trou noir supermassif moins massif que Sgr A*. Han et ses coauteurs en concluent qu’un trou noir supermassif dans le centre du LMC, qu’ils nomment LMC*, peut produire de façon auto-consistante des étoiles hypervéloces qui correspondent aux distributions observées des positions et des vitesses du relevé HVS. Et ce modèle prédit une surdensité de HVSs à l'endroit précis de la surdensité de Leo.

Han et ses collaborateurs ont appliqué également le cadre de leur modèle prospectif aux étoiles fugueuses provenant du disque du LMC et du disque galactique, éjectées à des vitesses mesurées pour les HVS provenant du LMC. Ils constatent que si de telles sorties de disque rapides existent, elles devraient être facilement détectables avec le relevé HVS ; et d'autre part, ils observent que la distribution de ces étoiles à l'heure actuelle est significativement plus dispersée sur le ciel par rapport aux observations, en raison d'un étalement des vitesses tangentielles induites par la rotation du disque du LMC. Ils en concluent donc que les HVS observées, originaires du LMC, doivent être principalement produites par un trou noir supermassif dans le LMC. Ils montrent des preuves supplémentaires de l'existence de LMC*, comme ils l'ont baptisé, en se basant sur l'étoile HE 0437-5439, qui a été éjecteé à une vitesse trop élevée pour être expliqué par autre chose que le mécanisme de Hills. Enfin, les chercheurs ont produit une série de simulations pour différentes masses de LMC* et différentes propriétés binaires afin d'effectuer une recherche de paramètres, et notamment la masse de ce trou noir supermassif. Les observables clés des simulations sont les vitesses moyennes d'éjection induites par Sgr A* et LMC*, et le rapport de comptage entre les deux populations de HVS. 

La masse la plus probable que Han et son équipe trouvent est d'environ 600 000 masses solaires. Ils précisent que cette masse de LMC* est significativement plus grande que ce qui a été précédemment supposé dans la littérature (par exemple, D. Erkal et al. 2019 supposaient une masse de LMC* de 10 000 M⊙ minimum, et A. Gualandris & S. Portegies Zwart en 2007 concluaient à une masse supérieure à 1000 M). 

Ils précisent qu'alors qu'un trou noir plus léger - comme considéré dans des travaux précédents - peut produire une HVS comme HE 0437-5439, en revanche, seul un trou noir supermassif peut produire un nombre comparable de HVS à ce que produit Sgr A*. Par ailleurs, les limites supérieures d'observation directe de la masse de LMC* sont bien plus élevées que n'importe laquelle de ces valeurs, à environ 10 millions  M ⊙ minimum (H. Boyce et al. 2017).

Un autre élément très intéressant, c'est que l'on sait que la dispersion de vitesse stellaire et la masse du trou noir supermassif  d'une galaxie sont fortement corrélées. Bien que le LMC n'ait pas de bulbe classique, on peut utiliser la dispersion de vitesse de sa barre et de son halo stellaire interne (∼50 km s -) pour estimer où se situerait le LMC* sur la relation M − σ. Han et ses collaborateurs montrent deux versions de la relation M − σ : l'une déduite d'un large échantillon de galaxies et l'autre adaptée aux trous noir supermassifs de faible masse. Pour les deux relations, 600 000 M⊙ tombe presque exactement sur la ligne σ  = 50 km s-1. Bien que ces relations aient une incertitude typique d'environ 0,5 dex (un facteur 3 dans en linéaire), il est clair qu'une masse de LMC* de 600 000 M⊙ est bien dans la plage attendue.

Un autre test de cohérence est proposé par Han et ses coauteurs : il consiste simplement à mettre à l'échelle la masse de Sgr A*, 4 millions M⊙, au rapport de masse stellaire du LMC à la Voie Lactée, ce qui donne une valeur de 200 000 M⊙ . En rappelant que Sgr A* tombe sous la relation M − σ par un facteur d'environ 2, on peut alors naïvement s'attendre à une masse de LMC* d'environ 400 000 M⊙, ce qui est dans la plage de masse dérivée par Han et al.. Les chercheurs en concluent que la masse de LMC* dérivée de cette étude est entièrement compatible avec la relation M − σ .

Han et ses collaborateurs rappellent en conclusion qu'il existe une incertitude majeure concernant l'orbite du LMC, qui provient des incertitudes observationnelles sur les positions, les vitesses et les masses des Nuages ​​de Magellan. Par exemple, une variation de 50 % de la masse totale du LMC peut entraîner une différence actuelle allant jusqu'à environ 40 km s-1 dans les vitesses des HVS. Bien que ces variations aient un impact mineur sur la population globale des HVS, elles peuvent altérer les orbites inférées des étoiles individuelles tracées jusqu'au centre du LMC. Mais compte tenu de ces incertitudes, ils soulignent que la prédiction de la surdensité de Leo est indépendante des orbites précises : seul un trou noir supermassif dans le LMC peut produire une surdensité de HVS étroite telle qu'observée dans les données.



Du coup, ils peuvent même utiliser les HVS observées originaires du LMC pour contraindre l'orbite réelle du LMC. L'historique orbital correct du système LMC–Voie Lactée devrait maximiser le chevauchement des HVS d'origine LMC avec les positions passées du centre du LMC. Han et son équipe gardent cette idée pour une future étude... 


Source

Hypervelocity Stars Trace a Supermassive Black Hole in the Large Magellanic Cloud

Jiwon Jesse Han et al.

The Astrophysical Journal, Volume 982, Number 2 (28 march 2025)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/adb967


Illustrations

1. Cartographie des positions des étoiles hypervéloces éjectées du LMC par le mécanisme de Hills (Han et al.). 

2Jiwon Jesse Han et al.



27/03/25

L'autre gros risque sur Mars : la poussière


On le sait, l'exposition à la poussière sur la Lune a provoqué des troubles pulmonaires considérables chez les astronautes lors des missions Apollo. Mais qu’en est-il des effets de la poussière sur Mars ? Des chercheurs se sont penchés sur la question et le résultat n’est pas réjouissant pour ceux qui croient encore que l’Homme pourra gambader sur la planète rouge…

Justin Wang (university of South California) et ses collaborateurs ont examiné comment des substances analogues aux composants dangereux de la poussière martienne ont provoqué des maladies chez l’Homme. En raison de la petite taille de ses grains, la poussière martienne est plus susceptible de provoquer une irritation des poumons, d'être absorbée dans le sang et de provoquer des maladies chez les astronautes. Les composants toxiques de la poussière martienne comprennent des perchlorates, de la silice, des oxydes de fer nanophasés et du gypse, ainsi que des traces de métaux toxiques dont l'abondance est débattue : chrome, béryllium, arsenic et cadmium. Les effets prévus de l'exposition aux poussières vont de l'asymptomatique au mortel, de nombreuses substances étant cancérigènes et la plupart des dommages affectant le système pulmonaire.

Depuis plus de 20 ans, on sait que la vie dans l’espace est plus que compliquée : l'absence de contraintes normales dues à la gravité entraîne une perte musculaireet une perte osseuse. Cette perte osseuse peut entraîner une augmentation du calcium dans l'urine, ce qui peut précipiter la formation de calculs rénaux. En outre, la microgravité entraîne une réduction de 11 % du volume sanguin total, une atrophie cardiaque et des arythmies. Ce déplacement de liquide dans le corps provoque également des changements dans le système vestibulaire, tels qu'une réduction de l'équilibre et le mal des transports. Des changements immunologiques ont également été évalués, notamment la réactivation de virus latents et l'affaiblissement de l'immunité acquise. Et évidemment, un autre risque particulièrement important est celui des rayonnements ionisants nocifs provenant du soleil sous la forme de particules énergétiques (SEP) et des rayons cosmiques galactiques (GCR). La magnétosphère terrestre protège un peu les astronautes en orbite terrestre basse à bord de l'ISS et, dans une certaine mesure, sur la surface lunaire lorsque la Lune se trouve dans la queue magnétique de la Terre. Mais une mission humaine sur Mars ne bénéficierait pas de la même protection, et les problèmes de santé potentiels comprennent le développement de la cataracte, le cancer, la fibrose pulmonaire et les dommages au système nerveux central.

Et une fois posé sur la surface d’un astre, et sortis de leur Starship de merde sans espoir de redécoller, une autre source de risque sanitaire apparaît pour les astronautes : la poussière. Cela avait été une surprise pour les premiers équipages des missions Apollo. En raison de l'absence d'érosion sur la Lune, la poussière était abrasive et nocive pour les astronautes d'Apollo. Les réactions avec le rayonnement galactique et solaire conduisent en effet au développement de fer nanophasé, qui rend la poussière magnétique, électrostatique et toxique en raison de la formation d'espèces réactives à l'oxygène lorsqu'elle entre en contact avec les tissus humains. En outre, cette charge électrostatique a permis à la poussière d'adhérer facilement aux combinaisons spatiales des astronautes, qui l'ont ensuite introduite dans l'habitat lunaire. Les symptômes les plus signalés à l’époque, après seulement quelques jours in situ, étaient la toux, l'irritation de la gorge et les yeux érythémateux et larmoyants accompagnés d'une baisse de la vision.

Les échantillons de sol ramenés de la Lune par Apollo ont été étudiés en laboratoire pour évaluer les risques encourus par les astronautes et en 2014, le Lunar Airborne Dust Toxicity Advisory Group (LADTAG) a fixé une limite d'exposition admissible de 0,3 mg/m3 pour une mission lunaire de six mois avec huit heures d'exposition à la poussière lunaire pendant cinq jours par semaine (James et al., 2014). Bien que les astronautes d'Apollo n'aient présenté que des symptômes à court terme, les résultats de plusieurs études suggèrent qu'une exposition prolongée peut avoir des effets chroniques. Pohlen et al. (2022) ont proposé des contre-mesures potentielles pour lutter contre la toxicité de la poussière lunaire, telles que les technologies de dépoussiérage, les filtres HEPA, les moniteurs de qualité de l'air et les scaphandres, qui sont également tous pertinents pour limiter l'exposition à la poussière sur Mars.

Bien que la poussière martienne ne soit pas aussi abrasive que la poussière lunaire en raison de l'érosion accrue à la surface de la planète rouge, Wang et ses collaborateurs expliquent qu’elle partage de nombreuses propriétés avec la poussière lunaire et constitue un réél risque pour des astronautes. La poussière sur Mars est électrostatique, magnétique, abrasive, hautement oxydante, chimiquement réactive, de forme irrégulière avec des bords arrondis, et a un diamètre de 2 μm jusqu'à 8 µm pendant les tempêtes de poussière, avec un diamètre moyen de ∼3 μm (Lemmon et al., 2019 ; Ming & Morris, 2017 ; National Research Council, 2002).

Malgré les efforts sur les barrières physiques, combinaisons et autres filtres, les qualités électrostatiques, magnétiques et la finesse des grains de poussière rendent la contamination inévitable selon les chercheurs.

Aucun échantillon de poussière martienne n'a été analysé dans les laboratoires terrestres et, bien que la télédétection et la modélisation aient révélé une distribution bimodale probable de la taille des particules de poussière (Esposito et al., 2011 ; Määttänen et al., 2024), sa composition spécifique, sa forme, sa taille et son uniformité à la surface de la planète restent pour l'instant incertaines. Plusieurs études réalisées à partir d'expériences de rovers et de données d'orbiteurs ont toutefois identifié des minéraux et des produits chimiques potentiellement toxiques dans la poussière martienne (National Research Council, 2002). La croûte de Mars est principalement composée de roches ignées mafiques à ultramafiques, typiquement classées comme basaltes. La composition élémentaire de la croûte est similaire à celle de la Lune, avec Si > Mg > Fe. Mais Mars a des quantités plus élevées de Fe et de S (et d'autres volatiles) par rapport à la Lune. Contrairement à la Lune, Mars a connu des conditions humides prolongées (des millions d'années) à la surface qui ont conduit à une altération chimique généralisée de la croûte basaltique, ainsi qu'à l'altération et à la concentration de minéraux secondaires. Les roches d'origine ont été transformées en divers produits d'altération, dont d'abondants minéraux sulfatés, des minéraux argileux (phyllosilicates), des chlorures/chlorates et des carbonates occasionnels. Certains de ces produits altérés en milieu aqueux, qui n'ont pas de contrepartie lunaire, ainsi que les minéraux/éléments primaires en vrac dans la croûte, peuvent présenter des risques importants pour la santé humaine, pour Wang et ses collaborateurs.

L'exposition à la poussière martienne peut se faire par voie cutanée, par contact oculaire, par ingestion ou par inhalation dans les cavités buccales et nasales. La gravité des maladies pulmonaires fait de l'inhalation de poussières la préoccupation majeure pour la santé des astronautes. Avec un diamètre moyen de ∼3 μm, la majorité de cette poussière pénétrera probablement les défenses immunitaires physiques des voies respiratoires, car le mucus des poumons n'est pas en mesure d'expulser les particules de poussière dont le diamètre est inférieur à 5 μm. Ainsi, la poussière sur Mars est plus susceptible de provoquer une irritation des poumons, d'être absorbée dans la circulation sanguine et d'entraîner des maladies.

Les chercheurs précisent que les astronautes étant déjà médicalement prédisposés à certaines maladies dues aux vols spatiaux et à une exposition accrue aux rayonnements, les risques géologiques pour la santé sur Mars doivent être pris en compte dans le contexte global de l'altération du corps humain au cours d'un voyage dans l'espace. Selon eux, le paysage géologique unique de Mars et la composition de la poussière qui en découle introduisent une série de risques sanitaires difficiles, selon eux. Ils en font la liste :

  • Particules de poussière en aérosol : Les poussières d'un diamètre <5 μm ne peuvent pas être expulsées par le mucus pulmonaire et sont absorbées dans la circulation sanguine
  • Perchlorates : Impacts sur la thyroïde provoquant une anémie aplastique.
  • Silice : Maladie pulmonaire (silicose) ; effets rénaux ; effets immunologiques.
  • Basalte et pyrite : Maladie pulmonaire
  • Oxydes de fer nanophasés : Maladie pulmonaire ; susceptibilité aux infections
  • Gypse : Blocage gastro-intestinal (absorption) ; maladie pulmonaire fibrotique (inhalation)
  • Chrome (VI) : Maladie pulmonaire fibrotique ; gastro-entérite hémorragique ; ulcération de la cloison nasale
  • Béryllium : Maladie pulmonaire (bérylliose)
  • Cadmium : Pneumonie interstitielle ; maladie rénale ; ostéoporose et ostéomalacie
  • Arsenic : Neuropathie ; cancer.

La petite taille de la poussière martienne fait que la plupart des particules de poussière sont des précipitateurs plus puissants de maladies humaines. Bon nombre des toxines identifiées sont largement répandues sur la planète rouge, et leurs effets doivent être bien étudiés avant une éventuelle occupation humaine de Mars, selon les chercheurs. La prévention et l'élimination de l'exposition à la poussière restent les contre-mesures les plus efficaces. Les technologies d'atténuation des poussières mises au point pour l'exploration lunaire devront peut-être être modifiées pour mieux répondre aux besoins des missions martiennes. Sur Mars, les technologies de filtration doivent également éliminer les oxydants particulaires et être efficaces pendant les tempêtes de poussière martiennes. Ces systèmes doivent également être conçus dans l'optique d'un réapprovisionnement limité. Pour Wang et ses collaborateurs, une atténuation efficace des poussières nécessitera une combinaison de stratégies, notamment une planification opérationnelle, des contrôles passifs et des technologies d'atténuation actives.

Wang et ses collègues précisent qu’il serait nécessaire de prévenir les maladies dues à une exposition chronique légère.  Ils proposent par exemple une supplémentation en iode contre les effets du perchlorate et en vitamine C pour l'exposition au Chrome. Les suppléments et les médicaments destinés aux astronautes doivent cependant être administrés avec prudence, car les conséquences des effets secondaires sont plus préoccupantes dans ce contexte. Par exemple, un excès de vitamine C peut précipiter la formation de calculs rénaux, qui constituent déjà un risque accru pour les astronautes vivant dans un environnement de microgravité.

En ce qui concerne la présentation d'une maladie aiguë, la chirurgie n’est pas envisageable sur place, mais des traitements et médicaments pourraient être utilisés pour une thérapie de multiples symptômes aigus, comme des bronchodilatateurs pour les bronchospasmes, le lavage gastrique et le charbon actif pour l'ingestion de toxines, et les rinçages pour les expositions cutanées et oculaires.

Les chercheurs précisent que si nombre de ces risques ne sont pas susceptibles de provoquer à eux seuls des maladies graves, des expositions combinées peuvent amplifier leurs effets délétères. La majorité de ces risques géologiques martiens provoquent des maladies pulmonaires restrictives et fibrotiques (silice, basalte, gypse, chrome hexavalent et béryllium). En outre, comme les astronautes sont exposés à des quantités plus importantes de rayonnements, ils sont susceptibles de développer une fibrose pulmonaire radio-induite (Christofidou-Solomidou et al., 2015), l'impact combiné sur les poumons des astronautes pourrait être bien plus qu'additif, mais synergique. Evidemment, le développement de tout type de fibrose pulmonaire chronique au cours d'une mission d'exploration de longue durée serait préjudiciable à la mission et potentiellement fatal pour les astronautes.

La toxicité de la poussière lunaire était un risque sanitaire imprévu lors des missions Apollo. Une mission vers Mars n'a pas le luxe d'un retour rapide sur Terre pour un traitement, et ne peut pas non plus compter sur le soutien à distance des chirurgiens, en raison des délais de communication pouvant aller jusqu'à 40 minutes aller-retour. L'exposition prolongée à la poussière par rapport aux missions lunaires et la capacité réduite à lutter contre les maladies après une longue période d'adaptation à la microgravité et à une exposition accrue aux radiations, rendent le risque géologique liés à la poussière un problème critique à résoudre pour une éventuelle exploration humaine de Mars.

Wang et ses collaborateurs insistent sur le fait que la limitation de l'exposition à la poussière est le principal moyen, et le plus efficace, de prévenir les maladies chez les astronautes. En guise de conclusion, ils encouragent les scientifiques, les ingénieurs et les médecins de différentes disciplines à travailler ensemble à la recherche d'une solution.

Et si la meilleure solution était simplement de rester sur la planète pour laquelle on est adapté depuis plusieurs millions d’années ?

 

Source

Potential Health Impacts, Treatments, and Countermeasures of Martian Dust on Future Human Space Exploration

Justin L. Wang et al.

GeoHealth (12 February 2025)

https://doi.org/10.1029/2024GH001213


Illustration

Une tempête de poussière sur Mars (artiste) (MARK GARLICK/SCIENCE PHOTO LIBRARY )

24/03/25

Une myriade de trous noirs stellaires autour de Sgr A*


Une équipe de chercheurs vient de trouver une preuve de la présence d'une grande population de trous noirs stellaires qui se trouveraient tout autour de Sgr A* et qui ont pour effet de détruire les grosses étoiles de son voisinage le plus proche en quelques millions d'années. Cela explique pourquoi on ne voit pas de telles étoiles dans cette zone. Ils publient leur étude dans Astronomy & Astrophysics.

On pense généralement que le parsec le plus profond du centre galactique devrait abriter une population de trous noirs de masse stellaire. Mais la structure et les propriétés de cette population restent largement inconnues malgré d'importantes avancées théoriques ainsi que d'observations. C'est principalement dû au fait que les observations de trous noirs stellaires reposent généralement sur la détection du rayonnement provenant de la matière environnante en accrétion, qui n'est pas toujours disponible. Pour cette raison, une fraction potentiellement importante de la population de trous noirs peut rester indétectable. Des travaux récents de Zhao et al. (2022) font état de quelques dizaines de « sources radio hypercompactes » pouvant représenter des restes stellaires massifs candidats dans le parsec central de notre Galaxie. 
Plusieurs sources possibles et non exclusives des trous noirs de masse stellaire du centre galactique ont été suggérées, chacune conduisant à des propriétés différentes de la population de trous noirs résultante. Ces trous noirs pourraient être nés à plus grande échelle (quelques pc de rayon), formés dans un amas d'étoiles nucléaires et pourraient s'être accumulés de manière dynamique dans ses parties centrales. En 2018, Baumgardt et al. ont démontré , au moyen d'une modélisation numérique à N corps, que durant une évolution de l'amas nucléaire d'étoiles, aussi longue que le temps de Hubble, avec des événements répétitifs de formation d'étoiles, seuls environ 300 trous noirs de masse stellaire migrent vers les 0,1 pc les plus profonds du centre galactique. Par conséquent, malgré sa masse totale importante, l'amas nucléaire d'étoiles ne semble pas être une source très efficace de trous noirs de masse stellaire pour sa région la plus profonde.
Une autre hypothèse implique que ces trous noirs de masse stellaire pourraient être des reliques de la formation du trou noir supermassif Sgr A ⋆ lui-même, dans le modèle Kroupa et al. (2020) . Dans ce modèle, au début de la formation d'une galaxie elliptique, ou d'un bulbe, un amas d'étoiles hypermassives se forme en son centre. Après la mort des étoiles massives, les plus de 100000 trous noirs de masse stellaire fusionnent rapidement en raison de l'afflux de gaz provenant du bulbe encore en formation, conduisant à la formation du trou noir supermassif en quelques centaines de millions d'années, mais laissant aussi très probablement une population résiduelle de trous noirs stellaires à proximité. 
Une autre façon d'accumuler des trous noirs de masse stellaire dans les régions les plus profondes du centre galactique, c'est la formation in situ d'étoiles massives dans des disques d'accrétion gazeux autour de Sgr A⋆. Il s'agit d'un scénario de formation favorable pour le jeune amas stellaire (≈5 mégannées) qui est observé entre 0,04 et 0,5 pc de Sgr A ⋆ en projection. Cet amas contient actuellement plus d'une centaine d'étoiles de type OB et de Wolf-Rayet très massives qui finiront leur vie en trous noirs. Sa fonction de masse actuelle est globalement très lourde, probablement en raison de sa formation dans l'environnement extrême qui a directement donné une telle distribution de masse. 
Avec ces différentes hypothèses en tête, Jaroslav Haas (Université Charles) et ses collaborateurs ont étudié quel serait l'impact d'une grande population de trous noirs stellaires dans le voisinage de Sgr A* sur la population d'étoiles qui y résident. Certes, la formation d'étoiles dans le parsec le plus intérieur de notre Galaxie fait toujours l'objet d'un débat, mais il a été suggéré qu'elle était récurrente. Un afflux continu de gaz provenant de régions plus éloignées pourrait en effet s'accumuler à proximité de Sgr A ⋆ et former des étoiles massives dont les vents empêchent tout nouvel afflux de gaz jusqu'à ce qu'ils cessent en raison de l'évolution stellaire et que le cycle entier se répète.
En prenant l'amas de jeunes étoiles actuellement observé comme représentatif de la formation d'étoiles dans le parsec le plus interne de la Galaxie et en supposant que de telles étoiles s'y sont formées en continu sur des échelles de temps cosmologiques, Haas et ses collaborateurs font une estimation de la densité numérique de trous noirs de masse stellaire résultante.
Ils considèrent que la durée de vie typique d'une étoile qui termine sa vie en trou noir peut être estimée approximativement à 5 millions d'années. En considérant la centaine d'étoiles de ce type dans le jeune amas observé, ils arrivent alors à un taux de formation d'étoiles de 2 × 10-5 an-1 , ce qui donne environ 200 000 trous noirs sur 10 Gigannées. Comme les jeunes étoiles sont situées principalement à 0,1 pc de Sgr A ⋆ , la densité numérique de trous noirs correspondante est d'environ 2 × 10^8 pc-3 .
Les chercheurs notent que l'existence d'un amas de trous noirs de cette densité devrait avoir un impact significatif sur la population stellaire, en raison des collisions et des rencontres rapprochées des étoiles avec les trous noirs stellaires. Afin de quantifier le phénomène, les astrophysiciens supposent que la densité numérique, n • , des trous noirs est constante dans le volume d'espace où les interactions devraient se produire. Ils définissent une collision directe entre le trou noir et l'étoile concernée comme une rencontre dont la distance d'approche la plus proche est r per  <   R⋆ , R⋆ étant le rayon physique de l'étoile. Ils en déduisent le taux de telles collisions.
Par souci de simplicité, Haas et ses collègues supposent ensuite que ces collisions directes entraînent la destruction des étoiles impactées, quelle que soit la vitesse d'approche. Cette hypothèse est corroborée par les modèles hydrodynamiques de Kremer et al. (2022) pour les approches lentes (paraboliques). Les chercheurs expliquent qu'une population de trous noirs de masse stellaire entourant Sgr A ⋆ agit ainsi comme un « broyeur d'étoiles », toute nouvelle étoile étant détruite par des collisions avec les trous noirs.
L'effet de broyage des étoiles est particulièrement pertinent pour l'amas à peu près isotrope de jeunes étoiles qui est observé à moins de 0,04 pc de Sgr A ⋆ , l'amas S. Son scénario de formation est encore débattu mais l'amas S semble être aussi jeune que les jeunes étoiles au-delà de 0,04 pc de Sgr A ⋆.
Mais les deux jeunes structures stellaires diffèrent considérablement dans l'abondance des étoiles les plus massives. Alors que les observations de l'amas S ont révélé environ deux douzaines d'étoiles de type B, aucune étoile de type spectral O n'y a été trouvée. Cela contraste fortement avec les observations de l'amas directement voisin de jeunes étoiles à des distances supérieures à 0,04 pc de Sgr A ⋆ où les nombres d'étoiles O et B observées sont similaires (environ 100 ; von Fellenberg et al. 2022 ). Bien que des conditions de formation d'étoiles différentes puissent être invoquées, il est tentant d'estimer l'effet du « broyeur » étant donné les conditions astrophysiques au sein de l'amas S.
En supposant donc qu'il existait une population d'étoiles O également initialement présente au sein de l'amas S, mais entièrement détruite par les collisions directes avec les trous noirs de masse stellaire datant de l'âge de leurs supposés soeurs encore vivantes situées plus loin (5 mégannées), Haas et ses coauteurs estiment quelle devrait être la densité numérique de trous noirs nécessaire.
Pour une étoile O représentative, ils fixent sa masse à M ⋆ O  = 50  M⊙. Avec la relation masse-rayon de Demircan & Kahraman, ils obtiennent un rayon d'étoile R⋆ O  de 12  R⊙ , et la vitesse de libération est donc v ⋆ O  ≈ 1260 km/s. La densité numérique de trous noirs résultante donnée par l'équation est alors n •  ≈ 2 × 10^8  pc-3 . De manière remarquable, cette valeur est en accord avec l'estimation de la densité numérique de trous noirs basée sur les arguments de formation d'étoiles.
A partir de là, les astrophysiciens peuvent estimer le temps de destruction pour les étoiles de tout autre type spectral et, en particulier, pour les étoiles de type spectral B qui sont présentes dans l'amas S. Pour l'étoile B représentative, on a M ⋆ B  = 10  M⊙ , R ⋆ B  ≈ 4  R⊙ et v ⋆ B  ≈ 970 km/s. Ainsi, alors que les étoiles O dans l'amas S sont détruites en environ 5 Mégannées, il faut 55 Mégannées pour briser les étoiles B. Du coup, les étoiles B d'environ 5 Mégannées dans l'amas S peuvent toujours être observées.
Cette contrainte est importante car elle implique que la plupart des trous noirs « broyeurs » doivent être situés au-delà de l'orbite de l'étoile S2 mais toujours dans l'amas S ; c'est-à-dire entre environ 0,01 pc et 0,04 pc de Sgr A ⋆. Haas et son équipe calculent que dans cette région, leur densité devrait donc être la plus élevée, atteignant approximativement la valeur de 2 × 10^8 pc-3 . Au-delà de la limite extérieure de l'amas S, à des distances ≳0,04 pc de Sgr A ⋆, les étoiles de type stellaire O sont abondantes. Cette contrainte pour les régions extérieures est en accord avec les observations des sources radio hypercompactes rapportées dans Zhao et al. (2022) . 
Étant donné que la source principale des trous noirs de masse stellaire dans le modèle « broyeur » c'est la formation récurrente d'étoiles massives dans des disques d'accrétion autour de Sgr A ⋆ , l'amas de trous noirs résultant est donc susceptible d'être compact, selon les chercheurs. La densité numérique de trous noirs, n • , diminue donc probablement fortement sur quelques dixièmes de parsecs de Sgr A ⋆. Le profil de densité radiale de l'amas de trous noirs, qui est proposé par Haas et ses collaborateurs présente donc un maximum juste en dessous ou à proximité de la limite extérieure de l'amas S. 
Et les chercheurs mettent en lumière un autre phénomène qui pourrait être expliqué par la présence d'une grande population cde trous noirs stellaires. Les observations du halo galactique ont en effet révélé environ une vingtaine d'étoiles se déplaçant à des vitesses supérieures à la vitesse de libération de la Galaxie, qu'on appelle des étoiles hypervéloces, et dont certaines semblent avoir des directions de vol compatibles avec une origine galactocentrique. L'une des explications de l'existence de telles étoiles hypervéloces est le mécanisme de Hills (théorisé en 1988) se produisant à proximité de Sgr A ⋆ . Il s'agit de la rupture par effet de marée d'un couple d'étoiles binaires suffisamment proche du trou noir supermassif. Lors d'une telle rupture, l'un des composantes d'origine est laissée sur une orbite serrée autour du trou noir supermassif, tandis que l'autre est éjectée à grande vitesse.
Mais il se trouve que les étoiles hypervéloces observées sont de type spectral B et se trouvent à environ 50 kpc du centre galactique. En supposant une vitesse moyenne d'environ 1 000 km/s, ces étoiles ont donc mis environ 50 millions d'années pour atteindre leurs positions observées, ce qui donne une estimation basse de leur âge. Par conséquent, leurs ex-compagnes tout aussi anciennes de même type spectral (en supposant un appariement réaliste dans les binaires d'origine) restées dans l'amas S devraient toujours y être observées. Mais en fait, les étoiles B analysées jusqu'à présent au sein de l'amas stellaire S sont toutes plus jeunes que 25 millions d'années ( Habibi et al. 2017 ).
En se basant sur l'échelle de temps de broyage de 55 Mégannées qu'ils ont dérivée pour les étoiles B, Haas et ses collaborateurs suggérent que, bien que les jeunes étoiles B puissent encore être observées dans l'amas S, les ex-compagnes plus anciennes des étoiles hypervéloces, elles, auraient déjà été détruites par des collisions avec les trous noirs de masse stellaire.

Pour résumer, Haas et ses collaborateurs ont étudié l'impact des collisions directes et des rencontres rasantes entre les trous noirs de masse stellaire et les étoiles du centre galactique, en considérant trois canaux de formation qualitativement différents pour les trous noirs. À partir des résultats obtenus, il ont construit un profil de densité radiale de l'amas de trous noirs. Ils ont constaté que la densité spatiale des trous noirs peut atteindre l'ordre de grandeur de 100 millions par pc3 dans les parties extérieures de l'amas S (à environ 0,01–0,04 pc de Sgr A ⋆ ) s'ils proviennent de la formation récurrente d'étoiles massives dans les disques d'accrétion autour de Sgr A ⋆ . Les collisions directes (et les rencontres rasantes) de ces trous noirs stellaires densément distribués avec les étoiles individuelles conduisent à l'épuisement des étoiles les plus massives sur une échelle de temps de quelques millions d'années. Un tel appauvrissement peut ainsi expliquer l'absence signalée d'étoiles de type O et des homologues des étoiles hypervéloces du halo galactique au sein de l'amas S.
Les étoiles de type B et vieilles de quelques millions d'années, confirmées par observation au sein de l'amas S, excluent une densité de trous noirs de l'ordre de grandeur de 1 milliard par pc3 à cet endroit. De même, les abondantes étoiles O à plus de 0,04 pc de Sgr A ⋆ (c'est-à-dire au-delà de la limite extérieure de l'amas S) suggèrent une densité plus faible de trous noirs stellaires dans cette région (quelques 10 millions par pc3 ou moins). Les résultats suggèrent en outre une forme en bosse du profil de densité radiale de l'amas de trous noirs, avec le déclin situé approximativement dans l'apocentre orbital de l'étoile S2 (de 0,01 pc de Sgr A ⋆ ).

Source

The star grinder in the Galactic centre Uncovering the highly compact central stellar-mass black hole cluster
J. Haas1 et al.
Astronomy&strophysics Volume 695 (21 March 2025)

Illustrations

1. Image du centre galactique et localisation de l'étoile S2 par rapport à Sgr A* (ESO)
2. Jaroslav Haas 

21/03/25

Découverte d'une galaxie à disque géante, 2 milliards d'années après le Big Bang


Des observations approfondies du télescope spatial Webb ont révélé une galaxie qui est exceptionnellement grande dans l'univers jeune, 2 milliards d'années après le Big Bang. Est a été nommée la galaxie de la Grande Roue. La découverte est publiée dans Nature Astronomy .

Des études observationnelles ont montré depuis quelques années que des disques de galaxies étaient déjà en place dès les premiers milliards d'années de l'Univers. Les premiers disques détectés jusqu'à présent, avec un rayon de demi-lumière typique de 3 kpc et des masses stellaires d'environ 100 milliards M⊙ pour un décalage vers le rouge z  ≈ 3, sont tous significativement plus petits que les disques galactiques actuels de masses similaires, ce qui concorde avec les prévisions des modèles galactiques actuels. Mais cette nouvelle venue, que Weichen Wang (université de Milan) et ses collaborateurs ont surnommée la "Grande Roue" change la donne. Située à z  = 3,25, alors que l'Univers n'avait que deux milliards d'années, elle a un rayon de demi-lumière de 9,6 kpc et une masse stellaire de 370 milliards de M⊙. 

En fait, cette galaxie géante a été découverte par hasard dans un champ de quasars brillants grâce à l'imagerie du télescope spatial Webb à des longueurs d'onde de 1,5 μm et 3,2 μm. Les observations du télescope spatial Hubble à 0,8 μm ne révèlent que des amas isolés à la périphérie de la galaxie, traçant peut-être de jeunes étoiles et/ou un faible obscurcissement par la poussière. La Grande Roue présente un centre rouge, visible uniquement dans les filtres proche infrarouge du JWST, et un disque stellaire s'étendant sur au moins 30 kpc de diamètre. Des caractéristiques de bras spiraux sont visibles, apparaissant groupées, rappelant certaines galaxies spirales de l'univers local. 

Cette galaxie est donc plus grande que tous les autres disques cinématiquement confirmés à des époques similaires et est étonnamment similaire aux plus grands disques actuels en termes de taille et de masse. L'imagerie et la spectroscopie du télescope spatial James Webb révèlent sa morphologie spirale et une vitesse de rotation compatible avec une relation locale de Tully-Fisher. Les observations multi-longueurs d'onde montrent qu'elle se trouve dans un environnement exceptionnellement dense, où la densité numérique des galaxies est plus de dix fois supérieure à la moyenne cosmique et où les fusions sont fréquentes. La découverte d'un tel disque géant suggère la présence de conditions physiques favorables à la formation de grands disques dans les environnements denses de l'Univers primordial, qui pourraient inclure une accrétion efficace de gaz porteur de moment angulaire cohérent et des fusions non destructives entre des galaxies progénitrices exceptionnellement riches en gaz.

Il s'agit d'une galaxie à disque géante. On pensait auparavant que les disques galactiques se formaient progressivement sur une longue période : soit par l’intermédiaire de gaz s’écoulant en douceur dans les galaxies depuis l’espace environnant, soit par fusion avec des galaxies plus petites. Habituellement, les fusions rapides entre galaxies perturbent les délicates structures spirales, les transformant en formes plus chaotiques. Mais la Grande Roue a réussi à atteindre rapidement une taille étonnamment grande sans perdre sa forme spirale caractéristique. Et ça remet en question les idées reçues sur la croissance des galaxies géantes.

Les observations détaillées des astrophysiciens avec le JWST montrent que la Grande Roue est comparable, en taille et en vitesse de rotation, aux plus grandes galaxies dites « superspirales » de l'univers actuel. Elle est trois fois plus grande que les galaxies comparables de cette époque, et elle est l'une des galaxies les plus massives observées 2 milliards d'années après la singularité.

En fait, sa vitesse de rotation est telle qu'elle se place parmi les galaxies à l'extrémité supérieure de ce qu'on appelle la relation de Tully-Fisher , la relation qui lie la masse stellaire d'une galaxie et sa vitesse de rotation maximale.

Le modèle de disque déterminé par les astrophysiciens comprend six paramètres libres spécifiant la position et la vitesse du centre du disque, l'orientation du grand axe et les normalisations de la courbe de rotation. Le modèle le plus ajusté donne une vitesse de rotation maximale (corrigée de l'inclinaison) v rot qui est de 331 km.s-1, c'est-à-dire, 5,4 fois la vitesse de dispersion (σint = 61 km.s-1). Ces valeurs indiquent que la Grande Roue est supportée en rotation et présente une valeur de dispersion cohérente avec des disques turbulents (plus petits) à des décalages vers le rouge similaires et plus faibles. En combinant vrot et σint en utilisant la relation communément adoptée dans la littérature , Wang et ses collaborateurs obtiennent une vitesse circulaire de 352 ± 30 km.s-1. La carte de vitesse du gaz moléculaire obtenue par ailleurs grâce aux observations de l'Atacama Large (sub-)Millimeter Array (ALMA) couvrant la galaxie entière, bien qu'avec une résolution spatiale plus faible, montre des résultats cohérents.

Les chercheurs notent également que, même si elle est inhabituellement grande, la Grande Roue grandit activement à un rythme similaire à celui des autres galaxies du même âge cosmique: elle produit 250 masses solaires d'étoiles par an.

Ce qui rend cette découverte encore plus intéressante, c’est l’environnement dans lequel la Grande Roue s’est formée. Elle est en effet située dans une région de inhabituellement peuplée, où les galaxies sont regroupées de manière dense, dix fois plus denses que dans les zones typiques de l'univers. Selon les chercheurs, c'est cet environnement dense qui a probablement fourni les conditions idéales à la croissance rapide de la galaxie. Ils estiment qu'elle a probablement connu des fusions suffisamment douces pour lui permettre de conserver sa forme de disque spiralé. De plus, le gaz entrant dans la galaxie devait être aussi bien aligné avec sa rotation, ce qui aurait permis au disque de croître rapidement sans être perturbé.

Les observations de Wang et ses collègues révèlent ainsi que la galaxie de la Grande Roue est un disque géant en rotation avec des propriétés physiques uniques pour l'époque z  ≈ 3, ce qui soulève des questions sur son scénario de formation. Dans le cadre théorique classique, la taille du disque devrait être simplement proportionnelle à la taille du halo multipliée par le paramètre de spin du halo sans dimension, avec de faibles écarts avec la concentration du halo et le rapport de masse disque/halo. 

La Grande Roue est au moins trois fois plus grande que la taille attendue des galaxies à disque en formation d'étoiles à sa masse et à son décalage vers le rouge, compte tenu de la relation taille-masse observée dans les champs aléatoires. La probabilité de trouver au hasard une telle galaxie, si l'environnement ne joue pas de rôle, est inférieure à 2 %. Sa découverte fortuite dans l'une des plus grandes surdensités de galaxies découvertes jusqu'à présent à z  ≳  3  suggère que d'autres mécanismes physiques pourraient intervenir dans la détermination de la taille des galaxies à disque massif dans ces régions de l'Univers.

On s'attend notamment à ce que les fusions majeures soient plus fréquentes que la moyenne cosmique dans les régions surdenses et il se trouve que quelques modèles suggèrent qu'elles peuvent, dans des conditions exceptionnelles, faciliter la croissance du disque en augmentant la rotation du disque plutôt qu'en le détruisant. En particulier, les modèles suggèrent que les disques peuvent survivre à une perturbation ou se reformer par la suite si les fusions ont des paramètres orbitaux favorables et que les galaxies progénitrices sont riches en gaz. Si ces prédictions sont correctes, la présence d'un tel disque géant dans une grande surdensité de galaxies pourrait impliquer, par exemple, un lien entre l'environnement dense et une élévation de la fraction de gaz des galaxies. À son tour, la teneur élevée en gaz des galaxies pourrait être causée par une accrétion plus efficace du gaz de la toile cosmique dans des environnements plus denses aux premières époques cosmiques.

Alternativement, les grands disques pourraient également être le résultat de l'accrétion de gaz cosmique avec un moment cinétique cohérent, résultant en un rapport de moment cinétique disque/halo plus grand par rapport aux attentes des modèles analytiques précédents .

Les mécanismes pertinents de formation et d'évolution des galaxies ne sont pas encore bien définis à ce jour. Et les simulations cosmologiques actuelles n'ont pas prédit de disques aussi grands que la galaxie de la Grande Roue à z  ≳  3 à des masses comparables.

Outre son origine incertaine, l'évolution ultérieure de la Grande Roue demeure également une belle inconnue. Le fait que la galaxie ne croît pas de manière isolée et la présence d'au moins une galaxie compagne, pourraient suggérer de futures fusions qui seraient responsables d'une évolution des propriétés de la Grande Roue.

De plus, son environnement dense, qui suggère la présence d'un proto-amas, indique que son descendant pourrait ressembler à l'un des membres les plus massifs des amas de galaxies actuels. Mais évidemment, des études complémentaires sont nécessaires pour comprendre la fréquence de la présence de disques géants tels que la Grande Roue dans des environnements denses aux premières époques cosmiques et si leurs propriétés physiques et leurs densités numériques sont cohérentes avec celles des progéniteurs présumés des amas de galaxies les plus massifs d'aujourd'hui.

Ce qui est sûr, c'est que l'existence de la Grande Roue là où elle se trouve dans l'espace-temps indique que les modèles actuels de l'évolution des galaxies doivent encore être affinés.

Source

A giant disk galaxy two billion years after the Big Bang

Weichen Wang, et al.

Nature Astronomy (17 march 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02500-2


Illustration 

La galaxie de la Grande Roue (Wang et al.)