29/11/24

L'origine d'un transitoire radio à longue période identifié pour la première fois


Des astrophysiciens ont trouvé une explication plausible pour un type de signal radio répétitif de longue période identifié pour la première fois il y a deux ans, mais qui apparaît désormais à de nombreux endroits dans le ciel. Ils ont identifié un tel signal périodique qu'ils ont pu clairement associer à une étoile naine rouge. Mais elle ne serait pas seule... C'est son interaction avec une naine blanche qui serait à l'origine du signal radio détecté. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

De nouveaux instruments ont récemment commencé à nous offrir une vue beaucoup plus large, et les analyses de grandes portions du ciel ont révélé une multitude de nouveaux types de signaux auxquels nous ne nous attendions pas et que nous ne pouvons souvent pas encore expliquer pleinement. L'un d'entre eux, une classe désormais connue sous le nom de "transitoires radio de longue période", a été signalé pour la première fois en 2022 , sur la base de données d'archives du Murchison Widefield Array (MWA), dont les relevés radio ont révélé de nombreuses étrangetés inattendues dans le ciel radio. Il a notamment montré un signal radio d'une durée de 30 à 60 secondes, se répétant toutes les 18,2 minutes, et ne correspondant à aucune classe d'objets connue. 

Tous les signaux radio transitoires de longue période présentent une forte polarisation, signe d'un champ magnétique puissant, mais se répètent trop lentement pour être des pulsars et, contrairement aux sursauts radio rapides répétitifs (FRB) (sauf un), ceux-là proviennent tous de l'intérieur de notre galaxie. Jusqu'à présent, il était impossible d'identifier la source de ces signaux répétés à longue période, car ils provenaient le plus souvent du disque galactique, là où la population stellaire est bien trop dense.

Natasha Hurley-Walker et ses collaborateurs viennent donc de faire une grande avancée en trouvant un exemple de transitoire radio à longue période  pas comme les autres, connu sous le nom de GLEAM-X J0704-37. En plus d'être l'exemple le plus lent de ce type de signal qui n'a jamais été observé (une période de 2,9 heures !), GLEAM-X J0704-37 provient également d'une zone bien en dehors du plan galactique où les objets confondants sont rares. Des observations de suivi ont ainsi été possibles et révèlent une étoile naine rouge de type M3, d'une masse d'environ 0,32 masses solaires, située exactement sur la localisation du signal radio pulsé.
Les naines rouges sont le type d'étoile le plus commun de la galaxie, mais on sait aussi qu'elles ne devraient pas avoir l'énergie ou le champ magnétique nécessaires pour produire un signal radio à longue période par elles-mêmes. Mais Hurley-Walker et ses collaborateurs montrent qu'il existe cependant des signes qui indique que la naine rouge serait en orbite autour d'un objet invisible. Pour les chercheurs, une étoile à neutrons semble peu probable, pour de nombreuses raisons, et certaines d'entre elles s'appliquent encore plus négativement à l'idée d'un trou noir. 
Un système binaire avec une étoile à neutrons est défavorisé car si l'émission radio est produite par un champ magnétique fort, l'étoile à neutrons devrait être jeune, ce qui est défavorisé par la latitude galactique élevée de GLEAM-X J0704-37. D'un autre côté, un scénario avec une étoile à neutrons à faible champ dans une binaire de faible masse (comme les pulsars transitionnels ou recyclés), avec une émission radio alimentée par le ralentissement magnétique dipolaire, est aussi défavorisé car la luminosité radio observée est de plusieurs ordres de grandeur supérieure aux limites de la puissance d'un tel ralentissement magnétique.

Il ne reste qu'une solution possible selon les chercheurs: une naine blanche fortement magnétisée. Le problème, c'est qu'il est également peu probable que les naines blanches produisent par elles-mêmes des émissions radio aussi fortes, répétées ou non. L’explication la plus probable pour Hurley-Walker et ses collaborateurs est que la gravité de la naine blanche arrache de la matière à la naine rouge, ce qui provoque indirectement les émissions radio. Dans ce scénario, l'émission radio devrait être générée par un vent stellaire circulant depuis la naine rouge vers la magnétosphère de la naine blanche, où il est accéléré. 
Dans les polaires, un type de variable cataclysmique magnétique, le champ magnétique de la naine blanche est de 10 à 200 MG, et les deux étoiles sont verrouillées en rotation synchrone. Les polaires intermédiaires (IP) ont quant à elles des champs magnétiques légèrement plus faibles (1 à 10 MG) et la naine blanche tourne à une vitesse plus rapide que l'orbite. Avec une vitesse de rotation de la naine blanche encore plus rapide, les systèmes de type AR Sco sont constitués d'une paire naine rouge/naine blanche sur une orbite serrée (environ 4 heures), de sorte que la naine M remplit presque le lobe de Roche (TR Marsh et al. 2016). 
Les interactions entre les deux étoiles provoquent une émission radio de type pulsar depuis la magnétosphère de la naine blanche, ce qui a été directement observée par exemple sur J1912−44, lorsque le faisceau de la naine blanche croise notre ligne de visée (I. Pelisoli et al. 2023). Les deux seuls systèmes de type « pulsar de naine blanche» qui sont connus ont été sélectionnés en recherchant une variabilité optique élevée, qui sélectionne préférentiellement les systèmes proches avec des naines blanches à rotation rapide (une période de quelques minutes). Pour Hurley Walker et son équipe, il est donc possible que des systèmes de type AR Sco à rotation lente aient pu être manqués par les recherches optiques. La périodicité observée ici de 2,9 heures pourrait être cohérente à la fois avec la vitesse de rotation et/ou l'orbite de la naine blanche dans ce scénario, bien que d'autres configurations ne puissent pas encore être complètement exclues. 

Par ailleurs, Hurley-Walker et ses collaborateurs montrent qu'il existe dans le signal radio des preuves provisoires d'une autre périodicité, d'environ 6 ans, probablement due à un bruit de synchronisation. Mais si elle est interprétée comme une période orbitale, alors elle impliquerait que les composantes du système binaire soient séparées par une distance supérieure d'un ordre de grandeur à celle qui est observée dans les systèmes de type AR Sco ou ILT J1101+5521, ce qui rend des interactions similaires peu probables. Des données supplémentaires seront nécessaires pour démêler la nature de cette périodicité à longue échelle de temps.
Le système polaire synchronisé ILT J1101+5521 (I. de Ruiter et al. 2024) récemment découvert, qui est composé d'une naine blanche et d'une naine rouge et qui présente une émission radio périodique et cohérente, pourrait être un système jumeau de GLEAM-X J0704−37. Si c'est le cas, la périodicité de 2,9 heures pourrait être interprétée à la fois comme le spin de la naine blanche et la période orbitale. Les propriétés de polarisation de ce système sont similaires à celles de GLEAM-X J0704−37, avec un mélange de polarisation linéaire et circulaire, ce qui pourrait s'expliquer par une version relativiste du mécanisme du maser cyclotron électronique (Y. Qu & B. Zhang 2024 ). 

Les chercheurs suggèrent donc provisoirement que GLEAM-X J0704−37 pourrait être un système polaire, similaire à ILT J1101+5521. En supposant une masse stellaire de 0,32 M⊙ pour la naine rouge et une masse de 0,8 M⊙ pour la naine blanche, le rayon du lobe de Roche de l'étoile naine rouge est de 0,2 UA. Pour une orbite circulaire de 2,9 heures avec ces masses, le rayon orbital serait de 0,005 UA, plaçant la naine blanche bien dans le lobe de Roche.

Afin de déterminer de manière concluante la nature de ce système transitoire radio à longue période, les astrophysiciens suggèrent une surveillance radio plus poussée pour contraindre les mesures de périodes, ainsi que des observations sensibles dans le bleu ou l'UV pour rechercher la présence d'une naine blanche, et aussi une mesure de la vitesse radiale de la naine rouge en étudiant les décalages Doppler de ses raies spectrales. Jusqu'à aujourd'hui, les limites supérieures dans l'UV qui ont été dérivées d'observations avec Swift, excluent la présence d'une naine blanche chaude avec T ≳ 20 000 K, soit environ 20 % de la population des naines blanches magnétiques. De plus, aucune raie d'émission forte n'est observée dans le spectre infrarouge, ce qui pourrait être attendu pour une naine blanche chaude sur une orbite proche. 
Cependant, les naines blanches de J1912–44, AR Sco et ILT J1101+5521 sont toutes beaucoup plus froides, cette dernière ayant par exemple une température de 5156 K. Donc, la limite supérieure que Hurley Walker et al. déduisent du spectre infrarouge et des observations UV (20 000 K) sur la présence d'une naine blanche dans le système n'est pas fortement contraignante. Tout est encore ouvert. 

Source

A 2.9 hr Periodic Radio Transient with an Optical Counterpart
N. Hurley-Walker et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 976, Number 2 (26 november 2024)

24/11/24

Détection d'un excès de chaleur sur la planète naine Makémaké


Une équipe de planétologues a observé la planète naine Makémaké avec le télescope Webb et ont découvert un excès très important dans l'infrarouge moyen. L'excès détecté indique des températures d'environ 150 K, bien supérieures à celles que les surfaces solides à la distance héliocentrique de Makémaké pourraient atteindre par irradiation solaire. Pour les chercheurs, qui publient leur découverte dans The Astrophysical Journal Letters, cela indique que Makémaké est active, ou bien qu'elle possède un anneau de poussière carbonée... Les deux scénarios indiquent des phénomènes sans précédent parmi les objets transneptuniens, et pourraient avoir un impact considérable sur notre compréhension de ces mondes lointains.

Makémaké est l'un des objets les plus grands et les plus brillants de la ceinture de Kuiper. Ortiz et al. ont déduit en 2012 sa taille et son albédo à partir de mesures d'occultation et ils ont obtenu un diamètre d'environ 1 430 km, une taille intermédiaire entre celle de Pluton et Charon, et ils ont mesuré un albédo de ≈ 0,8. Makémaké est donc particulièrement brillante. On sait aujourd'hui que sa surface est principalement recouverte de glace de méthane. (Brown et al. 2007 ; A. Alvarez-Candal et al. 2020 ) ainsi que de produits d'irradiation du CH4 (Brown et al. 2015 ). Et Grundy et al. avaient aussi montré en 2024 que le rapport Deutérium/Hydrogène dans la glace de méthane observée sur Makémaké est significativement inférieur à celui qui a été détecté dans la comète 67P/Churyumov–Gerasimenko, qui est considérée comme primordiale. En revanche, il s'aligne étroitement sur les rapports trouvés dans l'eau de nombreuses comètes et objets plus grands du système solaire externe. Ces similitudes et différences ont incité Glein et al. à suggérer il y a quelques mois que les atomes d'hydrogène dans le méthane sur Makémaké provenaient de l'eau, générée par des processus géochimiques à des températures élevées dans son intérieur profond. Bien qu'il existe plusieurs caractéristiques à la surface des objets transneptuniens qui indiquent un cryovolcanisme passé, aucune activité en cours n'a été observée jusqu'à présent.

L'émission thermique de Makémaké a d'abord été mesurée par le télescope spatial Spitzer en 2008, puis par le télescope spatial Herschel en 2010. En 2016, Parker et al. ont détecté un satellite autour de Makémaké, en utilisant les mesures du télescope spatial Hubble. Ils ont suggéré que ce satellite pourrait contribuer à l'émission excédentaire à 24 μm qui avait été décelée par Herschel, difficilement explicable. Un autre scénario impliquait une émission thermique de poussière diffuse en équilibre avec le rayonnement solaire. Bien que techniquement les deux modèles puissent ajuster les observations à un niveau acceptable, ils posaient tous deux des problèmes avec l'interprétation physique des paramètres obtenus, et certaines questions restaient ouvertes.
Pour répondre à ces questions, Csaba Kiss (Institut astronomique de Budapest) et ses collaborateurs ont mené une étude approfondie de l'émission thermique du système de Makémaké en intégrant de nouvelles mesures de l'instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument) du télescope spatial Webb, des observations non publiées de Herschel et une réévaluation des données publiées précédemment. De plus, ils ont inclus des données de courbe de lumière visible du télescope TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) et du télescope spatial Gaia pour contraindre la période de rotation et des données Spitzer/MIPS non publiées à 24 et 70 μm d'une deuxième époque, couvrant une partie substantielle de la période de rotation de Makémaké, pour obtenir une courbe de lumière thermique partielle et contraindre les variations d'émission thermique rotationnelle.

Kiss et ses collaborateurs montrent que Makémaké présente un excès important dans l'infrarouge moyen qui ne peut pas être expliqué par l'émission thermique d'un corps solide irradiés uniquement par le Soleil à sa distance héliocentrique. Ils ont tenté d'ajuster l'émission thermique de Makémaké en utilisant trois types de modèles, à terrain unique ou dual, avec ou sans satellite sombre, mais en vain. Ca ne colle pas avec le spectre en énergie qui est observé dans l'infra-rouge...

Kiss et ses collaborateurs se sont donc tournés vers d'autres scénarios. Le premier scénario qui pourrait selon eux expliquer cet excès de flux dans l'infra-rouge moyen, ça serait l'existence d'un point chaud sur la surface de la planète naine. Un point chaud qui serait alimenté par le cryovolcanisme. Les matériaux issus de l'activité souterraine des corps glacés peuvent en effet atteindre la surface et provoquer des excès de température. Un bon exemple de ce phénomène est Encelade, où Cassini a détecté 3 à 7 GW d'émission thermique provenant des zones polaires sud, à des températures allant jusqu'à au moins 145 K sur une zone équivalente d'environ 350 km2. On peut supposer que l'origine de l'excès d'infrarouge moyen de Makémaké est similaire.

Dans ce scénario, les chercheurs ajuste le spectre en énergie en supposant un terrain unique et une contribution du satellite médiane, avect un « point chaud » à la surface de Makémaké en supposant qu'il a un spectre de corps noir à température unique. Pour cette composante supplémentaire, Kiss et ses collaborateurs trouvent que la température de corps noir la mieux ajustée est Ts = 147 ± 5 K, et la zone correspondante a un rayon équivalent de 10,0 ± 0,5 km, soit ∼0,02 % du disque apparent de Makémaké (pour comparaison, Wright Mons sur Pluton, qui est un cryovolcan présumé, a une caldeira d'environ 5 km de diamètre). Comme les densités de flux qui avaient été mesurées par Spitzer à 24 μm ne présentent qu'une faible variation (≤20 %), dans ce scénario, le point chaud devrait être continuellement visible et donc lié à une région qui est continuellement visible (c'est à dire la région polaire). Dans ce cas, en fonction de l'orientation réelle des pôles, la véritable zone réelle peut être considérablement plus grande et avoir toujours un rayon équivalent de 10 km en raison des effets de projection. Un corps noir de 147 K correspond à une densité de surface de puissance rayonnée d'environ 26 W m-2 , nettement supérieure à la densité typique d'environ 1 W m-2 sur les autres régions de la surface de Makémaké où la puissance de sortie est déterminée par l'irradiation solaire. Les chercheurs calculent la puissance totale rayonnée par ce point chaud pour une zone de rayon de 10 km, et trouvent une valeur P tot = 8,3 Gigawatts (ce qui est assez similaire aux valeurs obtenues pour Encelade). Pour comparaison, la puissance totale qui est reçue par Makémaké du fait de l'irradiation solaire est de 800 GW. Kiss et ses collaborateurs ne peuvent pas malheureusement pas identifier une source évidente qui pourrait être responsable de cette région à haute température.
Ce qui est certain, c'est que si le point chaud évoqué est la raison de l’émission excessive dans l’infrarouge moyen, alors Makémaké est le quatrième corps planétaire solide connu, après la Terre, Io et Encelade, qui est suffisamment actif géologiquement pour que sa chaleur interne soit détectée par télédétection.

Le cryovolvanisme pourrait en tous cas être une explication pour expliquer la formation du méthane à l'intérieur de la planète naine, et son maintien à la surface contre les processus de fuite et de perte photochimique ou radiolytique, le cryovolcanisme pourrait soutenir le scénario impliquant un océan d'eau souterraine plutôt qu'un océan dominé par la convection à l'état solide. Pour les chercheurs, si l'excès de température est associé au cryovolcanisme, l'observation d'une variation de l'excès de température avec le temps ou la phase de rotation pourra fournir plus d'informations sur le processus réel.

Kiss et ses collaborateurs proposent un second scénario pour expliquer l'excès de lumière infra rouge détecté par Webb. Ils montrent qu'au lieu d'un point chaud à la surface de Makémaké, l'origine de l'excès d'IR moyen pourrait être produit par de la poussière à haute température constituée de petits grains. Les petits grains de poussière ont tendance à surchauffer en raison de leur faible émissivité, la température réelle de la poussière dépendant de la composition et de la taille des grains. Ces petits grains peuvent en fait atteindre des températures bien plus élevées que la température d'équilibre d'environ 40 K à la distance héliocentrique de Makémaké. Les chercheurs ont fait des calculs de température de la poussière pour le cas de Makémaké. On le rappelle, des températures autour de 150 K sont nécessaires pour expliquer l'excès important d'IR moyen qui est observé. Kiss et son équipe montrent que les températures de poussière pour une composition de grain spécifique atteignent le maximum autour d'une taille de grain d'environ 100 nm, mais des températures autour de 150 K sont atteintes uniquement pour les grains de graphite ou de carbone, des grains d'olivine, de pyroxène ou de glace d'eau ne permettent pas de retrouver le flux infra-rouge mesuré (ils sont trop "chauds"). Cela indique qu'une composition carbonée probable et des tailles de grain petites sont nécessaires pour pouvoir expliquer l'excès d'IR moyen avec de la poussière diffuse. Les grains de carbone avec des tailles de grains de 100 à 200 nm ou les grains de graphite avec des tailles de grains entre 200 et 500 nm peuvent s'adapter à toutes les données IR moyennes simultanément (sans violer la détection de la lumière réfléchie), en considérant une contribution possible d'autres composants (lune sombre, terrain sombre) dans le système.


Des études récentes ont découvert des systèmes d'anneaux autour des Centaures et des objets transneptuniens, notamment Chariklo, Haumea et Quaoar, suggérant que ces anneaux peuvent être communs autour des corps du système solaire externe, et on peut donc supposer ici que de la poussière diffuse autour de Makémaké peut avoir une forme similaire.

Avec un anneau constitué de grains carbonés de 100 nm, avec une contribution supplémentaire d'un modèle à double terrain utilisant un terrain secondaire de type Quaoar fonctionne très bien. Mais, l'utilisation d'un modèle avec un satellite sombre au lieu d'un double terrain donne des résultats très similaires. Ce modèle particulier d'anneau de poussière correspond très bien aux densités de flux observées et est pratiquement impossible à distinguer du modèle « point chaud » le mieux ajusté. Si l'anneau était constitué exclusivement de ces très petits grains, la profondeur optique de l'anneau dans le domaine visible serait τ ≈ 0,1, en supposant un disque mince et étroit, une largeur d'anneau de 10 km et un rayon d'anneau de r = 4300 km,

Mais Kiss et son équipe précisent que des petits grains de poussière doivent être fortement affectés par le rayonnement solaire via la pression de rayonnement et les effets de Poynting-Robertson. Les chercheurs calculent la durée de vie de  ces particules de poussière en utilisant un modèle dynamique en supposant que les grains commencent à orbiter autour de Makémaké sur des orbites circulaires. Surprise ! Ils trouvent une durée de vie d'environ 10 ans seulement. Mais ils notent cependant qu'une petite lune bergère peut aider à stabiliser les orbites des particules annulaires et prolonger considérablement la durée de vie des grains, comme cela avait été proposé dans le cas de Chariklo il y a quelques mois. 
Avec une durée de vie des petits grains aussi courte, on pense à un événement unique qui aurait eu lieu récemment sur Makémaké. Les chercheurs notent que dans ce cas, une décoloration aurait dû être observée au cours des 20 dernières années couvertes par des observations dans l'IR moyen. Mais, les données antérieures de Spitzer et les récentes données de JWST montrent des densités de flux compatibles, sans évolution notable. Au lieu d'un événement unique, il se pourrait alors qu'il existe un réapprovisionnement continu de poussière qui rend le matériau de l'anneau continuellement observable. En ce qui concerne la composition des grains de poussière, il faut se rappeler que le carbone est omniprésent dans le système solaire externe. La poussière cométaire submicronique est dominée par le carbone amorphe, et en raison de leurs propriétés optiques uniques, de très petits grains de poussière carbonée peuvent être la source dominante de l'émission thermique dans l'IR moyen même en présence d'autres types de grains.
En utilisant des calculs de transfert radiatif, Kiss et ses collaborateurs estiment que, en supposant uniquement des grains carbonés de 100 nm, la masse totale de l'anneau serait d'environ 3000 tonnes, ce qui équivaut à la masse d'un corps d'un rayon d'environ 10 m. Il s'agit d'une limite inférieure, car des grains plus gros peuvent contribuer de manière significative. En supposant la présence de grains plus gros avec 100 fois la masse des petits grains, la masse de l'anneau pourrait être comprise entre 3000 tonnes et 300 000 tonnes. Avec une courte durée de vie d'environ 10 ans des petits grains, un taux d' environ 300 tonnes/an est nécessaire pour le réapprovisionnement, et probablement une quantité plus élevée si on considère l'échelle globale des tailles de particules qui peuvent provenir de petites lunes ou de collisions entre des plus grandes particules.

L'anneau proposé ici serait en tous cas un nouveau type d'anneau dans la région transneptunienne. L'émission thermique des anneaux de Haumea, Chariklo ou Quaoar ne montre en effet pas d'émission excédentaire d'IR moyen aussi forte, même si des résultats récents d'occultations stellaires suggèrent que de très petits grains pourraient dominer certains anneaux de petits corps dans le système solaire externe. Alors que les anneaux classiques de Saturne et d'Uranus sont connus pour être principalement des grains ou des cailloux de la taille d'un millimètre à un centimètre, l'émission thermique de l'anneau de Phoebe autour de Saturne est dominée par de petits grains, et elle est caractérisée par une loi de distribution de taille très raide, comme l'ont montré les mesures de WISE et de Spitzer. Dans le cas de l'anneau de Phoebe, les particules de poussière proviennent du satellite Phoebe lui-même à partir de micrométéorites ou d'impacts plus gros et sont considérées comme responsables de la matière sombre sur l'hémisphère avant de Japet. Un petit satellite interne supplémentaire pourrait être responsable du matériau de l'anneau dans le cas de Makémaké, selon les chercheurs.

En résumé, Csaba Kiss et son équipe ont observé un fort excès dans l'infra-rouge moyen sur Makémaké et proposent deux scénarios distincts pour l'expliquer  : premièrement un point chaud alimenté par le cryovolcanisme et deuxièmement, un anneau composé de très petits grains carbonés. Les chercheurs ne peuvent pas trancher entre ces deux scénarios très différents. Mais ils notent que ces deux phénomènes peuvent être interconnectés. Par exemple, on sait que le matériau de l'anneau E de Saturne provient des geysers d'eau d'Encelade, et des processus similaires pourraient donc fournir du matériau à un anneau autour de Makémaké. De plus, l'anneau E de Saturne est également dominé par des grains de taille submicronique, même s'il s'agit de glace et non de carbone. L'excès IR observé sur Makémaké pourrait donc aussi  être le résultat d'une combinaison des deux scénarios envsagés.

Des mesures supplémentaires dans l'infra-rouge moyen (de 10 à 25 μm de longueur d'onde) échantillonnant l'émission thermique de Makémaké à plusieurs longitudes pourront confirmer dans le futur si il existe une variation rotationnelle, ce qui pourrait être une forte indication que l'excès d'émission provient (au moins en partie) de la surface de Makémaké.  Des observations supplémentaires peuvent également montrer si l'excès (à la fois l'intensité et la température associée) a changé depuis les dernières mesures de Webb effectuées en janvier 2023. Cela serait  attendu dans le scénario de l'anneau si les petits grains de poussière ont été créés lors d'un seul événement. Dans le cas du scénario à point chaud, l'excès pourrait également changer en raison de changements dans les processus cryovolcaniques sous-jacents. Et puis, de futures mesures d'occultation pourraient aussi grandement aider à choisir entre la solution "point chaud" et la solution "anneau".

Source

Prominent Mid-infrared Excess of the Dwarf Planet (136472) Makemake Discovered by JWST/MIRI Indicates Ongoing Activity
Csaba Kiss et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 976, Number 1 (14 november 2024)

Illustrations

1. Vue d'artiste de Makémaké NASA, ESA, A. Parker and M. Buie (Southwest Research Institute), W. Grundy (Lowell Observatory), and K. Noll (NASA GSFC) 
2. Ajustement du spectre IR par l'ajout de l'effet d'un point chaud à la surface de Makémaké avec différentes caractéristiques (Kiss et al.)
3. Ajustement du spectre IR par l'ajout de différents types de poussière  sous forme d'anneaux (Kiss et al.)

19/11/24

Trois galaxies massives furieusement efficaces pour former des étoiles 1 milliard d'années post Big Bang


Les récentes observations du télescope spatial Webb ont révélé une abondance inattendue de galaxies massives candidates dans l'Univers jeune. Ces galaxies candidates observées avec Webb ont été interprétées comme remettant en cause la cosmologie du modèle ΛCDM, mais, jusqu'à présent, les observations n'ont pas eu de confirmation spectroscopique de leurs décalages vers le rouge. Une équipe d’astrophysiciens a effectué une étude systématique de 36 galaxies massives obscurcies par la poussière avec des décalages vers le rouge compris 5 et 9 provenant du relevé FRESCO du télescope Webb. Ils ne trouvent aucune tension avec le modèle standard dans leur échantillon. En revanche, ils ont déniché trois galaxies ultra-massives, de plus de 100 milliards de masses solaires, qui montrent une efficacité monstrueuse pour fabriquer des étoiles… L’article est publié dans Nature.

Les masses stellaires des galaxies de l’échantillon sont comparées à la masse maximale à laquelle on pourrait s'attendre à trouver une galaxie dans le volume étudié, compte tenu de la fonction de masse du halo de matière noire entourant les galaxies et de la fraction de baryons cosmique. Dans ce paradigme de type ΛCDM, Mengyuan Xiao (université de Genève) et ses collaborateurs (dont le français David Elbaz) dérivent la masse la plus grande du halo de matière noire à différents redshifts dans le volume d'étude correspondant (environ 1,2 × 10Mpc3 à z entre 5 et 9) selon la fonction de masse du halo. La masse stellaire maximale est ensuite déduite de la masse maximale du halo de matière noire, avec une fraction baryonique cosmique fb = Ωbm = 0,158 (Ωb est le paramètre de densité baryonique et Ωm le paramètre de densité de matière), et l'efficacité théorique maximale (ϵ) de la conversion des baryons en étoiles. Xiao et ses collaborateurs considèrent deux cas possibles pour ϵ : l'efficacité la plus élevée obtenue à partir de modélisations phénoménologiques basées sur les observations (ϵ max,obs = 0,2) et l'efficacité maximale théoriquement permise (ϵ = 1).

Ils calculent ensuite les limites inférieures de l'efficacité des galaxies de leur échantillon, afin de vérifier si les galaxies massives à haut z pourraient former des étoiles avec une efficacité étonnamment élevée (ϵ > 0,2 ou même ϵ > 1). Dans cette analyse, les chercheurs supposent de manière conservatrice que chaque galaxie est située dans le halo de matière noire le plus massif.

Xiao et ses collaborateurs ne trouvent aucune galaxie avec ϵ > 1, ce qui suggère donc que l’échantillon ne présente pas de tension significative avec le modèle ΛCDM. La fiabilité de cette conclusion vient du fait que les astrophysiciens disposent à la fois de masses stellaires et de décalages vers le rouge robustes.

En revanche, il y a tout de même 5 galaxies extrêmes dans cet échantillon de 36 galaxies, qui montrent un ϵ > 0,2, c'est-à-dire une efficacité accrue dans la conversion du gaz en étoiles. Trois galaxies sont à z ≈ 5 à 6 (donc entre 0,9 et 1,2 milliards d'années après le Big Bang), et deux à z ≈ 7 -8. Xiao et ses collègues se concentrent sur les trois objets à plus faible décalage vers le rouge car les masses stellaires dérivées sont significativement moins robustes pour les objets à z ≈ 7 – 8. Les trois monstres sont nommées S1, S2 et S3. Elles ont été détectées précédemment par des observations du Submillimetre Common-User Bolometer Array 2 (SCUBA-2), mais seule S2 (aussi connue sous le nom de GN1035), avait un décalage vers le rouge et une masse stellaire fiables avant les observations de Webb.

Xiao et al. constatent que S1, S2 et S3 sont extrêmement massives (plus de 100 milliards de M⊙ en étoiles, rouges, et fortement atténuées par la poussière. Ils trouvent qu'elles ont également des taux de formation d'étoiles très élevés, spécifiquement 795 ± 40 M par an pour S1, 1030 ± 190 M par an pour S2 et 988 ± 49 M⊙ par an pour S3. Cela indique que ces galaxies sont dans un processus de production d’étoiles très efficace. L’étude des raies d'émission, de la morphologie des sources et des données multi-longueurs d'onde ne révèle aucun signe d'une contribution significative des noyaux actifs de galaxie (AGN). Par conséquent, la nature ultra-massive de ces trois galaxies est fiable. Ces galaxies ultramassives (pour l’époque où elles se trouvent) sont surnommées des « red monsters » par les astrophysiciens

En comparant les masses de ces galaxies avec les prédictions, il est clair qu’elles nécessitent une conversion en étoiles extrêmement efficace de tous les baryons disponibles d'environ 0,5 en moyenne, c’est-à-dire 2 à 3 fois l'efficacité la plus élevée observée à un redshift inférieur (ϵ max,obs ≈ 0,2). Ces 3 galaxies se situent à z ≈ 5 - 6, démontrant que l'existence de galaxies ultra-massives qui défient les modèles d'assemblage de galaxies, n'est pas limitée à l'univers le plus lointain à z > 8 mais inclut également des galaxies à des époques plus tardives qui étaient auparavant cachées par l'obscurcissement de la poussière.

L'efficacité élevée de la conversion baryons (gaz) - étoiles dans ces trois galaxies ultra-massives pourrait également être démontrée dans l'autre sens. En supposant une efficacité maximale observée de ϵ max,obs = 0,2, les masses stellaires de S1, S2 et S3 correspondent à des masses de halo de matière noire de 10 12.88 , 10 12.68 et 10 12.54 masses solaires respectivement. La densité volumique de galaxies observée est d'environ 3.0 × 10-6 Mpc-3 à z ≈ 5 - 6 dans les 124 arcmin2 des champs de l'étude FRESCO. Pour le cas le plus extrême, S1, comparé aux densités cumulées théoriques de galaxies d'environ 2,8 × 10-9 Mpc-3 ayant une masse totale de 10 12,88 masses solaires, la probabilité de détecter une telle galaxie dans un champ aléatoire aussi grand que celui de FRESCO n'est que 0,0008. En d'autres termes, si la distribution des galaxies dans l'Univers était homogène, et si ϵ = 0.2, on s’attendrait à ne détecter qu'une seule galaxie telle que S1 dans un champ 1188 fois plus grand que celui de FRESCO. Pour S2 et S3, les probabilités sont de 0,017 et 0,08 respectivement, ce qui requiert des champs 58 fois et 12 fois plus grands que le champ de l’étude FRESCO pour les détecter. Cela démontre que l'efficacité de la formation d'étoiles dans ces galaxies doit être significativement plus élevée que celle normalement trouvée à des redshifts plus faibles dans le modèle standard de formation des galaxies au sein de halos de matière noire froide.

Et Xiao et ses coauteurs calculent que les galaxies extrêmement massives contribuent de manière significative à la densité totale du taux de formation d'étoiles dans l'Univers jeune. Ils trouvent que en incluant seulement S1, S2 et S3, la densité du taux de formation d'étoiles atteint une valeur de 2,4 10-3 M par an Mpc-3 (à z=5,8). Cette valeur correspond à 17% de la densité totale du taux de formation d'étoiles à ce redshift. Selon les chercheurs, ce résultat suggère qu’il existe une proportion importante de formation stellaire extrêmement efficace dans l'Univers jeune.

Avec les mesures sûres du décalage spectral et de la masse stellaire, ces résultats fournissent des preuves solides que l'Univers primitif doit être deux à trois fois plus efficace dans la formation de galaxies massives que la tendance moyenne trouvée par des études antérieures à des époques plus tardives. La découverte de Xiao et al., ainsi que l'excès possible de galaxies lumineuses en UV à z > 8 révélé par les observations du JWST, indique que les modèles de formation des premières galaxies doivent être révisés, bien que en restant dans le cadre du modèle cosmologique ΛCDM.

Pour conclure, les astrophysiciens notent que deux des trois galaxies ultra-massives ont récemment été localisées dans une structure à grande échelle en cours de formation. Par conséquent, selon eux, les effets potentiels de la variance cosmique doivent être soigneusement pris en compte avant de concevoir des modèles. En outre, les galaxies les plus massives situées dans les régions les plus denses de l'Univers peuvent avoir une histoire de formation spécifique, ce qui nécessite des modèles uniques de formation des galaxies pour expliquer comment la formation d'étoiles est effectivement augmentée à un taux significatif dans ces régions. Pour Xiao et ses collaborateurs, des variations dans la fonction de masse initiale pourraient également reproduire les propriétés extrêmes observées dans leur échantillon. Des scénarios doivent encore être étudiés par des observations plus détaillées. Avec une plus grande résolution spatiale et/ou sensibilité, les futures observations spectroscopiques de l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA), du NOrthern Extended Millimeter Array (NOEMA) et du télescope Webb pourraient aider à consolider la nature massive de ces galaxies grâce à des mesures de masse dynamique, et pourquoi pas tester différents scénarios pour leur formation avec l'analyse de la cinématique et de la composition chimique du milieu interstellaire.

 

Source

Accelerated formation of ultra-massive galaxies in the first billion years

Xiao, M., et al.

Nature 635, 311–315 (14 novembre 2024 )

https://doi.org/10.1038/s41586-024-08094-5


Illustration

1. Images des galaxies S1, S2 et S3 (Xiao, M., et al.)

 

14/11/24

Vous n'êtes pas prêts pour la prochaine éruption volcanique massive


Les éruptions volcaniques cataclysmiques sont rares, mais inévitables. Les gouvernements devraient urgemment, non seulement s’efforcer d’enrayer le réchauffement climatique et le déclin de la vie, mais aussi se préparer à d’autres événements extrêmes ayant des répercussions planétaires comme ces éruptions volcaniques de grande ampleur. Markus Stoffel (université de Genève) et ses collaborateurs tirent la sonnette d'alarme dans un article qu'ils publient cette semaine dans Nature, en se fondant sur l’éruption massive du mont Tambora qui a eu lieu en Indonésie en 1815 et en imaginant si cela se produisait aujourd’hui. Vous n'êtes pas prêts...

Au moment de l'éruption du mont Tambora, environ 90 000 personnes sur l'île de Sumbawa et sur l'île voisine de Lombok ont ​​été tuées. L'éruption a ensuite déclenché des vagues d'anomalies météorologiques dans le monde entier, qui ont duré plusieurs années et ont affecté des millions de personnes supplémentaires. L'hémisphère nord s'est refroidi de 1°C en moyenne et l'année suivante a été marquée par l'absence totale d'été. Le temps anormalement froid a persisté jusqu'en 1817 en Amérique du Nord et en Europe, ce qui a entraîné de maigres récoltes. Le doublement des prix des céréales qui s'en est suivi a provoqué des troubles sociaux dans des pays comme la France et le Royaume-Uni, et a plongé les États-Unis dans leur première dépression économique. En Inde, des conditions météorologiques erratiques ont provoqué indirectement une épidémie de choléra, qui s'est ensuite propagée pour devenir une pandémie mondiale en 1817. Selon les chercheurs Gillen D’Arcy Wood et Clive Oppenheimer qui ont étudié l'éruption du Tambora en 2014 et 2015, les répercussions de l'éruption ont entraîné un nombre de morts probablement de plusieurs dizaines de millions de personnes. 

Le monde a été épargné par une éruption volcanique d'une ampleur similaire depuis plus de 200 ans maintenant. Mais aujourd'hui, la question n'est pas de savoir si un tel cataclysme se reproduira, mais plutôt quand ? En effet, les preuves géologiques recueillies sur la période des 60 000 dernières années suggèrent qu'il y a une probabilité de 17% pour qu'une éruption massive similaire à celle du Tombora se produise au cours de ce siècle, comme l'ont révélé Jiamei Lin et ses collaborateurs en étudiant des carottes de glace de l'Antarctique et du Groenland.

Stoffel et ses collaborateurs précisent que si cela devait se produire dans les cinq prochaines années, les coûts seraient colossaux. Selon l'assureur Lloyd's de London, qui a évalué ces risques en mai dernier, dans un scénario extrême, les conséquences économiques pourraient coûter plus de 3600 milliards de dollars la première année et 1200 milliards de dollars de plus les années suivantes, en raison à la fois des effets des conditions climatiques extrêmes, de la baisse des rendements des cultures et de l'instabilité alimentaire.


Ces chiffres sont énormes, mais Stoffel et ses collaborateurs rappellent qu'ils sont entachés de grandes incertitudes. On comprend certes les mécanismes de base de l’influence du volcanisme sur le climat , mais pas les détails précis : le dioxyde de soufre (SO2) est propulsé dans la stratosphère, où il forme des aérosols soufrés qui réfléchissent le rayonnement solaire incident et refroidissent la surface de la Terre. L’ampleur du refroidissement dépend de la quantité, de la distribution verticale et de la taille de ces particules d’aérosols soufrés. Les effets sur les précipitations sont plus difficiles à prévoir, tout comme ceux sur l’agriculture et les marchés économiques. Et par ailleurs, tous ces détails sont affectés par le changement climatique et ont une influence sur lui. La boucle est complexe.

Pour cerner ces incertitudes, Stoffel et al. préconisent une approche en trois volets. Premièrement, les chercheurs doivent associer les modèles et les preuves géologiques des climats passés aux relevés volcaniques historiques. Deuxièmement, ils doivent étudier comment le refroidissement volcanique pourrait interagir avec le réchauffement climatique anthropique. Troisièmement, les scientifiques, les analystes et les décideurs politiques doivent concevoir des stratégies pour minimiser les effets d’une éruption catastrophique, en couplant les modèles climatiques, agricoles et de choc alimentaire.

Les géologues ne disposent malheureusement pas de suffisamment de preuves pour déduire la quantité de soufre qui a été injectée dans l'atmosphère par les volcans au cours de l'histoire, ni les effets de refroidissement de ces derniers. Les satellites ont suivi les émissions de soufre des volcans seulement depuis l'éruption du mont Pinatubo aux Philippines en 1991. Mais celles des éruptions précédentes doivent être reconstituées à partir des dépôts dans les échantillons de carottes de glace de l'Antarctique et du Groenland. Et les traces ne sont visibles que pour les grandes éruptions.

Les modèles permettent ensuite d’estimer la quantité d'aérosols soufrés ayant atteint la stratosphère. Il faut toutefois formuler des hypothèses sur les volumes injectés, la hauteur du panache et la taille des particules d’aérosols. Même pour le cataclysme du Tambora, qui était dix fois plus important que celui du Pinatubo, les niveaux d'aérosols soufrés stratosphériques reconstitués varient jusqu’à un facteur 15 selon les modèles, comme l'ont montré Marshall et al. en 2018.

Et le refroidissement correspondant est également difficile à prévoir. Par exemple, les cinq éruptions massives qui ont libéré le plus de soufre au cours des 1 500 dernières années ont toutes provoqué un refroidissement estival similaire dans l'hémisphère nord (de l'ordre de 1 à 1,5 °C en moyenne pendant 2 à 3 ans), malgré des masses de soufre libérées qui pouvaient différer d'un facteur 3.

Ces incohérences découlent des limites de la compréhension du cycle de vie des aérosols. Par exemple, les éruptions les plus importantes peuvent projeter dans l'atmosphère des particules plus grosses, qui sont moins efficaces pour diffuser le rayonnement et qui retombent de la stratosphère plus rapidement que les plus petites, ce qui entraîne un refroidissement moindre. L’influence du volcanisme sur les événements climatiques régionaux, tels qu’El Niño et les moussons, est également encore mal comprise.

Pour combler ces lacunes, des efforts internationaux de modélisation, tels que le Volcanic Forcings Model Intercomparison Project, sont développés pour étudier les facteurs limitants. Les modèles doivent examiner une gamme de rendements en soufre ainsi que la chimie des aérosols et du soufre. Ils doivent examiner comment les impacts des éruptions varient selon les climats. Et ils doivent mieux assimiler et intégrer les données des carottes de glace, des cernes des arbres et d’autres données sur les climats passés pour améliorer la précision des simulations et des prévisions.


La modélisation des éruptions passées peut nous en dire beaucoup. Mais dans un monde plus chaud, de nombreux processus physiques et chimiques dans l’atmosphère, dans les océans et sur terre changeront également dans les années qui viennent. Par exemple, le réchauffement climatique réchauffe la basse atmosphère et refroidit la stratosphère. Or, l’altération des couches atmosphériques devrait affecter la propagation des panaches volcaniques et la hauteur qu'ils atteignent, et ça va dans le mauvais sens, comme l'ont montré Aubry et al. en 2022 et Chim et al. en 2023...  

Stoffel et ses collaborateurs ajoutent que les changements dans les schémas de circulation affecteront également la propagation et la croissance des aérosols. Par exemple, les flux d'air plus rapides des tropiques vers les latitudes plus élevées, qui sont déjà observés en raison du réchauffement, entravent la coagulation des aérosols issus des éruptions dans les tropiques. Or, les aérosols plus petits diffusent la lumière solaire plus efficacement et refroidissent davantage la surface de la Terre...

Et bien sûr, les océans seront également touchés. Le réchauffement climatique accroît aussi la stratification des océans, ce qui constitue une barrière au mélange des eaux profondes et peu profondes. La conséquence est que les éruptions volcaniques pourraient ainsi refroidir de manière disproportionnée les couches supérieures d'eau et les masses d'air au-dessus de l'océan.

Alors que les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient (fortes précipitations, fonte des calottes glaciaires, élévation du niveau de la mer), les répercussions de l’activité volcanique ne feront donc que s’amplifier. Il est donc essentiel de tenter de les maîtriser dès maintenant. Il devient crucial de comprendre comment les éruptions amplifient ou atténuent le changement climatique anthropique.

Pourtant, aujourd'hui, aucun de ces détails n’est inclus dans les modèles climatiques actuels, qui supposent que le volcanisme du XXIe siècle ressemblera à l’activité passée. Or, l’éruption du Tambora se situe en dehors de la plage des relevés volcaniques historiques de 1850 à 2014 qui alimentent les projections climatiques standard, telles que les résultats du projet d’intercomparaison des modèles couplés utilisés dans le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Ainsi, ces simulations sous-estiment à la fois les effets du volcanisme sur le climat et la fréquence des éruptions volcaniques massives.

Stoffel et ses coauteurs appellent les chercheurs qui développent la prochaine génération de modèles climatiques à intégrer des représentations plus précises du volcanisme. Ils doivent améliorer à la fois les modèles d’éruptions historiques non couvertes par les données satellites, les tendances futures du réchauffement climatique et les processus microphysiques de la stratosphère. Des simulations approfondies de multiples éruptions dans différents scénarios climatiques élargiraient la gamme des impacts pris en compte.

En plus de se produire dans un climat plus chaud, la prochaine éruption de type Tambora se produira dans un monde bien plus interconnecté, qui abritera huit fois plus d’habitants qu’en 1815. Les systèmes agricoles seront soudainement confrontés à des niveaux d’ensoleillement plus faibles, à des températures plus fraîches et à des régimes d’humidité modifiés, le tout en succession rapprochée. Des impacts sociétaux démesurés pourraient s’ensuivre.

Par exemple, Stoffel et ses collaborateurs rappellent que l’éruption du Pinatubo en 1991 a entraîné une baisse de 9 % des rendements mondiaux de maïs et de 5 % de la production de blé, de riz et de soja. Les mauvaises récoltes causées par une éruption plus massive toucheraient simultanément les régions qui constituent le grenier à blé du monde : la Chine, les États-Unis, l’Inde, la Russie et le Brésil, qui produisent ensemble la majeure partie du blé, du maïs, du riz et du soja du monde. La perte de récoltes perturberait la sécurité alimentaire et les chaînes d’approvisionnement mondiales, ce qui pourrait déclencher des troubles, des conflits et des migrations.

Depuis les années 1990, les simulations climatiques sont couplées à des modèles de cultures pour projeter les impacts probables du réchauffement climatique sur les rendements et le commerce des denrées alimentaires. Des ruptures synchronisées de greniers ont été envisagées à la lumière de la fréquence et de l’intensité croissantes des phénomènes météorologiques extrêmes. Pourtant, des analyses comparables manquent pour les éruptions volcaniques, pour lesquelles l’accent est resté sur les effets que des éruptions de moyenne ampleur comme celle du Pinatubo pourraient avoir sur l’agriculture mondiale. Ce manque de recherche laisse les gouvernements et les décideurs politiques dans l’ignorance. Il faut développer au plus vite un couplage entre les projections climatiques les plus récentes et les modèles agricoles pour éclairer cet angle mort, idéalement par le biais d’évaluations des chocs en cascade à fort impact. Les résultats pourraient être utilisés afin d’améliorer la compréhension et de prévoir des changements plus réalistes dans le système commercial alimentaire mondial après des perturbations majeures.


Stoffel et al. reconnaissent qu’une telle approche descendante est imparfaite et que différentes sources d’incertitude peuvent s’intensifier et se propager à chaque étape. Le moment, le lieu et la hauteur du panache de la prochaine éruption cataclysmique ainsi que l’état du climat à ce moment-là resteront imprévisibles. En raison de ces multiples inconnues, on ne peut pas se fier aux cadres conventionnels de type « prévoir puis agir », car ni les prévisions ni les incertitudes ne peuvent être quantifiées avec précision. 

Les chercheurs recommandent une « approche contrefactuelle descendante », qui réimagine les événements passés connus pour construire une vision réaliste des risques futurs. Par exemple, en envisageant une éruption de l’ampleur du Tambora se produisant dans le climat actuel (coïncidant peut-être avec un El Niño), les assureurs pourraient estimer les pertes financières des systèmes connus pour avoir été affectés par des éruptions passées, comme le commerce alimentaire.

Les entreprises concernées et les autres grandes institutions financières devraient également procéder à des tests de résistance de leurs fonds propres pour étudier les conséquences macroéconomiques d'une année sans été, voire plus. 

Une éruption volcanique massive est inévitable un jour ou l'autre, peut-être même l'année prochaine, ou demain. Développer très vite des modèles robustes et des tests de résistance pour un tel événement devrait être une priorité pour les gouvernements, afin que l'humanité soit préparée au mieux à ce futur cataclysme.

On sait que la Chine est déjà en train de faire des énormes réserves de toutes sortes, matières premières et céréales. L’entreprise Sinograin, détenue par l’État, annonçait au début de l’été augmenter encore ses acquisitions de blé pour remplir ses silos. Selon le département américain de l’Agriculture, les réserves de blé et de maïs chinois pourraient représenter, respectivement, 51 % et 67 % des réserves mondiales à la fin de la saison, soit 5 à 10 points de plus qu’en 2018. C'est sans doute une initiative sage, même si on peut penser que ce n'est malheureusement pas par peur des conséquences d'une éruption volcanique massive...


Source

The next massive volcano eruption will cause climate chaos — and we are unprepared

Markus Stoffel et al.

Nature 635 (12  november 2024)

https://doi.org/10.1038/d41586-024-03680-z


Illustrations

1. Le volcan Taal aux Philippines, entré en éruption en janvier 2020. (Domcar C. Lagto/Pacific Press via Zuma Wire)

2. Grandes éruptions historiques avec un impact significatif sur le climat (M. Sigl & M. Toohey PANGAEA, Nature)

3. Vallée recouverte de cendres volcaniques près du mont Pinatubo (Philippines) après son éruption en 1991 (Marc Schlossman/Panos Pictures)

4. Le volcan Sundhnúkur en Islande en juin 2024 (John Moore/Getty)

5. Markus Stoffel (université de Genève)

09/11/24

Les sursauts radio rapides préfèrent les galaxies massives


Les sursauts radio rapides (FRB) sont de brefs éclairs d’ondes radio suffisamment énergétiques pour être observés depuis la Terre même lorsqu’ils proviennent de galaxies lointaines. Bien que la source de ces sursauts soit encore mal cernée, la découverte d’un signal de type FRB émanant d’un magnétar de la Voie Lactée nous a fourni un indice clé en avril 2020. Mais ce FRB galactique était considérablement plus faible que les autres FRB connus, et un autres FRB confirmé provenant lui d’une vieille population d’étoiles a ajouté un autre facteur de confusion, car les magnétars sont des jeunes étoiles à neutrons et très énergétiques. Dans un article publié dans Nature cette semaine, Kritti Sharma (CalTech) et ses collaborateurs rapportent l'étude qu'ils ont effectuée sur les environnements des galaxies d’où proviennent les FRB, et leurs résultats suggèrent que ces sursauts radio pourraient provenir de magnétars créés de manière non conventionnelle...

Entre février 2022 et novembre 2023, Sharma et ses collaborateurs ont déterminé les galaxies hôtes de 26 FRB à l'aide d'un réseau d'antennes appelé le Deep Synoptic Array (DSA-110), situé en Californie.  Connaître la position précise des FRB dans le ciel est crucial pour identifier les galaxies hôtes dans lesquelles ils sont apparus. Bien que des milliers de FRB atteignent la Terre chaque jour (et que des centaines aient été détectés), découvrir un large échantillon de sursauts et mesurer leur position avec suffisamment de précision pour localiser leurs galaxies hôtes reste un défi. En utilisant le DSA-110, Sharma et ses collègues ont pu doubler le nombre de FRB qui ont pu être associés de manière fiable à leur galaxie hôte. Le réseau est actuellement l'un des instruments les plus efficaces pour localiser un grand nombre de FRB, atteignant en moyenne environ une association FRB-galaxie par mois. La localisation précise des galaxies hôtes des FRB est actuellement la seule méthode fiable pour mesurer avec précision les vastes distances parcourues par ces puissants flashs. La capacité à localiser précisément un grand nombre de sursauts est ainsi cruciale pour découvrir les origines de ces signaux cosmiques, ainsi que pour permettre l'utilisation des FRB comme sondes pour étudier les propriétés de l'Univers.

Après avoir ajouté 26 autres galaxies hôtes de FRB issues d'études précédentes, les auteurs ont ensuite sélectionné 30 galaxies de cet échantillon, après avoir exclu celles qui étaient trop éloignées pour une étude détaillée. Cet échantillon réduit confirme que les FRB proviennent généralement de régions où se trouvent de jeunes populations stellaires. 
Cependant, Sharma et al . ont également observé que ces sursauts sont plus susceptibles de provenir de galaxies massives, avec un grand nombre d'étoiles, bien que ces galaxies soient relativement rares dans l'Univers. Et ils montrent que les galaxies plus petites, qui sont beaucoup plus courantes, produisent, en moyenne, moins de sursauts radio que prévu sur la base de leur prévalence. 

Les observations des FRB suggèrent que leurs progéniteurs pourraient être des magnétars, de jeunes étoiles à neutrons provenant principalement de supernovas à effondrement de cœur. Sharma et al . ont calculé la probabilité de trouver un FRB dans une galaxie d'une masse stellaire donnée et ont découvert que la distribution divergeait de celle des supernovas à effondrement de cœur, en particulier à faible masse, sachant que la probabilité des supernovas est cohérente avec la distribution simulée des masses des galaxies pondérées par leur taux de formation d'étoiles.
Les auteurs concluent que la différence pourrait être le résultat de la formation de magnétars par des mécanismes autres que les supernovas à effondrement de cœur « standard », par exemple, après la fusion d'un système d'étoiles binaires.



Ce résultat peut s'expliquer par la métallicité des galaxies, qui correspond à l'abondance d'éléments plus lourds que l'hydrogène et l'hélium. Les galaxies massives ont généralement une métallicité plus élevée que leurs homologues plus petites. Cette préférence pour les galaxies massives aux environnements riches en éléments lourds distingue les FRB des autres phénomènes astronomiques transitoires, qui ont tendance à coexister avec de jeunes étoiles ou à se produire dans des environnements dominés par l'hydrogène et l'hélium. Les environnements riches en métaux peuvent favoriser la formation de progéniteurs de magnétars par fusion stellaire selon les chercheurs, car les étoiles à plus forte métallicité sont moins compactes et plus susceptibles de remplir leurs lobes de Roche, ce qui conduit à un transfert de masse instable. Bien que les étoiles massives n'aient pas d'intérieurs convectifs pour générer des champs magnétiques forts par dynamo, on pense que les restes de fusion ont les champs magnétiques internes requis pour donner naissance à des magnétars. L'occurrence préférentielle de FRB dans les galaxies massives formatrices d'étoiles suggère que c'est une supernova à effondrement de cœur du reste d'une fusion d'étoiles qui forme préférentiellement des magnétars. 

La découverte de Sharma et de ses collègues affaiblit donc le lien potentiel entre les FRB et d'autres types de phénomènes astronomiques transitoires. Et la formation de magnétars par des systèmes binaires pourrait également expliquer l’apparition occasionnelle de FRB dans des régions où les populations stellaires sont plus anciennes, car les systèmes d’étoiles binaires peuvent avoir une durée de vie considérablement plus longue que celle des magnétars isolés.

Certaines différences sont également apparentes dans les distributions des décalages spatiaux au sein des galaxies entre les FRB et les classes de transitoires qui tracent la formation des étoiles. Les décalages des FRB plus importants peuvent être révélateurs des longs retards temporels dans l'apparition des supernovas à effondrement de coeur impliquant des étoiles binaires en interaction (50 à 250 Mégannées contre 3 à 50 mégannées pour une étoile massive isolée), ce qui impliquerait que ces supernovas se produisent de manière substantiellement décalée spatialement par rapport aux sites de naissance des étoiles. Par exemple, si les mouvements stellaires typiques au site de naissance sont d'environ 10 km s-1 et que le temps de retard est de 75 Mégannées, alors le système aurait dérivé de 750 pc avant l'explosion. 
Alternativement, les décalages spatiaux des FRB peuvent également provenir de la contribution de canaux de formation autres que des supernovas à effondrement de coeur, tels que l'effondrement induit par l'accrétion ou l'effondrement induit par la fusion de naines blanches massives et de fusions d'étoiles à neutrons binaires. L'existence de ces canaux de formation de sources de FRB est également indiquée par FRB 20201120E, trouvé dans un amas globulaire. En conclusion, les décalages spatiaux plus importants des FRB peuvent être dus soit au scénario de formation retardée de magnétars par fusion stellaire, soit aux contributions de canaux de formation autres que supernovas de type II. 

Une analyse détaillée de la distribution des temps de retard des FRB par rapport à la formation de leurs progéniteurs stellaires pourrait permettre d'obtenir des informations plus approfondies sur les canaux de formation. On s'attend à ce que les canaux de type AIC/MIC (effondrement par accrétion ou pas fusion de naines blanches) aient des distributions de temps de retard étendues sur plusieurs plusieurs milliards d'années, alors que les supernovas de type II d'étoiles isolées se produisent sur des durées de vie stellaires d'environ 3 à 50 mégannées et que les supernovas de type II des restes de fusion stellaire devraient se produire dans les 50 à 250 mégannées suivant la naissance des composantes stellaires.
L'occurrence préférentielle des FRB dans les galaxies massives en formation d'étoiles est une contrainte qui s'applique à tout modèle de formation de sources de FRB. L'influence de la métallicité sur la formation des sources de FRB pourra aussi être corroborée de manière indépendante à l'aide d'études à venir. 

Étant donné que la formation d'étoiles dans l'Univers primitif se produit principalement dans des galaxies de faible masse et que les galaxies de même masse stellaire à des décalages vers le rouge plus élevés sont moins enrichies chimiquement, la préférence des FRB pour les environnements riches en métaux implique une suppression du canal de formation de source de FRB à des décalages vers le rouge élevés. Cependant, les scénarios proposés pour le FRB répétitif FRB 121102, qui se trouve dans une galaxie de formation d'étoiles naine à faible métallicité, pourraient devenir plus courants à des décalages vers le rouge élevés. Kritti Sharma et ses collaborateurs concluent que si la plupart des FRB sont émis par des magnétars tels que celui observé dans la Voie Lactée (SGR 1935-+2154), leurs résultats favorisent un scénario dans lequel les magnétars seraient généralement formés à partir de supernovas de type II, mais issues du résidu d'une fusion stellaire ayant eu lieu dans une binaire en interaction.

Source

Preferential occurrence of fast radio bursts in massive star-forming galaxies
Kritti Sharma et al.
Nature volume 635 (7 november 2024)
Illustrations

1. Distributions de l'occurrence des FRB et des supernovas à effondrement de coeur en fonction de la masse de la galaxie hôte mesurées par Sharma et al. (Nature)

2. Imagerie en optique/infrarouge des galaxies de l'échantillon étudié (Kritti Sharma et al.)

3. Kritti Sharma

04/11/24

Absence de grosse exoplanète autour de Véga (pour l'instant)


Il n'existe aucune preuve évidente de l'existence d'une ou plusieurs grandes exoplanètes traversant le disque de débris encerclant Véga, l'une des étoiles les plus brillantes du ciel nocturne. C'est la conclusion que fait une équipe d'astrophysiciens qui a observé Véga à la fois avec Hubble et Webb. Ils publient deux articles dans The Astrophysical Journal, chacun avec son télescope spatial.

Véga est une jeune étoile massive située à environ 25 années-lumière dans la constellation de la Lyre. L'étoile est classée comme étant de type A, des étoiles qui ont tendance à être plus grosses, plus jeunes et à tourner beaucoup plus vite que le Soleil. Également connue sous le nom d'Alpha Lyrae, Gliese 721 et HD 172167, Véga a 455 millions d'années et a une masse de deux masses solaires. Elle tourne autour de son axe en 16 heures seulement, soit beaucoup plus vite que le Soleil, dont la période de rotation est de 27 jours. Véga est légendaire car elle a fourni la première preuve de l'existence de matière en orbite autour d'une étoile. Cette hypothèse avait été émise pour la première fois par Emmanuel Kant en 1775. Mais il a fallu attendre plus de 200 ans avant que les premières preuves observationnelles soient recueillies en 1984 autour de Véga. Le satellite d'astronomie infrarouge de la NASA IRAS avait détecté un excès de lumière infrarouge provenant de poussières chaudes. Cela avait été interprété comme une coquille ou un disque de poussière s'étendant sur près de 100 UA à partir de l'étoile. Véga est extrêmement importante dans les études des disques de débris, à la fois pour sa proéminence et aussi parce qu'elle permet la résolution physique la plus élevée parmi tous les systèmes de débris autour de l'étoile.

Dans une nouvelle recherche, Schuyler Wolff, Kate Su (université d'Arizona) et leur équipe ont analysé les images du disque de débris de Véga qui ont été enregistrées par le télescope spatial Hubble et le télescope spatial Webb. 

Avec Hubble, les astrophysiciens ont détecté la lumière diffusée du disque de débris de Véga en utilisant la coronographie profonde du télescope spatial. Ils concluent qu'un halo de petits grains de poussière fournit la meilleure explication du signal observé. Wolff, Su et leur équipe notent que l’architecture du système Véga est très différente de celle d'un système planétaire comme on les connaît. À titre de comparaison, ils mentionnent une étoile proche, Fomalhaut , qui se trouve à peu près à la même distance, au même âge et à la même température que Véga. Mais l'architecture circumstellaire de Fomalhaut est très différente de celle de Véga. Fomalhaut possède trois ceintures de débris imbriquées, et on suppose que des exoplanètes autour de Fomalhaut resserrent gravitationnellement la poussière en anneaux, bien qu'aucune planète n'ait encore été identifiée positivement à ce jour. Étant donné la similitude physique entre les étoiles Véga et Fomalhaut, on peut se demander pourquoi Fomalhaut semble avoir pu former des planètes et Véga non. Quelle est la différence ? Est-ce l'environnement circumstellaire ou l'étoile elle-même qui a créé cette différence ? Ce qui est étonnant, c'est que c'est pourtant la même physique qui est à l'œuvre dans les deux cas. Contrairement à Fomalhaut, les chercheurs montrent qu'il n'y a pas de distinction claire en lumière diffusée entre la ceinture planétésimale parente observée avec ALMA et le halo de poussière étendu. Il apparaît que la répartition de la poussière dans le disque de débris de Véga est stratifiée car la pression de la lumière de l'étoile pousse les grains les plus petits plus rapidement que les grains les plus gros.

L'imagerie coronographique du système Vega avec Hubble permet de conclure les points suivants : 
  • Vega semble avoir un halo très étendu dans la lumière diffusée détectée entre 80 et 208 UA. Le niveau élevé de dispersion dans un disque de face indique une population importante de petits grains (<3 μm). La forme de ce halo semble suivre le grand halo étendu observé dans l'émission thermique dans l'infrarouge (de 24 μm jusqu'à 500 μm),
  • Bien qu'on avait pensé que les systèmes de débris de Vega et de Fomalhaut étaient jumeaux, en lumière diffusée, ils apparaissent en fait très différents. Autour de Fomalhaut, la lumière est confinée à l'étroite ceinture de débris extérieurs, tandis qu'autour de Vega il existe une distribution beaucoup plus étendue. Cette différence dans la structure du disque de débris suggère une différence dans l'architecture des systèmes planétaires autour de ces étoiles : les planètes peuvent être absentes ou avoir des propriétés très différentes dans la région extérieure du système de Véga.
  • La population de poussière observée peut provenir d'un taux très élevé de collisions dans la ceinture extérieure du système, mais les détails de son origine ne sont pas certains.

Webb voit quant à lui la lueur infrarouge d'un disque de particules de la taille de grains de sable tourbillonnant autour de l'étoile bleu-blanc qui est 40 fois plus brillante que le Soleil. Su, Wolff et leurs collaborateurs ont enregistré des images du disque de débris planétaires de Véga à des longueurs d'onde de 15,5, 23 et 25,5 μm avec l'instrument MIRI de Webb, en mode coronographe, toujours, pour masquer l'éclat de l'étoile. Le système de débris apparaît remarquablement symétrique et lisse, et centré avec précision sur l'étoile. Il y a en outre un large anneau analogue à la ceinture de Kuiper entre 80 et 170 UA de Véga, qui coïncide avec la ceinture planétésimale qui avait été détectée par ALMA à 1,34 mm de longueur d'onde. 
L'intérieur de la large ceinture apparaît rempli de débris chauds qui brillent dans l'infrarouge moyen, avec un creux de flux peu profond à 60 UA de l'étoile. Selon les chercheurs, ces caractéristiques s'opposent à toute  planète de la masse de Saturne qui serait en orbite autour de l'étoile à plus de 10 UA environ, en supposant que la planète invisible serait intégrée dans le très large disque planétésimal. 
L'imagerie coronographique du système Vega avec Webb permet de conclure les points suivants : 
  • Le disque externe défini comme s'étendant entre 10″ et 22″ autour de Véga (∼78 − 170 UA) correspond directement à la large ceinture planétésimale observée par ALMA où les collisions actives entre les planétésimaux restants génèrent continuellement de petits grains de poussière par le biais de cascades de collisions. Une fois que les grains nouvellement générés deviennent suffisamment petits, la pression de radiation intense de Véga les pousse sur des orbites hautement elliptiques ou hyperboliques, formant un halo de disque étendu pouvant atteindre des centaines d'UA. 
  • Le disque interne, défini comme la zone inférieure à 4″ de l'étoile, présente un comportement de profondeur optique accru, contrairement à la région de transition entre la ceinture planétésimale externe et le disque interne. Le creux apparent dans toutes les images MIRI se trouve dans la région de transition, représentant la zone de profondeur optique la plus faible à l'intérieur de la ceinture planétésimale externe.
  • En utilisant une modélisation paramétrique simple sur les profils radiaux du disque interne et une photométrie infrarouge bien calibrée pour contraindre la température de la poussière interne, un bord interne à environ 3 à 5 UA de l'étoile est indirectement déduit. Ce bord intérieur se trouve bien en dehors du rayon de sublimation de la poussière pour les compositions de poussière réfractaire typiques, et le place physiquement séparé de la composante chaude en excès qui avait été détectée par des mesures interférométriques antérieures dans le proche infrarouge. Selon les chercheurs, la limite intérieure des débris chauds pourrait indiquer l'existence d'une planète à moins de 3 UA, qui aurait une masse inférieure à celle de Neptune et qui guiderait ce bord.

Pour Wolff, Su et leurs collaborateurs, cela montre qu'il n'existe pas de planètes dont la masse serait au moins égale à celle de Neptune et qui circuleraient sur de grandes orbites, comme dans notre système solaire ou d'autres.  
Les structures des disques de débris sont depuis longtemps reconnues comme un outil de détection indirecte des exoplanètes, en particulier celles dont la masse est inférieure à celle de Neptune et qui se trouvent à l'extérieur de la zone des planètes géantes (10 UA), et pour lesquelles les méthodes de détection des planètes par mesure de vitesse radiale, transit et imagerie directe ne sont pas sensibles. L'extrême circularité et la régularité de la morphologie du disque de Véga indiquent qualitativement qu'il n'y a pas de planètes massives de la masse de Saturne à plus de 10 UA de l'étoile, car on s'attend à ce que de telles planètes révèlent leur existence à travers la déformation du disque (centre décalé par rapport à l'étoile et asymétries azimutales).

Pour repousser encore plus loin les limites, Wolff, Su et leur équipe ont effectué des simulations numériques pour modéliser la distribution des débris à l'intérieur de la ceinture planétésimale externe (∼90 UA de l'étoile). Ils en déduisent que le taux de collisions ne devrait pas être élevé à l'intérieur de la ceinture externe. Ils montrent que les débris dans la région interne pourraient provenir de particules de poussière produites dans la ceinture planétésimale externe et migrer vers l'intérieur sous l'effet de l'entraînement de Poynting-Robertson. Un creux de flux peut se former dans ce cas près du bord intérieur de la ceinture planétésimale en raison de la combinaison de forts effets de température et de taux de dérive différentiels sur les tailles de grains, sans invoquer la présence d'une planète. Les chercheurs explorent également dans quelle mesure des planètes invisibles dans cette région créeraient des déviations détectables dans le disque dominé par la traînée. Ils constatent qu'une planète de masse supérieure à 6 M⊕ sur une orbite circulaire à 65 UA (comme suggéré pour maintenir le bord intérieur de la ceinture planétésimale détectée par ALMA) induirait des structures intérieures asymétriques et perturberait le bord intérieur de la ceinture planétésimale (ce qui n'est pas observé).

Des recherches futures incluant toutes les données disponibles et un traitement de collision approprié valideront la nature de l'émission de débris internes et imposeront des contraintes plus strictes sur la masse de la ou des planètes qui pourraient être responsables des caractéristiques observées du disque de Véga.


Sources

Deep Search for a scattered light dust halo around Vega with the Hubble Space Telescope
Schuyler G. Wolff, et al.
accepté pour publication dans The Astrophysical Journal

Imaging of the Vega Debris System using JWST/MIRI
Kate Y. L. Su et al.
accepté pour publication dans The Astrophysical Journal

Illustrations

1. Le disque de débris de Véga imagé par le télescope Webb (NASA / ESA / CSA / STScI / S. Wolff, University of Arizona / K. Su, University of Arizona / A. Gáspár, University of Arizona.)

2. Le disque de débris de Véga imagé par le télescope Hubble (NASA / ESA / CSA / STScI / S. Wolff, University of Arizona / K. Su, University of Arizona / A. Gáspár, University of Arizona.

3. Description du disque de Véga imagé par Webb (Kate Y. L. Su et al.)

3. Kate Su