Vous en avez certainement entendu parler cette semaine, vu le buzz médiatique que produit toujours la détection d'impulsions radio jamais vues auparavant en provenance de notre galaxie, avec son lot de qualificatifs pour le moins sensationnalistes. Mouais..., on va donc expliquer de quoi il s'agit, et non, ce ne sont pas des appels désespérés des amis de Jean-Pierre à grands yeux noirs et grosses têtes chauves. L'étude est parue dans Nature Astronomy.
Depuis quelques années, plusieurs observations ont révélé des bouffées rares et jusqu'alors inconnues d'ondes radio d'une durée allant de quelques millisecondes à quelques minutes, avec une périodicité de quelques minutes à une heure. Ces signaux radio transitoires proviennent de sources situées dans la Voie lactée typiques de processus d'émission cohérente dans un plasma astrophysique. On suppose généralement qu'ils sont produits dans les environnements extrêmes et hautement magnétisés entourant les naines blanches ou les étoiles à neutrons. Mais l'origine astrophysique de ces signaux reste controversée, et plusieurs modèles de progéniteurs pourraient être nécessaires pour expliquer leurs diverses propriétés.
Iris de Ruiter et ses collaborateurs ont découvert l'origine d'une de ces sources radio transitoire, qui est nommée ILT J1101 + 5521. Ses impulsions ont une durée d'environ une minute et nous arrivent avec une périodicité de 125,5 minutes.
ILT J1101 + 5521 a été découvert lors d'une recherche de transitoires sur le ciel entier du réseau basse fréquence (LOFAR) (LOFAR Two-Metre Sky Survey, LoTSS 1 ), afin de détecter des transitoires radio sur des échelles de temps allant de quelques secondes à quelques heures. Une seule impulsion radio brillante de ILT J1101 + 5521 avait été détectée par LOFAR dans les données du 8 février 2015, à l'aide d'images instantanées de 8 s. De Ruiter et ses collaborateurs ont détecté six impulsions supplémentaires dans d'autres données d'archive de LOFAR . Cela leur a permis de mieux localiser la source de cette émission radio, à une ascension droite (AD) (J2000) de 11 h 1 min 50,5 s ± 1,9 s et une déclinaison (déc.) (J2000) de +55° 21′ 19,6″ ± 0,39″, ce qui donne en coordonnées galactiques (150,4551° ± 0,0004°, 55,5200° ± 0,0001°). On a donc désormais sept impulsions radio d'une durée comprise entre 30 s et 90 s, avec des densités de flux maximales allant de 41 ± 6 à 256 ± 10 mJy dans cinq observations de 8 heures couvrant la période 2015 à 2020. Une nouvelle campagne de surveillance LOFAR de 16 heures, menée fin 2023, n'a donné lieu à aucune détection supplémentaire.
De Ruiter et ses collaborateurs utilisent les temps d'arrivée des impulsions pour déterminer une solution de synchronisation connectée en phase et trouvent une période de 125,52978 ± 0,00002 min. De plus, ils obtiennent également une limite supérieure sur la dérivée de période de 1,711 × 10 −11 s-1.s . Les impulsions ont un cycle d'activité de 2 %, et l'intermittence des impulsions combinée aux non-détections dans les observations de 2023 indique que la source est intrinsèquement de nature très variable. Les radioastronomes détectent en effet une impulsion dans 7 des 26 périodes observées.
Il est notable que les impulsions sont visibles sur toute la gamme observée de fréquences radio (120–168 MHz). Pour l'impulsion la plus brillante de l'échantillon, l'indice spectral de l'impulsion est extraordinairement raide et les chercheurs déterminent l'indice spectral α = −4,1 ± 1,1, avec Sν ∝ να , où Sν est la densité de flux et ν la fréquence d'observation. De plus, pour l'impulsion la plus brillante de l'échantillon, la fraction de polarisation linéaire est de 51 ± 6 % pour une mesure de rotation de Faraday (RM) de 4,72 ± 0,14 rad m-2 . Aucune émission polarisée circulairement n'est détectée dans les impulsions, avec une limite supérieure de <1,6 % sur la fraction de polarisation circulaire pour l'impulsion la plus brillante.
Les archives de l'expérience VLITE (Low-Band Ionosphere and Transient Experiment) du Very Large Array (VLA) ont également été consultées par les chercheurs pour les impulsions de ILT J1101 + 5521, mais aucune impulsion supplémentaire n'y a été trouvée. En outre, des observations simultanées du télescope à rayons X Swift (XRT) ont été réalisées pendant les observations LOFAR de 2023, ce qui a permis d'établir une limite supérieure de la luminosité des rayons X.
Et c'est une recherche dans les ensembles de données archivées de multi-longueurs d'onde sur les coordonnées de ILT J1101 + 5521 qui a donné lieu à la découverte d'une correspondance avec une étoile cataloguée dans le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), nommée J110150.52 + 552119.9, dont la position dans le catalogue Gaia DR3 est décalée de 0,44″ par rapport à ILT J1101 + 5521, mais dans l'incertitude astrométrique de la position radio dérivée de ILT J1101 + 5521 (erreur de ±(1,9″, 0,39″)). Selon les chercheurs, la probabilité que la source optique s'aligne avec ILT J1101 + 5521 par hasard est extrêmement faible (environ 1 chance sur 10 000) en raison de la faible densité stellaire aux hautes latitudes galactiques. La distance géométrique à cette étoile, d'après les données Gaia est de 504 +148/-109 pc.
De Ruiter et son équipe montrent que ILT J1101 + 5521 est un système binaire naine rouge-naine blanche dont la période orbitale correspond à celle des impulsions radio observées lorsque les deux étoiles sont en conjonction. Le suivi spectroscopique a en effet déterminé que l'étoile a une variation substantielle de la vitesse radiale d'environ 200 km s-1 . Une sinusoïde simple décrit bien les données, indiquant une orbite binaire proche de la circulaire. Les chercheurs ont ensuite ajusté deux sinusoïdes aux données, l'une où tous les paramètres d'ajustement sont non liés et l'autre où ils ont fixé la période à la période de 125,5 min des impulsions radio. Il n'y a aucune différence significative dans la qualité de l'ajustement entre les deux ajustements, ce qui montre clairement que la période des impulsions radio est liée à la période binaire.
En supposant une période orbitale stable égale à la période des impulsions radio, De Ruiter et al. constatent que ces impulsions sont toutes émises lorsque la naine rouge est en conjonction supérieure par rapport à la naine blanche. Autrement dit, lorsque la naine rouge est vue derrière et alignée avec la naine blanche du point de vue d'un observateur terrestre. Compte tenu de la faible probabilité d'alignement aléatoire, de la concordance entre la dispersion des impulsions radio et la distance à l'étoile, et de la périodicité des impulsions radio égale à la période orbitale de cette étoile, De Ruiter peuvent conclure avec une quasi certitude que ILT J1101 + 5521 est un système binaire dont l'une des composantes est une étoile naine de type M.
Ensuite, en utilisant la mesure de l'amplitude de la vitesse radiale, les chercheurs appliquent la fonction de masse binaire pour contraindre la masse de la naine blanche en fonction de l'inclinaison orbitale. La fonction de masse binaire dépend de la masse de naine blanche WD, de la masse de la naine M, de l'angle i de l'inclinaison de l'orbite binaire, de la période orbitale, et de la vitesse radiale observée de la naine rouge. De Ruiter et ses collègues supposent une masse de 0,188 M⊙ pour la naine rouge (c'est le résultat de l'ajustement photométrique à large bande), une période de 125,5 min et une amplitude de vitesse radiale de 98 ± 14 km s-1 . Ils trouvent que pour une compagne naine blanche plus massive que 0,2 M⊙ , l'inclinaison du système doit être inférieure à 40°. Or, dans l'échantillon connu de binaires naine blanche-naine rouge en interaction, la naine blanche a généralement une masse supérieure à 0,6 M⊙. Et les données étendues montrent que, pour des masses de naines blanches supérieures à 0,25 M⊙, le point d'équipotentielle gravitationnelle entre les deux étoiles (rayon du lobe de Roche) serait égal au rayon stellaire de la naine rouge.
OK. On a donc un système binaire naine blanche-naine rouge très serré, avec des étoiles probablement en interaction. Mais comment ce système peut-il produire les émissions radio transitoires observées ?
Tout d'abord, De Ruiter et ses coauteurs montrent que les impulsions radio observées de ILT J1101 + 5521sont incompatibles avec l'émission radio stellaire à basse fréquence typique des naines rouges en termes de luminosité (de cinq ordres de grandeur) et aussi en termes de propriétés polarimétriques. Par conséquent, ils concluent que l'émission radio provient de la naine blanche ou bien de l'interaction entre la naine blanche et la naine rouge. Ensuite, ils montrent que la fraction de polarisation linéaire est élevée, ce qui indique la présence de champs magnétiques fortement ordonnés, ce qui est souvent trouvé autour des naines blanches. Il faut se rappeler que les binaires naine blanche-naine rouge avec une naine blanche hautement magnétique sont les seuls systèmes avec les étoiles à neutrons dont l'émission d'impulsions radio cohérentes est confirmée. AR Scorpii et J1912–4410 sont des exemples de binaires à naines blanches qui présentent une émission radio périodique, avec des périodes d'impulsion de l'ordre de quelques minutes et des périodes orbitales d'environ 4 h.
De Ruiter et son équipe ont retrouvé un modèle évolutif prometteur pour les naines blanches magnétiques dans les étoiles binaires qui avait été publié en 2021 par Schreiber et al. Ce modèle repose sur l'apparition tardive d'un champ magnétique élevé, potentiellement dû à une dynamo entraînée par la cristallisation et la rotation. Un fort champ magnétique de naine blanche peut se connecter au champ de la naine rouge et fournir un couple de synchronisation sur le spin de la naine blanche. On pense notamment que AR Scorpii et J1912–4410 sont aux premiers stades du processus de synchronisation. La période orbitale plus courte d'ILT J1101 + 5521 (comparée à AR Sco et J1912) indique que le système binaire serait au stade dit "polaire", où le processus de synchronisation est terminé et la naine rouge remplit à nouveau son lobe de Roche. Cela implique que pour ILT J1101 + 5521, la période de spin de la naine blanche s'est synchronisée avec la période orbitale.
Pour les systèmes polaires, l'intensité du champ magnétique de la naine blanche doit augmenter à plus de ~10 MG selon une étude théorique de 2008 (Ramsay et al.). La formation d'un disque d'accrétion est dans ce cas supprimée, mais l'accrétion se produit directement sur le pôle magnétique de la naine blanche. Les polaires entrent dans des états avec peu ou pas d'accrétion, et pendant ces périodes, le système apparaît comme un système naine blanche plus naine M pratiquement détaché. Et il se trouve qu'aucune accrétion soutenue ne semble se produire pour ILT J1101 + 5521 d'après l'absence d'émission de rayons X. Le flux typique de rayons X dans les phases d'accrétion brillantes des polaires est d'environ 5 × 10-13 erg cm-2 s-1, comparé à la limite supérieure en rayons X de Swift pour ILT J1101 + 5521 qui est de 5,1 × 10-14 erg cm-2 s-1.
De plus, la présence d'accrétion perturberait probablement la création d'une émission radio cohérente similaire aux systèmes de pulsars millisecondes à transition d'état. Une période de 125 min avec un donneur de type spectral M comme observé pour ILT J1101 + 5521 se situe donc bien dans la population des polaires. Les polaires typiques ont une masse de naine blanche d'environ 0,6 M⊙ et des températures effectives de naine blanche inférieures à 11 000 K. La température de la naine blanche dans ILT J1101 + 5521 est probablement plus basse ( T eff entre 4 500 K et 7 500 K), indiquant un système plus évolué par rapport à l'échantillon connu.
Le mécanisme exact qui produit l'émission radio reste inconnu, mais, étant donné la configuration polaire, il semble plus naturel que nous observions une émission radio pulsée due à des effets de faisceau. Ici, on observe le système dans une certaine géométrie (une conjonction supérieure, lorsque la naine rouge est vue alignée avec et se trouve derrière la naine blanche) une fois par cycle orbital, en regardant effectivement vers le bas un faisceau d'émission radio. Dans ce cas, la nature hautement intermittente d'ILT J1101 + 5521 (on rappelle que des impulsions sont observées sur un quart des orbites observées) pourrait s'expliquer selon les chercheurs par une forte variation de la luminosité de l'émission radio cohérente, similaire à ce qui a été proposé pour les transitoires radio en rotation . L'indice spectral abrupt des impulsions radio les plus brillantes indique que le spectre pourrait être similaire à la coupure drastique qui est observée pour l'émission instable de maser cyclotron électronique (ECMI). L'émission ECMI pourrait donc expliquer l'émission radio d'ILT J1101 + 5521 puisque le couplage magnétique entre la naine rouge et la naine blanche est confirmé pour les systèmes polaires. De faibles éruptions radio polarisées circulairement d'une minute ont notamment été observées dans les systèmes polaires à hautes fréquences. On pense que ces éruptions se produisent en raison de l'émission ECMI qui est causée par la naine rouge se déplaçant à travers la magnétosphère de la naine blanche. Mais l'émission radio d'ILT J1101 + 5521 est tout de même clairement distincte, car elle est observée à des fréquences beaucoup plus basses et les impulsions sont beaucoup plus brillantes et fortement polarisées linéairement. Les auteurs indiquent que certaines de ces différences pourraient être expliquées en invoquant une version relativiste de l'émission ECMI .
Bien que le bilan énergétique soit tel que la luminosité radio observée pourrait provenir de la rotation de la naine blanche, De Ruiter et ses collaborateurs soutiennent que le scénario le plus probable est que l'émission radio provienne de l'interaction de la naine rouge avec le champ magnétique de la naine blanche. Alternativement, l'émission radio pourrait aussi être déclenchée par la reconfiguration du champ magnétique ou, dans un scénario plus exotique, provenir de l'accrétion de matière sur le pôle magnétique de la naine blanche à des taux d'accrétion très faibles. Bizarrement, les chercheurs n'évoquent pas une origine technologique de petits gris à grands yeux noirs et grosse tête chauve...
Aucune des sources radio transitoires à longue période détectées précédemment n'a de compagne binaire connue, et la périodicité des impulsions est supposée provenir de la période de spin d'une étoile à neutrons ou d'une naine blanche. ILT J1101 + 5521 est ainsi la première source radio à longue période dont l'identité binaire est confirmée et la seule dont la compagne est une naine blanche confirmée. De plus, il a été démontré dans cet article que les impulsions radio de ILT J1101 + 5521 se produisent à la période orbitale et au moment de la conjonction stellaire . ILT J1101 + 5521 révèle qu'il existe probablement plusieurs progéniteurs capables de produire des impulsions radio à longue période.
Ce qui est sympa, c'est la latitude galactique élevée de ILT J1101 + 5521 : elle va faciliter son étude par des observations multi-longueurs d'onde. Cela permettra d'étudier plus en détail la géométrie exacte de ce système binaire, les propriétés des deux étoiles , et in fine, les mécanismes d'émission détaillés qui sont en jeu.
Source
Sporadic radio pulses from a white dwarf binary at the orbital period
I. de Ruiter,et al.
Nature Astronomy (12 march 2025)
https://doi.org/10.1038/s41550-025-02491-0
Illustration
1.Signaux radio détectés en fonction du temps (I. De Ruiter)
2. Iris De Ruiter