29/08/13

Mesurer le Champ Magnétique d'un Trou Noir Supermassif à l'aide d'un Magnétar, c'est Possible!

Les ondes électromagnétiques  polarisées linéairement et qui passent à travers une champ magnétique subissent ce qu’on appelle une rotation de Faraday : le vecteur polarisation acquiert un mouvement de rotation, dont l’intensité, qui est appelé la MR (mesure rotationnelle) dépend bien sûr de l’intensité du champ magnétique, mais aussi de la densité d’électrons, de la distance traversée, et des constantes classiques que sont le nombre pi, la masse et la charge de l’électron et la vitesse de la lumière.

Il se trouve que l’émission radio qui est associée au trou noir supermassif du centre galactique, Sgr A*, possède la MR la plus énorme qu’on connaisse de toutes les sources de la galaxie ; elle vaut -5 105 rad.m-2. On pense qu’elle est produite par une colonne de gaz chaud magnétisé depuis le flux d’accrétion tombant dans le trou noir.
Mais la rotation de Faraday que subit l’émission radio de Sgr A*, qui doit traverser toute la colonne de gaz en accrétion, est dominée par les plus petites échelles. Pour pouvoir mesurer la magnétisation du disque d’accrétion aux échelles les plus externes, d’autres source radio polarisées sont nécessaires.


Les pulsars sont bien sûr des candidats idéaux. Je vous ai déjà parlé ici de l’utilisation d’un pulsar en orbite autour de Sgr A* pour étudier le champ gravitationnel. Et bien, ils peuvent donc également être utilisés pour étudier le champ magnétique, c’est ce qu’on fait des astrophysiciens grâce à la découverte d’un magnétar très proche de Sgr A*, qui se nomme PSR J1745-2900, et qui se trouve à moins de 35 années-lumière du centre galactique.
Son émission radio montre une très forte polarisation linéaire, ce qui permet d’en étudier facilement sa rotation de Faraday. Cette a été mesurée sur trois radiotélescopes différents, et la valeur de MR obtenue n’est ni plus ni moins que la plus importante, après celle de Sgr A*.

Les astrophysiciens parviennent à en déduire la distance à laquelle se trouve le plasma magnétisé à l’origine de la rotation de Faraday, à moins de 100 années-lumière du trou. Grâce à cette valeur, ils cherchent ensuite à calculer la valeur du champ magnétique, évidemment. Mais pour cela ils ont eu besoin d’informations supplémentaires sur le gaz en présence. Il y a en fait deux sous-populations de gaz de différentes températures dans cette zone. Ils trouvent finalement une valeur du champ magnétique qui serait de l’ordre de 2,6 mGauss à une distance de 0,12 parsecs (0.4 A.L) du trou.

Or, comme il s’agit d’un disque d’accrétion, la densité et le champ magnétique sont sensés croître plus le rayon est petit, plus on s’approche de l’horizon du trou. La modèle de l’émission de Sgr A* dit qu’il doit produire un champ magnétique compris entre 30 et 100 Gauss pour expliquer le rayonnement synchrotron qui a lieu au niveau de l’horizon.

Il suffit d’appliquer une simple évolution de l’intensité du champ magnétique en inverse de la distance, ce que dit la théorie, pour trouver que le passage de 0.12 parsec, qui est égal à 300000 fois le rayon de l’horizon du trou noir (pourtant déjà grand), à 1 ou 2 fois le rayon, donne un champ magnétique de plusieurs centaines de Gauss… ce qui est tout à fait cohérent avec la plupart des modèles d’accrétion, où une équirépartition de l’énergie magnétique, cinétique et gravitationnelle dans le gaz accrété est supputée…


Référence :
A strong magnetic field around the supermassive black hole at the centre of the Galaxy
R. P. Eatough et al.
Nature (2013) 20 August 2013



28/08/13

Découverte de la plus Vieille Etoile Jumelle du Soleil et Résolution d'un Mystère

Voilà une toute nouvelle découverte, une belle découverte astrophysique comme on les aime. L'annonce d'un résultat important par une équipe brésilienne avait été faite il y a une semaine. Le buzz était là. Et le résultat à la hauteur.

Ces messieurs-dames travaillant avec le Very Large Telescope situé sur les sommets Chiliens viennent de trouver une étoile jumelle de notre Soleil, complètement identique, sauf qu'elle est âgée de 8,2 milliards d'années, soit environ 4 milliards d'années plus vieille que le Soleil. La recherche d'étoiles jumelles du soleil plus jeunes ou plus vieilles est très importante car elles nous donne une image de ce à quoi ressemblera le soleil dans quelques temps. Il faut se rappeler qu'on ne l'observe scientifiquement que depuis 400 ans, c'est à dire rien du tout...

Cette étoile jumelle s'appelle HIP 102152, elle est située à seulement 250 années-lumière de nous, et localisée dans la constellation du Capricorne sur la voûte céleste. De très bons spectres de sa lumière ont pu être acquis avec le spectrographe UVES du VLT et révèlent sa très grande similitude avec le soleil. Pour bien comprendre si le soleil est vraiment particulier, l'équipe à étudier non seulement cette nouvelle vieille jumelle, mais aussi une autre jumelle connu auparavant et connu surtout pour être, elle, plus jeune que notre chère boule de chaleur, 18 Sco, âgée seulement de 2,9 milliards d'années.

Schéma des étoiles jumelles du soleil (ESO)
HIP 102152 est la plus vieille jumelle du soleil jamais identifiée. Un des grands mystères qui vient peut-être d'être enfin compris concernait la teneur en Lithium du Soleil. Ce dernier montre en effet un grand déficit en Lithium par rapport à l'abondance qui devait être celle du milieu dans lequel il s'est formé. Rappelons que le lithium est le troisième élément de la table de Mendeleiev et qu'il s'est formé dans l'univers primordial avec l'hydrogène et l'hélium.
Les astronomes brésiliens et leurs collègues d'un peu partout ont donc regardé la quantité de lithium qu'il y a dans les étoiles de type Soleil, en fonction de leur âge, à partir de 18 Sco, du Soleil et de HIP 102152. 
Et ils trouvent une très forte corrélation entre le taux de lithium et l'âge de l'étoile! La "jeune" en a bien plus que le Soleil, et la "vieille" en a bien moins... La conclusion paraît de fait évidente : les étoiles consomment leur lithium...

Et ce n'est pas encore tout... L'étude de HIP 102152 montre qu'elle possède un autre déficit en certains autres éléments, tout comme le Soleil, mais pas comme de nombreuses autres étoiles. Or ce sont précisément les éléments qu'on retrouve dans les corps rocheux qui gravitent autour du soleil (météorites, planètes rocheuses, ...). Les astrophysiciens concluent que cette vieille jumelle doit elle aussi posséder des planètes rocheuses en orbite...


source : 

ALMA Découvre la Beauté des Cocons d'Etoiles

Des astronomes chiliens, américains et allemands ont découvert une vue magnifiquement incandescente de matière s’échappant à grande vitesse d’une étoile nouvelle-née. Ils ont utilisé pour cela le réseau de radiotélescopes le plus performant au monde actuellement : ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array). En observant dans la longueur d’onde du monoxyde de carbone, l’objet répertorié Herbig-Haro 46/47, ils ont découvert que ses jets de matière sont beaucoup plus énergétiques que ce qu’on pensait auparavant. De plus, cette toute nouvelle image montre un nouveau jet jusqu’alors inconnu qui pointe dans une toute autre direction.
Les étoiles très jeunes sont des objets violents qui éjectent de la matière à des vitesses furieuses (de l’ordre du million de kilomètres par heure…). Et quand cette matière se choque contre le nuage de gaz qui se trouve à proximité, il se produit une émission de lumière, ce qu’on appelle un objet de Herbig-Haro.


HH 46/47 vu par ALMA/NTT  (ESO/NAOJ/NRAO)/H. Arce)
George Herbig et Guillermo Haro ont été les premiers à étudier en détail les spectres de ces objets étranges qui portent aujourd’hui leur nom. Ce sont eux qui ont compris qu’il ne s’agissait pas simplement de la lumière réfléchie sur du gaz ou de la poussière mais qu’il s’agissait de chocs de matériel éjecté à très haute vitesse dans les régions de formation d’étoiles.
Herbig-Haro 46/47 est un exemple spectaculaire du phénomène, il est situé à 1400 années-lumière, dans la constellation australe de Vela.

Ces résultats à paraître dans The Astrophysical Journal ont été obtenus dans les toutes premières périodes d’exploitation de ALMA, alors même que toutes les antennes n’étaient pas encore fonctionnelles, en à peine cinq heures de temps.



ALMA vu du ciel

Les nouvelles images révèlent des détails très fins des deux jets principaux, l’un pointant vers nous, et l’autre s’en éloignant. Le gros apport de ALMA c’est qu’il a permis de mesurer la vitesse de déplacement des jets.
Le système observé paraît similaire à la plupart des étoiles de faible masse en cours de formation, mais en même temps, il est aussi inhabituel parce que le flux de matière impacte le nuage de gaz sur un côté de l’étoile, et s’en échappe de l’autre côté. Et cela en fait de fait un excellent exemple pour étudier l’impact des vents stellaires sur le nuage de gaz d’où s’est formée l’étoile qui en est à l’origine.

Le nouveau jet qu’ont pu découvrir les chercheurs sur ces images se trouve quasi à angle droit des deux principaux.  Il semble qu’il existe une étoile compagnon à proximité qui produirait ce jet, c’est la meilleure explication à ce jour.

Les astronomes prédisent déjà, au vu de ces résultats, que ALMA sera à même de complètement révolutionner le domaine de la formation des étoiles…


Référence :

23/08/13

Les Etoiles Vacillent pour nous Dire leur Taille

Les étoiles scintillent. Ça vous en avez probablement tous fait l’expérience. Mais le scintillement que nous pouvons tous voir, et qui permet d’ailleurs de différentier les étoiles  des planètes (qui elles ne scintillent pas à cause de leur diamètre apparent beaucoup plus important que les points stellaires), le scintillement que nous voyons, disais-je est dû aux mouvements de l’atmosphère qui produisent quantités de variations d’indice de réfraction de l’air et autant de variation de l’intensité de la lumière qui nous parvient.

Mais quand les satellites observent la lumière des étoiles en orbite, comme le télescope Kepler (R.I.P), alors qu’ils ne devraient pas être gênés par les effets de l’atmosphère, observent encore une scintillation, une variation rapide de l’intensité de la lumière…  Cette très faible scintillation est propre à l’étoile.
Une équipe d’astrophysiciens exploitant les données de Kepler vient de montrer qu’à partir des variations très rapides d’une étoile observées, qu’ils appellent le flicker, qu’on peut traduire par vacillement ou papillotement, on peut en déduire la valeur de sa gravité de surface.
Evolution de la luminosité d'une étoile type (F. Bastien et al., Nature)
 Et c’est d’importance, car connaissant le champ gravitationnel d’une étoile, si on connait par ailleurs sa température de surface ainsi que sa composition, il est facile d’en déduire sa taille. Et dans le cas où il s’agit d’étoiles munies d’exoplanètes, comme on évalue toujours la taille des planètes par rapport à la taille de leur étoile, la connaissance du rayon de l’étoile donne immédiatement la valeur du rayon de la ou des planètes qui y orbitent…
Mais revenons un peu sur comment nos chers astrophysiciens en sont arrivé là. Il faut savoir que les étoiles peuvent être très variables dans la lumière qu’elles émettent. Une grande part de ces variations est due aux oscillations mécaniques de l’enveloppe des étoiles, ce qui est étudié par l’astérosismologie (voir La musique desétoiles). Elles peuvent également provenir par exemple de la rotation de grandes taches stellaires le long du disque. Mais ces variations d’intensité se déroulent sur des grandes plages de temps, des heures ou des jours.
En observant de très près grâce à la finesse que pouvait obtenir le télescope Kepler, en enregistrant les variations de luminosité au cours du temps avec une excellente résolution temporelle, Fabienne Bastien de l’Université Vanderbilt dans le Tennessee et ses collègues qui publient leurs résultats cette semaine dans Nature, montrent qu’il existe une variation très rapide, sur une échelle de temps inférieure à huit heures et qui vient se superposer sur tous les autres types de variations.

feu le télescope Kepler
Or, il se trouve que l’astérosismologie permet  de déterminer la gravité de surface de certaines étoiles. Bingo. Parmi les étoiles observées par Bastien et al., certaines possédaient des données asterosismologiques, on connaissait leur accélération g.

En mettant en regard l’intensité du vacillement observé et la valeur de la gravité de surface g, ils montrent qu’il existe une très bonne corrélation entre les deux.
Cette corrélation permet maintenant de déterminer des valeurs de g  à partir du vacillement avec une précision inférieure à 25%, ce qui représente une vraie prouesse car meilleure d’un facteur deux à trois par rapport aux méthodes antérieures.

L’origine de ce vacillement semble provenir de la granulation stellaire. La granulation, qui est bien observée sur le soleil, est produite par le phénomène de convection, quand de l’énergie est transportée dans les couches externes. Il se forme alors des zones convectives de relativement petite échelle où s’alternent en variant dans le temps des zones claires et sombres. Les auteurs de l’article montrent que plus les variations de luminosité sont grandes, plus g est faible, ce qui se traduit par une granularité de plus grande échelle.

Les études sur le vacillement vont se poursuivre dans les Teraoctets de données Keplériennes qu’il reste à dépouiller. Même si Kepler ne fournira plus de nouvelles données, cette nouvelle méthode proposée sera de toute façon appliquée sur les données des futurs chasseurs d’exoplanètes comme l’américain TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) qui devrait être mis en orbite en 2017 , ou l’européen PLATO (Planetary Transits and Oscillations of Stars) un peu plus tard…




Source :
An observational correlation between stellar brightness variations and surface gravity
Fabienne A. Bastien et al.
Nature 500, 427–430 (22 August 2013)


19/08/13

Indices Indirects de Matière Noire dans les Bulles de Fermi

Il y a presque un an, je vous racontais ce qu’étaient les bulles de Fermi, ces vastes zones du ciel situées de part et d’autre du plan de notre galaxie, et qui ont la particularité de former des sortes de lobes, des bulles, d’où sont émis une quantité de rayons gamma, ainsi que du rayonnement micro-onde.
Ces bulles s’étendent environ jusqu’à une latitude de 50 degrés au-dessus et en dessous du plan galactique. L’énergie des rayons gamma que l’on y trouve s’étend entre 1 GeV et 100 GeV et est bien plus grande que l’émission gamma qu’on peut trouver dans le disque de notre galaxie.

La question de l’origine de ces bulles émissives a suscité de longs débats depuis quelques années maintenant. Le modèle qui semble le plus à même d’expliquer ce que l’on voit est basé sur le  phénomène de diffusion Compton inverse : des électrons très énergétiques diffusent sur des photons de faible énergie (typiquement des photons du domaine visible ou infra-rouge) en leur fournissant une grande part de leur énergie cinétique. Les photons sont ainsi boostés vers des hautes énergies,  devenant des photons gamma.

Schéma des bulles de Fermi.
Une étude venant de paraître dans Physics of the Dark Universe s’est penchée à nouveau sur les caractéristiques des photons gamma en provenance de ces bulles de Fermi, notamment en découpant les zones par tranches de latitude. Et des surprises sont apparues...
Aux latitudes supérieures à 30 degrés, tout se passe comme prévu par le modèle de diffusion Compton inverse, le spectre en énergie reflète très bien le modèle impliquant des électrons de l’ordre du GeV ou du TeV diffusant sur les photons du fond diffus ainsi que sur des photons de lumière stellaire.

En revanche, pour des latitudes plus basses, plus près du centre galactique donc, une telle origine leptonique pour le rayonnement gamma observé ne peut plus l’expliquer à elle seule. Un pic dans le spectre en énergie apparaît à quelques GeV. Et aucune solution fondée sur des interactions de rayons cosmiques de types protons ne permet non plus de produire un tel spectre gamma…

Il se trouve qu’il y a un autre endroit où un spectre similaire est observé, c’est dans la région entourant de très près le centre galactique. Les différentes solutions qui avaient été proposées pour expliquer cet excès de photons gamma sont d’une part de l’annihilation de matière noire, d’autre part une population de pulsars millisecondes ou encore des interactions de rayonnement cosmique avec le gaz interstellaire. 
Dans leur article, les chercheurs américains montrent que ce qui est observé à basse latitude jusque 20 degrés n’est rien d’autre que la continuité de ce qui est vu au niveau du centre galactique. Les caractéristiques sont extrêmement proches.
Diagramme de l'annihilation des WIMPs (Columbia University)
Il s’agit d’une émission qui s’étend donc jusqu’à environ 10000 années-lumière du centre de notre galaxie. Et la morphologie du signal est cohérente avec une origine d’annihilation de matière noire distribuée selon un certain profil (un profil de Navarro-Frenk-White généralisé, mais passons…).

La forme spectrale du signal est quant à elle conforme à une annihilation de WIMPs de 10 GeV en deux leptons tau-antitau, ces deux leptons produisant ensuite les photons gamma observés secondairement. Mais elle est aussi conforme avec une WIMP de 50 GeV qui s’annihilerait en deux quarks. Dans les deux cas, le calcul de la section efficace d’annihilation que font les auteurs d’après le nombre de photons gamma observés donne une valeur qui est tout à fait comparable avec celle qui est couramment admise pour une relique thermique du Big Bang comme les WIMPs sont sensées l’être…

Quant aux deux autres solutions ? Et bien les physiciens états-uniens indiquent qu’il serait très étonnant de trouver des myriades de pulsars milliseconde aux hautes latitudes, étant donné qu’il n’existe pas de population stellaire correspondante, quant aux interactions de rayonnement cosmique sur le gaz, on peut l’oublier aussi, trop loin, trop peu… Il n'y aurait donc plus qu'une seule et unique solution, mais au choix : 10 GeV ou 50 GeV...


Source : 
Two emission mechanisms in the Fermi Bubbles: A possible signal of annihilating dark matter
D. Hooper et al.
Physics of the Dark Universe Volume 2, Issue 3, September 2013, Pages 118–138

07/08/13

Entre la Nova et la Supernova, la Kilonova

Une observation effectuée avec le télescope spatial Hubble vient de mettre en évidence pour la première fois que les bouffées de rayons gamma de très courte durée étaient produites par la fusion de deux objets compacts hyper-denses. Ces objets sont probablement une paire d'étoiles à neutrons ou bien une étoile à neutrons et un trou noir.
C'est en observant dans l'infra rouge paradoxalement, que les astrophysiciens ont réussi à montrer pour la première fois qu'il s'agissait en fait d'un phénomène appelé Kilonova. Une kilonova était prédite pour accompagner les GRB ultra courts (moins d'une seconde). Le phénomène est environ 1000 fois plus brillant qu'une nova, d'où son nom. Une nova, comme vous vous en souvenez, est une éruption d'une naine blanche. Mais une kilonova bien que beaucoup plus brillante, est tout de même 10 à 100 fois moins brillante que supernova typique, qui est une explosion d'étoile massive.

Illustration du modèle de fusion d'objets compacts produisant des GRB . (NASAESA, and A. Field (STScI))
Les bouffées de rayons gamma (GRB en anglais) ultra-courtes génèrent parfois une rémanence faible dans le visible ou le proche infra-rouge., qui peut elle durer de quelques heures à quelques jours. 
Le modèle le plus abouti prédisait que de telles bouffées ultra-courtes étaient issues du crash de deux objets compacts, mais aucue observation n'avait encore pu étayer cette théorie. 

L'opportunité se présenta aux astronomes le 3 juin dernier quand le télescope spatial Swift prit en flagrant délit un GRB extrêmement brillant, GRB 130603B, situé dans une galaxie éloignée de 4 milliards d'années lumière. La bouffée gamma en elle même dura un dixième de seconde, mais fut environ 100 millliards de fois plus brillante que le flash kilonova.
La rémanence dans le visible fut détectée avec le télescope William Hershel des îles Canaries.
A peine quelques jours après, du temps d'observation put être obtenu sur le télescope spatial Hubble et ce dernier chercha dans la direction du GRB les 12 et 13 juin, et trouva un objet rouge et faible. Trois semaines plus tard, une nouvelle observation indiqua une nette décroissance de luminosité montrant clairement qu'il s'agissait d'une explosion.
Images de GRB 130603B obtenues à deux semaines d'intervalle avec Hubble (NASA/HST)
En plus de confirmer la nature des GRB ultra-courts, cette découverte à deux autres implications importantes : la première concerne l'origine de plusieurs éléments chimiques comme l'or et le platine, qui restait mal comprise. Or, les kilonovae sont prédites pour être de grosses productrices de ces éléments lourds, qui sont expulsés lors de l'explosion dans l'espace environnant, avant de se retrouver dans la génération suivante d'étoiles et de planètes qui tournent autour.
La seconde implication est que comme les fusions d'objets compacts sont connus pour être de très fortes sources d'ondes gravitationnelles selon la relativité générale, il suffit de chercher des phénomènes de type kilonova pour regarder de près ce qui s'y passe en termes d'ondes gravitationnelles, ce qui facilite grandement la tâche, plutôt que de les chercher un peu au hasard sur la voute céleste...

Source :
Nature, 3 august 2013

01/08/13

Dark Side (of the WIMPs) : une Belle Expérience

C'est une belle et ambitieuse manip. Elle s'appelle Dark Side 50. Son but : détecter des WIMPs, des particules formant la matière sombre, si elles existent. Dark Side 50 est actuellement en cours d'installation dans le temple de la physique souterraine, le LNGS, Laboratoire du Gran Sasso, en Italie, où elle va cotoyer de nombreuses autres manips de recherche directe de matière noire...
La collaboration Dark Side est formée à la fois d'européens et d'américains, ce qui est relativement rare dans le milieu de la recherche des WIMPs, première innovation. 

Mais les plus grosses innovations sont technologiques, bien sûr. Outre le fait que le tunnel du Gran Sasso a été sélectionné pour lieu de résidence avec ses 3600 mètres d'équivalent eau de roche de couverture contre les muons cosmiques pour obtenir le bruit de fond le plus bas possible, la technologie qui a été choisie est parmi les plus prometteuses du moment, à savoir une chambre à projection temporelle (une TPC dans l'acronyme international), mais utilisant de l'argon liquide et gazeux, en lieu et place du déjà utilisé par ailleurs xénon : 50 kg d'argon.
Schéma de la TPC de Dark Side 50
Les WIMPs, en interagissant dans l'argon liquide, doivent produire un signal de scintillation (observée dans la phase liquide) et d'ionisation, récupéré dans l'argon gazeux. 

Mais comme toute manip de recherche d'événements ultra rares, le soucis est le bruit de fond de la radioactivité naturelle, et notamment, spécifiquement pour Dark Side, ce ne sont pas vraiment les isotopes qui produisent des rayonnements gamma qui vont être le problème, puisque la technologie des TPC à argon diphasique permet une très bonne discrimination des signaux produits par des gammas et les signaux produits par des reculs de noyaux (ce qui est recherché). Non, le soucis majeur est justement ce qui peut produire des reculs de noyaux similaires à ceux produits par des WIMPs. Et ce qui peut créer ce type d'événements, ce sont les neutrons.

Il existe en fait deux sources distinctes de neutrons dans une manip comme Dark Side située dans les profondeurs d'une montagne : d'une part des neutrons dits radiogéniques, et d'autre part les neutrons cosmogéniques.
Les neutrons radiogéniques sont les neutrons qui sont issus de la décroissance radioactive de certains éléments présent en infimes quantités dans les matériaux formant ou entourant les détecteurs (de l'uranium par exemple).
Les neutrons cosmogéniques, eux, ont une énergie plus grande et sont produits par des réactions secondaires des quelques muons cosmiques qui parviennent quand-même à traverser la montagne des Apennins et à arriver jusqu'au détecteur.

La nouveauté technologique que Dark Side 50 va déployer pour contrer ces neutrons est l'utilisation d'un double véto actif : les neutrons vont être détectés avant (ou après) avoir produit une interaction parasite dans le détecteur. Pour ce faire, le système de détection forme une véritable poupée russe gigantesque : la chambre contenant l'argon est placée au centre d'une citerne contenant un scintillateur liquide à base de bore, où les neutrons radiogéniques interagissent avec le bore, ce qui produit secondairement de la lumière qui est détectée. Ainsi, si un signal typique de WIMP est enregistré en même temps (ou presque) qu'un signal dans le scintillateur boré, alors il ne sera pas enregistré.
Schéma des vétos actifs anti-neutrons de DS 50.

Second véto actif, troisième niveau de notre poupée russe : le détecteur de neutrons qui contient la TPC est lui-même plongé dans une autre grosse citerne de 11 m de diamètre, qui, elle, contient juste de l'eau, et des détecteurs de lumière bien sûr. Le but de cette citerne, outre que l'eau arrête très bien les neutrons, est de détecter le passage de muons cosmiques, qui pourraient aller produire des neutrons (cosmogéniques) dans le détecteur. Les muons en passant dans l'eau vont produire de la lumière par effet Cherenkov. Là encore, si un signal lumineux est observé dans la citerne d'eau en même temps qu'un signal type WIMP dans la chambre TPC à Argon, alors ce dernier ne sera pas comptabilisé...

Les manips concurrentes utilisent dans de nombreux cas des vétos actifs, notamment pour la détection du passage de muons, mais jamais aussi élaborés et pouvant véritablement évaluer précisément le bruit de fond des neutrons.

Mais Dark Side propose de pousser même un peu plus loin l'innovation dans la sélection des matériaux utilisés pour la construction du détecteur, les matériaux devant bien sûr être le plus radiochimiquement pur. Les physiciens américains de la collaboration ont proposé d'utiliser de l'argon souterrain au lieu d'argon atmosphérique. Effectivement, il existe des sources d'argon en sous-sol, notamment aux Etats-Unis. La différence est que dans l'atmosphère, il existe un isotope de l'argon, l'argon-39, qui est radioactif, naturellement produit par bombardement de neutrons dans la haute atmosphère. L'argon existant en profondeur, lui, est exempt de cet isotope gênant. Enfin, surtout gênant pour les puristes des astroparticules, parce que la radioactivité générée par l'argon-39 est de 1 becquerel par kilogramme, ce qui est absolument dérisoire à notre échelle... Mais cela permettra à la manip d'être parfaite jusque dans son cœur de poupée russe.

Le début d'opération de Dark Side 50 a eu lieu début 2013. La sensibilité attendue de cette belle expérience est de l'ordre de 2.10-45 cm² pour des WIMPs de 100 GeV en 3 ans de comptage, ce qui serait bien meilleur que ce qu'ont pu atteindre de nombreuses expériences concurrentes...

En savoir plus :

Site de la collaboration Dark Side :http://darkside.lngs.infn.it/