mardi 25 juin 2024

Les gros trous noirs détectés par leurs ondes gravitationnelles ne sont pas des trous noirs primordiaux


Les détecteurs d'ondes gravitationnelles ont révélé une population de trous noirs massifs (plusieurs dizaines de masses solaires) qui ne ressemblent pas à ceux observés dans la Voie lactée et dont l'origine est débattue. Selon une explication possible, ces trous noirs pourraient s'être formés à partir de fluctuations de densité dans l'Univers primitif : des trous noirs primordiaux. Ils devraient alors constituer une majeure partie de la matière noire. Si de tels trous noirs existaient dans le halo de matière noire de la Voie Lactée, ils seraient à l'origine d'événements de microlentille gravitationnelle sur des échelles de temps de plusieurs années. Une équipe d’astrophysiciens vient de montrer ses résultats de recherche de microlentilles dans le Grand Nuage de Magellan sur une plage de 20 ans. Aucun événement de lentille à grande échelle de temps n’est observé, donc pas de trous noirs massifs…


dimanche 23 juin 2024

Jean-Dominique Cassini n'a pas découvert la Grande Tache Rouge de Jupiter en 1665


La Grande Tache Rouge de Jupiter est le vortex connu le plus grand et le plus ancien de toutes les planètes du système solaire, mais sa durée de vie est débattue et son mécanisme de formation reste mal compris. On dit souvent que c'est Jean Dominique Cassini qui l'a découverte en 1665, mais aujourd'hui, des astronomes démontrent que ce qu'a observé Cassini à l'époque n'est pas la Grande Tache Rouge d'aujourd'hui, mais un autre anticyclone. Ils publient leur étude dans Geophysical Resarch Letters.

Ce qu'on appelle la Grande Tache Rouche de Jupiter, c'est un vortex anticyclonique géant qui comprend deux régions principales, observées aux longueurs d'onde optiques : un ovale rouge (la tache proprement dite) et une zone blanchâtre externe qui l'entoure, plus étendue le long de sa partie nord, et connue sous le nom de "Creux" ("Hollow"). Sa visibilité change en fonction du contraste avec les nuages ​​environnants et se manifeste parfois comme un seul ovale clair, couvrant les deux zones. Les mesures du vent à partir des mouvements des nuages ​​montrent que le bord du Hollow délimite la limite de la circulation associée au vortex.

La présence d'un ovale sombre à la latitude de la grande tache rouge, connu sous le nom de "Tache Permanente" qu'avait remarquée Jean Dominique Cassini en 1665 a par la suite été observé jusqu'en 1713, mais aucune autre mention n'y a été faite au delà par les astronomes jusqu'à la fin du 18ème siècle. Ce n'est qu'en 1831 que l'on retrouve des traces d'observations de ce qui ressemble à la Grande Tache Rouge actuelle.

Afin de clarifier la relation entre la Tache Permanente (TP) et la Grande Tache Rouge (GTR), Agustín Sánchez-Lavega (université du Pays Basque) et ses collaborateurs ont effectué une analyse approfondie de toutes les observations disponibles de la TP et de la GTR, jusqu'au XXe siècle. Ils ont étudié la mesure année par année de leur taille, de leur ellipticité, de leur surface et de leurs mouvements, ainsi que ceux de la zone du Hollow entourant la GTR, et ce depuis les premières observations disponibles et jusqu'en 2023. Cette étude étend et complète des résultats précédents sur le sujet par Beebe et Youngblood (1979), Rogers (1995) et Simon et al. (2018). 

Sánchez-Lavega et son équipe montrent à partir des observations historiques de l'évolution de la taille et des mouvements qu'il est peu probable que la TP corresponde à le GTR. La TP a été signalée pour la première fois par Cassini et d'autres astronomes en juillet-septembre 1665. Et il est possible que la TP ait été observée encore plus tôt par Bandtius, le 2 novembre 1632, qui rapportait la présence d'un ovale d'environ un septième de la taille du rayon de Jupiter. La TP a ensuite été observée par Cassini et d'autres en 1667, 1672, 1677, 1685-1687, 1690-1691, 1694, 1708, et a été signalée pour la dernière fois en 1713 par Maraldi. Cela indique que la durée de vie de la TP était d'au moins 81 ans. Dans toutes ces observations, aucune couleur n’est mentionnée. Mais une peinture de Jupiter en 1711 montre de manière intrigante la TP  avec une teinte rouge, rappelant la GTR actuelle.

Aucun rapport d'observation de la TP ni aucun signe de sa présence n'existent dans les observations de Jupiter entre 1713 et 1831, une période d'environ 118 ans. L'examen des dessins de Jupiter d'astronomes renommés de l'époque comme Messier en 1769, Herschel en 1778, Schroeder en 1785-1786, montre des ceintures et des taches isolées, mais en aucun cas une TP ou une tache similaire à sa latitude. Pour Sánchez-Lavega, il serait surprenant que, si elle existait encore, aucun des astronomes de l'époque n'ait signalé la TP. Compte tenu de la petite taille de la TP dans les dessins de 1672 à 1692, il est fort probable que ce manque d'observations sur une période aussi longue signifie que la TP avait en fait disparue. Les premiers dessins montrant la signature de la GTR actuelle, remontent quant à eux à 1831, et les dessins des années 1870-1871 la montraient comme un ovale clair bien défini entouré d'un anneau elliptique sombre. Cet ovale est devenu rougeâtre et entouré par le "Creux" entre 1872 et 1876. La première photographie disponible montrant une GTR proéminente a été obtenue en 1879. La GTR actuelle existe donc avec certitude depuis au moins 193 ans.

Les chercheurs ont ensuite mesuré la taille de la TP, de la GTR et du Creux, de 1665 à aujourd'hui. La longueur de la TP est 2 à 3 fois plus petite que celle de la GTR de 1879. La longueur de la GTR a diminué au fil du temps à un rythme moyen de -0,18°/an (207 km/an) (augmentant ces dernières années à -0,3°/an). La GTR a connu une augmentation transitoire de sa longueur de 1927 à 1939 à un rythme de +0,07°/an (80 km/an), lorsqu'elle a englouti les nuages ​​d'une importante perturbation tropicale qui s'est développée à l'époque. Le Hollow a suivi un taux de réduction moyen similaire de -0,20°/an (230 km/an). Malgré l'imprécision inhérente à la mesure des dessins du 17ème siècle, la TP semble également montrer une diminution similaire en longueur. Pour les chercheurs, l'extrapolation en fonction du temps par un ajustement polynomial de la diminution de la GTR suggère fortement que la TP n'est pas la  GTR. La TP aurait dû croître régulièrement entre 1713 et 1879 à un rythme de +0,14°/an (160 km/an) pour devenir la GTR. Cela est hautement improbable puisque aucun rapport d'observation de grande tache n'existe au cours de cette longue période et, de plus, aucune croissance continue et soutenue de la taille n'a jamais été signalée dans les vortex de Jupiter.

Dans le sens méridional, la GTR a progressivement diminué sa largeur depuis 1879 à un rythme moyen de -0,03°/an (36 km/an). A noter que cette réduction s'est accélérée depuis 2010 à -0,17°/an et actuellement, le GTR a à peu près la même largeur que le TP. En supposant que la GTR et le Hollow sont des ellipses à demi-axes (a, b), leur excentricité a diminué de 0,92 en 1879 à 0,6 en 2023, c'est-à-dire que les deux deviennent des ovales de forme plus arrondie. Leur aire A=πab a diminué approximativement linéairement et si cette réduction persiste, cela pourrait conduire à l'un des deux cas suivants : la disparition totale de la GTR (comme ce fut le cas de la TP), ou bien l'atteinte d'une taille stable à longue durée de vie. Les chercheurs notent également que l'excentricité et la superficie de la GTR actuelle sont similaires à celles de la TP. 


En ce qui concerne la vitesse, la dérive de vitesse zonale qui avait été observée sur  la TP variait d'environ -10 à -6 m/s alors que celle de la GTR est de -4 à -1 m/s. Cette différence de vitesse peut être due à un décalage de latitude de leurs centres de 1° maximum (par rapport au profil de vent zonal de fond), ou bien être intrinsèque et liée à leurs propriétés dynamiques, ou à une combinaison des deux. Cette vitesse différente est en tous cas un autre argument  indiquant que la TP n'est pas la GTR.

Guidés par ces observations historiques et les données récentes sur la GTR, Sánchez-Lavega et ses collaborateurs ont effectué des simulations numériques de différents mécanismes dynamiques qui auraient pu conduire à la genèse de la GTR. Ils explorent trois scénarios plausibles : une "super-tempête", la fusion de chaînes de vortex plus petits que la GTR, ou sa naissance sous la forme d'une cellule allongée (une proto-GTR) générée par une perturbation des vents zonaux cisaillés méridionalement.

Les résultats de ces simulations, indiquent que les mécanismes de super-tempête et de fusion, bien qu’ils génèrent un seul anticyclone, sont peu susceptibles d’avoir formé la GTR. Les deux phénomènes n’ont jamais été observés à la latitude de la grande tache rouge et, s’ils s’étaient produits, les astronomes de l’époque l’auraient signalé. La cellule allongée, à rotation lente, en revanche, rappelle les premières observations de la GTR au milieu du XIXe siècle, avec cet ovale très allongé. Le mécanisme STrD, qui est une perturbation atmosphérique courante à cette latitude de Jupiter, semble plus plausible pour avoir généré une proto-GTR, selon les chercheurs. Ils expliquent par ailleurs qu'un mécanisme similaire pourrait avoir été à l'origine de la formation des autres grands anticyclones de Jupiter situés entre deux jets plus au sud à 33°S. Enfin, la comparaison de la vitesse de rotation du précurseur de la GTR prédite par les modèles, avec les mesures récentes de la circulation de la GTR effectuées par les missions spatiales, indique que la GTR a augmenté sa vitesse de rotation à mesure qu'elle rétrécissait, acquérant cohérence et compacité, et formant le vortex actuel plus rond.

Il apparaît ainsi que la Grande Tache Rouge n'a pas plus de 360 ans, mais plus modestement environ 200 ans et est en fin de vie. L'étude de Sanchez-Lavega et ses collègues exclut que la GTR se soit formée par la fusion de vortex ou par une super tempête, mais indique qu'elle s'est très probablement formée à partir d'une perturbation d'écoulement entre les deux jets zonaux dans l'atmosphère de Jupiter, opposés entre sa zone nord et sa zone sud. Si tel est le cas, la grande tache aurait dû avoir une faible vitesse tangentielle à sa naissance, qui n'aurait cessé d'augmenter au fil du temps à mesure que sa taille diminuait. Elle finira par disparaître dans quelques décennies, comme la tache ovale qu'avait observé Jean Dominique Cassini sous Louis XIV.

Source

The Origin of Jupiter's Great Red Spot
Agustín Sánchez-Lavega et al.
Geophysical Research Letters (16 June 2024)

Illustrations

1. La Grande Tache Rouge imagée 
2. Dessins et photographies de la TP et de la GTR : a) Cassini le 19 Janvier 1672; b) S. Swabe le 10 Mai 1851; c) Photo par A. Common le 3 Septembre 1879: d) Photo de l'Observatoire Lick le 14 Octobre 1890.
3. Jupiter et sa grade tache imagée en infra-rouge par le télescope Webb (NASA)
4. Agustín Sánchez-Lavega 

vendredi 21 juin 2024

Observation de la précession de la croûte d'une étoile à neutrons


Hercules X-1 est un pulsar à rayons X situé à environ 7 kpc de la Terre. Son émission varie sur trois échelles de temps distinctes : l'étoile à neutrons tourne sur elle-même toutes les 1,2 s, elle est éclipsée par sa compagne toutes les 1,7 jours, et le système présente une période superorbitale mystérieuse de 35 jours, qui est restée stable depuis sa découverte. Aujourd’hui, une équipe d’astrophysiciens vient de trouver une explication convaincante pour cette oscillation du signal de rayons X. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

mardi 18 juin 2024

Un quasar mature découvert avec Webb 670 mégannées post Big Bang


L'analyse du spectre infrarouge d'un quasar ancien (un objet quasi-stellaire alimenté par un trou noir) suggère que les trous noirs supermassifs et leurs mécanismes d'alimentation étaient déjà complètement matures lorsque l'Univers avait 5 % de son âge actuel (environ 760 mégannées). Une équipe de chercheurs a en effet trouvé un quasar énergisé par un trou noir de 1,5 milliards de masses solaires à un redshift de 7,08 et ils publient leur découverte dans Nature Astronomy

vendredi 14 juin 2024

Une grande fraction de galaxies spirales à redshift élevé révélées avec le télescope Webb


Des astrophysiciens ont trouvé davantage de galaxies spirales semblables à la Voie Lactée dans l'univers jeune, à un redshift compris entre 0,5 et 4, de quoi se gratter la tête une nouvelle fois. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

mardi 11 juin 2024

Rencontre possible entre la Terre et un nuage interstellaire dense il y environ 2 millions d'années


Une étude qui vient de paraître dans Nature Astronomy montre que le système solaire aurait pu traverser un nuage interstellaire froid il y a environ 2 millions d'années, avec des conséquences importantes sur le climat et le rayonnement cosmique reçu sur la Terre.
 

samedi 8 juin 2024

Découverte de l'étoile à neutrons la plus lente jamais détectée


Une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir l'étoile à neutrons la plus lente jamais détectée grâce aux réseaux de radiotélescopes MeerKAT et ASKAP. Elle a une période de rotation de 54 minutes. L'étude est parue dans Nature Astronomy.

Manisha Caleb (Université de Sydney) et ses collaborateurs recherchaient un sursaut radio rapide dans la zone d'un sursaut gamma (GRB 221009A) lorsqu’ils ont repéré par hasard ce signal radio clignotant lentement dans les données. ASKAP J1935+2148, c'est son nom, est située à une distance de 16000 années-lumière, à l'ascension droite 19 h 35 min 05,126 s ± 1,5″ et à la déclinaison +21° 48′ 41,047″′ ± 1,5″, ce qui est par coïncidence à seulement 5,6′ du célèbre magnétar SGR 1935+2154, et se trouve au bord du reste de supernova dans lequel SGR 1935+2154 est centré. L'observation a duré environ 6 h, révélant 4 impulsions lumineuses d'une durée de 10 à 50 s dans les images. L'inspection des courbes de lumière des impulsions a révélé une période d'environ 54 minutes. Etonnamment, ASKAP J1935+2148 qui est très probablement une étoile à neutrons, affiche trois états d'émission distincts, chacun avec des propriétés totalement différentes des autres Les transitoires radio de longue période de ce type constituent une classe émergente d’événements astrophysiques extrêmes dont seulement trois spécimens sont connus aujourd'hui, avec ce dernier spécimen. Ces objets émettent des impulsions cohérentes et hautement polarisées d’une durée généralement de quelques dizaines de secondes et de périodes de quelques minutes à environ une heure. 

Bien que des naines blanches magnétiques et des magnétars, isolés ou dans des systèmes binaires, aient été invoqués pour expliquer ces phénomènes, aucun consensus clair ne s'est dégagé. Ce nouveau cas, ASKAP J1935+2148, a une période de 53,8 minutes exactement. Ses 3 états d'émission distincts sont premièrement un état d'impulsions brillants avec des impulsions hautement polarisées linéairement avec des largeurs de 10 à 50 secondes ; deuxièmement : un état d'impulsions faibles qui est environ 26 fois plus faible que l'état brillant avec des impulsions hautement polarisées circulairement d'une largeur d'environ 370 millisecondes ; et enfin, troisièmement un état de repos ou d'extinction sans impulsions. Il a été observé que les deux premiers états évoluent progressivement au cours d'une période de 8 mois, l'état éteint étant intercalé entre eux, suggérant des changements physiques dans la région produisant l'émission.

Caleb et ses collaborateurs montrent que la contrainte sur le rayon de la source pour la période observée exclut une origine de naine blanche magnétique isolée. Contrairement aux autres sources à longue période, ASKAP 1935+2148 présente des variations marquées dans les modes d'émission qui rappellent fortement  les étoiles à neutrons. Mais selon les chercheurs, ses propriétés radio remettent en question notre compréhension actuelle de l’émission et de l’évolution des étoiles à neutrons.


Une estimation de la mesure de dispersion du signal radio n’a malheureusement pas été possible en raison de la résolution temporelle grossière de 10 s. Mais Caleb et ses collaborateurs quantifient la polarisation des impulsions et trouvent une polarisation linéaire supérieure à 90 %, ce qui implique des champs magnétiques fortement ordonnés, avec une mesure de rotation de Faraday de +159,3 ± 0,3 rad m-2. En comparaison, la mesure de la rotation de Faraday de SGR 1935+2154 est d'environ +107 rad m−2

Les temps d'arrivée de toutes les impulsions détectées par ASKAP et MeerKAT ont été utilisés pour déterminer la période P et la dérivée de la période P°. Caleb et ses collègues trouvent une valeur de 3225,313 ± 0,002 s pour P et une limite supérieure sur la dérivée de la période, P°, inférieure à 1,2 ± 1,5 × 10-10 s.s-1. L'emplacement d'ASKAP J1935+2148 dans l'espace des paramètres P-P°, qui est fréquemment utilisé pour classer différents types de pulsars, est cohérent avec d'autres sources connues à longue période. ASKAP J1935+2148 réside en fait dans la "vallée de la mort" des pulsars, là où aucun signal radio détectable n'est attendu, ce qui remet en question les théories actuellement acceptées sur l'émission radio associée au ralentissement de la rotation des étoiles à neutrons (spin-down).

En supposant une origine d'étoile à neutrons, la période et la limite supérieure de la dérivée de période correspondent à une intensité de champ magnétique de surface de quelques 1016 G et à une luminosité de rotation de quelques 1026  erg s-1, pour une configuration de champ magnétique dipolaire, un angle d'inclinaison magnétique de 90° et un moment d'inertie de 1045 g.cm². On ne sait pas pourquoi un magnétar posséderait encore un champ magnétique aussi important à ce stade de son évolution. Alors que ASKAP J1935+2148 est assez semblable à GLEAM-X J1627−5235 et à GPM J1839−10, en revanche, la luminosité radio observée d'ASKAP J1935+2148 est beaucoup plus grande que la luminosité déduite du spin-down, ce qui suggère que des mécanismes d'émission alternatifs doivent être impliqués pour expliquer ces transitoires radio de longue période.

Et, pour les chercheurs, les divers états d'émission de cet objet rare offrent des informations précieuses sur les processus magnétosphériques et les mécanismes d'émission, montrant des similitudes avec les pulsars PSR J1107−5907, PSR B0823+26 et PSR B2111+46. Mais ils constatent que l'explication de l'émission radio via la production de paires au sein de magnétosphères dipolaires présente des défis considérables. Ils notent cependant qu'un champ magnétique important peut alimenter l'émission radio observée via la dissipation d'énergie qui serait due aux événements de reconnexion magnétique, ou bien à la détorsion des lignes de champ due au mouvement plastique de la croûte de l'étoile à neutrons.

Des simulations de synthèse de population intégrant divers paramètres tels que les masses, les rayons, les fractions de rayonnement et le champ magnétique montrent que seul un nombre limité d'émetteurs radio à longue période provenant d'étoiles à neutrons devraient exister dans la Galaxie. Alors que les naines blanches magnétiques ont été considérés comme responsables de l'émission radio observée dans des deux autres sources radio à longue période (GLEAM-X J1627−5235 et GPM J1839−10), cette solution est exclue pour ASKAP J1935+2148. Pour Caleb et ses collaborateurs, il est beaucoup plus probable qu’ASKAP J1935+2148 soit un magnétar ou une étoile à neutrons à période ultra longue, isolés ou bien dans un système binaire, même si ses caractéristiques posent des questions sur les modèles actuels des étoiles à neutrons.

Source

An emission-state-switching radio transient with a 54-minute period

M. Caleb et al.

Nature Astronomy (5 june 2024)

https://doi.org/10.1038/s41550-024-02277-w


Illustrations

1. Localisation avec ASKAP de la source J1935+2148, image centrée sur le magnétar galactique SGR +1935+2154 (Caleb et al.)

2. Graphe de la dérivée de la période en fonction de la période montrant la position singulière de ASKAP J1935+2148 (Caleb et al.)

3. Marisha Caleb


mercredi 5 juin 2024

L'étonnant minisatellite bilobé de l'astéroïde Dinkinesh


Dinkinesh est un petit astéroïde en orbite autour du Soleil près du bord intérieur de la ceinture principale d'astéroïdes à une distance du Soleil de 2,19 UA. A partir des observations de la sonde Lucy à moins de 450 km de l’astéroïde, une équipe d’astrophysiciens révéle que Dinkinesh, qui a un diamètre effectif de seulement 720 m, est d'une complexité inattendue. Ils confirment la découverte d’un satellite binaire de contact (le premier du genre) autour de Dinkinesh. Il est maintenant nommé (152830) Dinkinesh I Selam. L’étude est parue dans Nature.

(152830) Dinkinesh a été ajouté tardivement à la mission Lucy et devait principalement servir à tester en vol un système autonome de télémétrie et de suivi qui constitue un élément essentiel des opérations de Lucy. Il s'agissait d'une cible attrayante parce que la géométrie du survol imitait étroitement celle des cibles troyennes qui sont les cibles de Lucy. Lucy s'est approchée de Dinkinesh avec une vitesse relative de 4,5 km s-1. Lors de l'approche la plus faible, Lucy était à 430,629 ± 0,045 km de Dinkinesh et l'angle Lucy-Dinkinesh-Soleil était de 30°. Les images à haute résolution que nous offrent Harold Levison (Southwest Research Institute, Boulder) et ses collaborateurs montrent que la forme de base de Dinkinesh rappelle les formes observées dans la population des astéroïdes géocroiseurs (par exemple, Moshup, Bennu, Ryugu et, dans une moindre mesure, Didymos). Dinkinesh est également de taille similaire. Il a un diamètre effectif de 719 m, alors que Bennu, Ryugu et Didymos ont des diamètres effectifs compris entre environ 560 m et 900 m. Comme ces objets, Dinkinesh est dominé par une crête équatoriale proéminente. Il présente également une large dépression presque perpendiculaire à la crête. Bien que Ryugu et Didymos présentent des caractéristiques similaires, la dépression sur Dinkinesh semble plus importante. Et la crête recouvre le creux, ce qui implique qu'il s'agit de la plus jeune des deux structures. Mais on ne dispose pas d'informations sur leur âge absolu et elles pourraient donc s'être formées au cours du même événement.

Grâce aux images à haute résolution obtenues tout au long de la rencontre, les chercheurs peuvent reconstruire des modèles de forme pour chacune des composantes. En raison de la petite taille de Dinkinesh et de Selam, il n'a été possible d'obtenir des images à résolution utile que pendant quelques minutes avant et après le survol. La rotation de Dinkinesh a été observée, mais la quantité de terrain supplémentaire révélée par la rotation était faible (environ 10 %) par rapport à la partie non éclairée du corps. Aucun mouvement rotatif ou orbital de Selam n'a pu être observé en revanche. L'illumination de l'hémisphère anti-solaire de Dinkinesh par Selam était trop faible pour être observée. Ainsi, seul un hémisphère de chaque corps est visible sur les image. Mais des contraintes sur les hémisphères non observés ont tout de même été fournies par la photométrie de Lucy lorsqu'elle était trop éloignée pour résoudre les cibles. A partir des données enregistrées, Levison et ses collaborateurs parviennent à déterminer que Selam a une période de rotation de 52,44 ± 0,14 h, comparable à la période de 52,67 ± 0,04 h qui avait été trouvée à partir des observations au sol. La courbe de lumière après la rencontre montre également des creux dus à des éclipses mutuelles de Dinkinesh et Selam avec la même périodicité de 52 heures, démontrant que la période orbitale de Selam est très similaire à sa période de rotation. Le système semble donc verrouillé par les effets de marée.

Selam est particulier parce qu’il est constitué de deux lobes de taille presque égale avec des diamètres de 210 m et 230 m. Il est en orbite autour de Dinkinesh à une distance de 3,1 km. Et Levison et ses collaborateurs constatent que les centres de Dinkinesh et les deux lobes de Selam sont alignés, ce qui est cohérent avec un système verrouillé par la marée. La chronologie des événements dans la courbe de lumière après la rencontre, par rapport à la position orbitale de Selam pendant le survol, montre que son orbite doit être rétrograde par rapport à l'orbite héliocentrique de Dinkinesh.

Pour les chercheurs, l'état dynamique, le moment angulaire et les observations géomorphologiques du système indiquent que la crête et le creux de Dinkinesh sont probablement le résultat d'une rupture de masse résultant de la mise en rotation par l’effet YORP (Yarkovsky–O’Keefe–Radzievskii–Paddack), un effet du rayonnement solaire sur la rotation d’un petit corps. Cette perte de masse aurait été suivie d'une réacrétion partielle de la matière rejetée. Et Selam s'est probablement accrété à partir du matériau rejeté lors cet événement selon eux.



Dinkinesh partage de nombreuses caractéristiques avec d'autres astéroïdes de taille similaire, à la fois proches de la Terre et de la ceinture principale, et il est le seul objet de la ceinture principale de taille inférieure au kilomètre qui a été étudié à courte distance à ce jour. On sait qu’environ 15% des petits astéroïdes sont observés comme étant des systèmes binaires. Pour ceux qui sont bien caractérisés, le modèle dominant est un système avec un corps secondaire synchrone dans une orbite presque circulaire à environ 3 rayons du primaire. Mais Selam se différencie de ce schéma, avec un demi grand axe qui vaut 9 fois le rayon de Dinkinesh. La période de rotation de Dinkinesh est également plus longue que la période d'environ 2,5 h typiquement observée dans la population des astéroïdes binaires. Un scénario possible selon Levison et ses collègues est que Selam se soit formé à l'origine plus près de Dinkinesh et aurait ensuite évolué vers un plus grand demi-grand axe par une interaction de marée et/ou un effet YORP qui aurait également ralenti la rotation de Dinkinesh.

Pour expliquer la structure binaire de contact de Selam, les chercheurs évoquent trois scénarios. La nature binaire de Selam impose des contraintes importantes sur la formation de ce système de satellites, quelle que soit la manière dont il s'est formé. Tout d'abord, le fait que les deux lobes aient presque le même diamètre indique que le processus de formation des satellites de Selam favorise la construction d'objets d'une taille particulière. Deuxièmement, les deux lobes sont des corps distincts, de sorte que le processus qui a réuni les deux lobes doit l'avoir fait avec une vitesse suffisamment faible pour que les lobes aient survécu.

La complexité inattendue du système de Dinkinesh suggère fortement que les petits astéroïdes de la ceinture principale sont plus complexes qu'on ne le pensait. Le fait qu'une binaire de contact puisse se former en orbite autour d'un objet plus grand indique même un possible nouveau mode de formation de petits corps bilobés (on pense notamment à Itokawa). Ces petits corps à double lobe auraient pu naître dans les mêmes conditions que ce qu’aurait vécu Dinkinesh en perdant de la matière par effet YORP, une matière qui se serait ensuite réacrétée pour former deux petits satellites simultanément, ou bien deux petits satellites à deux époques distinctes, mais qui se seraient dans les deux cas recollés entre eux plus tard, ou bien un seul satellite un peu gros qui se serait scindé en deux puis recollé.

 

Source

 

A contact binary satellite of the asteroid (152830) Dinkinesh

H. Levison et al.

Nature 629 (30 May 2024).

https://doi.org/10.1038/s41586-024-07378-0

 


Illustrations


1. Dinkinesh et Selam imagés par Lucy (Southwest Research Institute)

2. Dinkinesh et Selam imagés par Lucy (Southwest Research Institute)

3. Schéma des trois scénarios proposés par les auteurs (H. Levison et al.)

3. Harold Levison

dimanche 2 juin 2024

Parution de mon nouveau roman scientifique : IMPACT

IMPACT relate une histoire fictive mais dont la probabilité est néanmoins de plus en plus importante au fur et à mesure des lancements de satellites de constellations. L'histoire d'une catastrophe annoncée depuis presque cinquante ans.

Donald Kessler l’avait prédit dès 1978. En cet été 2025, le nombre de satellites en orbite avait atteint une limite au-delà de laquelle l’impact d’un débris spatial provoquant une fragmentation pouvait avoir une conséquence catastrophique, déclenchant une réaction en chaîne qui allait tout emporter.

En seulement trois mois, le monde allait connaître un bouleversement sans précédent dans l’histoire des technologies. Après presque soixante dix ans d’avancées dans la conquête spatiale, le syndrome de Kessler tant redouté par les plus avertis avait  bel et bien démarré, menant à une catastrophe orbitale aux multiples conséquences. Il faudrait désormais apprendre à vivre dans un nouveau monde.

Retrouvez dès maintenant IMPACT en accès libre :

Télécharger

PDF - EPUB


Feuilleter :

IMPACT by Eric Simon


Ecoutez les chapitres, jour après jour :