Il y a quelques mois, la collaboration DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument) a mesuré une relation étroite entre la constante de Hubble-Lemaître (H0) et la distance à l'amas de galaxies de Coma, en utilisant la relation dite du plan fondamental (FP) sur l'échantillon le plus profond et le plus homogène de galaxies de type précoce. A partir de cette relation indépendante du modèle cosmologique, on peut déterminer une valeur de H0 si on mesure la distance de l'amas de Coma. Inversement, en considérant une certaine valeur de H0, on peut en déduire la distance de l'amas et la comparer avec des valeurs obtenues autrement, de quoi tester la tension existante sur la constante de Hubble-Lemaître. Une équipe d'astrophysiciens vient de faire ce test en mesurant pour la première fois la distance de l'amas de Coma grâce à 13 supernovas de type Ia, des chandelles standard. La distance qu'ils obtiennent mène à une valeur de H0 de 76,5 ± 2,2 km s-1.Mpc-1, renforçant encore la tension sur le taux d'expansion actuel de l'Univers, et le besoin de réviser le modèle standard.
La « tension de Hubble » fait référence à l'écart qui est observé dans la valeur de la constante de Hubble-Lemaître, H0, entre plusieurs mesures de distance locale et de décalages vers le rouge (regroupées autour de H0 ~ 73 km s-1.Mpc-1) par rapport à la valeur déduite des mesures du fond diffus cosmologique et le modèle standard de la cosmologie ΛCDM (trouvée autour de H0 ~ 67,5 km s-1.Mpc-1). Comme il n'existe pas encore de théorie acceptée de nouvelle physique pour expliquer cet écart, on est toujours en train d'élaborer de nouvelles méthodes de mesures indépendantes pour mieux caractériser ce phénomène.
Il y a quelques mois, la collaboration Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI) (K. Said et al. 2024) a déterminé la relation du plan fondamental (FP) de l'échantillon le plus profond et le plus homogène de galaxies de type précoce dans l'amas de Coma (DESI Collaboration et al. 2024 ), ce qui permet de relier la distance et la valeur de H0. Ce qu'on appelle la relation FP, c'est une relation connue depuis 1987 pour les galaxies de type précoce entre leur dispersion de vitesse, leur luminosité de surface et leur rayon apparent, qui ajoute un paramètre et resserre la relation de Faber-Jackson de 1976 entre leur vitesse et leur luminosité. La mesure de la collaboration DESI consiste en des décalages vers le rouge et des distances FP non étalonnées pour 4191 galaxies de type précoce dans le flux de Hubble et 226 distances FP de ce type au sein de l'amas de Coma. DESI a mesuré le flux de Hubble pour des redshifts compris entre 0,023 et 0,1, et Coma ne leur sert que de lieu de référence, riche en galaxies de type précoce, où les distances FP non étalonnées peuvent être ensuite étalonnées à partir de la connaissance de la distance réelle de l'amas de Coma. Avec la distance de Coma qu'ils ont utilisée, les astrophysiciens de DESI trouvaient H0 = 76,05 ± 0,35 (statistique) ± 0,49 (FP systématique) ± 4,86 (étalonnage FP) km.s-1.Mpc-1.
L'estimation de H0 à partir de la relation FP de DESI dépend bien sûr de la connaissance de la distance réelle de Coma. Les chercheurs de DESI l'ont estimée à partir d'une mesure de fluctuation de luminosité de surface d'une galaxie de Coma qui a été faite en 2021, à DComa = 99,1 ± 5,8 Mpc. L'incertitude totale de la mesure de DESI sur H0 est modeste à ±1,3 km.s-1.Mpc-1 (elle est dominée par la mesure de la relation FP sur 226 galaxies de Coma). L'incertitude dans l'estimation de H0 par DESI est vraiment dominée par la connaissance de la distance à Coma.
En voyant cela, Daniel Scolnic (Duke University) et ses collaborateurs, dont le nobélisé Adam Riess, on cherché à améliorer cette incertitude en remesurant la distance à Coma avec cette fois un nouvel échantillon d'une douzaine de supernovas de type Ia dans l'amas et en exploitant d'autres mesures de distance du télescope spatial Hubble et du télescope spatial James Webb pour améliorer la contrainte sur H0.
Il faut dire que Coma a une longue histoire de mesures de distance à partir des objets qu'il contient. Une compilation historique des mesures de distance a été présentée en 2020 on y retrouve l'utilisation de diverses méthodes, qui donnent une moyenne pour la valeur de distance de Coma d'environ 95 Mpc. Le HST Key Project a par exemple étalonné la relation FP dans des amas proches (Virgo, Fornax et Leo I) et Coma, ce qui a donné une distance mesurée de 86 ± 8 Mpc. L'amas de Coma est trop éloigné pour utiliser directement des indicateurs de distance primaires (c'est-à-dire les Céphéides, les étoiles de la pointe de la branche des géantes rouges (TRGB), les Miras, les étoiles de la branche des géantes asymptotiques de la région J (JAGB), ou les étoiles supergéantes bleues). En revanche il est riche en galaxies de type précoce, qui sont des cibles idéales pour les méthodes basée sur la fluctuation de luminosité ou basées sur les galaxies comme la relation FP.
Et les supernovas Ia offrent un outil particulièrement efficace pour calibrer la distance de l'amas de Coma. Avec des taux canoniques d'une supernova par galaxie tous les 100 ans, on peut s'attendre à ce que de l'ordre d'une dizaine de supernovas dans Coma aient été découverts par diverses études au cours de la dernière décennie. L'effort le plus récent pour collecter des supernovas Ia dans Coma provient d'une étude de 1990 (M. Capaccioli et al. 1990 ), qui a rassemblé cinq supernovas Ia des années 1960 et 1970 remontant aux travaux de Fritz Zwicky en 1961. Malheureusement, la qualité de ces données selon les normes modernes est assez médiocre. Une mesure précise de la distance nécessite plusieurs supernovas Ia dont les courbes de lumière et les spectres respectent la qualité contemporaine des systèmes photométriques bien caractérisés. Jusqu'à la dernière décennie, Coma n'était pas continuellement recherchée pour des phénomènes transitoires, de sorte que de nombreuses supernovas Ia passées auraient été manquées. La compilation Pantheon+ de 2022 ne contient que deux supernovas Ia situées dans Coma. Par contre, des relevés récents comme l'Asteroid Terrestrial-impact Last Alert System (ATLAS) et le Zwicky Transient Facility (ZTF) ont couvert de grandes fractions du ciel incluant la zone de l'amas de Coma et il se trouve que les requêtes de leurs bases de données indiquent qu'ils ont trouvé plus de 10 supernovas Ia autour de Coma au cours des dernières années.
Scolnic et ses collaborateurs ont donc utilisé les courbes de lumière de ces supernovas pour mesurer une distance précise de Coma en se basant sur les étalonnages de la luminosité absolue des supernovas Ia. Daniel Scolnic et ses collaborateurs parviennent à mesurer la distance la plus précise de Coma à partir de 13 supernovas de type Ia dans l'amas. Leur étalonnage de la magnitude absolue des supernovas Ia avec l'échelle de distance déterminée avec le télescope Hubble leur donne une distance DComa = 98,5 ± 2,2 Mpc, la valeur de distance la plus précise à ce jour et une valeur très proche de celle obtenue par la collaboration DESI, et qui est tout à fait cohérente avec la valeur canonique comprise entre 95 et 100 Mpc. Et donc, en appliquant ensuite la relation FP de DESI, cette distance donne H0 = 76,5 ± 2,2 km s-1.Mpc-1.
L'inversion de la relation FP en l'étalonnant sur la valeur de H0 de Planck+ΛCDM (67,4 km km s-1.Mpc-1) implique une distance beaucoup plus grande : DComa = 111,8 ± 1,8 Mpc, ce qui est 4,6 σ au-delà de la mesure directe. Indépendamment des supernovas, la relation FP du projet HST Key telle que calibrée par les Céphéides, la pointe de la branche des géantes rouges (avec le JWST) ou les fluctuations de luminosité de surface dans le proche infrarouge (avec le HST) donnent toutes une distance D Coma < 100 Mpc...
Selon les chercheurs, à partir d'un large éventail d'estimations de distance compilées depuis 1990, il est difficile de voir comment l'amas de Coma pourrait être situé aussi loin que la prédiction issue de la valeur de H0 de Planck+ΛCDM, supérieure à 110 Mpc. En étendant le diagramme de Hubble à Coma, qui est un endroit bien étudié dans notre voisinage dont la distance était en bon accord bien avant la tension de Hubble, DESI indique donc un conflit plus marqué entre notre connaissance des distances locales et ce que prédit le modèle cosmologique. Cette surtension est confirmée par cette nouvelle étude qui fournit une nouvelle valeur de distance indépendante.
Alternativement, Scolnic et ses collaborateurs se sont amusés à combiner les mesures de distance locale non corrélées à Coma avec la mesure de DESI, et ils trouvent H0 = 76,9 ± 2,0 km s-1.Mpc-1 , soit 4,6 σ au delà de la valeur de Planck issue du CMB avec le modèle cosmologique standard. Cette nouvelle voie de mesure, le diagramme de Hubble par la distance de Coma et avec DESI, offre ainsi un autre point de vue sur la tension de Hubble, observée ici à partir d'une gamme encore plus large d'indicateurs de distance locale, et indépendante des supernovas Ia mesurant le flux de Hubble.
Il n'y a plus qu'à attendre encore un peu les futurs programmes qui affineront la distance de l'amas de Coma et d'autres plus proches pour aider à éclairer cette nouvelle fenêtre locale sur la tension de Hubble. Scolnic et ses collaborateurs précisent en conclusion qu'il existe de bonnes perspectives d'amélioration de leur résultat à court terme. Les programmes JWST à venir ont par exemple ciblé Coma pour des mesures intensives au cours du cycle 3 (2025). De plus, un suivi spectroscopique et photométrique dédié des supernovas dans l'amas de Coma pourrait facilement améliorer le résultat actuel. Il est probable que d'ici quelques années, l'incertitude sur H0 via une échelle de distance basée sur Coma ne sera pas dominée par les incertitudes des mesures au sein de l'amas mais plutôt par l'étalonnage de ces mesures ailleurs dans cette nouvelle échelle de distance.
La tension de Hubble n'a jamais été aussi tendue. Combien de temps encore tiendra la théorie sous-jacente du modèle standard face aux observations ?
Source
The Hubble Tension in Our Own Backyard: DESI and the Nearness of the Coma Cluster
Daniel Scolnic et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 979, Number 1 (15 january 2025)
http://doi.org/10.3847/2041-8213/ada0bd
Illustration
1. Localisation des supernovas utilisées dans l'amas de Coma
2. Daniel Scolnic