vendredi 31 mai 2013

Pourquoi Mes Enfants n’Iront pas sur Mars

Je vous parle souvent ici des rayonnements gamma, rayonnements X et autres rayons cosmiques ultra énergétiques en tous genres. Il faut se rappeler que l’atmosphère de la Terre ainsi que (et surtout) son champ magnétique, sont des boucliers très efficaces pour nous protéger des rayons cosmiques. Ce n’est plus le cas dès lors que l’on se trouve éloigné de ces précieux boucliers

La sonde Curiosity qui arpente actuellement la planète Mars est munie d’un détecteur de radiations nommé RAD (Radiation Assesment Detector). Afin de connaître en détail quelle dose de rayonnement est subie au cours d’un trajet Terre-Mars, les scientifiques de la NASA ont mis en route ce détecteur dès le départ de la sonde en décembre 2011, jusqu’à son arrivée en orbite de la planète rouge en juillet 2012. Les résultats de mesure viennent d’être publiés dans la revue Science, et ils sont édifiants.

Schéma de l'instrumentation de Curiosity

Deux sortes de rayons cosmiques peuvent poser un problème de santé à de futurs astronautes durant un long voyage : d’une part les rayons cosmiques galactiques (RCG), venant de l’extérieur du système solaire et produisant une exposition continue, et d’autre part les particules solaires énergétiques (PSE), qui sont sporadiquement accélérées près du soleil lors des éruptions et des éjections de masse coronale.

Les RCG sont des particules très énergétiques et très pénétrantes qui ne sont pas stoppées par les blindages somme toute modeste d’un vaisseau spatial, elles sont constituées de toutes sortes d’ions, avec une forte proportion de protons (85%) et d’hélium (particules alpha, 14%), dont l’énergie peut s’élever jusqu’à 1000 MeV/nucléon. Le 1% restant est constitué d’ions énergétiques à grand numéro atomique (dénommés HZE, hauts Z énergétiques).

Les PSE sont principalement des protons de plus faible énergie, environ quelques centaines de MeV. Les événements PSE peuvent induire des flux très importants mais sur des périodes très courtes. Leur énergie plus réduite que celle des RCG fait que les blindages utilisés dans un vaisseau spatial sont plus efficaces pour les atténuer.

A partir des flux de particules mesurés tout au long du trajet, les physiciens américains ont calculé la dose équivalente correspondante, de la même manière que l’on peut calculer la dose équivalente que l’on subit quotidiennement par la radioactivité naturelle, lorsqu’on passe une radio, ou lorsqu’on travaille à Fukushima…
Eruption solaire, source de protons (PSE)
Le calcul d’une dose équivalente prend en compte toutes les différences existantes pour les différentes particules en jeu, leur nature (proton, photon X, ion, …), leur énergie, et leur types d’interactions avec les cellules biologiques de nos organes. La dose équivalente est exprimée en Sievert (Sv) ou en milliSievert (mSv). 

Pour fixer les ordres de grandeur, voici quelques valeurs de doses :
  • Radioactivité naturelle en France au niveau de la mer : 2 mSv par an
  • Limite maximale pour un travailleur de l’industrie nucléaire : 20 mSv par an
  • Radio du thorax : 0,05 mSv
  • Scanner abdomino-pelvien : 12 mSv
  • Dose moyenne reçue en 1986 par un habitant vivant à 30 km de Tchernobyl : 50 mSv
  • Dose moyenne reçue en quelques mois par un «liquidateur» de Tchernobyl : 100 mSv
  • Dose reçue entre mars 2011 et mars 2012 par le « liquidateur » de Fukushima le plus exposé : 679 mSv
Le détecteur RAD de Curiosity est constitué de deux sous-systèmes : un détecteur silicium et un scintillateur, permettant d’obtenir deux mesures différentes et redondantes. Il était placé sur le dessus du Rover dans la sonde Mars Science Laboratory. Les parois de la sonde ainsi que les réservoirs de carburant fournissaient un blindage aux rayonnements relativement représentatif de ce que pourrait être celui d’une mission habitée.
 
Le détecteur RAD (NASA/JPL/Caltech)
Les mesures ont été effectuées durant 253 jours, entre le 6 décembre 2011 et le 14 juillet 2012. Curiosity étant munie d’un générateur isotopique au plutonium-238 étant lui-même une source de rayonnements, les physiciens ont soustrait ce bruit de fond des mesures. Ils sont également parvenus à isoler les deux composantes de rayonnement cosmique, et à en calculer la dose équivalente pour chacune d’entre elles. En effet, durant le voyage, 5 événements PSE ont eu lieu.

Les résultats sont les suivants : la dose équivalente pour les RCG vaut 1,84 mSv/jour ; la dose équivalente intégrée pour les PSE durant les 253 jours du trajet : 24,7 mSv. Rapporté en dose équivalente par jour, on obtient au total une valeur de 1,94 mSv/jour dont 5% provient des événements solaires.

La durée généralement envisagée par les agences spatiales pour un trajet d’une mission habitée vers Mars est de 180 jours. En considérant un blindage de vaisseau similaire ainsi qu’une activité solaire du même ordre que celle que connut Curiosity sur sa route, on peut calculer facilement la dose totale subie par l’équipage du vaisseau, sans oublier l’aller et le retour: 180x2x1,94 = 697 mSv. 

Mais les astronautes ne feraient pas uniquement un poser de pied pour repartir aussitôt ! Il faut également tenir compte d’une certaine durée de séjour sur place. Et il se trouve que Mars ne possède pas de champ magnétique et d’atmosphère protecteurs comme la Terre… On peut raisonnablement penser que pour un trajet aller-retour de 1 an, la mission devrait durer au moins plusieurs mois sur la planète rouge. Considérant un séjour de 4 mois, soit 120 jours, la dose équivalente à ajouter se monte à 232 mSv, qui est probablement sous-évaluée car une bonne partie du temps serait passée sans protection contre les rayonnements.
Tous comptes faits, en revenant sur Terre sains ( ?) et saufs, nos astronautes auront été exposés à une dose équivalente au minimum de 930 mSv sur une durée de 16 mois.

Cette dose est égale à celle que le français moyen reçoit naturellement au niveau de la mer (radioactivité du sol, radon, rayons cosmiques) en 465 ans… et est  bien supérieure à celle du liquidateur de Fukushima le plus atteint…
 
Répartition de la dose moyenne reçue en France (CNRS/IN2P3)
Curieusement (ou pas) la NASA s’est fixé une limite maximale de dose pour la totalité d’une carrière d’astronaute il y a plusieurs années, et elle vaut 1000 mSv. Cette limite a été calculée (cyniquement) pour correspondre à un risque de mort par cancer radio-induit de 3%... (rappelons que les limites de doses les plus élevées chez nous sont celles de l’industrie nucléaire est sont de 20 mSv/an). Une carrière d’astronaute serait donc équivalente à 50 ans de travailleur du nucléaire…

On voit que le chiffre obtenu pour la dose du voyage Terre-Mars avec séjour est presque identique à la limite fixée par la NASA.
De futurs astronautes explorateurs de Mars ont vraiment intérêt à bien profiter de leur séjour, car il est fort probable qu’ils auront de gros soucis de santé à leur retour, et de toute façon, ils auront dépassé leur quota de dose et ne pourront plus jamais espérer retourner dans l’espace…

Désolé, mes p'tits gars, c'est non, vous ne serez pas plus liquidateurs de centrale nucléaire accidentée qu'explorateurs de Mars!...


Références :
Measurements of Energetic Particle Radiation in Transit to Mars on the Mars Science Laboratory
C. Zeitlin et al.
Science (31 May 2013) Vol. 340 no. 6136 pp. 1080-1084

Fukushima: les doses des liquidateurs
S. Huet


jeudi 30 mai 2013

Plongée à l’Intérieur d’une Etoile à Neutrons

On se fait parfois des idées fausses sur certains objets astrophysiques. On pense souvent par exemple qu’une étoile à neutrons est une boule pleine de neutrons… Or la structure d’un tel objet est bien plus complexe qu’une grosse boule homogène...

Une étoile à neutrons ressemble un peu à un noyau atomique géant, qui ferait environ 20 kilomètres de diamètre pour une masse égale à deux fois celle du soleil. Il s’agit du résidu d’une étoile massive ayant explosé en supernova mais n’ayant pas eu assez de masse pour finir en trou noir.
 
Vue d'artiste d'une étoile à neutrons
Leur densité extrême associée à une pression, une température, un magnétisme et un champ gravitationnel également hors normes en fait des objets tout à fait fascinants à étudier. La structure de ces objets, aujourd’hui largement admise par les spécialistes, est représentée par une sphère comportant en surface une croûte d’environ 1 km d’épaisseur, constituée de noyaux d’atomes exotiques possédant un grand nombre de neutrons, et arrangés sous forme de réseau cristallin, le tout baignant dans une mer d’électrons. A la surface de cette croûte se trouvent exclusivement des noyaux de fer, puis, au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la croûte, ce sont tous les types de noyaux d’atomes plus lourds les uns que les autres que nous rencontrons, qui plus est, arborant de plus en plus de neutrons, donc des isotopes hautement radioactifs car instables.
A partir d’une certaine profondeur (quelques centaines de mètres), des neutrons s’échappent littéralement des noyaux et forment un liquide neutronique qui s’épanche dans le réseau de noyaux lourds riches en neutrons.
Un peu plus profondément, à la base de la croûte nucléaire, les noyaux fusionnent complètement pour former un pur fluide nucléaire constitué en très grande partie de neutrons, mais pas uniquement ! Il subsiste quelques protons et quelques électrons. On estime que ce fluide contient 1 proton pour 20 neutrons. La pression y est d’environ 200 000 milliards de fois celle de l’eau… 
Encore plus en profondeur, la pression augmente toujours, les énergies de Fermi des neutrons et des protons deviennent si élevées que des particules exotiques peuvent apparaître, comme des mésons et des hypérons.
Au niveau du cœur des étoiles à neutrons, on ne sait plus trop ce qui peut se passer, on estime probable que le fluide se décompose en quarks up et down et en gluons, les briques des neutrons et des protons.
 
Structure interne d'une étoile à neutron (crédit Coleman Miller)
De telles compositions de matière nucléaire extrêmes sont explorées – certes à une échelle plus restreinte -  auprès des grands accélérateurs de particules (voir ici), mais l’exploration de l’intérieur des étoiles à neutrons peut aussi être menée grâce à l’observation directe.
Les plus célèbres étoiles à neutrons sont celles qui émettent du rayonnement radio périodiquement en fonction de leur rotation, celles qu’on appelle des pulsars. En mesurant très précisément la période des signaux radio et donc la période de rotation de l’étoile à neutron, on peut en apprendre beaucoup sur ce qui se passe à l’intérieur.
On sait depuis de nombreuses années que la période des pulsars ralentit de manière continue. Ce ralentissement de la rotation est dû à la perte de moment cinétique emporté par les particules chargées qui sont arrachées par le fort champ magnétique de l’étoile.
C’est donc en observant attentivement comment évolue ce ralentissement que l’on parvient à modéliser le comportement des fluides nucléaires de l’étoile à neutron. Et il se trouve que la plupart des pulsars étudiés ainsi de près (quelques centaines) montrent de soudaines accélérations de rotation. 

Ces défauts rotationnels sont attribués à des couplages imparfaits entre liquides superfluides au sein de l’étoile : lorsqu’une étoile à neutrons tourne sur elle-même en quelques fractions de secondes, le superfluide interne a tendance à tourner plus vite. Le retour à la co-rotation normale produit les sauts de vitesse de rotation observés.
Aux températures monstrueuses existant à l’intérieur des étoiles à neutrons, de l’ordre de 100 millions de degrés, les neutrons peuvent se coupler en paires et former un liquide quantique superfluide, tout à fait similaire à ce que l’on connait en laboratoire à très basse température.
A proximité de la croûte nucléaire, les paires de neutrons ne possèdent pas de moment angulaire, elles se comportent exactement comme des paires d’électrons dans un matériau supraconducteur (paires de Cooper).
Mais à une pression plus élevée, bien en dessous de la croûte, une interaction répulsive neutron-neutron modifie ce comportement et les paires de neutrons montrent un moment angulaire non-nul, ils se comportent alors exactement comme de l’hélium-3 superfluide.

Carte des pulsars découverts par leur émission gamma par le télescope Fermi-LAT (NASA/DOE/Fermi-Lat Collaboration)
De leur côté, les protons aussi se comportent comme un fluide supraconducteur en s’associant par paires, à condition de ne pas subir un champ magnétique trop intense.
Ainsi, aux différentes profondeurs d’une étoile à neutrons coexistent différents fluides nucléaires aux propriétés supraconductrices ou superfluides, qui peuvent également s’interpénétrer et qui s’écoulent sans aucune viscosité.
L’explication actuellement retenue pour expliquer les brusques variations de rotation des pulsars est l’existence de vortex superfluides dans le liquide nucléaire, sortes de tourbillons qui peuvent migrer des pôles à l’équateur lorsque la rotation globale du fluide se ralentit. Mais certains vortex peuvent rester comme emprisonnés dans le réseau cristallin de la croûte, produisant une rotation du fluide cristallin plus rapide que le reste de l’étoile. Jusqu’à la rupture et au retour à la co-rotation par un rattrapage de vitesse de rotation.

Très récemment, une équipe américaine étudiant un pulsar à fort champ (un magnétar) a pu observer non pas une brusque accélération de la période de rotation de l’étoile comme ce qui est habituellement observé, mais au contraire un ralentissement…
 
Cette observation surprenante va permettre de remettre en question certains points du modèle de structure des étoiles à neutrons et pourquoi pas d’affiner les propriétés des différentes couches superfluides en présence.
Les étoiles à neutrons sont décidément bien plus étonnantes que ce qu’on pourrait penser et encore loin d’être entièrement comprises….

Référence :
An anti-glitch in a magnetar
Archibald, R. F. et al.
Nature 497, 591593 (30 may 2013).

mardi 28 mai 2013

Devenez Astronomes Collaborateurs avec GalaxyZoo (ou la Science à Portée de Clic)

Vous souhaitez participer à un programme de recherche scientifique en astronomie sans être scientifique ou même amateur ? C’est possible ! Même si vous n’y connaissez rien ou presque, vous avez la possibilité d’aider les chercheurs professionnels depuis votre ordinateur. On appelle ça de la science participative, ou collaborative. Le projet GalaxyZoo est emblématique de ce concept de science collaborative.
Né en 2007, GalaxyZoo se présente comme un site internet interactif. Le travail demandé aux internautes intéressés pour faire de l’astronomie au niveau professionnel consiste à faire de la classification de galaxies.
Comme vous le savez, les gros télescopes, Hubble en orbite ou de nombreux autres un peu partout, produisent constamment des images du ciel très profond, dans lesquelles se trouvent des millions de galaxies. Ces quantités gigantesques de données sont difficiles à traiter, et parfois impossible à traiter informatiquement, surtout lorsqu’il faut déterminer la morphologie d’une galaxie.

C’est là que les yeux humains restent les plus performants. GalaxyZoo vous proposera une série d’images de galaxies plus diverses les unes que les autres et vous demandera de les classer une par une selon leur forme tout d’abord (la galaxie a-t-elle une barre centrale, des bras spiraux, si oui, combien en voit-on ?, s’agit-il d’un disque vu par la tranche ?), puis en fonction des réponses (qui sont guidées à chaque étape par des modèles visuels), d’autres questions peuvent venir : le bulbe central de la galaxie est-il prédominant, faiblement visible, inexistant ? Il y a-t-il quelque chose de bizarre dans l’image ? Si oui, quoi ? Voit-on une fusion de deux galaxies ? 

L’astronome bénévole que vous êtes devenu en vous prenant à ce jeu passionnant est généralement très impliqué dans son travail. On fait en sorte de bien faire ce qui est demandé sans se tromper tout en s’amusant avec des données scientifiques brutes, et c’est tout à fait passionnant.
L’un des très grands intérêts de ce programme est que les images qui sont proposées à la classification des utilisateurs de GalaxyZoo sont issues des grands catalogues SDSS (Sloan Digital Sky Survey) et Hubble et vous permettent d’être les premiers à voir pour la première fois certaines galaxies. Il peut y avoir de très jolies surprises avec des specimens de galaxies très étonnantes à la beauté rare.
Il n’est pas rare justement de tomber nez à nez avec des galaxies spirales en interaction entre elles, ce qu’on appelle des « mergers » (et qu’il faut renseigner précisément comme telles). On imagine leur trou noir supermassif central, et l’on se prend à rêver à ce que l’on va découvrir sur l’image suivante sitôt la précédente validée.

Le processus très bien élaboré de GalaxyZoo, qui en est à sa quatrième version depuis ces débuts, est très rapide. Une galaxie peut être traitée en  quelques secondes seulement (dans le cas où il s’agit d’un cas très simple sans intérêt particulier). D’autres cas peuvent prendre 30 secondes. Et bien sûr, il est à tout moment possible de discuter d’un cas particulier avec les milliers d’autres astronomes collaborateurs ainsi qu’avec les professionnels responsables du projet.
Comme vous n’êtes pas des astronomes professionnels, vous pouvez vous tromper. Ce n’est pas grave, car la méthode employée par les scientifiques gérant GalaxyZoo est de présenter la même image de galaxie à plusieurs personnes. Une réponse statistique est ensuite produite pour en tirer la bonne classification morphologique.

Lorsque l’équipe menée par Chris Lintott à Oxford à crée GalaxyZoo en 2007, ils ne s’attendaient pas du tout à l’engouement que cela a suscité. La première version du site mise en ligne en juillet 2007 comportait 1 million d’images du Sloan Digital Sky Survey. Les astrophysiciens pensaient qu’il faudrait plusieurs années pour que toutes ces galaxies soient classées par les internautes. Mais dans les premières 24 heures qui suivirent le lancement du site, l’équipe reçut 70000 classifications par heure… Et en un an, un total de 50 millions de classifications, soit en moyenne 50 réponses par image, ce qui permit d’obtenir une très bonne précision sur la morphologie des galaxies proposées.
Le nombre de collaborateurs n’a cessé de croitre pour atteindre aujourd’hui 500 000 personnes partout dans le monde. Une quatrième version de GalaxyZoo a été mise en route récemment. Elle incorpore des catalogues à la fois de l’Univers local avec le programme Sloan et du ciel très profond produits par la caméra Wide Field Camera 3 du HST (programme CANDELS).


Le projet GalaxyZoo fait partie d’un projet plus global appelé Zooniverse, qui est une aggrégation de sites de science collaborative, où vous pourrez vous essayer à de nombreux domaines scientifiques en tant que scientifique bénévole depuis chez vous : science du climat, archéologie, étude des baleines, biologie, entre autres. 
L’astronomie est fortement représentée dans Zooniverse avec, outre GalaxyZoo, les projets Moon Zoo (étude des détails de la surface lunaire), Solar StormWatch (étude et suivi des éruptions solaires), Planethunters (recherche d’exoplanètes dans les données de Kepler), Milkyway project (étude de la formation des étoiles par les données IR de Spitzer) , Planet Four (étude du climat Martien), et enfin SpaceWarps (recherche de lentilles gravitationnelles).

L’aspect à la fois sérieux et ludique de tous ces projets de science collaborative en fait des objets incontournables une fois qu’on y a goûté et probablement le meilleur de l’internet à ce jour.
Le slogan de GalaxyZoo n’apparaît pas usurpé : « Few have witnessed what you’re about to see » : « Peu de gens ont vu de ce que vous allez voir ».

GalaxyZoo :  http://www.galaxyzoo.org

Nota : Toutes les illustrations de ce billet sont des images du catalogue SDSS trouvées dans GalaxyZoo.

jeudi 23 mai 2013

Fin de Règne pour le Télescope KEPLER

C’en est fini de la mission du satellite Kepler, le plus performant détecteur d’exoplanètes que l’on ait construit. Le télescope spatial de la NASA subit en effet une sévère avarie de gyroscope qui l’empêche de se retourner correctement dans la direction que l’on souhaite...

C’est avec un miroir de 1,4 mètre associé à une caméra de 95 mégapixels que ce bijou technologique arrivé en orbite en 2009 a permis de découvrir pas moins de 2700 exoplanètes.

La principale technique employée par les astrophysiciens exploitant Kepler est la technique dite du transit : détecter l’infime baisse de luminosité d’une étoile lorsqu’une planète passe devant dans la ligne de visée.


C’est une roue gyroscopique qui vient de lâcher, après la première en juillet dernier. Kepler est équipé de quatre roues gyroscopiques à réaction, qui, lorsqu’elles tournent (entre 1000 et 4000 tours par minute) dans un sens, produisent un mouvement de réaction du satellite dans l’autre sens, permettant ainsi de le positionner dans l’espace dans une direction précise et le stabiliser. Or il faut au minimum trois roues pour conserver une bonne stabilité.
Kepler en cours de montage, deux roues gyroscopiques sont visibles (cylindres noirs) (Ball Aerospace Corp.)
Les scientifiques savaient que Kepler était vulnérable sur ce point. En effet, déjà avant son lancement, l’équipe gérant la mission, connaissait les déboires qu’avaient eus auparavant d’autres satellites équipés des mêmes types de roues en provenance du même fabricant.
Des roues similaires avaient flanché sur le Far Ultraviolet Spectroscopic Explorer (FUSE) de la NASA en 2001, ainsi que sur le Hayabusa japonais en 2004 et 2005. Quant au satellite TIMED (Thermosphere Ionosphere Mesosphere Energetics and Dynamics), il connut une avarie sévère de roue gyroscopique en 2007. La  sonde Dawn, connut elle deux défauts de roue consécutifs en 2010 et 2012 (mais Kepler était déjà en orbite)…


Mais c’est surtout le problème de TIMED qui fit prendre conscience au fabricant de Kepler, Ball Aerospace, du problème potentiel, à la fin 2007. Entre-temps, Kepler était déjà prêt à être lancé. Bien sûr, il a été envisagé de démonter en grande partie le télescope pour changer entièrement le système gyroscopique ou encore d’ajouter des systèmes redondants. Mais toutes les solutions imaginées étaient bien trop couteuses, et auraient impliquées des années de délais supplémentaires pour une mission très attendue qui avait été retardée déjà par deux fois.


Les roues gyroscopiques furent tout de même démontées au début 2008 pour être réinspectées chez leur fabricant, Ithaco Space Systems, qui effectua semble-t-il un remplacement de roulements à billes qui montraient déjà des signes de fatigue. Les modifications apportées devaient permettre selon Ithaco Space Systems de ne plus rencontrer les problèmes rencontrés par TIMED…

Vue d'artiste du Télescope Kepler (NASA/JPL)

A cette époque, les scientifiques de la NASA étaient tout à fait confiants, puisque la mission de Kepler devait durer seulement 3 ans et demi, durée attendue pour observer 150 000 étoiles à la recherche de planètes telluriques.

Ce n’est qu’après les premières observations du télescope en orbite que les astronomes se sont rendu compte que cela prendrait bien plus de temps… Ils ont en effet découvert que la plupart des étoiles semblables au soleil étaient beaucoup plus variables que lui, ce qui rendait la méthode de détection par transit un peu plus délicate. Il fallait plus de temps d’observation par étoile pour détecter la présence d’une planète de petite taille, de manière à ne pas confondre une fluctuation d’intensité propre à l’étoile et la variation produite par le passage d’une planète…

Les planètes découvertes par Kepler : taille en fonction de période orbitale (relativement à la Terre)
La NASA étendit donc la durée de la mission jusqu’en 2016. Et c’est à peu près à ce moment-là, en juillet dernier, que la première des quatre roues motorisées flancha…


On connait la suite. Kepler a fait des merveilles en tenant le coup durant 5 4 ans. Bien sûr, les scientifiques vont tenter l’impossible pour essayer de réactiver les deux roues défectueuses, à coups d’impulsions électriques calibrées sur les moteurs, mais l’optimisme n’est pas de mise de ce côté-là. Et une réparation en orbite en envoyant des astronautes est hors sujet….

Ce qui est sans doute le plus dommage, c’est que Kepler commençait tout juste à devenir sensible aux petites planètes de la taille de la Terre ayant des orbites du même type. Rien que dans les deux dernières années, il en aura déniché plusieurs centaines.


Le télescope Kepler a bien mérité son nom, de même que pour l’apport considérable de Johannes Kepler au début de XVIIème siècle, il y aura dans le domaine des exoplanètes, et en astrophysique en général, un avant et un après Kepler, et son nom restera associé à jamais à celui des planètes qu’il a permis de trouver.

Référence :

The wheels come off Kepler
Ron Cowen
Nature 497,  417–418  (23 May 2013)
 

samedi 18 mai 2013

La Chimie de l’Univers


Vous avez plus de 13,7 milliards d’années. Vous êtes composés à 70% d’eau, molécules comportant deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène. Certes, vos atomes d’oxygène ont quelques millions ou milliards d’années de moins que vos atomes d’hydrogène, mais les protons et les neutrons qui en forment le noyau, eux, ont bel et bien plus de 13,7 milliards d’années…

La matière dite « ordinaire » de l’Univers, qu’on appelle la matière baryonique, est ce qui remplit environ 4,9% de l’Univers. Ce sont les atomes : neutrons, protons, associés ou non à des électrons selon qu’ils sont ionisés.


Et des atomes, il en existe une grosse centaine différents, répertoriés et nommés d’après le nombre de protons qu’ils possèdent dans leur noyau. Leur nombre de neutrons, lui, nous informe sur le type d’isotope de l’atome dont il s’agit. D’où viennent les protons, les neutrons et les noyaux qui forment vos atomes et vos molécules ? Ils viennent de loin, très loin dans dans le temps...

La formation des éléments constitutifs des noyaux d’atomes (les protons et neutrons) est appelée la baryogénèse.

Ensuite, la construction des noyaux d’atomes à partir de ces briques fondamentales, quant à elle, s’appelle la nucléosynthèse, et on doit distinguer deux types de nucléosynthèses : tout d’abord la nucléosynthèse primordiale, au cours de laquelle se sont formés dans l’Univers très jeune les noyaux des premiers atomes de la table de Mendeleïev au-delà de l’hydrogène (dont le noyau est constitué d’un seul proton) : de l’hélium au lithium. La nucléosynthèse primordiale a sauvé la vie des neutrons. Ces derniers, seuls, se désintègrent en protons au bout d'un quart d'heure (demi-période de décroissance), mais accrochés à des protons dans des noyaux d'hélium, ils deviennent éternels...

La seconde nucléosynthèse est la nucléosynthèse stellaire, qui fut comprise déjà il y a plus de cinquante ans et exposée dans un article exceptionnel resté dans les annales de l'astrophysique avec ses 104 pages précisant les 9 mécanismes physiques produisant tous les éléments chimiques dans les étoiles jusqu'à l'uranium, le fameux article B2FH, des initiales de leurs auteurs, paru en 1957 (Synthesis of Elements in Stars. Rev. Mod. Phys., 29, 547-650 (1957)).
La nucléosynthèse stellaire produit en continu dans le cœur des étoiles tous les noyaux d’atomes au delà de l'hélium, jusqu’aux plus lourds, et notamment les atomes d’oxygène qui vous permettent de lire ces lignes.


La baryogénèse qui a produit tous vos noyaux d’hydrogène et tous vos autres protons (ou presque, voir plus bas) s’est déroulée sur un laps de temps très court, mais à une époque très reculée, lorsque l’Univers n’était âgé que de quelques secondes.
Représentation de l'intérieur d'un proton : deux quarks Up et un quark Down enchevêtrés dans une mer de gluons (CNRS/IN2P3)

Cette baryogénèse est le résultat du refroidissement de la soupe primordiale de quarks et de gluons, qui sont les véritables briques fondamentales de la matière. Lorsque la température de l’Univers a suffisamment baissé et atteint un seuil critique en énergie (ou température, ce qui revient au même) du fait de son expansion, trois quarks se lient ensemble avec un paquet de gluons pour former soit un proton, soit un neutron, ou leur antiparticule dans le cas d’antiquarks.


Ce n’est que bien plus tard qu’a lieu la nucléosynthèse primordiale qui va faire s’« accrocher » ensemble protons et neutrons par l’interaction nucléaire forte. Environ 5 minutes plus tard.

La nucléosynthèse stellaire, elle, est beaucoup plus tardive dans l’histoire cosmologique, elle doit attendre l’apparition des premières condensations d’hydrogène et d’hélium (qu’on appelle étoiles) et qui par effondrement gravitationnel vont produire des réactions de fusion nucléaire entre protons et noyaux d’hélium. Ces toutes premières étoiles et donc les premiers noyaux de carbone et d’oxygène, apparaissent quand l’Univers est âgé de quelques dizaines de millions d’années, il y a plus de 13,5 milliards d’années.



Pour être exhaustif, je devrais ajouter qu’il est tout de même fort probable que certains de vos protons n’ont pas l’âge de l’Univers, et certains de vos neutrons n’ont plus. Comme beaucoup de noyaux d’atomes sont instables et radioactifs, ils peuvent posséder des neutrons qui se transforment en protons (radioactivité béta moins), ou l’inverse : des protons qui se transforment en neutrons (radioactivité béta plus).

C’est notamment le cas des protons de vos atomes de carbone. Comme vous le savez probablement, une toute petite fraction du carbone que nous ingérons quotidiennement (constituants nos aliments) est du carbone-14. Ce carbone est radioactif (radioactivité béta moins) et transforme un neutron en proton lorsqu’il devient du azote-14.

Sans le savoir forcément (mais c’est désormais chose faite), vous créez ainsi tous les jours des protons tout neufs, à partir de très vieux neutrons...


En termes d’abondance chimique de l’Univers, le tableau est pittoresque. Alors que nous connaissons sur Terre une belle table de Mendeleïev comportant 92 éléments stables et que nous arrivons même à en fabriquer artificiellement une vingtaine d’autres, certains de ces éléments - qui nous sont vitaux – se révèlent très très rares dans l’Univers pris globalement.

Un élément domine massivement tous les autres, et c’est le plus simple (et le plus vieux) : l’hydrogène (un proton accompagné d’un électron). Son abondance avoisine 92,7% de toute la matière baryonique. Vient ensuite l’hélium, produit au cours de la nucléosynthèse primordiale, 5 minutes plus jeune que l’hydrogène, qui occupe pas loin de 7,1% de la matière baryonique, alors qu’il est très rare sur Terre. Les abondances respectives de ces deux éléments sur notre planète sont de 0,88% et moins de 0,0005%.


A eux deux, hydrogène et hélium forment la quasi-totalité de la matière baryonique. Il ne reste plus que des miettes pour tous les autres éléments chimiques. Les plus présents sont tout de même l’oxygène (0,05%), le silicium (0,023%), le magnésium (0,021%), l’azote (0,015%), le fer (0,014%), puis le carbone (0,008%).


En comparaison, la composition chimique de nos organismes est dominée par l’oxygène (65,4%), le carbone (18,1%), l’hydrogène (10,1%), l’azote (3%) puis le calcium (1,5%).
Illustration de la naissance du système solaire à partir des résidus d'une étoile ancienne dispersés par une Supernova (ESO)

Ces atomes (excepté l’hydrogène) ont un âge supérieur à 5 milliards d’années. On le sait simplement par le fait qu’ils n’ont pas été produits par notre étoile favorite mais étaient déjà présents lors de la formation du proto-système solaire il y a 4,6 milliards d’années. Le soleil en effet ne fabrique pour le moment que de l’hélium dans son cœur.

C’est à une ou plusieurs générations d’étoiles antérieures que nous devons nos beaux atomes d’oxygène, de carbone et autres. Des étoiles qui ont disparu depuis bien longtemps en expulsant autour d’elles leur gaz enrichi par leurs réactions nucléaires.


On le voit, les êtres vivants que nous sommes sont faits d’une matière tout à fait exotique à l’échelle de l’Univers. Non seulement la matière baryonique apparaît être très minoritaire dans le contenu matériel de l’Univers où la grande majorité semble être constituée de matière non baryonique et non visible, mais de plus, au sein de cette matière baryonique, les atomes un peu plus complexes que l’hydrogène, formés par les étoiles et qui finissent par construire nos molécules, se révèlent n'être que d'infimes traces.

En d’autres termes, nous pouvons affirmer que nous sommes à la fois très vieux et très rares.

jeudi 16 mai 2013

Un Magnétar autour d'un Trou Noir : Une Découverte Fortuite A Fort Potentiel

Je vous en parlais au début de l’année dernière, un nuage de gaz (nommé G2) est en ce moment en train de s’approcher dangereusement (pour lui) du trou noir supermassif tapi au centre de notre galaxie (voir ). Et depuis sa mise en évidence, de très nombreux télescopes sont braqués vers le centre galactique pour voir les premiers le festin qui va s’ensuivre. En effet, ce nuage de gaz doit passer si près de Sgr A* que ce dernier devrait l’engloutir en produisant de belles bouffées de rayonnements en tous genres.

Et ce qui devait arriver arriva : quelque chose a été détecté… mais ce n’est pas ce qui était attendu ! Il est encore trop tôt, G2 devrait être englouti vers la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. En revanche, une équipe, en observant les alentours de Sgr A*, a trouvé un objet émettant très intensément en rayons X, et qui n’est pas G2.
Le télescope spatial NuSTAR (NASA)
C’est avec le télescope spatial dédié aux rayons X NuSTAR, que Fiona Harrison et son équipe ont scruté en détail cet objet et ont pu conclure sur sa nature : il s’agit de ce qu’on appelle un magnétar : un pulsar possédant un champ magnétique très fort, qui lui fait perdre beaucoup d’énergie en faisant spiraler de la matière autour de ses lignes de champ.
Ils ont pu observer très nettement la pulsation des émissions X le 26 avril dernier, avec une période de 3,76 secondes. Quelques jours plus tard, l’observatoire spatial Chandra fut mobilisé pour regarder ce pulsar et calculer sa distance. Il se trouve à moins d’une demi-année-lumière du trou noir (0,38 AL précisément), ce qui est beaucoup plus loin que le nuage G2.
Une semaine plus tard, c’est au tour des satellites NuSTAR  (à nouveau) et Swift d’observer ensemble cette source de rayons X pulsante et d’en conclure qu’il s’agit bien d’un magnétar, sa période de rotation déclinant significativement, du fait de son fort champ magnétique.
Même si il se trouve bien plus loin que le nuage de gaz G2 et bien trop loin pour être avalé par le TN supermassif, ce magnétar se trouve suffisamment près du trou noir supermassif Sgr A*, pour en faire un outil très précieux pour les astrophysiciens. Une découverte fortuite très intéressante.
Vue d'artiste du nuage de gaz G2 approchant SGR A*

Il faut savoir que ce n’est pas le premier magnétar à être trouvé dans cette région de la galaxie, c’est le quatorzième. De tels pulsars sont des résidus d’étoiles massives très vieilles, qui peuplent abondamment le centre de notre galaxie. Mais ce pulsar-là est le plus proche du TN supermassif

Là où il devient un outil passionnant pour les astrophysiciens, c’est dans l’étude de la relativité générale à proximité de Sgr A*(voir ici). En effet, un pulsar est une étoile à neutrons qui tourne sur elle-même avec une période de rotation bien définie et qui produit une pulsation de rayonnement avec la même période. C’est en quelque sorte une horloge que l’on peut regarder à distance.

vue d'artiste d'un magnétar
D’après la Relativité Générale, en présence d’un très fort champ gravitationnel, là où la courbure de l’espace-temps est très prononcée, ce qui est le cas au voisinage d’un trou noir supermassif, le temps doit se ralentir vu par un observateur éloigné.

Un pulsar en orbite autour d’un trou noir supermassif est donc l’outil rêvé pour étudier ces effets temporels. Il faut juste que ce magnétar ait une orbite elliptique, ce qui devrait être le cas. Alors, sa distance au trou noir doit varier entre une valeur maximale et une valeur minimale. Il s’ensuit que sa période de pulsation devrait ralentir et s’accélérer, en fonction de son mouvement autour de Sgr A*…

Il arrive parfois, voire souvent, que des observations mènent à des trouvailles inattendues qui se révèlent incroyablement fructueuses. Il se peut que G2  ne soit même pas un nuage de gaz, mais en le surveillant, on vient peut-être de trouver  un nouveau moyen d’en connaître encore plus sur Sgr A* et la physique centenaire qui le régit.



Références :

Magnetar found at giant black hole
E.  Reich
Nature 497, 296–297 (16 May 2013)

NuSTAR discovery of a 3.76 second pulsar in the Sgr A* region
The Astronomer's Telegram  #5020
 http://www.astronomerstelegram.org/?read=5020

samedi 11 mai 2013

GRB 130427A : La Bouffée de Rayons Gamma de tous les Records

En décembre 2011, je vous racontais l'histoire d'une bouffée de rayons gamma hors normes par sa durée de 28 minutes, le fameux GRB (Gamma Ray Burst) de Noël découvert un an plus tôt (lire ici). Aujourd'hui, c'est un tout autre et tout nouveau GRB qui fait l'actualité astrophysique. Ce dernier est dénommé GRB 130427A. Ce qu'a d'extraordinaire cette bouffée de rayons gamma détectée par le satellite Fermi-LAT et située dans la constellation du Lion, c'est son énergie extrême, battant le précédent record d'un facteur 3, ainsi que sa durée, jamais vue...
C'est le 27 avril dernier qu'à eu lieu le phénomène. Un GRB (ou bouffée de rayons gamma) est un phénomène astrophysique dit transitoire, qui ne dure que quelques instants, de quelques secondes à quelques minutes pour les plus longs. Ces brusques émissions de rayons gamma le plus souvent très énergétiques sont estimées être produites lors des événements les plus violents de l'Univers: la création de trous noirs lors de l'effondrement d'étoiles en fin de vie.

Lorsqu'un trou noir se forme, de jets de matière sont  projetés à vitesse ultra-relativiste de part et d'autre des pôles de l'astre noir. Ce sont ces jets de matière, d'après les meilleurs modèles en vigueur chez les astrophysiciens, qui vont à la fois produire des photons gamma d'énergie de l'ordre du GeV et aussi leur donner un coup d'accélérateur en leur fournissant une énergie cinétique supplémentaire. 
Il suffit ensuite que la Terre se trouve dans l'axe d'émission des jets pour être au premier rang pour observer les rayons gamma les plus énergétiques possibles...
Ciel gamma enregistré par Fermi avant et après GRB 130427A (NASA/DOE/Fermi-LAT collaboration)
C'est très probablement ce qui s'est passé le 27 avril dernier avec GRB 130427A. Le satellite Fermi-LAT qui traque les sources de rayons gamma dans tout le ciel était pointé vers la bonne direction au moment crucial. Il a pu mesurer des photons ayant une énergie maximale de 94 GeV, ce qui est absolument considérable pour un photon. L'image ci-dessus qu'a fourni la NASA, gestionnaire du satellite Fermi, donne un aperçu du ciel en gamma (énergie supérieure à 100 MeV) juste avant le burst et juste après son début.

Car non seulement cette bouffée de rayons gamma est la plus énergétique enregistrée à ce jour, mais elle est également celle de plus longue durée : plusieurs heures! Elle a duré si longtemps que l'alerte lancée par Fermi-LAT a pu être exploitée à temps par l'autre chasseur de gamma en orbite, le satellite Swift (celui-là même qui avait trouvé le GRB de Noël en 2010). Swift a ainsi eu le temps d'observer confortablement le burst et de le localiser assez précisément, mieux que ce que peut faire Fermi-LAT.

Évolution de l'émission gamma entre 100 Mev et 100 GeV vue par Fermi-LAT entre 4 minutes avant le début du burst et 14 heures après (NASA/DOE/Fermi-LAT collaboration)
L'évolution temporelle du sursaut gamma a été très bien enregistrée par Fermi-LAT : après un pic initial très court d'environ une seconde, il y eu un calme relatif de 15 secondes pendant lesquelles ne fut détectée qu'une émission à basse énergie assez variable. Puis ensuite, la bouffée se réintensifia fortement en l'espace de quelques minutes puis resta extrêmement intense durant près de 14 heures...
Une durée aussi longue était du pain béni pour tout astrophysicien, on s'en doute. A partir de la localisation donnée par Swift, de nombreux télescopes terrestres ont pu être pointés dans la direction, pendant que les satellites en orbite enregistraient toujours leurs rayons gamma. Une contrepartie en lumière visible, infra-rouge et aussi en ondes radio ont ainsi pu être observées.

Une équipe américaine avait même détecté optiquement l'apparition d'un nouvel objet indépendamment, sans connaître l'alerte gamma de Fermi et Swift, en exploitant le Catalina Real-Time Transient Survey, dédié à la recherche de phénomènes transitoires.
Les observateurs ont alors appris très vite quelle était la distance de l'objet : 3,6 milliards d'années-lumière, ce qui est relativement proche pour un GRB.
Généralement, dans le cas d'un GRB proche, les astronomes parviennent à détecter la supernova initiatrice dans les deux semaines qui suivent la bouffée. C'est dire si les yeux sont braqués vers le Lion en ce moment dans les grands observatoires de l'hémisphère Nord...

A partir des coordonnées fournies par les divers instruments, une recherche dans les grands catalogues comme le Sloan Digital Sky Survey, indique la présence d'une galaxie presque coïncidente avec cette position : une galaxie très faible nommée SDSS J113232.84+274155.4 de magnitude 21,26 et qui se retrouve maintenant sous l’œil attentif de toute une communauté... 

Sources :
- Communiqué de la NASA  NASA's Fermi, Swift See 'Shockingly Bright' Burst  (03 mai 13)
- An untriggered optical detection of GRB 130427A
Drake, A.J. et al.
The Astronomer's Telegram  (4 May 2013)

vendredi 10 mai 2013

Les Astronomes de l'Age de Bronze

A Berlin se trouve un véritable trésor. Exposé au Neues Museum, on peut admirer ce cône ornemental en or, daté d'environ 1000 av JC, à la fin de l'âge de bronze. Cette pièce ornementale est une coiffe qui était arborée par des personnalités importantes lors de probables cérémonies. Mais il ne s'agit pas que d'un chapeau en or presque pur (87,7% d'or, 9,8% d'argent), non, il s'agit surtout d'un système de calcul astronomique extrêmement élaboré.

Haut de 75 cm, le cône en or de Berlin est découpé en 21 bandes horizontales chacune décorées par des signes différents, la plupart circulaires ou dotés de multiples cercles concentriques.

Le "GoldHut" de Berlin au Neues Museum (détail), Philip Pikart
L'une des bandes horizontales est particulière: elle est décorée d'une rangée de croissants couchés, chacun au sommet d'un symbole en forme d'amande ou d'œil. 
La pointe du cône est quant à elle agrémentée d'une étoile à huit branches sur un fond de poinçons décoratifs.
La jonction du tronc avec la collerette est faite par une large bande striée verticalement. La collerette, elle, est décorée avec des motifs semblables à celles du cône lui-même, en forme de disques.
Les archéologues se sont penchés sur la signification que pouvaient avoir tous ces signes. Ils ont découvert que tous ces ornements formaient des séquences systématiques de nombres et de types de signes, qui permettaient de déterminer des dates à la fois par un calendrier lunaire et un calendrier solaire...

Le "GoldHut" de Berlin au Neues Museum, Philip Pikart
Il est apparu que chaque symbole représente un jour, et que, à coté des bandes horizontales composées de différentes quantités de symboles existaient des zones intercalaires, qui entraient dans les calculs (zones 5,7, 16 et 17).
Le déchiffrement de la méthode arithmétique utilisée par nos lointains ancêtres d'Europe Occidentale il y a 3000 ans fut achevé lorsque l'on comprit comment utiliser ces bandes intercalaires dans le calcul.

Les astronomes de la fin de l'âge de bronze avaient essentiellement pour référence les deux astres les mieux visibles à l'oeil, que sont le soleil et la lune. Et ils avaient déjà très bien compris comment calculer les périodes de la lune au cours d'une année solaire.

Chaque bande horizontale possède une valeur numérique qui est calculée par le nombre de symboles qu'elle contient et par leur type. Par exemple, dans la bande numéro 12, le symbole est constitué de 5 cercles concentriques et il y en a 20, la valeur est ainsi 20 x 5 = 100.
A partir d'une zone donnée, on commence par additionner la valeur des symboles dans une section donnée. Pour obtenir le nombre de jours en calendrier lunaire ou en calendrier solaire, il suffit d'ajouter ou soustraire le nombre de symboles dans la même section de décompte qui se trouvent sur les bandes intercalaires.

Le nombre de jours ainsi obtenus pour les différentes sections vaut 365, 548, 729, 1100, 1097, 1461, 1462, 1644, 1644 et 1739, soit 12, 18, 24, 36, 48, 54 et 57 mois, avec deux redondances, et dans la variante lunaire : 355, 710, 1062, 1059, 1424, 1423, 1597 et 1682 jours, soit exactement le même nombre de mois (lunaires) là encore avec deux redondances.
On peut voir que l'erreur commise en nombre de mois est extrêmement faible, inférieure à 0.5% dans tous les cas.
Le décodage du GoldHut, calendrier lunisolaire
 Les hommes de la fin de l'âge de bronze pouvaient ainsi grâce à ce type de cône ornemental calculer jusqu'à 1739 jours, soit 4 ans et 9 mois.... ainsi que exactement le même nombre de mois mais lunaires, soit jusqu'à 1682 jours dans cette variante. Ce type d'instrument permettait également de convertir temporalité "lunaire" et temporalité "solaire". Rien ne nous dit en revanche à quoi pouvait bien correspondre la durée maximale calculable d'un peu moins de cinq ans...

L'élaboration d'un tel système calendaire complexe dès 1000 av. JC en Europe nous enseigne que malgré leur absence d'écriture, les européens de cette époque avaient su effectuer des observations très précises des phases de la lune et de la trajectoire du soleil dans le ciel. Ils avaient surtout su coder ces informations de manière élaborée. L'existence de ce type de cône ornemental, dont seulement 4 exemplaires ont été retrouvés (dans le sud de l'Allemagne et en France) prouve que la civilisation protohistorique d'Europe avait une connaissance du ciel pas si éloignée de celle des civilisations déjà très avancées du Moyen-Orient ou d'Asie de la même époque.


Plus d'infos sur le Neues Museum de Berlin : http://www.neues-museum.de/