Pour la première fois, des astrophysiciens ont sondé la composition chimique du milieu intergalactique sur une très grande distance, et montrent que cette composition chimique est très uniforme et équivalente à celle que l'on trouve dans le système solaire, les briques indispensables à la vie sont donc répandues de manière similaire dans tout l'Univers...
L'astrophysicienne Aurora Simionescu et ses collaborateurs ont étudié un amas de galaxies, le célèbre amas de Virgo, situé à 54 millions d'années-lumière et constitué de plus de 2000 galaxies. L'espace entre ses galaxies est rempli de gaz diffus très chaud, suffisamment chaud pour émettre de la lumière dans la longueur d'onde des rayons X. Grâce au télescope spatial Suzaku spécialisé dans la détection des rayons X en orbite depuis 10 ans, l'équipe du JAXA (Japan Aerospace Exploration Agency) a exploré l'amas de galaxies en scannant son volume suivant plusieurs directions (voir image) jusqu'à 5 millions d'années-lumière du centre de l'amas, où se trouve la galaxie géante M87.
Les différents éléments chimiques plus lourds que le carbone sont produits par les explosions d'étoiles, les supernovas, qui les dispersent autour d'elles. Mais cette dispersion se poursuit ensuite progressivement sur des échelles beaucoup plus grandes, par d'autres mécanismes comme des éruptions galactiques, des fusions de galaxies ou encore l'interaction des galaxies avec le gaz chaud remplissant les amas.
Il y a deux types principaux de supernova : le type Ia est issu d'une étoile naine blanche vivant en couple avec une autre étoile, qui peut être une autre naine blanche ou bien une étoile plus grosse. Lorsque la naine blanche, qui arrache de la matière à sa compagne, voit sa masse dépasser le seuil de stabilité fatidique de 1,44 masses solaires, elle explose en éjectant toute sa matière sans laisser de résidu compact.
Le type II est produit par des étoiles qui sont nées avec une masse supérieure à 8 masses solaires et qui s'effondrent sur elles-mêmes à la fin de leur vie, ne pouvant contre-carrer leur propre gravité, ces supernovas laissent derrière elles un objet compact, pulsar ou trou noir.
Et ces deux types de supernova ne fabriquent pas tout à fait les mêmes noyaux d'atome dans les mêmes quantités et proportions. Les supernovas de type Ia dispersent beaucoup d'éléments lourds, à commencer par le fer et le nickel qui prédominent, tandis que les supernovas de type II dispersent beaucoup d'oxygène et de silicium entre autres éléments plus légers. Tous ces nouveaux éléments sont par la suite recyclés dans les générations suivantes d'étoiles.
La composition globale d'une vaste région d'Univers dépend ainsi du mélange des types de supernova qui y ont contribué. Par exemple, lorsque l'on sonde la composition globale du soleil et du système solaire, on constate que cette matière (dont vous êtes faits) à été produite à 20% par des supernovas de type Ia et 80% par des supernovas de type II.
Dans une étude antérieure, l'un des co-auteurs de cette étude, Norbert Werner de Stanford University, avait montré, déjà à l'aide de Suzaku, que le fer était distribué uniformément partout dans l'amas de galaxies de Persée, mais il n'avait pas pu déterminer la distribution des éléments plus légers produits par les supernovas de type II. Les nouvelles observations sur l'amas de Virgo viennent remplir les cases vides.
Partie centrale de l'amas de Virgo, s'étalant sur 1,2° de côté
(zone correspondant au carré bleu de l'illustration précédente)
NOAO/AURA/NSF
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Aurora Simionescu, Norbert Werner et leurs collaborateurs publient leurs observations dans the Astrophysical Journal Letters. Ils y montrent pour la première fois une détection de fer, de magnésium, de silicium et de soufre partout dans tout le volume de l'amas de galaxies. Les ratios des différents éléments chimiques sont constants quelle que soit la position dans l'amas de galaxies, et sont cohérents avec les valeurs que l'on observe dans le soleil et la plupart des étoiles de notre galaxie (qui ne fait pas partie de l'amas de Virgo).
Comme les amas de galaxie couvrent un volume énorme d'Univers (plusieurs milliers de galaxies), les astronomes peuvent utiliser ce seul exemple pour extrapoler à l'Univers dans son ensemble. La même proportion de types de supernovas qui est à l'origine de la matière de notre système solaire se retrouve donc partout. Ce grand ensemencement a connu une période intense lorsque l'Univers était âgé entre 2 et 4 milliards d'années (il y a entre 11,8 et 9,8 milliards d'années) et se poursuit aujourd'hui à un rythme plus lent.
Aurora Simionescu conclut :"Cela indique que tous les éléments que l'on trouve sur Terre sont disponibles, en moyenne, dans des proportions similaires partout dans l'Univers. En d'autres termes, les briques indispensables à la vie se retrouvent partout dans l'Univers..."
L'agence spatiale japonaise à annoncé le 26 août dernier la fin de la mission de Suzaku, mais les chercheurs ne sont pas déçus car il sera remplacé très vite par le sixième télescope à rayons X japonais, le très attendu ASTRO-H, qui doit être lancé en 2016.
Source :
A uniform contribution of core-collapse and type Ia supernovae to the chemical enrichment pattern in the outskirts of the virgo cluster
A. Simionescu et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 811, Number 2 (1 october 2015)