vendredi 25 juillet 2014

Une Méga-Tempête Solaire Evitée de Peu il y a 2 ans

Que faisiez-vous le 23 juillet 2012 ? Ce jour aurait pourtant pu devenir un jour historique, un jour terrible. En effet le Soleil ce jour-là a failli nous renvoyer à l’ère pré-industrielle pendant un moment à cause d’une gigantesque tempête solaire jamais vue depuis plus de 150 ans…


Daniel Baker, chercheur à l’université du Colorado a publié en décembre de l’année dernière dans Space Weather avec des collègues de plusieurs universités américaines les résultats qu’ils ont pu obtenir avec le satellite STEREO-A qui étudie le Soleil. Leur étude décrit comment une éjection de masse coronale ultra puissante a traversé l’orbite terrestre à un endroit où était passé notre planète à peine une semaine auparavant.
Il faut savoir que les tempêtes solaires qui se manifestent par des éjections de plasma constituent un risque très sérieux pour toutes les formes de haute technologie, en fait tout ce qui est fondé sur l’utilisation de l’électricité.

Une grosse tempête solaire commence par une sorte d’explosion magnétique le plus souvent au niveau d’une tache solaire. Des rayons X et du rayonnement UV atteignent la Terre à la vitesse de la lumière (en 8 minutes) et vont ioniser les couches supérieures de l’atmosphère, pouvant produire des blackouts radio et des erreurs sur les GPS par exemple. Quelques minutes à quelques heures plus tard, des particules énergétiques arrivent (électrons et protons). Ces dernières, accélérées par l’onde de choc initiale vont endommager les électroniques des satellites en orbite.

Puis viennent ensuite les fameuses éjections de masse coronale (CME en anglais) : des milliards de tonnes de plasma magnétisé qui prennent environ une journée pour traverser la distance Soleil-Terre.
Vue d'artiste de STEREO (NASA)
Les spécialistes estiment qu’un choc direct avec une éjection coronale extrême comme celle de juillet 2012 aurait causé des perturbations massives de tous les systèmes électriques sur l’ensemble des continents, détruisant potentiellement de nombreux systèmes électriques branchés à une prise secteur… Avant juillet 2012, lorsque les spécialistes du domaine parlaient de tempêtes solaires extrêmes, ils évoquaient toujours l’événement de Carrington de septembre 1859, du nom de l’astronome anglais Richard Carrington qui eut la chance de voir de ses yeux l’éruption correspondante. Dans les jours qui suivirent son observation, une série d’intenses éjections de masses coronale frappèrent la Terre et de nombreux phénomènes magnétiques furent relevés. Des aurores furent observées jusqu’à des latitudes très basses, jusqu’à Cuba !.. Des lignes de télégraphe entières (l’internet de l’époque) furent détruites avec l’apparition d’incendies dans certains centraux.

Une tempête solaire du même type aujourd’hui (ou en 2012) aurait un effet catastrophique. D’après une étude de la National Academy of Science aux Etats-Unis, l’impact économique global pourrait dépasser 2000 milliards de dollars. De nombreux systèmes électriques de distribution comme des gros transformateurs, endommagés simultanément, pourraient prendre plusieurs années à remettre en fonction.
D’après Daniel Baker, la tempête de juillet 2012 était au moins aussi puissante que celle de 1859, la seule différence est qu’elle a raté la Terre…

Quelques mois avant, en février 2012, le physicien Pete Riley publiait un article toujours dans Space Weather dans lequel il calcule la probabilité d’occurrence de tempêtes solaires extrêmes. Il y analyse les enregistrements des tempêtes solaires sur plus de 50 ans. En extrapolant la fréquence des tempêtes « ordinaires » par rapport à celle des tempêtes extrêmes, il obtient un résultat qui peut faire un peu peur : une tempête extrême de classe Carrington doit frapper la Terre dans les 10 ans à venir avec une probabilité de 12%. Comme c’était il y a deux ans, on dira dans les 8 ans à venir…

Dans son étude, Riley a regardé un paramètre important, appelé le DST (Disturbance Storm Time), qui est une valeur mesurée sur des magnétomètres  autour de l’équateur. Le DST mesure comment le champ magnétique terrestre est perturbé par des interactions de plasma solaire. Plus une tempête solaire est importante plus le DST a une valeur négative. Des tempêtes géomagnétiques classiques qui produisent de belles aurores boréales ont un indice de DST de l’ordre de -50 nanoTesla. La plus grosse tempête géomagnétique jamais enregistrée, en mars 1989, qui paralysa une grande partie du Québec avait un DST de -600 nT. Des estimations pour l’événement de Carrington de 1859 s’échelonnent entre -800 nT et -1750 nT. Baker et al. ont également évalué quel aurait été le DST de la tempête si cette masse coronale avait atteint la Terre le 23 juillet 2012 : -1200 nT, soit du même ordre voire plus important que l’événement de 1859.
Ejection de masse coronale imagée par STEREO en 2011
(le soleil est au centre du rond blanc) (NASA)
Il faut bien comprendre qu’on n’aurait jamais eu vent de la présence de cette tempête solaire géante de juillet 2012 si le satellite STEREO-A n’en avait pas détecté les effets depuis son orbite héliocentrique. Grâce à ce satellite, nous connaissons maintenant quelques détails peut-être cruciaux sur ces éjections de masse coronale, que ce soit leur structure magnétique, le type d’onde de choc et de particules énergétiques associées et surtout le nombre d’éjections moins intenses associées à l’éjection géante. Car la région active du Soleil responsable de ce phénomène n’a pas produit une seule grosse éjection de plasma mais plusieurs, probablement au moins deux principales séparées de 15 minutes, qui suivaient une autre éjection moins intense quatre jours plus tôt. Cette première quelques jours avant a eu en quelque sorte pour effet de « nettoyer » le chemin, permettant aux éjections postérieures de ne pas subir de « ralentissement » dans leur course.
Cette observation de la présence de multiples éjections associées à une éjection géante est à mettre en relation avec le fait que l’événement de Carrington de 1859 lui aussi semble avoir montré de multiples éruptions, ce qui pourrait fournir une clé pour comprendre ces phénomènes extrêmes.

Combien de telles tempêtes solaires potentiellement destructrices ont eu lieu en ratant de peu l’orbite de la Terre ? Nul ne le sait et pas grand monde n’a conscience de ce danger. Mais si les calculs de Pete Riley sont corrects, nous ne devrions pas nous désintéresser de ce phénomène. A défaut de pouvoir le prévoir, nous pourrions au moins nous y préparer.


Réferences:

Near Miss: The Solar Superstorm of July 2012
Tony Phillips

A major solar eruptive event in July 2012: Defining extreme space weather scenarios
D. Baker et al.
SPACE WEATHER, VOL. 11, 585–591 (2013)

Simulation of the 23 July 2012 extreme space weather event: What if this extremely rare CME was Earth directed?
C. Ngwira et al.
SPACE WEATHER, VOL. 11, 671–679 (2013)

On the probability of occurrence of extreme space weather events
Pete Riley
SPACE WEATHER, VOL. 10, (2012)

mercredi 23 juillet 2014

Les Galaxies Naines Semblent Bien Tourner dans un Même Plan

Donc, notre galaxie et sa voisine la galaxie d'Andromède ne seraient pas des exceptions.... On pouvait quand-même s'y attendre, il n'y avait aucune raison pour que ces deux galaxies soient spécifiques quant à la rotation de leurs galaxies satellites.


Je vous avais relaté l'observation de l'existence d'une sorte de plan de rotation des galaxies naines autour de la galaxie d'Andromède en janvier 2013. Et il faut dire que cette nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre dans les grands médias, au-delà des journaux et blogs scientifiques, mais pas forcément pour des raisons scientifiques... 
Vue d'artiste du phénomène observé
(credit : Geraint Lewis)
Si vous vous en souvenez, cette étude avait fait la une de la revue Nature, ce qui est très bien pour leurs auteurs, mais ce qui a déclenché ce gros buzz à l'époque c'est que le nom du premier auteur de l'article était celui d'un gamin de 15 ans, le fils de l'astronome étant à l'origine de cette recherche avec toute une équipe d'astrophysiciens internationaux. Et ledit gamin ayant fait un petit stage de découverte de 3ème à l'observatoire où travaille son père avait été opportunément propulsé en premier auteur de l'article, les médias criant alors tous au "génie qui défie Einstein"... alors que...
Bon, et bien, aujourd'hui, on remet ça ! Il se trouve que cette toute nouvelle étude, qui prend la suite de cette dernière, a également été publiée dans le fameux Nature, et que son premier auteur est à nouveau ce gamin qui affirme travailler pour (défense de rire) le Lycée International de Strasbourg (très connu dans le monde de l'astrophysique comme chacun le sait...). Evidemment, son bon papa, astronome à l'observatoire de Strasbourg, est le deuxième auteur dans la liste (et ne s'y trompons pas probablement le véritable premier auteur).

La Une de Nature du 3 janvier 2013
Bon, venons à la science car c'est ce qui est intéressant ici. L'étude de janvier 2013 avait montré que les galaxies naines associées à la grosse galaxie M31 gravitaient autour d'elle dans le même plan, ce qui est totalement incompris, puisque d'après ce que l'on croit savoir sur les galaxies, les galaxies satellites doivent tourner autour de leur galaxie géante n'importe comment, sans direction privilégiée. Et il se trouve qu'on avait également quelques indices montrant que les galaxies naines situées autour de notre galaxie semblaient elles aussi alignées dans un même plan.

Les astronomes français et australiens ont donc voulu savoir si on pouvait observer le même phénomène sur d'autres galaxies plus lointaines. Ils se sont donc plongés dans une vaste base de données de galaxies, le Sloan Digital Sky Survey pour en extraire les données de décalage spectral des galaxies naines satellites de plusieurs centaines de grandes galaxies. 
Ils montrent qu'il existe effectivement un effet systématique : en regardant des galaxies naines diamétralement opposées autour d'une galaxie géante donnée, ils montrent qu'elles ont des vitesses anti-corrélées : l'une va dans une direction et l'autre dans la direction opposée. Et lorsqu'on observe la distribution spatiale d'autres galaxies naines plus éloignées du centre galactique, elles se retrouvent avec une forte probabilité dans un plan défini par l'axe joignant la paire de galaxies naines anti-corrélées. Les galaxies naines semblent donc tourner systématiquement autour des grosses galaxies dans un même plan. 

Cette confirmation va poser quelques soucis aux astrophysiciens qui vont devoir revoir pas mal de leurs modèles concernant les galaxies : un truc cloche mais quoi ? Matière noire ? Gravitation ? Modèle de formation des galaxies ? Nature des galaxies naines ? Un peu tout ça en même temps ? C'est avec de nouvelles observations incomprises que l'astrophysique avance. En ce sens, cet article est une très bonne nouvelle, même si le prénom qui sera cité en parlant de cette étude n'est sans doute pas vraiment l'auteur principal de ce travail...


Référence : 

Velocity anti-correlation of diametrically opposed galaxy satellites in the low-redshift Universe
Neil  Ibata, Rodrigo  Ibata, Benoit Famaey & Geraint Lewis
Nature (2014), Published online 20 July 2014


mardi 22 juillet 2014

G2 ou le Flop du Trou Noir

Je vous en avais parlé le 16 mai 2013, puis à nouveau le 12 janvier 2014, il faut que je revienne un instant sur G2. Les astrophysiciens espéraient voir un superbe spectacle, celui d'un nuage de gaz fonçant à toute vitesse vers le trou noir supermassif de notre galaxie.



Vue d'artiste du nuage G2 autour de Sgr A*
Cela aurait pu, aurait dû être un spectacle car ledit nuage de gaz devait "rallumer" notre gros trou noir Sgr A*, qui se trouve désespérément calme. Pour étudier cet objet sombre rien de tel qu'un peu de matière pour le nourrir, ce qui aurait produit pas mal de rayonnements que nous aurions pu analyser tranquillement dans le détail. Mais il n'en fut rien. Il faut se rendre à l'évidence, il ne se passera rien cette année autour de Sgr A*. G2 n'a pas été au rendez-vous.
La raison pour laquelle il ne s'est rien passé est aujourd'hui investiguée et plusieurs hypothèses voient le jour. Une hypothèse intéressante vient d'être publiée sur le site de préprints Arxiv par une équipe allemande du Max Planck Institute. Ils suggèrent que le nuage G2 n'est pas vraiment un nuage, mais plutôt une zone dense située à l’intérieur d'un flot de matière, et qu'au lieu d'être attirée par Sgr A*, ce flot ne ferait que passer auprès du TN sans tomber dessus pour former un disque d’accrétion.

Si ç'avait été le cas, nous aurions eu droit à de belles émissions de rayons X et d'ondes radio. Evidemment, en n'étant pas accéléré à des vitesses folles, le gaz n'a aucune raison de produire de tels rayonnements. Le flot continu de matière que les astrophysiciens allemands évoquent aurait été extrait de l'enveloppe d'une étoile qui serait passée un peu trop près du trou noir il y a relativement peu de temps, environ une centaine d'années seulement.

Vue schématique du centre galactique (Nature)
Ils ont en remarqué qu'un autre nuage de gaz nommé G1, découvert il y a dix ans avait quasi la même orbite que G2 et se mouvait même dans le même plan.

L'hypothèse de l'équipe qui a scruté la zone de Sgr A* à l'aide du Very Large Telescope est que G1 et G2 font tous les deux partie du même flot de matière qui traverse la zone centrale de la Galaxie. Et c'est peu ou prou la même idée qu'avaient émise James Guillochon et Avi Loeb du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics à Cambridge en avril dernier dans un article paru dans the Astrophysical Journal Letters.

Andrea Ghez
(photo Kyle Alexander)
Si cela s'avère exact, il se pourrait que d'autres boursouflures gazeuses apparaissent à la suite de G2 avec pourquoi pas un passage légèrement plus près de Sgr A* avec des conséquences observables... 

Mais il existe aussi d'autres hypothèses qui voient les choses très différemment. Andrea Ghez, astrophysicienne à l'université de Californie à Los Angeles, qui s'est spécialisée dans la région de Sgr A*, pense, à partir d'autres données d'observations, qu'il y a une étoile cachée dans le "nuage" G2, rien de moins ! Son équipe fait des images de la région de Sgr A* en observant la poussière interstellaire, et tout indique selon eux la présence d'une étoile, qui par son attraction gravitationnelle, empêcherait le gaz de tomber vers le trou noir. Ils ont publié leur étude au début du mois de mai dans un Telegram of the International Astronomical Union

Quoi qu'il en soit, G2 est toujours en mouvement et pourrait traverser dans quelques années ou dizaines d'années la zone du disque de matière entourant Sgr A*. Toujours une occasion pour en savoir un peu plus sur ce qui passe là haut...


Références : 

The Galactic Center cloud G2 and its gas streamer
Oliver Pfuhl et al.
arXiv:1407.4354 , soumis à Astrophysical Journal

Detection of Galactic Center Source G2 at 3.8 micron during Periapse Passage Around the Central Black Hole
A. M. Ghez et al.
Telegram of the International Astronomical Union2 May 2014

vendredi 18 juillet 2014

67P/Churyumov-Gerasimenko : la Surprise de Rosetta

Ça c'est le noyau de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko vue par la sonde Rosetta. Chaque angle est ici espacé de 20 minutes sur cette image prise par la caméra OSIRIS de Rosetta qui était alors à environ 14000 km de la comète.

Il va falloir que la sonde dépose son atterrisseur Philae en Novembre prochain sur ce, sur cette... sur cette chose... Ne reste donc plus qu'à faire tourner les ordis, parce qu'une telle forme n'était pas tout à fait prévue par les spécialistes de l'agence spatiale européenne...


Petit Bonus de l'ESA en attendant :



mercredi 16 juillet 2014

Matière Noire : toujours pas de WIMPs, et même de Moins en Moins

Les chercheurs de matière noire allemands viennent encore de frapper droit au but. Leur expérience s'appelle CRESST II et signifie Cryogenic Rare Event Search with Superconducting Thermometers. Cette expérience est installée au laboratoire souterrain du Gran Sasso en Italie et si vous êtes un fidèle lecteur, vous savez que ces physiciens cherchent des WIMPs, particules hypothétiques de matière noire.



Les nouveaux résultats que nos amis allemands viennent de publier sur Arxiv (1) sont tout simplement une preuve qu'ils  font de la belle science. Vous vous souvenez sans doute que CRESST était une des trois expériences qui revendiquait avoir détecté quelques événements compatibles avec des interactions de WIMPs, c'était en 2011. Il faut désormais parler au passé car les résultats que la collaboration CRESST publie aujourd'hui viennent simplement rejeter catégoriquement les événements détectés antérieurement comme des WIMPs, qui s'avéraient donc n'être que du bruit de fond mal éliminé.
Courbes d'exclusion des WIMPs
(rouge : CRESST II, bleu plein : LUX, bleu pointillé ; XENON100, vert plein : SuperCDMS)
Ces nouveaux résultats ne montrent donc aucune WIMP à l'horizon, ce qui permet aux physiciens de CRESST de fournir une zone d'exclusion plus vaste que ce que nous connaissions auparavant, et ce surtout pour des WIMPs de très faible masse (je sais, une particule massive de très faible masse, c'est une terminologie étrange, mais disons que ça fait quelques GeV, ce qui est déjà assez massif, bref...). CRESST parvient ainsi à couvrir une zone inexplorée par les expériences concurrentes LUX, SuperCDMS ou EDELWEISS. C'est beau parce qu'ils ne s'entêtent pas face à l'évidence.

Il ne reste donc officiellement que deux expériences qui s'entêtent, elles, à revendiquer l'observation de WIMPs : l'italienne DAMA (depuis 1998) et l'américaine CoGENT (depuis 2012). Ces deux expériences là n'utilisent pas du tout les mêmes détecteurs, même si la méthode est toujours la même : détecter des collisions de WIMPs sur les noyaux d'atomes du détecteur. Le point commun de ces deux expériences est qu'elles observent une modulation annuelle de leur signal, qui correspondrait exactement à ce qu'on s'attendrait à voir si il s'agissait de WIMPs. Bien évidemment, la zone correspondante de ces signaux dans le graphe de la section efficace d'interaction en fonction de la masse de la particule est totalement exclue par toutes les autres expériences, y compris désormais CRESST.

Et voilà que quelques jours avant la publication de CRESST, un petit papier était publié (2), toujours sur le site de preprints Arxiv, par un certain Jonathan Davis de l'Université de Durham au Royaume-Uni qui propose une lumineuse explication pour le signal modulé observé par DAMA (et qui pourrait sans doute s'appliquer à celui de CoGENT).

Jusqu'ici, on pensait que tous les bruits de fond avaient été explorés pour essayer de comprendre ce signal. Un bruit de fond très intéressant est notamment constitué par le flux de muons cosmiques résiduel qui arrive encore jusqu'au laboratoire souterrain, ces muons produisant des neutrons dans des réactions secondaires sur les matériaux à fort numéro atomique, comme le plomb qui entoure les détecteurs pour les blinder contre les rayonnements gamma. Comme le flux de muons varie naturellement sur une base annuelle à cause de la variation de température dans la haute atmosphère, ils étaient un candidat parfait... Sauf que le maximum et le minimum (la phase de l'oscillation) ne correspondait pas avec celle du signal de DAMA (et de CoGENT, qui est identique).

Modélisation du signal de bruit de fond en considérant muons et neutrinos solaires (J. Davis)
Jonathan Davis s'est rendu compte qu'il existait une autre source de particules montrant une oscillation annuelle, due elle à la variation de la distance Terre-Soleil : il s'agit des neutrinos solaires provenant de l'isotope 8Be au cœur du soleil. Mais cette variation sinusoïdale du flux de neutrinos solaires a elle aussi une phase différente de celle du signal observé par DAMA, et aussi différente de celle de l'oscillation du flux de muons. Et ces neutrinos énergétiques (environ 15 MeV) produisent également des neutrons par interactions sur des noyaux lourds, bien qu'avec une section efficace très faible, mais ils ont l'avantage du nombre...

En ajustant l'amplitude de ces deux oscillations à phases différentes, on obtient une nouvelle sinusoïde ayant une phase intermédiaire. Et vous devinez ? Cette modulation prenant en compte à la fois le flux de muons et le flux de neutrinos, tous deux produisant des neutrons, colle parfaitement avec le signal observé par DAMA...
J'allais oublier : dans un détecteur de matière noire, on ne peut pas différencier un neutron d'une WIMP...

Jonathan Davis a peut-être mis le doigt sur la résolution d'un problème qui gène plus d'un chercheur de matière noire depuis 15 ans. Cette solution potentielle devrait pouvoir être testée par les expériences similaires à DAMA qui ont été lancées dans l'hémisphère sud, les phases des flux de muons devant être différentes et très vite observables.

En attendant, nous avons appris cette semaine que l'agence de financement fédérale aux Etats-Unis donnait son feu vert pour la poursuite d'une nouvelle génération d'expériences de recherche directe de matière noire :  deux cherchant des WIMPs : SuperCDMS et LZ (LUX+ZEPLIN), et une cherchant des axions : ADMX. La chasse continue...


Sources : 

(1) Results on low mass WIMPs using an upgraded CRESST-II detector
G. Angloher et al.

(2) Fitting the annual modulation in DAMA with neutrons from muons and neutrinos
Jonathan H. Davis


mardi 15 juillet 2014

26 Nouveaux Trous Noirs pour Andromède

C'est l'année dernière qu'une équipe d'astronomes américains a découvert pas moins de 26 nouveaux trous noirs dans la galaxie d'Andromède, ce qui porte à 35 le nombre de trous noirs connus dans cette galaxie sœur de la nôtre.



La galaxie d'Andromède
(zoom sur le centre en rayons X)
(NASA/Chandra X Ray Lab)
C'est bien évidemment le plus grand nombre de trous noirs jamais trouvés dans une galaxie autre que la nôtre. Cette découverte a été effectuée grâce au télescope spatial Chandra spécialisé dans la détection des rayons X.

L'équipe du Harvard-Smithonian Center for Astrophysics a utilisé 152 sessions d'observations sur Chandra espacées sur 13 ans pour trouver ces 26 trous noirs, ce qui fait en moyenne deux trous noirs trouvés par an. Pas mal pour des objets invisibles...
Les trous noirs en question sont des trous noirs stellaires, des résidus d'étoiles ayant explosé, ayant un masse comprise entre 4 fois et 10 fois celle du Soleil, rien de commun avec des trous noirs supermassifs dont nous parlons souvent ici. 

Ils ont tout de même un petit point commun, c'est que leur disque d'accrétion subit les mêmes phénomènes physiques, bien qu'à une échelle différente : l'échauffement du gaz en rotation autour de trou produit une émission intense de rayons X. Et ce sont ces rayons X que Chandra parvient à détecter et localiser.

Sept des 35 candidats trous noirs se situent dans un rayon de 1000 années-lumière seulement du centre de la galaxie, ce qui est un nombre plus important que celui des trous noirs similaires connus dans le centre de notre galaxie. Mais cette concentration n'est pas vraiment une surprise car le bulbe central d'étoiles d'Andromède est plus gros que celui de la Voie Lactée, et donc doit logiquement former plus de trous noirs stellaires.

Les trous noirs détectés dans le centre d'Andromède (cercles)
(Chandra X-Ray Observatory)
Il existe une autre différence au sujet des trous noirs peuplant les deux galaxies voisines : parmi ces 35 trous noirs d'Andromède, 8 se trouvent à l'intérieur d'amas globulaires, ces regroupements sphériques de vieilles étoiles, alors qu'aucun trou noir n'a encore pu être observé dans un amas globulaire de notre Voie Lactée...

Lorsque les deux galaxies fusionneront dans quelques milliards d'années, tous ces petits trous noirs se trouveront dispersés au sein de la galaxie elliptique géante qui résultera de la rencontre.


Référence: 

Chandra identification of 26 new black hole candidates in the central region of M31
Barnard, R. et al, 2013, ApJ 770, 148; 
arXiv:1304.7780

samedi 12 juillet 2014

Des Rayons Cosmiques Ultra-Énergétiques Concentrés dans une Petite Zone du Ciel

Les rayons cosmiques sont ces particules chargées, majoritairement des protons, mais pas uniquement, ils peuvent aussi être des petits noyaux d'atomes. Leur énergie peut être très variable, assez faible pour les nombreux protons venant du Soleil et beaucoup plus énergétiques pour ceux d'entre eux qui proviennent de l'extérieur de notre galaxie. Quand on parle d'énergie pour les rayons cosmiques, on parle d'énergie cinétique.



Alors que l'énergie de masse d'un proton (énergie au repos) vaut un peut moins de 1 GeV (1 milliard d'électron-volts), l'énergie totale des rayons cosmiques peut atteindre, pour les plus énergétiques d'entre eux jusqu'à 100 milliards de GeV. Ces rayons cosmiques hors norme sont appelés des UHECR (Ultra High Energy Cosmic Rays). Une équipe d'astrophysiciens de l'Université de l'Utah vient de mettre en évidence un phénomène étonnant : alors qu'on s'attendait logiquement à ce que tous les UHECR détectés soient répartis uniformément sur la totalité du ciel, Gordon Thomson et son équipe montrent qu'il n'en est rien ! Il existe une petite zone du ciel de l'hémisphère nord (6% de la surface du ciel) qui concentre à elle seule plus de 20% des 72 particules ultra-énergétiques détectées entre 2008 et 2013 par le Telescope Array qu'ils ont utilisé pour leur étude. Ce Telescope Array est un réseau de 500 détecteurs distribués sur une zone de 1,2 kilomètres carrés dans le désert de l'Utah.
Répartition spatiale des rayons cosmiques ultraénergétiques
(K. Kawata, University of Tokyo Institute for Cosmic Ray Research)



Or on ne sait toujours pas quelles sont les sources à l'origine de tels rayons cosmiques ultra énergétiques, ce dont on est sûr en revanche, c'est qu'ils ont la capacité de filer tout droit, leur énergie cinétique induisant une très faible déviation de leur trajectoire par des champs magnétiques galactiques. Ils peuvent venir de galaxies très très lointaines (plusieurs millions ou milliards d'années-lumière) et leur direction d'observation dans le ciel doit nous indiquer la  direction des sources qui sont à leur origine.
Parmi ces sources potentielles évoquées par les chercheurs figurent les objets les plus violents de l'univers on s'en doute :  noyaux de galaxies actives, émetteurs gamma de tout poil, supernovae, trous noirs, ondes de choc de galaxies en collision, et même des sources exotiques hypothétiques comme des désintégrations de cordes cosmiques ou de particules massives provenant de l'Univers primordial...

Mais il se pourrait bien que cette observation permette au final d'en savoir plus sur la structure de l'univers à grande échelle. Comme les rayons cosmiques sont censés provenir des zones denses de matière comme les superamas de galaxies, il se pourrait que la zone du ciel de 40° de diamètre qui a été repérée soit exceptionnellement peuplée de matière.

Une chose est sûre en tout cas : les astrophysiciens savent maintenant dans quelle zone du ciel il faudra regarder pour attraper des rayons cosmiques ultra énergétiques : dans un petite zone de l'hémisphère nord, et plus précisément dans la constellation de la Grande Ourse...


Référence : 
Indications of Intermediate-Scale Anisotropy of Cosmic Rays with Energy Greater Than 57 EeV in the Northern Sky Measured with the Surface Detector of the Telescope Array Experiment
The Telescope Array Collaboration
arXiv:1404.5890 26 Jun 2014, à paraître dans Astrophysical Journal Letters

jeudi 10 juillet 2014

Les Grains de Poussière des Supernovae

Les grains de poussière jouent un rôle fondamental dans l’évolution des galaxies. Ils contribuent à la formation des étoiles et fournissent le matériau essentiel pour la formation des planètes telluriques et de tout ce qui se trouve dessus. 


Mais l’origine des poussières reste un sujet délicat. Il n’est toujours pas très clair si elles proviennent bien d’explosions d’étoiles massives (supernovae). Certains modèles indiquent que les grains de poussières préexistants à l’explosion doivent être littéralement soufflés ou détruits lors de l’expulsion violente de gaz accompagnant la supernova. Mais des observations indirectes, d’autre part, ont montré l’existence de grandes quantités de poussières dans des galaxies éloignées comme proches, suggérant que, ou bien les supernovae produisent vraiment beaucoup beaucoup de poussières, ou bien la destruction de ces poussières est très inefficace.

SN 200jl dans sa galaxie (NASA/Chandra)
Une équipe d’astrophysiciens majoritairement danois s’est penchée sur cette question et publie son étude dans Nature cette semaine. Les chercheurs se sont intéressés à la poussière entourant une supernova découverte en 2010, dénommée SN2010jl. Leurs observations tendent à indiquer que les deux phénomènes seraient vrais : les supernovae produisent énormément de poussière et ne parviennent pas à la détruire…
Christa Gall et ses collègues ont vérifié l’absorption de la lumière émise par la poussière par des débris de la supernova en mouvement vers nous, ainsi qu'observé l’émission infra-rouge de cette poussière.
Avec le Very Large Telescope situé au Chili, l'équipe a pu observé la supernova au cours du temps sur dix époques, à partir du 26ème jour après l'explosion. Ils trouvent une belle évidence que des grains de poussière se sont formés dans la coquille dense qui se situe juste derrière l'onde de choc en expansion de la supernova. Et ce qu'ils ont trouvé de surprenant, c'est qu'au jour 868 après l'explosion, la quantité de poussière a augmenté considérablement. La masse totale de poussière est de l'ordre de 830 fois la masse de la Terre.
Mais il y a mieux : les astrophysiciens menés par Christa Gall ont exploité la courbe d'extinction de la lumière par ces grains de poussière pour en déduire leur composition et surtout leur taille, et c'est là qu'arrive la surprise! Leur composition n'est pas surprenante, il s'agit surtout de grains composés de carbone, mais leur taille est une vraie surprise. Ces grains de poussière sont énormes par rapport à ce qu'on connait dans notre galaxie. Dans notre galaxie, afin de reproduire les courbes d'extinction de la poussière, on doit déduire que les grains de poussière font environ 0,25 microns de rayon; dans SN2010jl, les grains de poussière doivent faire entre 1 µm et 4,2 µm ! 
Certes, ce n'est pas la première fois que des astronomes rencontrent des grains de poussière aussi gros, on peut citer la sonde Ulysses qui avait détecté des grains de plus de 2 microns dans notre système solaire et des grains de 6 µm sont déjà parvenus dans la haute atmosphère de la Terre.
Il faut avoir en tête qu'il y a plusieurs dizaines de milliards d'atomes dans un grain de 1 µm.
Ces gros grains de poussière autour d'une supernova lointaine nous prouvent non seulement que cette poussière est produite au cours de l'explosion, mais aussi que cette poussière est difficilement détruite par le phénomène explosif et l'environnement dur associé. C'est en fait leur grande taille qui rend ces grains résistants. En effet, un grain de quelques microns est bien moins vulnérable à des collisions de particules plus petites à très haute vitesse que ne l'est un grain d'une fraction de micromètre.

Il existe une autre supernova, beaucoup plus proche de nous, dans le grand nuage de Magellan, petite galaxie satellite de la nôtre, qui pourrait être un superbe laboratoire pour étudier les interactions de la supernova avec la poussière. SN1987A pourrait donner aux astronomes une belle opportunité d'observer ce qui se passe quand des débris de l'explosion en mouvement rapide viennent percuter un anneau de poussière produit auparavant par l'étoile progénitrice de la supernova. Les débris de SN1987A se meuvent à 2000 km/s dans notre direction et devraient bientôt atteindre le nuage situé à environ 150000 années-lumière de nous.
Les chercheurs vont pouvoir observer ce qui se passe en direct grâce au réseau ALMA. La formation et la destruction de poussière vont pouvoir être observées de très près et si il se confirme que de telles ondes de choc sont moins destructrices pour la poussière, on commencera enfin à comprendre pourquoi il existe de telles masses de poussières dans les galaxies.


Référence :
Rapid formation of large dust grains in the luminous supernova 2010jl
Christa Gall et al.
Nature (2014) Published online 09 July 2014

dimanche 6 juillet 2014

Les Mots de l'Infini

"L'infini du ciel, avec ses défis, son roulement, ses mots innombrables, n'est qu'une phrase un peu plus longue, un peu plus haletante que les autres."

René Char, Possessions extérieures



"Plus qu'aucune autre question, celle de l'infini a depuis toujours tourmenté la sensibilité des hommes; plus qu'aucune autre idée, celle de l'infini a stimulé et fécondé leur raison; mais plus qu'aucun autre concept, celui de l'infini demande à être élucidé."

David Hilbert



"Toutes les choses étaient ensemble, infinies tant en multitude qu'en petitesse; car la petitesse aussi était infinie."

Anaxagore



"C'est nous - la divinité indivise qui opère en nous - qui avons rêvé l'univers. Nous l'avons rêvé solide, mystérieux, visible, omniprésent dans l'espace et fixe dans le temps; mais nous avons permis qu'il y eût à jamais dans son architecture de minces interstices de déraison, pour attester sa fausseté."

Jorge Luis Borges, Les Avatars de la tortue



"Il avait raison Van Gogh, on peut vivre pour l’infini, ne se satisfaire que d’infini, il y a assez d’infini sur la terre et dans les sphères pour rassasier mille grands génies. "

Antonin Artaud


"L'homme est un éternel chercheur. Il aspire à l'infini, il trouve le fini."

Jean-Charles Harvey,  Les demi-civilisés



"Ce n'est pas seulement le nombre des atomes, c'est celui des mondes qui est infini dans l'univers."


Epicure


"Car enfin, qu'est-ce qu'un homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant , un milieu entre rien et tout."

Blaise Pascal 



"Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la bêtise humaine... mais pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue. "


Albert Einstein



"Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie."


Blaise Pascal



mardi 1 juillet 2014

Sortir de l’Obscurité avec l’Antimatière

La collaboration ALPHA vient d’apporter la preuve au CERN que l’antihydrogène est bien neutre. Ne le savait-on pas déjà ? Oui, bien sûr, si notre compréhension de la physique est correcte, mais encore fallait-il le démontrer expérimentalement. De nombreuses expériences s’intéressent actuellement à l’antihydrogène, et pour des raisons plus que fondamentales.



N’importe quelle expérience sur l’antihydrogène qui conduirait à un résultat inattendu représenterait une découverte monumentale qui changerait fondamentalement notre vision du monde physique. Et il existe aujourd’hui de fortes suggestions pour que la recherche sur l’antimatière puisse résoudre les plus gros mystères de la physique actuelle…
schéma de l'hydrogène et anti-hydrogène (CERN)
La collaboration ALPHA a donc permis de fixer une limite sur la charge d’un anti-atome d’hydogène (ou un atome d’anti-hydrogène), composé rappelons-le d’un antiproton et d’un anti-électron (aussi appelé positron). Cette nouvelle mesure (une charge électrique d’environ 10-8 celle de l’électron, je passe les décimales) est de l’ordre de 6 ordres de grandeurs plus basse que la précédente limite mesurée, et est meilleure d’un facteur 2 par rapport à ce qui pouvait être dérivé des mesures de charge individuelles de l’antiproton et du positron. L’antihydrogène est donc bien neutre comme on s’y attendait, mais cela méritait vraiment d’être vérifié. En effet, notre existence dépend d’une asymétrie apparente entre matière et antimatière, or la seule asymétrie que nous connaissons dans la nature est la violation de la symétrie de charge-parité (CP), dont la valeur est de plusieurs ordres de grandeurs trop petite pour avoir pu générer l’Univers dominé de matière que nous connaissons.
La recherche sur l’antimatière ne s’intéresse pas seulement à la question fondamentale de l’antimatière manquante, qui nous permet d’être là, mais pourrait bien aussi répondre au problème de la matière noire et de l’énergie noire. C’est peut-être l’un des seuls sujets de recherche capables aujourd’hui d’adresser toutes ces problématiques en même temps.

L'appareillage de l'expérience ALPHA (CERN)
Nous savons donc que la symétrie CP peut être brisée. Si on ajoute la symétrie de renversement du temps, nous obtenons la symétrie CPT qui a été prouvée être une excellente symétrie pour toutes les théories quantiques fondées sur des champs invariants de Lorentz. Comme ces théories forment la base de la physique des particules, trouver une brisure de la symétrie CPT nous montrerait que nos hypothèses sur l’Univers ne sont pas correctes. Une telle violation de CPT n’a encore jamais été observée bien sûr. Et elle va pouvoir être testée en observant des transitions atomiques (la raie Lyman a) dans des atomes d’antihydrogène. La raie Lyman a de l’hydrogène est peut-être le paramètre physique qui est connu avec la plus grande précision aujourd’hui (jusqu’à la 14ème décimale), il faut maintenant produire suffisamment d’atomes d’antihydrogène pour atteindre la même précision… Au moins trois expériences différentes se sont lancées dans ce type de production et de mesures d’une éventuelle violation de CPT : ALPHA bien sûr, mais aussi ATRAP et ASACUSA, cette dernière expérience utilisant une méthode différente des deux premières.

Mais comme je le disais, il n’y a pas que la découverte potentielle d’une violation de CPT qui motive nombre de physiciens au CERN et ailleurs dans la recherche sur l’antimatière. L’autre mesure fondamentale concerne la gravitation : mesurer la force de gravitation entre matière et antimatière d’une manière directe. Trois expériences se sont lancées dans cette quête : ALPHAAEgIS et GBAR. Dans le paradigme du cadre relativiste de la gravitation, il n’existe pas de différences entre particules de différente nature : les antiparticules tombent de la même façon que les particules.

Paul Dirac, l'inventeur de l'antimatière
(Emilio Segré Visual Archives)
Mais, alors que la relativité générale fonctionne parfaitement à l’échelle du laboratoire et du système solaire, ce n’est plus le cas au niveau des structures plus grandes, dans les courbes de rotation des galaxies, les structures d’amas de galaxies ou encore le taux d’expansion cosmique où des anomalies observées par rapport à la théorie ont conduit soit au postulat de l’existence d’une matière noire et d’une énergie noire, dont la nature est toujours tout à fait inconnue, soit au développement de théories de gravitation alternatives (gravitation modifiée).


Une autre voie permettant d’expliquer (au moins en partie) ces observations est d’introduire une interaction gravitationnelle entre matière et antimatière qui n’est pas celle considérée habituellement dans la relativité générale (force attractive entre toutes les masses) : une interaction gravitationnelle répulsive entre matière et antimatière, de la même manière que deux charges électriques identiques se repoussent et deux charges électriques différentes s’attirent, une symétrie du même type (mais inversée) pourrait exister entre masses si l’antimatière avait en fait une masse « négative ». Il faut savoir que des solutions à masse négative produisant une interaction répulsive existent bel et bien dans les équations de la relativité générale (solutions de l’équation de Kerr-Newman).
Un modèle cosmologique fondé sur de telles interactions a même déjà été développé(2) en envisageant l’existence d’une quantité rigoureusement identique de matière et d’antimatière dans l’Univers, et conduit en outre à ne plus avoir besoin de constante cosmologique (donc d’énergie noire) pour expliquer les observations de supernovae Ia, qui ont amené à la construction du modèle actuel d’univers en expansion accélérée. Dans ce scénario, matière et antimatière se repoussant mutuellement par gravitation, elles resteraient séparées à jamais.
De plus, des paires virtuelles de particules-antiparticules produites à partir du vide formeraient des dipôles gravitationnels et comme les charges gravitationnelles (les masses) opposées se repousseraient, la polarisation gravitationnelle du vide augmenterait les champs gravitationnels suffisamment forts pour polariser d’avantage les dipôles, ce qui est différent du cas des charges électriques où la polarisation du vide fait décroitre les champs électriques. Et ce comportement gravitationnel produirait une dynamique ressemblant étonnamment à celle du modèle de gravitation modifiée MOND qui retrouve la forme des courbes de rotation des galaxies sans ajout de matière noire.

L’hypothèse d’une gravitation répulsive entre matière et antimatière semble pouvoir résoudre simultanément les mystères de l’antimatière manquante, de la matière noire et de l’énergie noire. Elle est en train d’être testée au CERN par les expériences sur l’antihydrogène ; si jamais elle s’avère juste, après la révolution scientifique qu’elle provoquera, on ne pourra que se demander pourquoi on n’y avait pas pensé plus tôt…


Sources :
(1) Out of the Darkness
T. Phillips
Nature Physics  vol 10 (july 2014)


(2) Introducing the Dirac-Milne Universe
A. Benoit-Lévy et al.
Astron. Astrophys. 537, A78 (2012)