08/08/24

Découverte d'une nouvelle périodicité dans les sursauts radio de FRB 20121102A


Une équipe d’astrophysiciens a compilé 1145 sursauts radio du célèbre FRB répétitif FRB 20121102A à partir d'observations archivées, réalisées à l'aide de nombreux radiotélescopes. Ils découvrent l’existence d’une nouvelle périodicité dans les sursauts radio de ce FRB, une période de 4,605 jours, qui s’ajoute à la période de 157 jours qui avait été trouvée il y a quelques années. Cela permet d’imaginer la structure du système qui est à l’origine de ces sursauts radio : une étoile à neutron en couple avec une naine blanche, et qui possède une planète très rapprochée… L’étude est parue dans The Astrophysical Journal.

Plus de 700 sources de FRB (Fast Radio Burst) ont été identifiées à ce jour, dont 50 répétitives. Les galaxies hôtes de certains FRB ont été localisées et pour certains, la polarisation et l'énergie des sursauts ont été mesurées, et la distribution de l'énergie ainsi que la période d'activité ont été identifiées pour quelques sources répétitives (dans les études de Zhang en 2020 et Petroff et al. en 2022).

On pense aujourd'hui que les FRB proviennent d'une étoile à neutrons ou plus précisément d'un magnétar. Mais la découverte d'activités périodiques de sources répétitives suggère qu’elles ont probablement des progéniteurs dans des systèmes binaires, ou bien proviennent de précessions de magnétars éruptifs.

Pour FRB 20121102A, qui a été le premier FRB répétitif détecté, une période d’environ 160 jours a été trouvée à partir d'observations approfondies en 2018 et 2020.  FRB 20121102A est la source de FRB de loin la plus prolifique en sursauts radio, on en a déjà détecté plus de 1600, et ça continue tous les jours ou presque.  En octobre 2021, une analyse effectuée sur 1652 sursauts détectés avec le radiotélescope FAST (voir https://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2021/10/1652-sursauts-observes-sur-frb-20121102.html) montrait qu’il existait étrangement deux sous-populations de sursauts chez FRB 20121102A, qui se distinguent par leur énergie. Une bimodalité dans les sursauts laisse supposer l’existence de différents mécanismes ou sites d'émission des sursauts.

Jixuan Li (Sun Yat-Sen University, Zhuhai, Chine) et ses collaborateurs qui avaient trouvé cette bimodalité il y a 3 ans, ont donc cherché à en savoir plus en essayant d’identifier si il existerait une seconde périodicité spécifique en plus de la périodicité qui avait déjà été identifiée dans les signaux il y a quelques années. Les chercheurs chinois ont exploité les données archivées des radiotélescopes FAST, Arecibo, Green Bank Telescope, du télescope de Effelsberg, du télescope MeerKAT, du télescope Lovell, du Deep Space Network, du Very Large Array et enfin du radiotélescope de Westerbork, qui ont tous été utilisés à un moment ou à un autre pour capter des sursauts radio rapides en provenance de FRB 20121102A.

L’analyse détaillée de la distribution dans le temps des sursauts radio montre l’existence d’une première quasi-période de 157,1 jours (+4,8 /-5,2 jours) et d’une seconde quasi-période ("candidate" pour l'instant) de 4,605 jours (0,010/-0,003 jours)

La première période de 157,1 jours est cohérente avec les résultats des études précédentes, mais la seconde est une découverte. Les astrophysiciens chinois montrent que la périodicité de 4,605 jours est plus évidente dans les sursauts à haute énergie dont la fluence est supérieure à 1038 erg. Li et ses collaborateurs essayent donc de comprendre quelle peut être l’origine de cette nouvelle quasi période d’un peu moins de 5 jours dans les sursauts radio rapides de FRB 20121102A et comment elle peut s’inscrire dans la périodicité plus longue de plus de 150 jours.

Il faut se rappeler que les jeunes magnétars sont des étoiles à neutrons très actives. Leur rotation et leur champ magnétique puissant alimentent des flux de vent de particules, et des « ondes de souffle » peuvent également être lancées par ces magnétars, qui produisent des chocs quand elles interagissent avec la matière environnante. Les chocs accélèrent les particules, ce qui entraîne l'émission d’ondes radio. Ces chocs dans les flux magnétiques, c'est le scénario que Beloborodov a proposé en 2017 et 2020 pour expliquer l'origine des FRBs. Il existe aussi d’autres explications très pertinentes qui ont été proposées ces dernières années et qui font intervenir des tremblements de la croûte de l’étoile à neutrons. Dans le scénario magnétosphérique de Beloborodov, le champ magnétique de FRB 20121102A doit être de 1014 Gauss.

Avec des périodicités comprises entre une dizaine et une centaine de jours qui ont été trouvées dans des FRBs répétitifs, un consensus s'est établi sur le fait que la périodicité des sursauts est associée soit aux périodes orbitales de systèmes binaires, la compagne étant une étoile dégénérée ou une étoile massive, soit à la précession d'un magnétar. Et une origine possible par une étoile à neutrons à très longue période de rotation sur elle même ne peut toujours pas être exclue pour les FRBs ayant les périodes les plus courtes.

Pour FRB 20121102A, une orbite binaire très excentrique avec une séparation critique rc de 4,67 UA entre l’étoile à neutrons et l’étoile dégénérée (probablement une naine blanche) est supposée expliquer sa période de ∼160 jours et un cycle d'activité de 50% comme l’ont montré Du et al. en 2021.

Li et son équipe partent donc de cette image de binaire pour tenter d’expliquer la petite période de 4,605 jours qu’ils ont identifiée. Dans ce scénario, du plasma magnétisé résulte du flux d'accrétion de la naine blanche compagne et se propage entre la naine blanche et l'étoile à neutrons lorsqu'elles ont des séparations inférieures à la distance critique rc.

Pour Li et ses collaborateurs, une explication possible de la période de 4,605 jours est l'existence d'une planète proche de l'étoile à neutrons. Pour une étoile à neutrons de 1,4 masses solaires (masse typique), cette période de 4,605 jours implique une séparation orbitale de la planète de 0,061 UA seulement (6 fois plus proche de l'étoile que Mercure du Soleil). La planète résiderait donc dans la magnétosphère de l'étoile à neutrons et interagirait avec le vent de l'étoile à neutrons et l'afflux de matière lors de l'accrétion à partir de la naine blanche.

Ainsi, l'interaction entre la planète et le plasma magnétisé qui l'entoure devrait former une instabilité de type « aile d'Alfvén », qui donne lieu à des impulsions radio, contribuant aux variations quasi-périodiques des impulsions observées dans le FRB. Le phénomène de focalisation relativiste fait se concentrer les sursauts radio de haute intensité dans une gamme étroite de directions. Et lorsque la direction du rayonnement passe par la ligne de visée à chaque orbite de la planète, un nombre croissant de sursauts radio devrait être vu par l'observateur. Ce n'est que lorsque l'interaction binaire entre l’étoile à neutrons et la naine blanche est activée qu'il peut y avoir des flux d'accrétion autour de l'étoile à neutrons qui héberge la planète, de sorte que celle-ci peut interagir avec le plasma qui l'entoure et produire des sursauts.

Mais il existe aussi d'autres mécanismes possibles pour les sursauts radio rapides dans le même cadre géométrique, comme le décrivent Li et ses collaborateurs.

La première possibilité alternative est une reconnexion magnétique, comme celles observées dans l'environnement spatial du système solaire, qui convertit l'énergie stockée dans les champs magnétiques en énergie cinétique de particule. Ces particules à haute énergie peuvent ensuite produire une émission cohérente ou rayonner leur énergie par effet synchrotron. A une distance r<rc , l'étoile naine blanche fournit un flux d'accrétion dans lequel il y aurait suffisamment de particules chargées pour être accélérées dans la reconnexion donnant lieu à des sursauts radio détectables, selon les chercheurs.

La reconnexion magnétique se produit également entre le magnétar et la planète voisine si cette dernière est magnétisée. Cette reconnexion peut donc être modulée par l'orbite de la planète, c'est-à-dire maximisée lorsque le fort champ magnétique de la magnétosphère asymétrique de la planète fait face au magnétar en rotation.

La seconde alternative est l'induction unipolaire. L'interaction de marée entre une planète rocheuse et son étoile hôte (surtout une étoile à neutrons très proche) peut provoquer des intenses activités volcaniques sur la planète, qui produiront une induction unipolaire et fourniront du plasma autour de la planète à même de produire une émission radio par effet maser. Cependant, le plasma externe d'accrétion ou du vent de magnétar dans le système binaire contient généralement des particules de haute énergie, qui sont toujours cruciales pour les sursauts radio détectables. Dans ces différentes variantes, le point commun est la configuration géométrique impliquant une binaire avec une naine blanche et une étoile à neutrons (un magnétar) qui héberge une planète en orbite étroite.

Cette configuration permet d'expliquer en même temps la présence de deux quasi périodes dans les sursauts de FRB 20121102A et l’existence de deux sous-populations de sursauts, distinguées par leur énergie, qui avaient été trouvées par Li et al. en 2021. Car dans cette configuration impliquant une étoile compagne et une planète proche, les sursauts de FRB 20121102A peuvent être divisés en deux classes, résultant de processus différents. La plupart des sursauts, en particulier ceux de basse énergie et certains sursauts de haute énergie, proviendraient des ondes de chocs induits par les vents de magnétar interagissant avec le plasma environnant. Et simultanément, une fraction substantielle des sursauts à haute énergie serait causée par le choc ou l'interaction magnétique entre le magnétar et la planète en orbite autour de lui, qui produit des particules plus énergétiques par rapport au choc dans le plasma environnant, ce qui conduit à des sursauts radio plus lumineux.


Source 

A Candidate Period of 4.605 Days for FRB 20121102A and One Possible Implication of Its Origin

Jixuan Li et al.

The Astrophysical Journal  (25 June 2024 )

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ad4294


Illustration

Exemples de sursaut radio rapides issus de la source FRB 20121102A


05/08/24

Les plus grosses étoiles ne font pas les plus gros trous noirs

Les plus grosses étoiles ne font pas les plus gros trous noirs quand elles explosent… c’est ce que vient de montrer une équipe d’astrophysiciens, qui publient leur étude dans Astronomy&Astrophysics.

Récemment, un trou noir de 33 M a été découvert dans notre galaxie par Gaia (Gaia BH3). La masse de Gaia BH3 est plus élevée que celle des trous noirs stellaires les plus massifs issus de la génération d’étoiles actuelles (étoiles de la Population I), qui est de 10 à 20 M. L'explication la plus logique de la masse élevée de Gaia BH3 est une faible métallicité (qu’on note Z) de l'étoile progénitrice. Une faible métallicité (abondance en éléments lourds) a également été invoquée pour expliquer la masse des premiers trous noirs détectés par ondes gravitationnelles.

Au cours des cinq dernières années, Jorick Vink (Armagh Observatory, Irlande du Nord) et ses collègues ont étudié systématiquement les ingrédients clés de l'évolution des étoiles massives, qui varient en raison des incertitudes liées au mélange entre le cœur et la surface de l'étoile et à la perte de masse produite par le vent stellaire de l'étoile en fin de vie. En effet, la perte de masse est particulièrement influente pour les étoiles les plus massives (les étoiles de plus de 100 M sont appelées étoiles "très massives"), ainsi que d'autres processus de mélange, y compris ce qu’on appelle la semi-convection ou le transfert d'énergie supplémentaire dans les couches super-adiabatiques.

Comme il y a beaucoup d'incertitudes dans les processus de mélange interne et la perte de masse du vent stellaire des étoiles massives, il n'est pas possible de prédire avec précision la masse stellaire finale au moment de la supernova ou la masse du trou noir résultant, pour une étoile de masse initiale donnée. Mais, en utilisant les contraintes observationnelles et théoriques disponibles, Vink et ses collaborateurs montrent qu'il est possible de compartimenter ces questions et de fournir une masse maximale réaliste de trou noir.

Les chercheurs avaient précédemment effectué l'analyse de la masse maximale de trou noir pour les étoiles à faible métallicité. Ils avaient montré qu’à faible Z (en dessous de ∼10% de la métallicité solaire Z), la masse maximale du trou noir est fixée par la physique de l'instabilité de paires lors de l’effondrement gravitationnel (quand les photons à l’intérieur de l’enveloppe stellaire sont suffisamment énergétiques pour produire des paires électron-positron qui déstabilise la pression de radiation interne), mais à fort Z, cet effet devrait être réduit et on s’attend plutôt à voir la masse maximale de trou noir final fixée par la perte de masse du vent stellaire juste avant l’effondrement et l’explosion de la supernova.

Dans leur étude, Vink et ses collaborateurs utilisent la connaissance globale du mélange intérieur de l’enveloppe stellaire, de la perte de masse par le vent stellaire, ainsi que de la physique associée à la luminosité des supergéantes rouges dans le cadre de ce qu'on appelle la limite de Humphreys-Davidson (théorisée en 1979), qui permet de tenir compte indirectement de la perte de masse éruptive, afin de déduire la masse maximale des trous noirs produits par des étoiles de métallicité solaire Z.

Grâce à leur nouvelle modélisation, les chercheurs trouvent que la masse de trou noir stellaire la plus élevée n'est pas obtenue pour les masses d’étoiles les plus élevées, comme on aurait pu s'y attendre, mais au contraire, la masse de trou noir maximale (qui vaut 30 M) est trouvée pour la gamme de masses stellaires comprises entre 35 et 45 M. Le modèle d’étoile à 35 M perd par exemple seulement 4 M⊙ pendant la combustion de H dans le noyau et 1 M supplémentaire pendant la combustion de l’hélium.

La raison de ce comportement apparemment contre-intuitif est que les astrophysiciens ont inclus une perte de masse qui s'installe au-dessus de la masse de transition de 80 à 100 M. Pour les étoiles les plus massives, les taux de perte de masse sont suffisamment élevés pour non seulement éliminer l'enveloppe d’hydrogène, mais aussi pour enlever de la masse au noyau stellaire. Les masses des trous noirs issus de ces étoiles de Wolf Rayet dépouillées sont de 10 à 15 M au maximum (à Z⊙ rappelons-le). Pour la gamme de masse inférieure à 50 M, la combustion de l'Hélium dans le cœur n'a pas lieu pendant la phase Wolf-Rayet, mais pendant la phase supergéante (bleue, jaune ou rouge). La durée de vie après la combustion de l'He ne représente que 1% de l'évolution stellaire, de sorte que cette perte de masse ne devient pertinente que si le taux de perte de masse après la combustion de l'Hélium du coeur est 100 fois plus puissant que pendant la séquence principale, ou 10 fois plus puissant que pendant les phases de combustion de l'Hélium du coeur.

L'analyse effectuée par Vink et ses collaborateurs implique qu'il serait très improbable de découvrir un trou noir stellaire de 70 M issu d’une étoile de métallicité solaire. Cela ne veut pas dire qu'un trou noir de 70 M ne pourrait pas exister dans la Voie Lactée, mais qu’il devrait dans ce cas s'être formé à une époque antérieure, quand la métallicité était encore inférieure à ∼10% de Z.

La masse totale perdue par les étoiles en fin de vie dans les vents stationnaires dépend à la fois du taux de perte de masse dépendant de la température et de la durée de l'évolution. Pour cette raison, les chercheurs ont considéré à la fois les effets de la perte de masse dans les vents ainsi que du mélange intérieur, mais ils concluent que la masse maximale de trou noir est fixée par la limite de Humphreys-Davidson.

En conclusion, les astrophysiciens mettent en garde sur le fait qu’ils ont utilisé des taux de perte de masse plus élevés pour les étoiles très massives, ce qui leur a permis de conclure que ces étoiles ne produisent pas la masse maximale de trou noir à la métallicité solaire. La raison pour laquelle on peut avoir confiance dans l'implémentation d'un taux de perte de masse élevé pour les étoiles très massives, selon eux, c’est que cette solution est la seule qui explique naturellement les températures effectives presque constantes de ces étoiles à différentes métallicités. Si les taux de perte de masse étaient plus faibles, ils devraient être ajustés pour chaque valeur de masse de ces étoiles très massives afin d'éviter soit une évolution vers le rouge résultant de taux de perte de masse trop faibles, soit une évolution vers le bleu induite par une perte de masse trop élevée.

Les auteurs soulignent également qu'il existe encore de nombreuses incertitudes concernant le mélange intérieur des étoiles massives et la perte de masse du vent stellaire, mais en utilisant des contraintes observationnelles et théoriques clés, ils ont montré qu'il est possible de fournir une masse maximale réaliste pour le trou noir résultant de leur explosion. Si on découvrait un jour un trou noir (à métallicité solaire) d'une masse nettement supérieure à 30 ou 40 M, il faudrait selon eux sérieusement reconsidérer les taux de perte de masse pour les étoiles très massives, car Vink et al. semblent avoir épuisé toutes les autres incertitudes physiques pertinentes dans la modélisation détaillée de l'évolution stellaire.


Source

The maximum black hole mass at solar metallicity

Jorick S. Vink, Gautham N. Sabhahit and Erin R. Higgins

Astronomy&Asrophysics Volume 688 (2 August 2024)

https://doi.org/10.1051/0004-6361/202450655


Illustration

1. Vue d'artiste d'un trou noir dans un système binaire (ESO/L. Calçada)

2. Jorick Vink