24/05/25

Jupiter 2 fois plus grande qu'aujourd'hui lors de sa naissance


Dans une nouvelle étude publiée dans Nature Astronomy , Konstantin Batygin (Caltech) et Fred Adams (Université du Michigan), fournissent un aperçu détaillé de l'état primordial de Jupiter. Leurs calculs révèlent qu'environ 3,8 millions d'années après la formation des premiers corps du système solaire, moment clé où le disque protoplanétaire se dissipait, Jupiter était deux fois plus grande qu'aujourd'hui...

Comprendre l'évolution primitive de Jupiter permet de mieux comprendre comment notre système solaire a développé sa structure particulière. La gravité de Jupiter a joué un rôle crucial dans la formation des trajectoires orbitales des autres planètes et dans la formation du disque de gaz et de poussière à partir duquel elles se sont formées. Il est donc essentiel de cerner les premières phases de la formation des planètes pour résoudre cette question. Batygin et Adams ont abordé le problème en étudiant deux minuscules lunes de Jupiter, Amalthée et Thébé, qui orbitent encore plus près de Jupiter que Io, la plus petite et la plus proche des quatre lunes galiléennes de la planète géante.

Comme Amalthée et Thébé ont des orbites légèrement inclinées, Batygin et Adams ont analysé ces faibles écarts orbitaux pour calculer la taille originelle de Jupiter. En analysant la dynamique des satellites de Jupiter simultanément avec son bilan de moment angulaire, ils parviennent à déduire le rayon et l'état intérieur de Jupiter au moment de la dissipation de la nébuleuse protosolaire.

Bien que des incertitudes considérables concernant l'intérieur de Jupiter persistent (en partie en raison de l'incapacité des données de gravité à informer pleinement sur la nature du noyau compact ainsi que des incertitudes dans l'équation d'état de l'hydrogène lui-même), au cours des trois dernières décennies, les observations des missions Galileo et Juno ont permis de mieux cerner l'intérieur complexe et multicouche de Jupiter. En particulier, de récents travaux de modélisation ont révélé une région imprégnée de pluie d'hélium, un noyau dilué à haute métallicité pouvant atteindre 25 masses terrestres, ainsi qu'un noyau compact, beaucoup moins massif et plus profond. 

D'une manière générale, les caractéristiques physiques de Jupiter correspondent aux prédictions du modèle d'accrétion du noyau de la formation des planètes géantes. Dans ce cadre, la formation des planètes géantes suit une série distincte d'étapes. Initialement, un noyau à haute métallicité se forme rapidement, laissant place à une période de croissance hydrostatique caractérisée par une lente agglomération d'une atmosphère H/He. Ce processus se poursuit jusqu'à ce que la masse de l'enveloppe gazeuse atteigne celle du noyau. Une fois ce seuil franchi, une période transitoire d'accrétion rapide de gaz s'ensuit, facilitant l'accumulation de la majeure partie de la masse de la planète. Finalement, la planète se sépare de la nébuleuse environnante, s'engageant dans une évolution thermique à long terme qui aboutit à la Jupiter que nous observons aujourd'hui, environ 4,5 milliards d'années plus tard.

Bien que les grandes lignes de ce tableau soient établies depuis des décennies, les subtilités de la séquence évolutive initiale de Jupiter restent imparfaitement comprises. En particulier, l'entropie primordiale de Jupiter qu'on présente souvent comme le problème du démarrage "à chaud" ou "à froid", ainsi que le calendrier exact de ces phases de formation restent incertains. Par exemple, dans le modèle souvent cité de Pollack et al., la transition vers l'accrétion incontrôlable se produit environ 7 millions d'années après la formation du noyau. Mais des calculs ultérieurs ont cependant proposé des chronologies alternatives, avec le modèle récent de Stevenson et al., qui suggère que la croissance incontrôlable se termine après 3 mégannées.

L'approche de Batygin et Adams qui consiste à exploiter la dynamique précoce des satellites de Jupiter, ainsi que la régulation magnétique de son budget de moment angulaire pour en déduire son rayon, contourne largement les limites des modèles existants. Cette approche offre une précision sans précédent aux propriétés du système jovien à son stade de formation.

Leurs calculs et leurs analyses mènent à la plage suivante pour le rayon primordial de Jupiter :
entre 2,02 et 2,59 fois son rayon actuel. Dans la fourchette couverte par cette estimation du rayon, les chercheurs montrent que toute valeur supérieure au rayon orbital d'Amalthée est peu susceptible d'être physiquement significative. Et comme l'inclinaison de Thébé résulte probablement de multiples passages de résonance, c'est la limite inférieure de la plage de rayons qui est privilégiée par les auteurs. Ils évaluent également le taux d'accrétion de masse de la protoJupiter, ce qui donne entre 1,2 et 2,4 masses joviennes par million d'années, ce qui est très intense.  

Avec le rayon planétaire et le taux d'accrétion contraints, les deux chercheurs déduisent ensuite la structure intérieure de Jupiter en utilisant des modèles hydrostatiques. Les profils de température, de densité et de pression correspondants sont déterminés. Ces modèles impliquent qu'au moment de la dissipation de la nébuleuse proto-solaire, l'entropie caractéristique de l'enveloppe convective de Jupiter correspond à une condition initiale de « démarrage à chaud » .

Une dernière pièce du puzzle a consisté pour Batygin et Adams à ancrer leurs calculs à une époque précise, par rapport à un marqueur bien défini de l'évolution du système solaire. Dans cette optique, en 2017, Wang et al. avaient utilisé les données de magnétisation de météorites très anciennnes pour démontrer que la nébuleuse solaire s'est dissipée environ 3,8 millions d'années après la formation d'inclusions de calcium et d'aluminium. Selon les chercheurs, comme l'énergie nécessaire pour transporter une molécule d'hydrogène de quelques rayons joviens au rayon de Hill est approximativement égale à celle nécessaire pour l'extraire du puits de potentiel gravitationnel du Soleil à 5 ​​UA, le front photo-évaporatif responsable de l'élimination de la nébuleuse dans le voisinage orbital jovien a dû simultanément éliminer le disque circumplanétaire de Jupiter. Ils peuvent ainsi  conclure que Jupiter était approximativement 2 à 2,5 fois plus grande qu'aujourd'hui, 3,8 millions d'années après la formation des premiers corps solides du système solaire. Cela correspond à un volume équivalent à plus de 2 000 Terres. 

Ces résultats apportent des précisions cruciales aux théories existantes sur la formation des planètes, qui suggèrent que Jupiter et d'autres planètes géantes autour d'autres étoiles se sont formées par accrétion de noyau, un processus par lequel un noyau rocheux et glacé accumule rapidement du gaz.  Même si les premiers instants de Jupiter restent obscurcis par l'incertitude, cette étude clarifie considérablement notre vision des étapes critiques du développement de la planète géante. Ce nouveau point de repère permettra de reconstituer avec plus de certitude l'évolution de notre système solaire.

Source

Determination of Jupiter’s primordial physical state
Konstantin Batygin & Fred C. Adams 
Nature Astronomy (20 mai 2025)

Illustration

Jupiter imagée avec le télescope Webb (NASA)

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