Une équipe d’astrophysiciens chinois vient de trouver l’existence d’une corrélation entre la vitesse de rotation des trous noirs supermassifs et le taux de formation des étoiles dans leur galaxie hôte. Il existerait donc un lien étroit entre les caractéristiques du trou noir central et la croissance de la galaxie. Ils publient leur découverte dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
Les galaxies dans l'univers local sont grossièrement divisées en deux catégories: les galaxies bleues qui forment des étoiles et les galaxies rouges qui sont dites quiescentes. Selon leurs morphologies visuelles, les galaxies sont classées comme galaxies elliptiques, galaxies lenticulaires, spirales et irrégulières. Il est largement admis que l'activité de formation d'étoiles dans les galaxies est étroitement liée à leur type morphologique. Les galaxies elliptiques pauvres en gaz et les galaxies lenticulaires ont des taux de formation d'étoiles (SFR) faibles (inférieur à 1 masse solaire par an), alors que les spirales riches en gaz et les galaxies Irrégulières ont des SFR élevés (environ 20 masses solaires par an).
Les galaxies elliptiques sont considérées comme les systèmes les plus massifs, anciens et rouges. Inversement, les galaxies spirales sont principalement des systèmes à forte activité de formation d'étoiles, plus bleues et jeunes.
De nombreuses études ont montré que le taux de formation d’étoiles des galaxies présente une distribution bimodale. En combinant deux propriétés fondamentales des galaxies, le SFR et la masse stellaire, on peut obtenir des informations sur leur vitesse actuelle de conversion de gaz en étoiles. Dans le cas des galaxies formant des étoiles, ces deux paramètres se sont avérés étroitement liés. Au contraire, les galaxies quiescentes montrent une relation faible entre SFR et M.
Ce phénomène bimodal a été étudié en profondeur au début des années 2000 (par ex. Strateva et al. 2001 ; Blanton et al. 2003 ; Baldry et al. 2004 ; Taylor et al. 2015). Mais plusieurs études ont rapporté la présence de galaxies de type précoce avec une formation d'étoiles en cours, et inversement des galaxies de type tardif qui ont cessé leur activité de formation des étoiles (par ex. Rowlands et al. 2012; Vulcani et al. 2015 ; Bitsakis et al. 2019; Cano-Daz et al. 2019).
Par l'observation et la simulation numérique, on constate que la plupart des galaxies massives sont des galaxies de type précoce (par ex. Cappellari et al. 2013). En outre, de nombreuses études ont montré que la masse du trou noir supermassif central est étroitement liée à la masse stellaire du bulbe galactique (Ferrarese et Merritt 2000 ; Hôring et Rix 2004 ; Kormendy et Ho 2013). Ces dernières années, de nombreuses études ont aussi montré que divers processus de rétroaction sont cruciaux pour la formation des galaxies.
Les galaxies générées par les simulations sans effets de rétroaction sont trop massives pour correspondre aux observations (Oser et al. 2010). Du fait de l'existence de trous noirs supermassifs, la rétroaction des noyaux galactiques actifs (AGN) joue un rôle qui est si fort dans les galaxies massives qu'il peut éteindre toute la formation stellaire de la galaxie.
Mais différentes observations ont montré à la fois des preuves de rétroactions négatives et des preuves de rétroaction positive. Martin-Navarro et al. ont ainsi suggéré en 2018 que c'est le trou noir supermassif qui régule la formation des étoiles dans les galaxies massives. La croissance de ces trous noirs galactiques libère beaucoup d'énergie, alimentant les quasars et autres AGN plus faibles. Une petite partie de cette énergie, si elle est absorbée par la galaxies hôte, peut affecter la formation des étoiles.
La masse du trou noir joue un rôle important, mais à l'heure actuelle, on ne sait pas si son spin (sa vitesse de rotation) affecte la formation stellaire de la galaxie hôte. Yongyun Chen (Qujing Normal University) et ses collaborateurs ont creusé cette question en étudiant la relation qui existerait entre le spin du trou noir et le SFR, ainsi que le paramètre spécifique d'activité de formation des étoiles, pour les galaxies massives formant des étoiles. Ils ont utilisé la luminosité radio sur un très grand échantillon de galaxies à noyau actif (14574 AGN du relevé Sloan Digital Sky) pour calculer le spin des trous noirs et étudier la relation qui pourrait exister entre le spin et la formation des étoiles.
Les masses stellaires et taux de formation stellaire sont obtenus en ajustant les distributions spectrales photométriques en croisant les données du SDSS et du télescope spatial WISE. Pour la rotation des trous noirs, c’est vers les données de LOFAR à 144 MHz que les chercheurs chinois se sont tournés. Finalement, ils obtiennent un échantillon exploitable de 714 galaxies massives à formation d’étoiles : 408 de type précoce et 306 de type tardif, qui ont une masse stellaire comprise entre 3,2 milliards et 320 milliards de masses solaires.
Chen et ses collaborateurs parviennent à montrer tout d’abord que les galaxies de type tardif ont tendance à avoir des SFR moyens et des spins de trous noirs qui sont plus élevés que les galaxies de type précoce. Les galaxies de type précoce ont, elles, tendance à avoir une masse moyenne de trou noir supérieure à celles des galaxies de type tardif.
D’autre part, les chercheurs montrent qu’il existe une corrélation significative entre le spin du trou noir et le SFR pour les deux types de galaxies massives (précoce et tardif). Ces résultats indiquent que la rotation des trous noirs supermassifs régule la formation d'étoiles de ces galaxies d’une façon ou d’une autre.
Enfin, Yongyun Chen et son équipe mettent en évidence que dans les galaxies de type précoce et tardif, les pentes de la relation qui lie le spin des trous noirs et le SFR spécifique, et les paramètres d'activité de formation des étoiles, sont cohérents dans la plage d'erreurs. Ces résultats suggèrent selon eux que le mécanisme de la rotation du trou noir réglant la formation des étoiles pourrait être similaire à la fois dans les galaxies de type précoce et tardif.
Il semblerait donc que l’activité des noyaux actifs de galaxie qui est à même de produire une rétroaction sur la formation des étoiles, dépende intimement de la vitesse de rotation du trou noir central. A moins que la causalité soit inversée ? Une activité exacerbée d’un disque d’accrétion pourrait-elle influencer la rotation du trou noir supermassif ? La question est posée.
Source
The relation between black hole spin and star formation in massive star-forming galaxies
Yongyun Chen et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 537, Issue 4, March 2025
https://doi.org/10.1093/
Illustrations
Vue d'artiste d'une galaxie à noyau actif formant des étoiles (M. Kornmesser)