mardi 14 février 2017

Cosmologie : après le problème du Lithium-7, celui du Lithium-6

La valeur des abondances des éléments légers produits durant la nucléosynthèse primordiale (du deutérium au béryllium) est un pilier du modèle standard de la cosmologie. La plupart des réactions nucléaires en jeu sont maintenant bien connues, mais l’une d’entre elles restait encore mal déterminée, celle qui produit le 6Li. La mesure de son taux de réaction vient d’être enfin effectuée, mais une fois injectée dans le modèle, un écart considérable sur l’abondance du 6Li est obtenu par rapport aux observations… En cosmologie, on connaissait le problème du lithium-7, on a désormais aussi celui du lithium-6.




Le problème du Li-7 est apparu il y a déjà longtemps lorsque le modèle de big bang décrivant la nucléosynthèse prédit une abondance en lithium-7 (via la fusion des noyaux de 4He et 3He et la production de 7Be) qui était trois fois trop grande par rapport à ce qui peut être observé dans les étoiles. Le problème persiste toujours aujourd’hui avec acuité même si quelques pistes de processus astrophysiques à même de réduire la quantité de lithium-7 dans les étoiles ont été trouvées depuis quelques années. Pour l’isotope 6 du lithium (3 protons et 3 neutrons), le problème est inverse et de bien plus grande ampleur : le modèle théorique produit beaucoup trop peu de Li-6 par rapport à ce qui est observé…

La réaction qui produit le lithium-6 dans les premières minutes suivant la singularité initiale est notée 2H(α,γ)6Li : il s’agit de la réaction de fusion entre un noyau de deutérium et un noyau d’hélium-4, qui produit également un photon gamma. Une telle réaction nucléaire avait déjà été reproduite en laboratoire, mais jamais à l’énergie qui était celle des particules dans l’Univers à l’époque de la nucléosynthèse.  Pour calculer le taux de cette réaction, les physiciens cherchent à mesurer les photons gamma qui sont produits au cours de la réaction. Mais il s’agit d’une réaction avec une très petite section efficace (probabilité d’occurrence) et donc une production de photons gamma en très faible quantité. Ces mesures doivent donc se dérouler dans des conditions particulières de très bas bruit de fond radioactif pour permettre aux détecteurs gamma de bien séparer les photons produits par la réaction recherchée des autres venant de partout ailleurs. L’accélérateur LUNA (Laboratory for Underground Nuclear Astrophysics) a été conçu dans cet objectif de pouvoir produire des réactions nucléaires dans l’environnement le moins radioactif qui soit : un laboratoire souterrain, et pas des moindres puisqu’il s’agit du laboratoire souterrain du Gran Sasso en Italie, l’un des laboratoires les plus profonds du monde où sont installées de nombreuses expériences de physique des astroparticules qui requièrent elles aussi le bruit de fond radioactif le plus bas possible.
Les physiciens européens de LUNA ont donc exploité leur accélérateur de particules de 400 kV pour envoyer des noyaux d’hélium (particules alpha) sur une cible de deutérium à une énergie de 80, 93, 120 et 133 keV dans le centre de masse. Une fois le taux de réaction déduit à partir de ces mesures, il peut être injecté dans le modèle standard de la cosmologie qui va alors fournir l’abondance en 6Li à laquelle on devrait s’attendre compte tenu de tous les autres paramètres du modèle.

L’abondance théorique déduite des mesures de LUNA (valeur relative par rapport à l’hydrogène) que la collaboration vient de publier dans Astroparticle Physics vaut ainsi 6Li/H = 8 10-13, ce qui fait un rapport 6Li /7Li= 1,6 10-5. Cette abondance peut ensuite être comparée avec ce qu’on arrive à mesurer sur des objets astrophysiques qui retracent l’abondance primordiale en lithium-6. Pour ces observations, ce sont les plus vielles étoiles qui sont recherchées, et parmi celles-ci, celles qui sont les plus pauvres en métaux et qu’on trouve essentiellement dans le halo de la galaxie. L’abondance en lithium-6 est inférée à partir de l’abondance totale en lithium (différents isotopes) qui est observée via sa raie d’absorption caractéristique (à 670,7 nm), et extrapolée au cas où l’étoile ne possède aucuns métaux.
La mesure des abondances relatives en Li-6 et Li-7 dans le spectre des étoiles repose sur la forme de la raie d’absorption, car celle du Li-6 est légèrement déplacée vers les plus hautes longueurs d’ondes, ce qui a pour effet d’élargir la raie à 670,7 nm. Et cette raie est aussi affectée par les mouvements de convection interne que connait l’étoile. L’évaluation de l’abondance en lithium-6 dans ces étoiles dépend donc du modèle théorique des atmosphères stellaires, avec les incertitudes qui y sont associées. L’abondance relative 6Li /7Li obtenue par l’observation des vieilles étoiles de notre galaxie varie ainsi entre 10-2 et 10-1 selon les étoiles et les modèles d’atmosphères stellaires.
L’écart entre l’abondance théorique du 6Li, fondée sur les nouvelles évaluations expérimentales des réactions nucléaires par LUNA, et l’abondance observée dans les étoiles est donc considérable : il atteint un facteur compris entre 625 et 6250 !... Davide Trezzi et ses collaborateurs en concluent que si des nouvelles observations astrophysiques confirment une abondance en 6Li relativement élevée par rapport à ce que prédit le modèle cosmologique ΛCDM, il y a là un véritable problème, qui pourrait indiquer l’existence soit de processus astrophysiques très spéciaux comme des éruptions stellaires productrices de 6Li in situ, soit de processus physiques encore inconnus, voire de nouvelle physique rendant le modèle ΛCDM caduque.


Référence

Big Bang 6Li nucleosynthesis studied deep underground
D. Trezzi et al. (LUNA collaboration)
Astroparticle Physics Volume 89, March 2017, Pages 57–65
http://dx.doi.org/10.1016/j.astropartphys.2017.01.007


Illustrations

1) réaction de production du  6Li 

2) Les réactions de la nucléosynthèse primordiale conduisant à la production des principaux isotopes

3) L'accélérateur de LUNA (LNGS/INFN).

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