lundi 11 décembre 2017

Détecter des ondes gravitationnelles avec un réseau de pulsars

La détection des ondes gravitationnelles est en train de voir apparaître un nouvel outil, très différent des interféromètres à lasers du type LIGO, VIRGO ou eLISA. Il s'agit d'objets astrophysiques, qui ont la particularité très intéressante de fournir une mesure temporelle naturelle : les pulsars

L'astronomie gravitationnelle n'en est qu'à ses prémices. Les interféromètres comme LIGO, VIRGO et bientôt KAGRA, ne peuvent détecter qu'une certaine classe d'ondes gravitationnelles, typiquement celles produites lors de fusion d'objets compacts comme des trous noirs stellaires et des étoiles à neutrons. Ils ne pourront par exemple jamais détecter la coalescence de deux trous noirs supermassifs, et encore moins les ondes gravitationnelles diffuses qui peuplent l'Univers en permanence et qui forment un bruit de fond à très basse fréquence. Ces ondes gravitationnelles seront pourtant bientôt détectées par une méthode imaginée il y a déjà plus de 20 ans, et qui consiste à mesurer la pulsation radio de plusieurs dizaines de pulsars (étoiles à neutron en rotation rapide), en même temps, et de repérer la moindre petite déviation par rapport à leur pulsation normale. Un tel réseau de pulsars forme ainsi une sorte de gigantesque filet virtuel, dont la déformation indiquera le passage d'ondes gravitationnelles.
Le principe de la mesure repose sur l'utilisation des pulsars comme des horloges très précises. Connaissant parfaitement la fréquence de rotation d'un pulsar, les chercheurs peuvent prévoir le temps d'arrivée de chaque pulsation radio. Mais le passage d'une onde gravitationnelle entre ce pulsar et la Terre va modifier le temps d'arrivée prévu des ondes radio en modifiant l'espace-temps.
La différence concernant la fréquence des ondes détectables vis à vis de ce qui est vu avec LIGO et VIRGO est absolument énorme : 12 ordres de grandeurs! Alors que les interféromètres terrestres sont sensibles à des ondes gravitationnelles de quelques centaines de Hz, les réseaux de mesure temporelle de pulsars, eux, sont sensibles jusqu'à des fréquences de l'ordre de 10-6 à 10-10 Hz... L'interféromètre en orbite que sera eLISA, quant à lui, pourra être sensible aux ondes gravitationnelles de fréquences intermédiaires, comprises entre 10-5 Hz et 1 Hz. 


A l'occasion de l'anniversaire des 50 ans de la découverte des pulsars par Jocelyn Bell, Nature Astronomy trace l'avenir radieux de la science associée à ces objets, parmi les plus surprenants de l'Univers. Andrea Lommen (Haverford College) y décrit à quoi ressemble le réseau international IPTA (International Pulsar Timing Array). Un tel réseau de mesure temporelle de pulsars est formé typiquement de 50 pulsars millisecondes, éloignés de plusieurs centaines de parsec (environ 1000 années-lumière).
Pour suivre en quasi continu une grande population de pulsars, les astronomes utilisent un autre réseau, de radiotélescopes, pour enregistrer les pulsations radio de chaque pulsar du réseau. Aujourd'hui la collaboration IPTA regroupe des astrophysiciens australiens, canadiens, français, anglais, allemands, italiens, hollandais, sud-africains, indiens, chinois, et bien sûr américains, avec 13 radiotélescopes répartis sur tous les continents. Mais la National Science Foundation américaine vient de voir son budget drastiquement réduit, ce qui jette une grosse incertitude sur l'exploitation future des radiotélescopes d'Arecibo et de Green Bank qui sont des pièces importantes de l'IPTA.

La première détection de ce type de réseau sera ce qu'on appelle le bruit de fond stochastique d'ondes gravitationnelles. Il s'agit du signal cumulé provenant de dizaines de milliers de couples de trous noirs supermassifs distribués un peu partout dans l'Univers. Ce signal stochastique, grâce à son amplitude et à son indice spectral, pourra fournir des informations précieuses sur l'histoire générale des fusions de galaxies, remontant jusqu'à des temps très anciens, une information très difficilement accessible directement avec des photons.
Pour le moment, les équipes qui se sont lancées dans cette traque en exploitant des réseaux de pulsars n'ont pas encore détecté le bruit de fond stochastique (ça se saurait!), mais ils améliorent tous les ans sa limite supérieure. La limite supérieure qui est fixée sur le niveau de ce bruit de fond en n'ayant rien détecté de significatif descend ainsi tous les ans. Viendra un moment où le bruit de fond apparaîtra lentement, son signal sortant de plus en plus du bruit, la limite supérieure ne descendant plus. Mais le processus durera encore des années jusqu'à ce que la signifiance statistique atteigne une valeur de plus de 3σ ou 5σ pour annoncer la découverte.
Après avoir détecté le bruit de fond stochastique, IPTA pourra détecter des sources d'ondes gravitationnelles discrètes, parmi elles les couples de trous noirs les plus massifs qui existent parmi les trous noirs supermassifs.

L'astronomie gravitationnelle sous ses différentes formes va ouvrir une fenêtre inédite sur l'Univers. Les réseaux de pulsars ont l'énorme avantage vis à vis des interféromètres de ne pas avoir besoin de construire des détecteurs spécifiques, des radiotélescopes classiques étant suffisants, mais il leur faut du temps...


Source

Pulsar timing for gravitational wave detection
Andrea N. Lommen
Nature Astronomy (1 december 2017)
http://dx.doi.org/10.1038/s41550-017-0324-9



Illustrations

1) Comparaison de la sensibilité des différentes méthodes de détection d'ondes gravitationnelles : tension caractéristique en fonction de la fréquence (Christopher Moore, Robert Cole and Christopher Berry, the Gravitational Wave Group at the Institute of Astronomy, University of Cambridge) http://rhcole.com/apps/GWplotter/

2) Échantillon de radiotélescopes participant au réseau IPTA (International Pulsar Timing Array).

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