04/07/25

Découverte d'une explosion de naine blanche en dessous de la limite de Chandrasekhar


Les supernovas de type Ia jouent un rôle fondamental en tant que "chandelles standard" pour étudier l’accélération apparente de l’expansion de l’Univers et pour mesurer son taux actuel. Le principe de chandelle standard repose en grande partie sur le fait que les supernovas de type Ia, l’explosion thermonucléaire d’une étoile naine blanche, survient toujours lorsque la naine blanche atteint la masse critique de Chandrasekhar (1,4 masses solaires) par apport de masse externe. Mais une nouvelle observation d’un jeune résidu de supernova indique que l’explosion a eu lieu bien en dessous de 1,4 masses solaires… Et si les supernovas de types Ia n’étaient pas les chandelles standard que l’on croit ? L’étude est parue dans Nature Astronomy.

Malgré leur importance capitale, la compréhension complète des systèmes progéniteurs des supernovas Ia et de leur mécanisme de déclenchement reste un problème fondamental encore aujourd’hui. Dans une naine blanche composée de carbone et d'oxygène et approchant la masse de Chandrasekhar, l'augmentation de la densité centrale déclenche inévitablement une combustion nucléaire. La masse d'explosion presque constante que fournit le modèle d'explosion à la masse de Chandrasekhar était une explication de l'homogénéité attribuée aux supernovas de type Ia. Mais des données d'observation de plus en plus nombreuses remettent en question la notion d'homogénéité des supernovas de type Ia, et une masse fixe semble même problématique pour reproduire la relation largeur spectrale-luminosité, qui est vitale pour calibrer les supernovas de type Ia en tant qu'indicateurs de distance cosmologique.

En fait, il apparaît que la relation largeur-luminosité s'explique plus naturellement par une masse variable des naines blanches et qui serait inférieure à la limite de Chandrasekhar. En outre, la capacité de faire croître les naines blanches jusqu'à la masse de Chandrasekhar limite les paramètres du système binaire progéniteur à une gamme étroite, de sorte que le taux de supernovas de type Ia qui est observé aujourd’hui est difficile à concilier avec le nombre attendu de systèmes compatibles avec le scénario d'explosion à la masse de Chandrasekhar. Il faut donc envisager d'autres scénarios impliquant des explosions d'étoiles naines blanches carbone-oxygène bien en deçà de la limite de Chandrasekhar.

La collision frontale de deux naines blanches peut sembler prometteuse pour produire des explosions de supernovas de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar, mais ce scénario n'est pas privilégié par les astrophysiciens car les taux d'occurrence prévus sont trop faibles. Le scénario actuellement le plus prometteur pour l'explosion d’une naine blanche de masse inférieure à 1,4 masses solaire, c’est celui dit de la « double détonation ». Dans ce scénario, une naine blanche carbone-oxygène recueille de la matière riche en hélium provenant d'une compagne (d'une étoile à hélium ou d'une autre naine blanche riche en hélium, ou de la fine couche d'hélium préexistante au sommet d'une naine blanche carbone-oxygène lors d'événements de fusion). Dans cette couche d'hélium, une détonation thermonucléaire est déclenchée soit par un chauffage par compression lorsque la couche d'hélium devient suffisamment massive, soit par des instabilités dynamiques. Cette première détonation se propage ensuite à travers la fine couche d'hélium et provoque une onde de choc dans le noyau carbone-oxygène, où elle se concentre sphériquement dans un petit volume. La compression et l'échauffement du cœur de carbone-oxygène déclenchent une seconde détonation dans le cœur et font exploser complètement la naine blanche de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar.

Bien que de nombreuses simulations indiquent que le mécanisme de double détonation est possible, elles n'ont pas encore permis de déterminer les échelles spatiales sur lesquelles la détonation primaire de l'hélium doit apparaître. Même si elles sont incapables de déterminer les détails de l'allumage des détonations nécessaires, ces simulations fournissent tout de même des informations essentielles sur la structure, la morphologie et les spectres précoces d'une supernova de type Ia à double détonation.

En termes de nucléosynthèse par double détonation, les explosions dans le noyau de carbone-oxygène et dans la couche externe riche en hélium donnent des produits qualitativement différents. En effet, le type de combustible (carbone-oxygène ou hélium) et les densités (densité plus élevée dans le cœur et plus faible dans la couche externe) diffèrent considérablement, d'environ deux ordres de grandeur. Dans le cœur, la densité du combustible est le paramètre clé qui détermine l'issue de la combustion nucléaire explosive. Pour les densités supérieures à 7 × 106 g cm-3, la combustion est presque complète et les éléments du groupe du fer, en particulier le noyau radioactif 56Ni, dominent les rendements de la nucléosynthèse. Aux densités « intermédiaires », plus éloignées du centre du noyau, l'échelle de temps de la fusion nucléaire devient de plus en plus longue et l'expansion rapide de la supernova conduit à un gel des réactions nucléaires avant que la combustion en éléments du groupe du fer ne soit achevée. En conséquence, la synthèse d'éléments de masse intermédiaire domine dans ces régions, les éléments intermédiaires les plus lourds comme le calcium étant relativement plus abondants à l'intérieur et les éléments les plus légers comme le silicium ou le soufre devenant relativement plus abondants à mesure que la densité du combustible diminue vers l'extérieur. Finalement, la densité devient trop faible (3 × 106 g cm-3) pour que l'oxygène puisse brûler et seul le carbone continue à brûler pour donner des éléments légers comme l'oxygène, le néon et le magnésium. Une structure en couches se forme dans le résidu.

À des densités encore plus faibles, la composition du combustible change rapidement, là où commence la couche d'hélium. Il faut rappeler qu'en raison de sa barrière de Coulomb plus faible, l'hélium 4 est plus réactif et que des détonations dans l'hélium sont possibles jusqu'à des densités beaucoup plus faibles. Comme dans le cas du noyau carbone-oxygène, les détonations à enveloppe d'hélium produisent une progression en couches radiales de la masse atomique des produits de combustion, les éléments les plus lourds comme le chrome, le fer ou le nickel étant synthétisés de préférence dans les parties internes et plus denses de l'enveloppe d'hélium ; les éléments plus légers comme l'hélium non brûlé, le carbone ou l'oxygène se trouvent dans les parties externes et moins denses de l'enveloppe d'hélium, et les éléments de masse intermédiaire comme le silicium ou le soufre se trouvent entre les deux.

Compte tenu de ces modélisations des signatures nucléosynthétiques du noyau de CO et de la coquille d'He, les modèles de double détonation prévoient notamment  que le calcium soit concentré dans deux couches distinctes : une couche interne provenant de la région du noyau, correspondant à la combustion incomplète de la détonation de CO (à des densités de combustible de l'ordre de quelques 106 g cm-3), et une couche externe correspondant à la détonation de l'He (à des densités de combustible de l'ordre de quelques 106 g cm-3). Cette couche externe doit avoir une vitesse plus élevée dans l'éjecta de l'explosion en expansion, correspondant à la base de la coquille de He. Les modèles d'explosion de Collins et al. prédisent une telle morphologie de double coquille de Calcium, avec des éléments de masse intermédiaire plus légers que Ca, tels que S ou Si, situés entre les deux coquilles.

Alors que les simulations numériques ne peuvent à elles seules confirmer que le mécanisme de double détonation existe dans la nature, une observation confirmée de la structure à deux coquilles révélatrice fournirait une preuve directe de son fonctionnement dans les supernovas de type Ia.

À ce jour, la supernova SN 2018byg est largement reconnue comme l'un des cas les plus convaincants liant le mécanisme de double détonation à une explosion de supernova de type Ia et est mieux expliquée par un modèle qui incorpore une couche d'hélium plutôt massive.

En raison de la petite taille angulaire aux premiers instants de la supernova, la structure unique de l'« empreinte » du Ca (la morphologie à double coquille) reste spatialement non résolue aux époques proches du pic de luminosité (15 à 20 jours après l'explosion), c'est pourquoi toute déduction d'une structure d'éjecta à double coquille à partir d'observations à ces phases dépend fortement de l'interprétation des caractéristiques spectrales.

Heureusement, ces caractéristiques changent avec le temps, car la supernova se dilate continuellement. Priyam Das (University of New South Wales,  Australie) et ses collaborateurs se sont intéressés à un jeune résidu de supoernova de type Ia situé dans le Grand Nuage de Magellan qui est nommé SNR 0509-67. Ils ont réussi l'exploit de prendre un instantané spatialement résolu d'une double coquille de calcium présente dans le résidu de supernova, grâce à l'instrument MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) du Very Large Telescope. Il leur aura fallu une pose totale de 29 h 15 min sur 39 nuits réparties entre novembre 2019 et février 2021. 

La morphologie à double coquille qu'ils ont observée est constituée de calcium hautement ionisé [Ca XV] et ils ont également isolé une coquille unique de soufre ionisé [S XII], qui est observée dans l'éjecta à chocs inversés. L'analyse des chercheurs révèle que la coquille externe de calcium provient de la détonation de l'hélium à la base de l'enveloppe externe, tandis que la coquille interne est associée à la détonation du noyau carbone-oxygène. Cette distribution morphologique d'éléments intermédiaires correspond qualitativement à la signature prédite de la double détonation d'une naine blanche de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar par les simulations d'explosions hydrodynamiques. Comme les observations de Das et ses collaborateurs révèlent deux pics distincts et spatialement séparés dans la luminosité de surface de [Ca XV], cela fournit des preuves substantielles que des explosions de naines blanches de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar par le mécanisme de double détonation peuvent bel et bien se produire dans la nature. 

Cette preuve implique que certaines supernovas Ia de type 1991T s'expliquent de manière plausible par des doubles détonations de naines blanches de masse inférieure à celle de Chandrasekhar. Les chercheurs précisent que le modèle d'explosion à double détonation de masse la plus élevée prédite par Gronow et al. en 2021 a produit 0,84 M⊙ de 56Ni, ce qui se situe dans la plage prédite pour les supernovas Ia de type 1991T. Par ailleurs, des observations récentes de SN 2022joj et SN 2020eyj suggèrent la possibilité d'un événement de type 1991T à partir de la double détonation d'une naine blanche CO. Et d'autres analyses d'observations de SN 2020eyj qui montre des preuves de matière circumstellaire riche en hélium, ont également pointé l'année dernière vers le mécanisme de double détonation.

Malgré les capacités de simulation tridimensionnelle limitées et le fait qu'à ce jour, aucun modèle d'explosion ne puisse expliquer de manière adéquate les supernovas Ia de type 1991T, les récentes simulations de transfert radiatif qui intègrent la physique de l'équilibre thermodynamique non local sont plus prometteuses. Il a notamment été rapporté récemment que les éléments lourds dans des états d'ionisation plus élevés devaient réduire les effets d'absorption, ce qui permettrait à une plus large gamme de masses de couches d'He de mieux concorder avec les spectres des supernovas Ia observées.

De récentes simulations multidimensionnelles de double détonation montrent aussi que, dans le scénario de la fusion de naines blanches, en plus de la naine blanche primaire subissant une double détonation, la naine blanche compagne peut elle aussi également subir une double détonation  lorsqu'elle est impactée par les éjectas de la naine blanche primaire en explosion. Cela résulte donc en une « quadruple détonation » dans le système. Une telle double double détonation pourrait également conduire à la structure à double coquille observée du calcium selon les chercheurs.

Bien qu'ils ne soient actuellement pas en mesure de différencier de manière concluante les différentes variantes de doubles détonations, Das et ses collaborateurs avec leur découverte peuvent dire avec assurance qu’une certaine forme de double détonation conduit bien à des supernovas de type Ia, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l'idée de les utiliser comme des chandelles standard...


Source

Calcium in a supernova remnant as a fingerprint of a sub-Chandrasekhar-mass explosion

Priyam Das, et al.

Nature Astronomy (2 juillet 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02589-5


Illustrations

1. Image du résidu SNR 0509-67 obtenue avec le VLT (ESO)

2. Priyam Das

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