mercredi 28 février 2018

Les toutes premières étoiles de l'Univers localisées 180 millions d'années après le Big Bang


Une belle découverte est annoncée cette semaine dans la revue Nature : la localisation dans le temps des premières étoiles de l'Univers : 180 millions d'années après le Big Bang, grâce à la détection de l'excitation du gaz interstellaire qu'elles ont produit par leur rayonnement UV. Et cette découverte apporte également une information non prévue concernant la matière noire...




La quête de l'époque de réionisation de l'Univers, l'époque où sont apparues les premières galaxies, donc les premières étoiles, est une quête de longue haleine. Elle nécessite de sonder l'Univers toujours plus loin et toujours plus tôt dans l'histoire cosmique. Judd Bowman (Arizona State University) et ses collaborateurs, eux, ont choisi une méthode très particulière pour sonder les premières centaines de millions d'années de l'Univers à la recherche des toutes premières étoiles. Ces premières étoiles, peu de temps après leur allumage, devaient rayonner intensément en ultra-violet et ce rayonnement est suffisamment énergétique pour ioniser et exciter le gaz neutre qui peuplait le milieu interstellaire et intergalactique. Ce rayonnement UV doit notamment altérer l'état excité de l'atome d'hydrogène caractérisé par sa raie à 21 cm (la raie dite hyperfine).
Or, cette modification des propriétés de l'hydrogène induite par le rayonnement UV des premières étoiles fait que l'hydrogène peut alors absorber le rayonnement radio de fond à la longueur d'onde de 21 cm, ce qui doit alors produire une distorsion spectrale dans ce fond radio. Toutes ces raies d'absorption subissent ensuite un étirement qui est dû à l'expansion de l'Univers (décalage vers les grandes longueurs d'ondes, ou redshift). C'est cette distorsion spectrale dans le fond diffus cosmologique observé aujourd'hui aux grandes longueurs d'ondes (plusieurs mètres) que Judd Bowman et son équipe ont recherché, et ont trouvé! 


Les chercheurs américains détectent, à l'aide d'un tout petit radiotélescope nommé Experiment to Detect the Global Epoch of Reionization Signature (EDGES), installé dans le désert australien (au Murchison Radio-astronomy Observatory) loin de tout parasite électromagnétique, une belle bande d'absorption sur l'ensemble du ciel, centrée à 78 MHz, avec une largeur de 19 MHz et une amplitude de 0,5 K. Or, la valeur de la limite basse de fréquence trouvée (69 MHz, qui correspond à une longueur d'onde de 4,35 m) permet de trouver l'âge cosmique minimal auquel cette raie de 21 cm a été absorbée. Le rapport des fréquences (ou inversement des longueurs d'ondes) donne directement la valeur du redshift, que l'on peut transcrire en durée depuis le Big Bang. Le redshift obtenu avec la fréquence basse de la bande d'absorption vaut z= 19,7, ce qui correspond à une époque de 180 millions d'années après le Big Bang! Les premières étoiles ont donc commencé à ioniser l'hydrogène neutre 180 millions d'années après le Big Bang. C'est la première fois que l'on obtient avec une assez bonne précision la date des toutes premières étoiles de l'Univers.
Le profil radio mesuré par Bowman et ses collègues de l'Université d'Arizona a une forme tout à fait cohérente avec ce que pouvaient donner les modèles théoriques, mais il y a un problème : l'amplitude de la raie d'absorption. Elle est plus de deux fois trop grande que les prédictions les plus optimistes!

Cet écart conséquent pourrait avoir plusieurs causes selon les chercheurs : premièrement, le gaz pourrait avoir été beaucoup plus froid que ce qu'on pensait; deuxièmement, la température du rayonnement de fond pourrait être plus élevée que prévu. Ce qui paraît sûr, c'est qu'aucun phénomène astrophysique classique ne permet d'expliquer l'écart d'amplitude observé. 
La meilleure explication pour refroidir le gaz dans les bonnes proportions serait, d'après certains spécialistes, notamment Rennan Barkana qui signe un article dans le même numéro de Nature pour accompagner cette découverte, serait d'avoir des particules de matière noire qui interagissent avec les baryons (les protons) un peu différemment de ce qu'on pensait et qui aurait une masse bien plus faible que ce que l'on cherche habituellement avec les WIMPs, de l'ordre de quelques GeV seulement.

Cette très belle observation doit maintenant être vérifiée par d'autres mesures semblables. Certaines expériences ont d'ailleurs déjà été mises en route. Ce n'est qu'un début, et nul doute que les théoriciens vont également s'emparer de cette nouvelle anomalie.


Sources

An absorption profile centred at 78 megahertz in the sky-averaged spectrum. 
J.D. Bowman et al. 
Nature. Vol. 555, March 1, 2018, p. 67

Possible interaction between baryons and dark-matter particles revealed by the first stars
R. Barkana
Nature. Vol. 555, March 1, 2018, p. 71


Illustrations

1) Vue d'artiste d'une étoile primordiale dont le rayonnement UV interagit avec le gaz environnant (N.R. Fuller/National Science Foundation)

2) Le système de détection radio utilisé par les auteurs en Australie  (Brett Hiscock and Lou Puls/CSIRO Australia)

3) Evolution de l'intensité du signal radio observé, en fonction de la fréquence, traduite ici en redshift et en âge cosmique (Bowman et al., Nature)

2 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour,

Si l'on veut pinailler, et sauf erreur, le rapport de longueurs d'onde (4.35/0.21=20.7) est égal à 1+z (et non à z), donc z=19.7 ; je suppose que c'est cette valeur qu'ont utilisé les auteurs pour l'age de 180 millions d'années ?

Dr Eric Simon a dit…

Vous avez raison de pinailler, effectivement z = (Lambda_obs/Lambda) -1, ici 19,7 et non 20,7.