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26/08/25

Les premières étoiles supermassives de l'Univers peuvent résoudre plusieurs questions brûlantes


Les toutes premières étoiles qui se sont formées dans l’Univers à partir de 200 ou 100 millions d’années après la singularité sont appelées des étoiles de population III.1. La plupart d’entre elles étaient très massives, voire supermassives. Aujourd’hui, un astrophysicien américain propose, analyses et calculs rigoureux à l’appui, que ces premières étoiles supermassives ont pu être les graines des premiers trous noirs supermassifs. Et cerise sur le gâteau, grâce à leur fort effet ionisant sur le milieu qui les entourait, elles pourraient résoudre plusieurs tensions cosmologiques observées aujourd’hui, et non des moindres… L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

Les étoiles Population III.1 naissent dans des mini-halos de matière noire d’environ 1 million de M⊙, qui sont définis comme les premières structures effondrées sans métal à se former dans l'Univers, de sorte qu'elles ne sont pas affectées par les rétroactions externes, en particulier les rétroactions ionisantes, provenant de sources astrophysiques. Les mini-halos exempts de métaux qui ont été ionisés ou partiellement ionisés, c'est-à-dire les sources de Population III.2, devraient présenter des abondances élevées d’hydrogène moléculaire, catalysées par la présence d'électrons libres, qui favorisent le refroidissement et donc la fragmentation dans le mini-halo. On sait que le processus d'annihilation de la matière noire à particules de type WIMP dans une protoétoile de Population III.1, peut affecter la structure stellaire, en particulier en maintenant la protoétoile dans un état relativement froid, ce qui peut alors lui permettre d'éviter la rétroaction de photoévaporation qui tronque généralement l'accrétion en cas de contraction. Ainsi, la protoétoile de Pop III.1 pourrait atteindre une masse d'environ 100 000 M⊙.

Le modèle prédit ainsi que tous les trous noirs supermassifs se forment tôt dans l'Univers, c'est-à-dire vers z ∼ 20 (180 mégannées après le Big Bang), sous forme de «graines»  d'environ 100 000 M⊙, et que l’effet ionisant des étoiles supermassives de Population III.1 détermine l'abondance cosmique de ces trous noirs supermassifs, avec des valeurs de l’ordre de 0.1 trous noirs par cMpc3 Il faut noter que d'autres modèles de formation de graines lourdes par « effondrement direct » dans des halos irradiés sans métal ou turbulents refroidis (∼100 millions M⊙) peinent à atteindre ce niveau d'abondance de plusieurs ordres de grandeur.

D’autre part, Jonathan Tan (université de Virginie) rappelle que la formation des trous noirs supermassifs par la population III.1 peut expliquer naturellement pourquoi il semble y avoir une échelle de masse minimale caractéristique dans la population des trous noirs supermassifs, c'est-à-dire une pénurie de trous noirs de masse intermédiaire dans la gamme de masse de 100 à 10 000 M⊙ , ce qui est lié à la teneur en masse baryonique des minihalos de la population III.1.

La théorie stipulant que les étoiles de Population III.1 sont à l’origine de la formation des trous noirs supermassifs prédit aussi qu'une partie importante de l'Univers primitif a été ionisée par ces étoiles supermassives à des redshifts z ∼ 20–30 (entre 100 et 180 mégannées après le Big Bang), une époque que Tan a baptisé l’époque du Flash.

Cette phase aurait été suivie d'une recombinaison vers un état neutre en quelques dizaines de millions d'années. Tan a donc cherché à montrer quelles seraient les implications de cette ionisation très précoce pour la profondeur optique de diffusion du fond diffus cosmologique (CMB), un paramètre qu’on appelle τ. C’est une mesure de la quantité de lumière qui est diffusée lorsqu'elle traverse un milieu, comme une couche d'atmosphère, un nuage, ou tout autre matériau transparent ou translucide. Elle est définie comme étant le logarithme de la fraction de lumière absorbée ou diffusée par les composants de la couche traversée. C'est une grandeur sans dimension, qui vaut 0 si le milieu est parfaitement transparent et 1 si parfaitement opaque.

Le milieu intergalactique ionisé qui est produit à partir des populations de galaxies standard contribue à une profondeur optique de diffusion des photons du CMB qui vaut τgal ≃ 0,06, ce qui correspond aux derniers résultats publiés par la collaboration Planck en 2020, qui trouvait τ = 0,054 ± 0,007. Mais une analyse plus récente de R. de Belsunce et al. (2021) a donné τ = 0,063 ± 0,005. Les histoires de réionisation qui correspondent à ces données du CMB indiquent que la réionisation a commencé à z ∼ 12 (370 mégannées post-BB) et s'est terminée à z ∼ 5 (1,3 gigannées post BB).

Mais il y a quelques mois, trois articles (I. J. Allali et al. 2025; T. Jhaveri et al. 2025; N. Sailer et al. 2025), ont avancé une valeur de τ plus élevée (environ 0,09), c'est-à-dire nettement supérieure aux valeurs déduites du CMB. Et les modèles théoriques indiquent que ces valeurs plus élevées contribueraient à atténuer les tensions sur la constante de Hubble basées sur les mesures du CMB par Planck et des récentes mesures des oscillations acoustiques baryoniques (BAO) effectuées par le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI). Rappelons que, les résultats de de DESI combinées aux résultats du CMB de Planck, se traduisent par une préférence pour des masses négatives de neutrinos et une énergie noire évolutive. Il faut rappeler néanmoins que, comme l'ont souligné les différents auteurs, la mesure de τ à partir du CMB est confrontée à un grand nombre d'incertitudes systématiques difficiles à résoudre, à savoir les effets systématiques instrumentaux et les premiers plans astrophysiques, qui pourraient encore permettre une compatibilité avec une valeur plus élevée…

Si τ est en réalité plus proche de 0,09, cela aurait des implications majeures pour l'histoire de la réionisation de l'Univers. En particulier, cela nécessiterait une phase supplémentaire d'ionisation qui n'est pas spécifiquement incluse aujourd’hui dans la plupart des modèles astrophysiques. Le gaz intergalactique doit être ionisé pour être transparent.

Étant donné que la fraction d'ionisation du milieu intergalactique qui est observée est proche de l'unité à un redshift de 10 (Tang et al. 2024), les résultats de S. R. Furlanetto & A. Loeb (2005) indiquent qu'une phase précoce d'augmentation de la fraction d'ionisation de l’univers nécessiterait une population très distincte de sources ionisantes à grand redshift. Et il se trouve que, justement, les étoiles supermassives de la population III.1 pourraient être de telles sources d’ionisation, en plus d’offrir une origine pour les trous noirs supermassifs !

Jonathan Tan a donc calculé la paramètre τ qui est directement produit par les étoiles de Pop III.1. Il trouve une contribution de τPopIII.1 d’environ 0,04. En combinant cette valeur avec la contribution des populations galactiques standard à z ≲ 10 (τgal ≃ 0,06), on obtient un total de τ ≃ 0,10.

Le modèle des étoiles de Pop III.1 permet donc de retrouver la valeur de τ récemment mesurée par Allali T. Jhaveri, N. Sailer et leurs collaborateurs.

De plus, Tan explique que l'émission radio provenant de l’époque du Flash devrait augmenter le fond radio cosmique, ce qui pourrait aider à expliquer une autre anomalie : la grande profondeur d'absorption de la raie à 21 cm qui a été rapportée par l'Experiment to Detect the Global EoR Signature (EDGES). Le signal détecté par cette expérience est centré sur un redshift de 17,2 et présente une profondeur d'absorption au moins deux fois plus forte que celle prévue par les scénarios astrophysiques standard du modèle ΛCDM. Une explication possible de cette observation implique un fond radio plus élevé, équivalent à une température de brillance de 67,2 K, c'est-à-dire nettement supérieure à celle du CMB à ces redshifts avec TCMB = 49,5 K.

À l'inverse, la confirmation de la profondeur d'absorption de la raie à 21 cm mesurée par EDGES imposerait des contraintes plus strictes au modèle Population III.1. Cela motive encore plus l'exploration du scénario de réionisation flash par les étoiles de Population III.1, pour Jonathan Tan.



En résumé, les étoiles de Population III.1 supermassives permettraient d’expliquer d’une part la naissance des trous noirs supermassifs et produiraient en outre une intense ionisation précoce de l’univers, une ionisation flash qui n’était jusque-là non prise en compte. Or, cette ionisation supplémentaire, une fois ajoutée dans les modèles, permettrait de réduire la tension sur la constante de Hubble et l’apparente évolution de l’énergie noire en modifiant l’analyse du CMB, et également de résoudre partiellement l’anomalie de l’expérience EDGES. C’est, il faut le dire, une solution très élégante, sans oublier que ces étoiles supermassives ne peuvent exister que par l’existence de particules de matière noire qui peuvent s’annihiler…

 

Source

Flash Ionization of the Early Universe by Population III.1 Supermassive Stars

Jonathan C. Tan

The Astrophysical Journal Letters, Volume 989, Number 2 (19 august 2025)

http://doi.org/10.3847/2041-8213/adf8da


Illustrations

1. Simulation de la bulle de gaz ionisé entourant une étoile de population III.1 (M. Sanati (Chalmers & J. Tan)

2.Jonathan Tan


23/07/25

Des étoiles "immortelles" dans le centre galactique grâce à la matière noire


Le diagramme de Herzprung Russell est une représentation graphique représentant toutes les étapes possibles de la vie des étoiles, en montrant la distribution de leur luminosité en fonction de leur masse qui forme notamment ce qu'on appelle la séquence principale. Une équipe d’astrophysiciens vient de calculer pour la première fois à quoi ressemblerait ce diagramme HR dans les cas où les étoiles baigneraient dans une forte concentration de matière noire qui influerait sur elles en leur apportant de l’énergie additionnelle. On obtient une nouvelle séquence principale avec des températures bien plus basses pour une luminosité équivalente, de quoi faire le lien avec les étoiles apparemment jeunes qui sont observées dans le centre galactique et dont la présence est mal comprise. Et ces étoiles pourraient être éternelles, la matière noire leur fournissant de l’énergie en continu… L’étude est publiée dans Physical Review D.

Au cours de leur vie, les étoiles évoluent le long de trajectoires bien établies au sein desquelles un équilibre entre la force gravitationnelle et la pression de la fusion nucléaire peut être maintenu. Leur spectre de corps noir établit également un lien direct entre leur luminosité, leur température et leur rayon. Ces relations sont visibles sur le diagramme de Hertzprung-Russell, qui représente les luminosités et les températures stellaires observables, traçant les différentes trajectoires que les étoiles empruntent au cours de leur vie en fonction de leur masse.

Cette image standard de l'évolution stellaire suppose que la fusion nucléaire est le seul processus capable de fournir un support de pression à l'étoile. Cependant, dans l'Univers jeune, ou dans les régions très proches du centre des galaxies, où la densité de particules de matière noire devrait être maximale, l'annihilation de ces particules/antiparticules peut constituer une source d'énergie supplémentaire considérable. Dans les cas extrêmes, l'annihilation de la matière noire peut faire reculer les étoiles le long des diagrammes HR vers des configurations protostellaires (ce qu’on appelle la trajectoire de Hayashi) produisant des étoiles qui ont des rayons extrêmement grands et des températures basses par rapport aux étoiles standard. Dans certains cas, l'annihilation de la matière noire peut aussi entraîner la dislocation totale des étoiles.

Isabelle John (université de Stockholm) et ses collaborateurs ont calculé pour la première fois l'évolution de la séquence principale sous l'influence d'une injection significative d'énergie issue de l’annihilation de la matière noire dans le cœur des étoiles. Ils ont construit un nouveau diagramme HR dans lequel apparaît une nouvelle séquence principale, dite séquence principale sombre. Plus précisément, ils y découvrent l’existence d’une nouvelle branche d'étoiles de masse plus élevée, qui se distinguent de la séquence principale standard d'un point de vue observationnel. La stabilité de ces étoiles est analogue à l'équilibre hydrostatique des étoiles standard : lorsque l'étoile se dilate, le taux de capture de matière noire peut diminuer, ce qui provoque une nouvelle contraction de l'étoile. Et l'accrétion continue de matière noire permet à ces étoiles de maintenir l'équilibre éternellement, selon les chercheurs, ce qui fait que la séquence principale sombre domine la population stellaire.

À ce jour, le nombre d'étoiles connues dans le parsec interne du centre galactique est limité, et un plus grand nombre d'étoiles est nécessaire pour détecter de manière robuste tout effet éventuel de la matière noire. John et ses collaborateurs estiment que ce sera possible avec les prochains télescopes de la classe des trente mètres, qui mesureront de nombreuses nouvelles étoiles près du centre galactique. D’après les astrophysiciens, les étoiles du centre de notre galaxie qui sont déjà connues sont en fait déjà très intéressantes car elles révèlent de nombreuses anomalies qui pourraient être résolues par la séquence principale sombre, selon John et ses collaborateurs.

Les modèles de formation stellaire suggèrent que les étoiles ne peuvent pas se former à moins de ∼0,1 pc du trou noir central. Et c’est justement là où se trouvent les étoiles de l'amas S, les étoiles les plus proches de Sgr A*. On pense aujourd’hui que ces étoiles doivent s'être formées ailleurs et avoir migré vers le centre galactique. Mai a contrario, les observations suggèrent que les étoiles de cette région sont jeunes ( ≲15 Mégannées), ce qui indique que ces étoiles pourraient s'être formées plus localement... La tension entre ces deux observations est connue sous le nom de « paradoxe de la jeunesse » : les étoiles du centre galactique sont aussi brillantes que des étoiles jeunes mais présentent des caractéristiques spectroscopiques d'étoiles plus évoluées. En outre, il existe aussi une « énigme de la vieillesse », qui décrit la rareté des étoiles vieilles et évoluées, malgré le fait que les modèles prédisent qu’on devrait détecter de nombreuses étoiles évoluées. Enfin, les observations indiquent que la fonction de masse initiale des étoiles près du centre galactique est étonnamment lourde au sommet (c’est-à-dire biaisée en faveur des étoiles à haute masse). Les observations indiquant que la distribution des naissances stellaires se situe entre dN/DM ~ 𝑀-1,7 et ~𝑀-0,45, alors que l'indice de Salpeter standard dN/DM (la distribution des masses initiales) est ~𝑀-2,35. Ces observations anormales sont propres aux étoiles du Centre Galactique, et ne sont pas bien expliquées par les modèles conventionnels d'évolution stellaire.

Or, le centre de la galaxie est exactement l'endroit où la densité de matière noire serait suffisamment élevée pour que l'annihilation de la matière noire remplace substantiellement la fusion nucléaire comme source d'énergie stellaire, ce qui permettrait aux étoiles de rester éternellement jeunes malgré leur âge avancé. 

Ca expliquerait le paradoxe de la jeunesse (parce que les étoiles ont eu suffisamment de temps pour migrer vers le centre galactique). Et ça expliquerait également l'énigme de la vieillesse (parce que les étoiles continuent à résider sur la séquence principale ou à proximité). L'effet est maximisé dans les étoiles de masse relativement élevée ( ≳5𝑀⊙), alors que les étoiles moins massives ont tendance à évoluer vers l'arrière le long de la bande de Hayashi dans le diagramme ou à être entièrement perturbées. Cela implique mécaniquement que la distribution stellaire devrait avoir une fonction de masse initiale très élevée. Et c'est ce qui est observé aujourd'hui...

John et ses collaborateurs, en prenant en compte l'effet de l'annihilation  de la matière noire à l'intérieur des étoiles, ont en fait simulé une population stellaire complète qui inclut, pour la première fois, les étoiles les plus massives, qui correspondent aux étoiles récemment détectées dans la partie la plus interne de la Galaxie.

Cette nouvelle séquence principale sombre présente donc trois caractéristiques qui la distinguent clairement de l'évolution stellaire standard de la séquence principale classique :

(1) une fonction de masse initiale lourde au sommet, produite par l'élimination efficace des étoiles de faible masse de la séquence principale vers des emplacements sur les bandes de Hayashi ou au-delà,

(2) une bande de Hayashi brillante et densément peuplée, produite par les étoiles de plus faible masse de la séquence principale qui atteignent des équilibres éternellement stables dans des configurations à grands rayons stellaires et à basses températures,

(3) une bande de Henyey brillante et densément peuplée aux masses plus élevées, peuplée d'étoiles pratiquement immortelles (avec une durée de vie typique  >10  Gigannées), des étoiles de grande masse avec des luminosités similaires mais des températures légèrement inférieures à leurs configurations de la séquence principale classique.

Donc les trois anomalies dans les observations stellaires du centre galactique peuvent être expliquées simultanément par l'évolution stellaire le long de la séquence principale sombre. La fonction de masse initiale très dense, le paradoxe de la jeunesse et l'énigme de la vieillesse. Elles peuvent être expliquées si les étoiles de masse relativement élevée sont alimentées indéfiniment par l'annihilation de la matière noire. 

Les prédictions de population stellaire auront des implications importantes pour les observations extrêmement difficiles des étoiles du centre galactique. Vérifier ou infirmer l'évolution de la séquence principale sombre nécessitera la détection de nouvelles étoiles pour un échantillonnage suffisant et une population suffisante de la séquence principale sombre. Cela sera possible grâce à de nouveaux télescopes, ceux de la classe des 30 mètres, ou grâce à des étoiles supplémentaires du groupe S entourant Sgr A*  mesurées avec le Very Large Telescope ou le télescope Keck. En détectant la séquence principale sombre, les futurs télescopes offriraient ainsi une nouvelle voie de découverte de la matière noire.


Source

Dark branches of immortal stars at the Galactic Center

Isabelle John et al.

Phys. Rev. D 112 (18 July, 2025)

https://doi.org/10.1103/PhysRevD.112.023028


Illustration

1. La séquence principale "sombre" (à droite) comparée à la séquence principale standard du diagramme de Herzsprung-Russell

2. Isabelle John

11/05/25

Des étoiles supermassives à l'origine des trous noirs supermassifs


Dans un article qui vient d'être publié dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, deux astrophysiciens japonais montrent, grâce à des simulations, que des étoiles supermassives de plus de 10 000 masses solaires peuvent se former dans des nuages de gaz déjà enrichis en métaux. Ces étoiles supermassives deviennent ensuite autant de graines de trous noirs supermassifs au bout d'un million d'année. Si trop de métaux sont présents, une fragmentation du gaz apparaît et donne lieu à la naissance d'amas globulaires... 

Malgré des décennies d'études approfondies, l'origine des trous noirs supermassifs demeure l'un des problèmes non résolus les plus importants de l'astrophysique. Les observations récentes révèlent que des trous noirs supermassifs existent déjà à des décalages vers le rouge atteignant 10, correspondant à 600 millions d'années après le Big Bang. Ces résultats suggèrent que les trous noirs initiaux étaient déjà relativement massifs ou que leur croissance s'est produite extrêmement rapidement – ​​ou peut-être les deux. 

Un scénario courant propose que des trous noirs "graines", plus petits, soient d'abord produits par certains processus, suivis d'une croissance par accrétion de gaz ou par fusion avec d'autres trous noirs. L'accrétion super-Eddington a été explorée comme un mécanisme potentiel de croissance rapide dans l'univers primitif, mais un fort rayonnement et des écoulements provenant des disques d'accrétion présentent des défis pour maintenir un tel régime sur des périodes prolongées. Alternativement, des scénarios impliquant des graines de trous noirs massives ont donc été proposées. Une voie prometteuse pour la formation de telles graines massives est le scénario dit de l'"effondrement direct". Dans ce modèle, des étoiles supermassives (SMS) avec des masses dépassant 100 000 masses solaires seraient produites pour s'effondrer rapidement en trous noirs. 

On estime que ces étoiles supermassives se forment dans des nuages ​​chimiquement purs exposés à un rayonnement ultraviolet intense. Le rayonnement UV dissocie la molécule H2 qui est le principal agent de refroidissement dans le gaz sans métal, supprimant ainsi le refroidissement et maintenant la température du gaz à 10 000 K. Ces températures élevées empêchent alors la fragmentation et permettent au nuage de s'effondrer de manière monolithique. Ces températures élevées entraînent également des taux d'accrétion élevés, de 0,1 à 1 masse solaire par an sur la protoétoile en formation. L'accrétion rapide supprime la rétroaction radiative stellaire en augmentant le rayon stellaire et en abaissant la température effective à environ 5000 K, permettant une accrétion continue. Par ce processus, les étoiles supermassives peuvent atteindre  100000 à 1 million de masses solaires au cours de leur courte vie de 1 Mégannée environ. Car elles s'effondrent ensuite en trous noirs de masse comparable pendant ou après leurs phases de combustion nucléaire.

La formation de SMS a notamment été soutenue par des simulations hydrodynamiques multidimensionnelles, même en tenant compte de la fragmentation et du retour radiatif protostellaire. Bien que les disques circumstellaires se forment en raison du moment cinétique de la matière en accrétion et puissent se fragmenter, cette fragmentation se produit rarement et ne réduit que modérément la masse stellaire centrale, laissant intact le scénario global de formation des SMS.

A partir de ce scénario d'effondrement direct de nuages massifs d'hydrogène pur, on peut calculer la densité numérique des trous noirs supermassifs résultants au final : elle vaut entre 10-9 et 10-3 par Mpc3. Cette densité numérique colle bien avec les observations de l'Univers jeune (un redshift supérieur à 7, de l'ordre de 10-9  par Mpc3 mais, ça ne colle plus du tout avec la densité numérique des trous noirs supermassifs dans l'univers actuel, qui est d'environ 0,1 par Mpc3. Pourtant, leurs propriétés et leur distribution de décalage vers le rouge ne montrent aucune discontinuité significative par rapport aux trous noirs supermassifs à décalage vers le rouge supérieur. Cette bizarrerie suggère la nécessité de trouver un scénario vraiment universel pour expliquer les origines des trous noirs supermassifs à toutes les époques plutôt que de s'appuyer uniquement sur le scénario d'effondrement direct de nuages d'hydrogène pur.

Ce scénario d'effondrement direct est certes séduisant mais il impose des conditions rigoureuses pour la formation des trous noirs supermassifs, ce qui rend leur production assez faible : les nuages ​​doivent rester chimiquement purs, être situés à proximité de galaxies émettant des rayons UV intenses et posséder une masse suffisante pour subir un effondrement gravitationnel. Ces conditions sont souvent incompatibles. Les nuages ​​massifs sont généralement plus ou moins enrichis en métaux, ayant déjà connu des épisodes de formation d'étoiles. Lorsqu'une galaxie proche constitue une source UV importante, ça signifie que des éléments lourds provenant d'explosions de supernovas au sein de la galaxie peuvent avoir été injectés dans les nuages ​​du halo environnant, les contaminant.

Si l'exigence d'un gaz chimiquement pur était assouplie, permettant la présence de faibles quantités de métaux, la densité numérique des trous noirs issus d'effondrement direct pourrait augmenter significativement. Mais la présence d'éléments lourds pose un défi car même une petite quantité de métaux ou de grains de poussière, à des niveaux aussi bas qu'une métallicité de 10-5 métallicité solaire peut induire un refroidissement rapide du nuage en cours d'effondrement. Et ce refroidissement accru déclenche une fragmentation vigoureuse du nuage de gaz, ce qui empêche la formation de SMS et conduit à la formation d'amas d'étoiles denses.

En 2020, Sunmyon Chon et Kazuyuki Omukai avaient démontré de manière inattendue que les SMS avec des masses dépassant 10 000 masses solaires pouvaient  se former même dans les nuages ​​​​enrichis en métaux, à condition que la métallicité reste inférieure à 10-4 métallicité solaire. Pour arriver à ce résultat, les chercheurs avaient réalisé des simulations hydrodynamiques tridimensionnelles de la formation d'étoiles dans des nuages ​​fortement irradiés par UV et légèrement enrichis en métaux. On observait que malgré une fragmentation vigoureuse déclenchée par le refroidissement de la poussière, la majeure partie du gaz s'accréte sur la ou les étoiles massives centrales par afflux direct ou par fusions stellaires, permettant leur croissance jusqu'au régime SMS. Alors que de nombreuses protoétoiles se disputent le réservoir de gaz, la ou les étoiles massives centrales sont alimentées préférentiellement, un processus qui est appelé l'« accrétion supercompétitive », et qui est analogue à l'accrétion compétitive dans les amas d'étoiles actuels, mais à une échelle beaucoup plus grande. En revanche, à des métallicités plus élevées que 10-3 métallicité solaire , les étoiles les plus massives restaient en dessous de 1000 masses solaires dans le premier 10 000 ans en raison d'une diminution d'un ordre de grandeur du taux d'accrétion causée par des températures plus basses résultant du refroidissement par les métaux.

Dans leur nouvel article, Chon et Omukai, ont beaucoup raffiné leurs premières simulations car, il y a 5 ans, ils avaient approximé les processus thermiques à l'aide d'équations d'état précalculées. De plus, la rétroaction radiative stellaire, qui peut influencer significativement la masse finale des étoiles en formation, n'avait pas été prise en compte. Par exemple, le rayonnement ionisant limite la masse maximale des étoiles de Pop III en étouffant l'accrétion par photoévaporation des disques circumstellaires, tandis que dans l'autre sens, le chauffage radiatif des grains de poussière supprime la fragmentation qui est induite par le refroidissement de la poussière en élevant les températures de la poussière et du gaz. Et puis, les astrophysiciens japonais se limitaient à des simulations couvrant seulement 10 000 ans, ce qui empêchait de voir si les étoiles massives pouvaient effectivement croître jusqu'à plus de 100 000 masses solaires.

Dans leur article de 2020, Chon et Omukai avaient aussi constaté que lorsque le refroidissement déclenche une fragmentation intense à des métallicités supérieures à un certain seuil, le nuage en effondrement évolue en un amas d'étoiles dense plutôt que de former une seule étoile supermassive. Mais là encore, les simulations étaient limitées dans le temps, ce qui laissait l'évolution à long terme de ces systèmes inexplorée.

Les nouvelles simulations intègrent désormais de manière exhaustive les processus physiques clés. Plus précisément, les astrophysiciens modélisent l'évolution des nuages ​​de gaz de manière auto-cohérente, en résolvant la physique thermique avec une chimie hors équilibre pour le gaz primordial et un traitement simplifié mais robuste du refroidissement dû aux métaux. De plus, ils incluent les effets de la rétroaction du rayonnement des étoiles en formation, ce qui est crucial pour comprendre son influence sur la fragmentation et l'accrétion de masse. Et surtout, ils étendent les simulations à une échelle de temps de 1 mégannée, durée de vie typique des étoiles très massives. Cette durée plus longue leur permet de déterminer la masse finale des SMS sous différentes métallicités. Elle leur permet également d'examiner l'évolution et les propriétés à long terme des systèmes stellaires, telles que leur structure, la distribution de leurs populations stellaires et la formation potentielle d'amas d'étoiles denses, dans des environnements irradiés par UV et légèrement enrichis en métaux.

Chon et Omukai montrent aujourd'hui que la métallicité influence significativement les propriétés de fragmentation et la croissance des étoiles massives. À de faibles métallicités ([Z/H]) < 10-3, ils montrent que des étoiles supermassives jusqu'à presque 100 000 masses solaires peuvent se former. Plus précisément, pour une métallicité de 10-6, le cas où le refroidissement par la poussière est négligeable, le gaz s'effondre de manière quasi monolithique, donnant naissance à des SMS au centre. Pour des métallicités légèrement supérieures ([Z/H] de 10-5 à 10-4, ils trouvent que le refroidissement de la poussière induit une fragmentation à l'échelle sub-parsec, avec de multiples fragments autour de la région centrale. Mais ces fragments finissent par s'accréter sur la protoétoile centrale ou fusionner avec elle, ce qui permett aux objets massifs centraux de se développer en étoiles supermassives. Pour une métallicité de 10-3, tandis que la fragmentation ralentit la croissance de la masse des étoiles centrales pendant les premières phases, l'accrétion continue à partir de filaments denses permet quand même la formation d'étoiles supermassives de 10 000 masses solaires. Pour une métallicité de 10-2 en revanche, une fragmentation à grande échelle (10 pc) conduit à une formation d'étoiles plus étendue spatialement, ce qui entraîne la formation d'un amas d'étoiles massif avec une étoile très massive centrale qui fait environ 2000 masses solaires.

Dans les simulations de Chon et Omukai, les masses des étoiles formées et de leurs trous noirs résiduels varient de 30 000 à 80 000 masses solaires pour des métallicités inférieure 10-3. La masse finale est déterminée lorsque l'apport efficace de gaz, à un taux de 0,1 M☉/an, cesse après environ 1 Mégannée. Cette interruption du flux d'accrétion est attribuée aux champs de marée des galaxies massives voisines, qui perturbent l'enveloppe externe du nuage et limitent ainsi la masse maximale pouvant être fournie au système stellaire central.

La capacité à former des graines de trous noirs massifs dans des environnements avec [Z/H] ≤ 10-3 Z☉ suggère une densité numérique de graines qui serait plus élevée que les prédictions du scénario conventionnel de l'effondrement direct. Or, une seule supernova enrichit généralement le gaz environnant jusqu'à une métallicité de  10-4 à  10-3, ce qui implique que des trous noirs massifs peuvent se former dans des halos ayant subi un épisode précédent de formation d'étoiles. Et des simulations cosmologiques de formation de galaxies ont montré que, lors des premiers stades de l'assemblage des galaxies à z ~ 10, la métallicité typique du milieu interstellaire reste dans la gamme comprise entre 10-4 à  10-3.

Le scénario d'accrétion supercompétitive proposé par les chercheurs japonais, permet donc de produire d'avantage de graines de trous noirs supermassifs via la production d'étoiles supermassives en plus grand nombre. Ils estiment que la densité numérique de ces graines de trous noirs supermassifs produites dans des nuages de gaz à métallicité finie pourrait atteindre entre 0,1 et 1 par Mpc3. Une valeur bien supérieure à celle donnée par le modèle classique du collapse direct, et qui devient tout à fait comparable avec la densité numérique des trous noirs supermassifs qui est mesurée dans l'Univers local. 

Ces beaux résultats suggèrent donc que le scénario d'accrétion supercompétitive produisant des étoiles supermassives de presque 100 000 masses solaires dans les premiers millions d'années après l'allumage des premières étoiles, et ce même dans des environnements déjà légèrement enrichis en éléments lourds, pourrait expliquer l'origine précoce de tous les trous noirs supermassifs dans l'univers.


Source

Formation of supermassive stars and dense star clusters in metal-poor clouds exposed to strong FUV radiation 

Sunmyon Chon , Kazuyuki Omukai

Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 539 (3 May 2025) 

https://doi.org/10.1093/mnras/staf598

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Illustrations

1. Simulations de l'accrétion d'étoiles supermassives en fonction de leur métallicité (Chon & Omukai)

2. Evolution de la masse des étoiles en fonction du temps et de la métallicité (Chon & Omukai)

3. Kazuyuki Omukai et Sunmyon Chon

15/03/25

L'origine très probable d'une source radio transitoire "étrange", "mystérieuse", et j'en passe...

Vous en avez certainement entendu parler cette semaine, vu le buzz médiatique que produit toujours  la détection d'impulsions radio jamais vues auparavant en provenance de notre galaxie, avec son lot de qualificatifs pour le moins sensationnalistes. Mouais..., on va donc expliquer de quoi il s'agit, et non, ce ne sont pas des appels désespérés des amis de Jean-Pierre à grands yeux noirs et grosses têtes chauves. L'étude est parue dans Nature Astronomy.


Depuis quelques années, plusieurs observations ont révélé des bouffées rares et jusqu'alors inconnues d'ondes radio d'une durée allant de quelques millisecondes à quelques minutes, avec une périodicité de quelques minutes à une heure. Ces signaux radio transitoires  proviennent de sources situées dans la Voie lactée typiques de processus d'émission cohérente dans un plasma astrophysique. On suppose généralement qu'ils sont produits dans les environnements extrêmes et hautement magnétisés entourant les naines blanches ou les étoiles à neutrons. Mais l'origine astrophysique de ces signaux reste controversée, et plusieurs modèles de progéniteurs pourraient être nécessaires pour expliquer leurs diverses propriétés. 

Iris de Ruiter et ses collaborateurs ont découvert l'origine d'une de ces sources radio transitoire, qui est nommée ILT J1101 + 5521. Ses impulsions ont une durée d'environ une minute et nous arrivent avec une périodicité de 125,5 minutes. 

ILT J1101 + 5521 a été découvert lors d'une recherche de transitoires sur le ciel entier du réseau basse fréquence (LOFAR) (LOFAR Two-Metre Sky Survey, LoTSS 1 ), afin de détecter des transitoires radio sur des échelles de temps allant de quelques secondes à quelques heures. Une seule impulsion radio brillante de ILT J1101 + 5521 avait été détectée par LOFAR dans les données du 8 février 2015, à l'aide d'images instantanées de 8 s. De Ruiter et ses collaborateurs ont détecté six impulsions supplémentaires dans d'autres données d'archive de LOFAR . Cela leur a permis de mieux localiser la source de cette émission radio, à une ascension droite (AD) (J2000) de 11 h 1 min 50,5 s ± 1,9 s et une déclinaison (déc.) (J2000) de +55° 21′ 19,6″ ± 0,39″, ce qui donne en coordonnées galactiques (150,4551° ± 0,0004°, 55,5200° ± 0,0001°). On a donc désormais sept impulsions radio d'une durée comprise entre 30 s et 90 s, avec des densités de flux maximales allant de 41 ± 6 à 256 ± 10 mJy dans cinq observations de 8 heures couvrant la période 2015 à 2020. Une nouvelle campagne de surveillance LOFAR de 16 heures, menée fin 2023, n'a donné lieu à aucune détection supplémentaire. 

De Ruiter et ses collaborateurs utilisent les temps d'arrivée des impulsions pour déterminer une solution de synchronisation connectée en phase et trouvent une période de 125,52978 ± 0,00002 min. De plus, ils obtiennent également une limite supérieure sur la dérivée de période de 1,711 × 10 −11  s-1.s . Les impulsions ont un cycle d'activité de 2 %, et l'intermittence des impulsions combinée aux non-détections dans les observations de 2023 indique que la source est intrinsèquement de nature très variable. Les radioastronomes détectent en effet une impulsion dans 7 des 26 périodes observées.

Il est notable que les impulsions sont visibles sur toute la gamme observée de fréquences radio (120–168 MHz). Pour l'impulsion la plus brillante de l'échantillon, l'indice spectral de l'impulsion est extraordinairement raide et les chercheurs déterminent l'indice spectral α  = −4,1 ± 1,1, avec Sν  ∝  να , où Sν est la densité de flux et ν la fréquence d'observation. De plus, pour l'impulsion la plus brillante de l'échantillon, la fraction de polarisation linéaire est de 51 ± 6 % pour une mesure de rotation de Faraday (RM) de 4,72 ± 0,14 rad m-2 . Aucune émission polarisée circulairement n'est détectée dans les impulsions, avec une limite supérieure de <1,6 % sur la fraction de polarisation circulaire pour l'impulsion la plus brillante. 

Les archives de l'expérience VLITE (Low-Band Ionosphere and Transient Experiment) du Very Large Array (VLA) ont également été consultées par les chercheurs pour les impulsions de ILT J1101 + 5521, mais aucune impulsion supplémentaire n'y a été trouvée. En outre, des observations simultanées du télescope à rayons X Swift (XRT) ont été réalisées pendant les observations LOFAR de 2023, ce qui a permis d'établir une limite supérieure de la luminosité des rayons X.

Et c'est une recherche dans les ensembles de données archivées de multi-longueurs d'onde sur les coordonnées de ILT J1101 + 5521 qui a donné lieu à la découverte d'une correspondance avec une étoile cataloguée dans le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), nommée  J110150.52 + 552119.9, dont la position dans le catalogue Gaia DR3 est décalée de 0,44″ par rapport à ILT J1101 + 5521, mais dans l'incertitude astrométrique de la position radio dérivée de ILT J1101 + 5521 (erreur de ±(1,9″, 0,39″)). Selon les chercheurs, la probabilité que la source optique s'aligne avec ILT J1101 + 5521 par hasard est extrêmement faible (environ 1 chance sur 10 000)  en raison de la faible densité stellaire aux hautes latitudes galactiques. La distance géométrique à cette étoile, d'après les données Gaia est de 504 +148/-109 pc. 

De Ruiter et son équipe montrent que ILT J1101 + 5521 est un système binaire naine rouge-naine blanche dont la période orbitale correspond à celle des impulsions radio observées lorsque les deux étoiles sont en conjonction. Le suivi spectroscopique a en effet déterminé que l'étoile a une variation substantielle de la vitesse radiale d'environ 200 km s-1 . Une sinusoïde simple décrit bien les données, indiquant une orbite binaire proche de la circulaire. Les chercheurs ont ensuite ajusté deux sinusoïdes aux données, l'une où tous les paramètres d'ajustement sont non liés et l'autre où ils ont fixé la période à la période de 125,5 min des impulsions radio. Il n'y a aucune différence significative dans la qualité de l'ajustement entre les deux ajustements, ce qui montre clairement que la période des impulsions radio est liée à la période binaire.

En supposant une période orbitale stable égale à la période des impulsions radio, De Ruiter et al. constatent que ces impulsions sont toutes émises lorsque la naine rouge est en conjonction supérieure par rapport à la naine blanche. Autrement dit, lorsque la naine rouge est vue derrière et alignée avec la naine blanche du point de vue d'un observateur terrestre. Compte tenu de la faible probabilité d'alignement aléatoire, de la concordance entre la dispersion des impulsions radio et la distance à l'étoile, et de la périodicité des impulsions radio égale à la période orbitale de cette étoile, De Ruiter peuvent conclure avec une quasi certitude que ILT J1101 + 5521 est un système binaire dont l'une des composantes est une étoile naine de type M.

Ensuite, en utilisant la mesure de l'amplitude de la vitesse radiale, les chercheurs appliquent la fonction de masse binaire pour contraindre la masse de la naine blanche en fonction de l'inclinaison orbitale. La fonction de masse binaire dépend de la masse de naine blanche WD, de la masse de la naine M, de l'angle i de l'inclinaison de l'orbite binaire, de la période orbitale, et de la vitesse radiale observée de la naine rouge. De Ruiter et ses collègues supposent une masse de 0,188  M⊙ pour la naine rouge (c'est le résultat de l'ajustement photométrique à large bande), une période de 125,5 min et une amplitude de vitesse radiale de 98 ± 14 km s-1 . Ils trouvent que pour une compagne naine blanche plus massive que 0,2  M⊙ , l'inclinaison du système doit être inférieure à 40°. Or, dans l'échantillon connu de binaires naine blanche-naine rouge en interaction, la naine blanche a généralement une masse supérieure à 0,6  M⊙. Et les données étendues montrent que, pour des masses de naines blanches supérieures à 0,25  M⊙, le point d'équipotentielle gravitationnelle entre les deux étoiles (rayon du lobe de Roche) serait égal au rayon stellaire de la naine rouge.

OK. On a donc un système binaire naine blanche-naine rouge très serré, avec des étoiles probablement en interaction. Mais comment ce système peut-il produire les émissions radio transitoires observées ?

Tout d'abord, De Ruiter et ses coauteurs montrent que les impulsions radio observées de ILT J1101 + 5521sont incompatibles avec l'émission radio stellaire à basse fréquence typique des naines rouges en termes de luminosité (de cinq ordres de grandeur) et aussi en termes de propriétés polarimétriques. Par conséquent, ils concluent que l'émission radio provient de la naine blanche ou bien de l'interaction entre la naine blanche et la naine rouge. Ensuite, ils montrent que la fraction de polarisation linéaire est élevée, ce qui indique la présence de champs magnétiques fortement ordonnés, ce qui est souvent trouvé autour des naines blanches. Il faut se rappeler que les binaires naine blanche-naine rouge avec une naine blanche hautement magnétique sont les seuls systèmes avec les étoiles à neutrons dont l'émission d'impulsions radio cohérentes est confirmée. AR Scorpii et J1912–4410 sont des exemples de binaires à  naines blanches qui présentent une émission radio périodique, avec des périodes d'impulsion de l'ordre de quelques minutes et des périodes orbitales d'environ 4 h.

De Ruiter et son équipe ont retrouvé un modèle évolutif prometteur pour les naines blanches magnétiques dans les étoiles binaires qui avait été publié en 2021 par Schreiber et al. Ce modèle repose sur l'apparition tardive d'un champ magnétique élevé, potentiellement dû à une dynamo entraînée par la cristallisation et la rotation. Un fort champ magnétique de naine blanche peut se connecter au champ de la naine rouge et fournir un couple de synchronisation sur le spin de la naine blanche. On pense notamment que AR Scorpii et J1912–4410 sont aux premiers stades du processus de synchronisation. La période orbitale plus courte d'ILT J1101 + 5521 (comparée à AR Sco et J1912) indique que le système binaire serait au stade dit "polaire", où le processus de synchronisation est terminé et la naine rouge remplit à nouveau son lobe de Roche. Cela implique que pour ILT J1101 + 5521, la période de spin de la naine blanche s'est synchronisée avec la période orbitale. 

Pour les systèmes polaires, l'intensité du champ magnétique de la naine blanche doit augmenter à plus de ~10 MG selon une étude théorique de 2008 (Ramsay et al.). La formation d'un disque d'accrétion est dans ce cas supprimée, mais l'accrétion se produit directement sur le pôle magnétique de la naine blanche. Les polaires entrent dans des états avec peu ou pas d'accrétion, et pendant ces périodes, le système apparaît comme un système naine blanche plus naine M pratiquement détaché. Et il se trouve qu'aucune accrétion soutenue ne semble se produire pour ILT J1101 + 5521 d'après l'absence d'émission de rayons X. Le flux typique de rayons X dans les phases d'accrétion brillantes des polaires est d'environ 5 × 10-13  erg cm-2  s-1, comparé à la limite supérieure en rayons X de Swift pour ILT J1101 + 5521 qui est de 5,1 × 10-14  erg cm-2  s-1.

De plus, la présence d'accrétion perturberait probablement la création d'une émission radio cohérente similaire aux systèmes de pulsars millisecondes à transition d'état. Une période de 125 min avec un donneur de type spectral M comme observé pour ILT J1101 + 5521 se situe donc bien dans la population des polaires. Les polaires typiques ont une masse de naine blanche  d'environ 0,6  M⊙ et des températures effectives de naine blanche inférieures à 11 000 K. La température de la naine blanche dans ILT J1101 + 5521 est probablement plus basse ( T eff entre 4 500 K et 7 500 K), indiquant un système plus évolué par rapport à l'échantillon connu.

Le mécanisme exact qui produit l'émission radio reste inconnu, mais, étant donné la configuration polaire, il semble plus naturel que nous observions une émission radio pulsée due à des effets de faisceau. Ici, on observe le système dans une certaine géométrie (une conjonction supérieure, lorsque la naine rouge est vue alignée avec et se trouve derrière la naine blanche) une fois par cycle orbital, en regardant effectivement vers le bas un faisceau d'émission radio. Dans ce cas, la nature hautement intermittente d'ILT J1101 + 5521 (on rappelle que des impulsions sont observées sur un quart des orbites observées) pourrait s'expliquer selon les chercheurs par une forte variation de la luminosité de l'émission radio cohérente, similaire à ce qui a été proposé pour les transitoires radio en rotation . L'indice spectral abrupt des impulsions radio les plus brillantes indique que le spectre pourrait être similaire à la coupure drastique qui est observée pour l'émission instable de maser cyclotron électronique (ECMI). L'émission ECMI pourrait donc expliquer l'émission radio d'ILT J1101 + 5521 puisque le couplage magnétique entre la naine rouge et la naine blanche est confirmé pour les systèmes polaires. De faibles éruptions radio polarisées circulairement d'une minute ont notamment été observées dans les systèmes polaires à hautes fréquences. On pense que ces éruptions se produisent en raison de l'émission ECMI qui est causée par la naine rouge se déplaçant à travers la magnétosphère de la naine blanche. Mais l'émission radio d'ILT J1101 + 5521 est tout de même clairement distincte, car elle est observée à des fréquences beaucoup plus basses et les impulsions sont beaucoup plus brillantes et fortement polarisées linéairement. Les auteurs indiquent que certaines de ces différences pourraient être expliquées en invoquant une version relativiste de l'émission ECMI .

Bien que le bilan énergétique soit tel que la luminosité radio observée pourrait provenir de la rotation de la naine blanche, De Ruiter et ses collaborateurs soutiennent  que le scénario le plus probable est que l'émission radio provienne de l'interaction de la naine rouge avec le champ magnétique de la naine blanche. Alternativement, l'émission radio pourrait aussi être déclenchée par la reconfiguration du champ magnétique ou, dans un scénario plus exotique, provenir de l'accrétion de matière sur le pôle magnétique de la naine blanche à des taux d'accrétion très faibles. Bizarrement, les chercheurs n'évoquent pas une origine technologique de petits gris à grands yeux noirs et grosse tête chauve... 

Aucune des sources radio transitoires à longue période détectées précédemment n'a de compagne binaire connue, et la périodicité des impulsions est supposée provenir de la période de spin d'une étoile à neutrons ou d'une naine blanche. ILT J1101 + 5521 est ainsi la première source radio à longue période dont l'identité binaire est confirmée et la seule dont la compagne est une naine blanche confirmée. De plus, il a été démontré dans cet article que les impulsions radio de ILT J1101 + 5521 se produisent à la période orbitale et au moment de la conjonction stellaire . ILT J1101 + 5521 révèle qu'il existe probablement plusieurs progéniteurs capables de produire des impulsions radio à longue période. 

Ce qui est sympa, c'est la latitude galactique élevée de ILT J1101 + 5521 : elle va faciliter son étude par des observations multi-longueurs d'onde. Cela permettra d'étudier plus en détail la géométrie exacte de ce système binaire, les propriétés des deux étoiles , et in fine, les mécanismes d'émission détaillés qui sont en jeu.

Source

Sporadic radio pulses from a white dwarf binary at the orbital period

I. de Ruiter,et al.

Nature Astronomy (12 march 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02491-0


Illustration 

1.Signaux radio détectés en fonction du temps (I. De Ruiter)

2. Iris De Ruiter

16/01/25

Observations de la naissance d'étoiles massives dans le Grand Nuage de Magellan


Une équipe d'astronomes a fait une découverte sur la formation des jeunes étoiles dans le Grand Nuage de Magellan, en utilisant le télescope spatial Webb et le Grand Réseau Millimétrique/Submillimétrique ALMA. Leur étude, publiée dans 
The Astrophysical Journal, donne un nouvel aperçu des premiers stades de la formation d'étoiles massives en dehors de notre galaxie.

La formation d'étoiles massives joue un rôle essentiel en influençant la chimie et la structure du milieu interstellaire. La formation des étoiles se déroule dans des amas, les étoiles massives dominant la luminosité de l'ensemble. Aux premiers stades de leur formation, les vents à grande vitesse provenant des flux et des jets peuvent chauffer et comprimer le gaz environnant. Cela peut ensuite déclencher ou éteindre une nouvelle formation d'étoiles, en fonction de la distribution de densité du gaz comprimé. Et aux stades ultérieurs, le rayonnement ultraviolet de ces étoiles massives ionise le milieu interstellaire environnant. 

Il y a 6 à 7 milliards d’années, les superamas d’étoiles étaient le principal moyen de formation des étoiles, produisant des centaines de nouvelles étoiles par an dans notre galaxie. Ce type de formation d’étoiles est en déclin, et les superamas d’étoiles sont très rares dans notre Univers local. On ne connaît aujourd’hui que deux superamas d’étoiles dans la Voie Lactée et un dans le LMC, tous deux vieux de plusieurs millions d’années. Ochsendorf et al. ont étudié en 2017 les jeunes objets stellaires (ce qu'on appelle des YSO : Young Stellar Objects) dans le LMC en utilisant la photométrie avec les télescopes spatiaux Spitzer et Herschel et ils ont trouvé deux principales régions de formation d'étoiles : la première est 30 Doradus, l'hôte du superamas d'étoiles R136, et la seconde est N79, hôte du candidat superamas H72.97-69.39, qui serait âgé d'à peine 100 000 ans. On sait que 30 Doradus a connu quatre épisodes de formation d'étoiles au cours des 25 derniers millions d'années, tandis que N79 est en train d'intensifier son activité de formation d'étoiles et pourrait un jour rivaliser avec le taux de formation d'étoiles et la luminosité élevée de 30 Doradus.

Le LMC est une galaxie satellite de notre Voie Lactée, et est situé à près de 160 000 années-lumière de la Terre. Cette distance relativement proche et son orientation face en font un laboratoire idéal pour étudier la formation d’étoiles extragalactiques. Omnarayani Nayak et ses collaborateurs ont utilisé l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument) de Webb pour observer 11 YSO isolés dans la région N79 du LMC pour mieux comprendre l'effet des vents stellaires à grande vitesse, des chocs à faible vitesse des flux sortants, du rayonnement UV, du rayonnement retraité de la poussière et de la pression du gaz ionisé chaud sur le nuage moléculaire géant parental.

Comme l’abondance d’éléments lourds dans le LMC est deux fois moindre que celle de notre système solaire, il montre des conditions de formation d’étoiles similaires à celles qui existaient il y a 6 à 7 milliards d’années dans notre galaxie. Cela donne aux astrophysiciens un aperçu de la manière dont la formation d’étoiles aurait pu se dérouler dans l’univers jeune.

Nayak et ses collaborateurs observent une variété d'YSO à un stade précoce et tardif. Ils ont en particulier examiné en détail les caractéristiques spectrales de six YSO, à savoir les raies d'émission de l' H2 (hydrogène moléculaire), les raies d'émission d'hydrocarbures polyaromatiques (HAP), les raies d'absorption du silicate et celles de glace en phase solide et gazeuse. 

Les raies de H2 dans l'IR moyen proviennent soit du rayonnement UV des étoiles massives, soit de l'excitation collisionnelle due à des chocs chauffant le gaz moléculaire. Les mêmes photons UV entrent en collision avec les molécules de HAP, ce qui conduit à l'excitation de divers modes de flexion et d'étirement et décompose les molécules de HAP de grande taille en molécules plus petites. Les électrons éjectés des molécules de HAP peuvent alors chauffer davantage le gaz local. Une émission de H2 excédentaire par rapport aux raies d'émission de HAP a déjà été observée dans les noyaux galactiques actifs en 2010 et dans des galaxies ultralumineuses en 2006, et on pense qu'elle provient des chocs.

La présence de raies d'absorption de silicate et de glace avec peu ou pas de H2 et des raies d'émission à structure fine, indique des très jeunes protoétoiles intégrées dans leur nuage de gaz natal, où les photons UV de l'étoile centrale n'ont pas encore ionisé le gaz environnant. Les différentes raies d'émission et d'absorption identifiées dans un spectre indiquent en fait l'âge de la protoétoile centrale ainsi que la distribution granulométrique et l'ionisation des HAP, ainsi que l'origine des chocs. 

Les images de MIRI obtenues par Nayak et ses collègues montrent que les étoiles les plus massives se rassemblent près de l'amas stellaire H72.97-69.39, et que les moins massives se répartissent à la périphérie de N79, un processus qu'on appelle la ségrégation de masse. Et ce que l'on pensait jusqu'alors être une seule jeune étoile massive s'est révélé être un amas de cinq jeunes étoiles. L'une des cinq jeunes étoiles est plus de 500 000 fois plus lumineuse que le Soleil, et est entourée par plus de 1 550 jeunes étoiles.

ALMA a aussi apporté des contributions significatives à l’étude des YSO dans le LMC, en particulier dans la région N79. Les précédentes observations effectuée avec ALMA dans cette région ont notamment révélé la collision de deux filaments de poussière et de gaz de plusieurs parsecs. C'est pile au point de collision que se trouve le superamas d'étoiles H72.97-69.39, qui abrite la protoétoile la plus lumineuse identifiée par le télescope Webb. La collision de filaments de gaz moléculaire pourrait ainsi être le catalyseur nécessaire à la création d’un superamas d'étoiles, selon les chercheurs. Les observations d’ALMA fournissent un contexte crucial pour comprendre l’environnement à plus grande échelle dans lequel ces YSO se forment. Cette étude permet par exemple aux astronomes d’étudier la relation entre les structures de nuages ​​moléculaires à grande échelle et la naissance des protoétoiles et des amas.

Nayak et ses collaborateurs montrent que les masses respectives pour les amas d'étoiles qu'ils ont nommés E1, S1 et S2 sont respectivement de 18,3 ± 2,7, 25,4 ± 3,2 et 15,7 ± 4,5 M⊙. Selon eux, dans E1, c'est l'YSO Y2 qui est probablement la source dominante, Y4 est la source dominante dans S1 et Y9 est celle qui domine dans S2. 

Les YSO observés présentent une variété de raies d'émission de HAP. Mais l'YSO Y4, la source ionisante centrale du candidat amas H72.97-69.39, ne présente aucune caractéristique de HAP, probablement en raison du rayonnement intense et des forts vents stellaires qui détruisent les hydrocarbures polyaromatiques environnants.

Les six étoiles YSO présentent en tous cas toutes plusieurs raies d'émission de l'hydrogène moléculaire H2. Y2 présente 16 raies d'émission H2 , soit le plus grand nombre de raies d'émission parmi toutes les sources étudiées dans cette étude. Y3, l'YSO le plus jeune, présente cinq raies H2. Les raies d'absorption importantes qui sont observées dans le spectre de Y3 indiquent quant à elles que cette protoétoile est enveloppée de poussière et qu'elle n'a pas encore commencé à ioniser le gaz environnant. Pour Nayak et son équipe, les raies H2 observées dans les spectres de Y3 pourraient aussi être dues à la source dominante, Y2, qui excite le H2.

Une autre caractéristique remarquable sont les raies d'émission [Ne II], [Ne III ], [Ar II ], [Ar III ] et [Fe II]. Elles indiquent la présence de chocs à grande vitesse (> 70 km s-1) dans Y1, Y2, Y4, Y6 et Y9. Des chocs à faible vitesse sont également présents dans ces YSO, car Nayak et al. identifient de fortes raies d'émission H2 et [Cl II]. Alternativement, les raies d'émission [Ne II ] et [Ne III ] peuvent aussi provenir d'YSO de masse élevée à proximité photoexcitant le gaz avec des photons UV et X extrêmes.

Les raies d'émission H I sont souvent observées lors de l'accrétion protostellaire et sont généralement abondantes dans les régions H II. Les taux d'accrétion de masse de Y1, Y2, Y4 et Y9 varient entre 1,22 × 10-4  et 1,01 × 10-2 M⊙ an-1 . Des taux d'accrétion de 10-4 M ⊙ an-1 ont été mesurés pour des étoiles de faible masse dans la Voie lactée. Selon Nayak et ses collaborateurs, la raison de ces taux d'accrétion élevés pour les YSO de N79 pourrait être soit que la force gravitationnelle domine dans les YSO de masse élevée, conduisant à un taux plus élevé, ou soit que les chocs et les vents contribuent au flux HI mesuré, conduisant à ce que les calculs des taux d'accrétion de masse soient des limites supérieures.

Concernant les caractéristiques d'absorption en phase solide et gazeuse, elles sont observées dans les spectres de Y1, Y3, Y4, Y6 et Y9. Mais l'YSO Y2 n'a aucune caractéristique d'absorption. Les astrophysiciens donnent une explication possible des caractéristiques d'absorption en phase gazeuse de HCN et de CO2 dans Y6 et Y9 : des vents à grande vitesse chaufferaient le gaz environnant à 100 K ou plus, ce qui conduirait à une augmentation de leur abondance. Les chercheurs notent que Y3 et Y9 ont également la caractéristique du doublet du CO2, Y3 ayant les raies d'absorption les plus importantes. Cet YSO a a des raies d'absorption importantes, probablement parce qu'il a moins de 10 000 ans, d'après Nayak et ses coauteurs.

Les astrophysiciens ont donc désormais observé des étoiles géantes à différents stades d’évolution, depuis de très jeunes protoétoiles jusqu’à des objets plus évolués ionisant leur environnement. Ces données fournissent aujourd'hui des informations sur la chimie complexe qui se produit dans ces pépinières d’étoiles, notamment la présence de molécules organiques et de poussière, ce qui relie la formation des étoiles à l’histoire plus vaste de la répartition des éléments et des composés dans l’univers. 

Source

JWST Mid-infrared Spectroscopy Resolves Gas, Dust, and Ice in Young Stellar Objects in the Large Magellanic Cloud

Omnarayani Nayak et al.

The Astrophysical Journal, Volume 963, Number 2 (4 march 2024)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ad18bc


Illustration

1. Vue d'artiste d'un superamas d'étoiles avec des YSO (NSF/AUI/NSF NRAO/S.Dagnello)

2. Omnarayani Nayak

29/11/24

L'origine d'un transitoire radio à longue période identifié pour la première fois


Des astrophysiciens ont trouvé une explication plausible pour un type de signal radio répétitif de longue période identifié pour la première fois il y a deux ans, mais qui apparaît désormais à de nombreux endroits dans le ciel. Ils ont identifié un tel signal périodique qu'ils ont pu clairement associer à une étoile naine rouge. Mais elle ne serait pas seule... C'est son interaction avec une naine blanche qui serait à l'origine du signal radio détecté. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

De nouveaux instruments ont récemment commencé à nous offrir une vue beaucoup plus large, et les analyses de grandes portions du ciel ont révélé une multitude de nouveaux types de signaux auxquels nous ne nous attendions pas et que nous ne pouvons souvent pas encore expliquer pleinement. L'un d'entre eux, une classe désormais connue sous le nom de "transitoires radio de longue période", a été signalé pour la première fois en 2022 , sur la base de données d'archives du Murchison Widefield Array (MWA), dont les relevés radio ont révélé de nombreuses étrangetés inattendues dans le ciel radio. Il a notamment montré un signal radio d'une durée de 30 à 60 secondes, se répétant toutes les 18,2 minutes, et ne correspondant à aucune classe d'objets connue. 

Tous les signaux radio transitoires de longue période présentent une forte polarisation, signe d'un champ magnétique puissant, mais se répètent trop lentement pour être des pulsars et, contrairement aux sursauts radio rapides répétitifs (FRB) (sauf un), ceux-là proviennent tous de l'intérieur de notre galaxie. Jusqu'à présent, il était impossible d'identifier la source de ces signaux répétés à longue période, car ils provenaient le plus souvent du disque galactique, là où la population stellaire est bien trop dense.

Natasha Hurley-Walker et ses collaborateurs viennent donc de faire une grande avancée en trouvant un exemple de transitoire radio à longue période  pas comme les autres, connu sous le nom de GLEAM-X J0704-37. En plus d'être l'exemple le plus lent de ce type de signal qui n'a jamais été observé (une période de 2,9 heures !), GLEAM-X J0704-37 provient également d'une zone bien en dehors du plan galactique où les objets confondants sont rares. Des observations de suivi ont ainsi été possibles et révèlent une étoile naine rouge de type M3, d'une masse d'environ 0,32 masses solaires, située exactement sur la localisation du signal radio pulsé.
Les naines rouges sont le type d'étoile le plus commun de la galaxie, mais on sait aussi qu'elles ne devraient pas avoir l'énergie ou le champ magnétique nécessaires pour produire un signal radio à longue période par elles-mêmes. Mais Hurley-Walker et ses collaborateurs montrent qu'il existe cependant des signes qui indique que la naine rouge serait en orbite autour d'un objet invisible. Pour les chercheurs, une étoile à neutrons semble peu probable, pour de nombreuses raisons, et certaines d'entre elles s'appliquent encore plus négativement à l'idée d'un trou noir. 
Un système binaire avec une étoile à neutrons est défavorisé car si l'émission radio est produite par un champ magnétique fort, l'étoile à neutrons devrait être jeune, ce qui est défavorisé par la latitude galactique élevée de GLEAM-X J0704-37. D'un autre côté, un scénario avec une étoile à neutrons à faible champ dans une binaire de faible masse (comme les pulsars transitionnels ou recyclés), avec une émission radio alimentée par le ralentissement magnétique dipolaire, est aussi défavorisé car la luminosité radio observée est de plusieurs ordres de grandeur supérieure aux limites de la puissance d'un tel ralentissement magnétique.

Il ne reste qu'une solution possible selon les chercheurs: une naine blanche fortement magnétisée. Le problème, c'est qu'il est également peu probable que les naines blanches produisent par elles-mêmes des émissions radio aussi fortes, répétées ou non. L’explication la plus probable pour Hurley-Walker et ses collaborateurs est que la gravité de la naine blanche arrache de la matière à la naine rouge, ce qui provoque indirectement les émissions radio. Dans ce scénario, l'émission radio devrait être générée par un vent stellaire circulant depuis la naine rouge vers la magnétosphère de la naine blanche, où il est accéléré. 
Dans les polaires, un type de variable cataclysmique magnétique, le champ magnétique de la naine blanche est de 10 à 200 MG, et les deux étoiles sont verrouillées en rotation synchrone. Les polaires intermédiaires (IP) ont quant à elles des champs magnétiques légèrement plus faibles (1 à 10 MG) et la naine blanche tourne à une vitesse plus rapide que l'orbite. Avec une vitesse de rotation de la naine blanche encore plus rapide, les systèmes de type AR Sco sont constitués d'une paire naine rouge/naine blanche sur une orbite serrée (environ 4 heures), de sorte que la naine M remplit presque le lobe de Roche (TR Marsh et al. 2016). 
Les interactions entre les deux étoiles provoquent une émission radio de type pulsar depuis la magnétosphère de la naine blanche, ce qui a été directement observée par exemple sur J1912−44, lorsque le faisceau de la naine blanche croise notre ligne de visée (I. Pelisoli et al. 2023). Les deux seuls systèmes de type « pulsar de naine blanche» qui sont connus ont été sélectionnés en recherchant une variabilité optique élevée, qui sélectionne préférentiellement les systèmes proches avec des naines blanches à rotation rapide (une période de quelques minutes). Pour Hurley Walker et son équipe, il est donc possible que des systèmes de type AR Sco à rotation lente aient pu être manqués par les recherches optiques. La périodicité observée ici de 2,9 heures pourrait être cohérente à la fois avec la vitesse de rotation et/ou l'orbite de la naine blanche dans ce scénario, bien que d'autres configurations ne puissent pas encore être complètement exclues. 

Par ailleurs, Hurley-Walker et ses collaborateurs montrent qu'il existe dans le signal radio des preuves provisoires d'une autre périodicité, d'environ 6 ans, probablement due à un bruit de synchronisation. Mais si elle est interprétée comme une période orbitale, alors elle impliquerait que les composantes du système binaire soient séparées par une distance supérieure d'un ordre de grandeur à celle qui est observée dans les systèmes de type AR Sco ou ILT J1101+5521, ce qui rend des interactions similaires peu probables. Des données supplémentaires seront nécessaires pour démêler la nature de cette périodicité à longue échelle de temps.
Le système polaire synchronisé ILT J1101+5521 (I. de Ruiter et al. 2024) récemment découvert, qui est composé d'une naine blanche et d'une naine rouge et qui présente une émission radio périodique et cohérente, pourrait être un système jumeau de GLEAM-X J0704−37. Si c'est le cas, la périodicité de 2,9 heures pourrait être interprétée à la fois comme le spin de la naine blanche et la période orbitale. Les propriétés de polarisation de ce système sont similaires à celles de GLEAM-X J0704−37, avec un mélange de polarisation linéaire et circulaire, ce qui pourrait s'expliquer par une version relativiste du mécanisme du maser cyclotron électronique (Y. Qu & B. Zhang 2024 ). 

Les chercheurs suggèrent donc provisoirement que GLEAM-X J0704−37 pourrait être un système polaire, similaire à ILT J1101+5521. En supposant une masse stellaire de 0,32 M⊙ pour la naine rouge et une masse de 0,8 M⊙ pour la naine blanche, le rayon du lobe de Roche de l'étoile naine rouge est de 0,2 UA. Pour une orbite circulaire de 2,9 heures avec ces masses, le rayon orbital serait de 0,005 UA, plaçant la naine blanche bien dans le lobe de Roche.

Afin de déterminer de manière concluante la nature de ce système transitoire radio à longue période, les astrophysiciens suggèrent une surveillance radio plus poussée pour contraindre les mesures de périodes, ainsi que des observations sensibles dans le bleu ou l'UV pour rechercher la présence d'une naine blanche, et aussi une mesure de la vitesse radiale de la naine rouge en étudiant les décalages Doppler de ses raies spectrales. Jusqu'à aujourd'hui, les limites supérieures dans l'UV qui ont été dérivées d'observations avec Swift, excluent la présence d'une naine blanche chaude avec T ≳ 20 000 K, soit environ 20 % de la population des naines blanches magnétiques. De plus, aucune raie d'émission forte n'est observée dans le spectre infrarouge, ce qui pourrait être attendu pour une naine blanche chaude sur une orbite proche. 
Cependant, les naines blanches de J1912–44, AR Sco et ILT J1101+5521 sont toutes beaucoup plus froides, cette dernière ayant par exemple une température de 5156 K. Donc, la limite supérieure que Hurley Walker et al. déduisent du spectre infrarouge et des observations UV (20 000 K) sur la présence d'une naine blanche dans le système n'est pas fortement contraignante. Tout est encore ouvert. 

Source

A 2.9 hr Periodic Radio Transient with an Optical Counterpart
N. Hurley-Walker et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 976, Number 2 (26 november 2024)