25/09/25

Des trous noirs primordiaux à l'origine des neutrinos ultra-énergétiques ?


Selon une étude venant de paraître dans Physical Review Letters, les derniers soubresauts du rayonnement de Hawking d'un trou noir primordial relativement proche de la Terre pourrait être à l'origine du neutrino le plus énergétique jamais détecté à ce jour...

La collaboration KM3Net a récemment identifié les signes d'un neutrino ayant l'énergie la plus élevée jamais enregistrée, aux environs de 220 PeV (péta-électronvolts), un événement nommé KM3-230213A (voir épisode 1699 du 13 février dernier) , mais la source d'une particule aussi énergétique reste encore à expliquer.

Or, selon la théorie de Stephen Hawking concernant la thermodynamique des trous noirs, ces derniers doivent rayonner, d’autant plus et d’autant plus énergétiquement que leur masse est petite. Ainsi les trous noirs de masse stellaire ou les trous noirs supermassifs ne rayonnent pratiquement pas, et en tous cas des particules de très très faible énergie (des photons). Mais des trous noirs qui auraient une masse très faible, très inférieure à la masse de la Terre par exemple, commenceraient à rayonner non plus seulement des photons de plus en plus énergétiques, mais aussi toutes sortes de particules, et notamment des particules électriquement neutres comme les neutrinos, qui pourraient atteindre des énergies très élevées à la toute fin de l’évaporation de tels trous noirs. L’évaporation des trous noirs selon Hawking est un processus « explosif » (pour reprendre le terme de son article de 1974. En effet, plus le trou noir rayonne, plus il perd de la masse et rétrécit, plus il s’échauffe et donc plus il rayonne… L’effet est exponentiel.

Ce qu’on appelle les trous noirs primordiaux (PBH) sont des trous noirs hypothétiques qui sont des versions microscopiques des trous noirs astrophysiques (stellaires ou supermassifs). Selon la théorie, les PBH se seraient formés dans les premiers instants qui ont suivi le Big Bang, juste après l’inflation. Par ailleurs, certains physiciens pensent que les trous noirs primordiaux pourraient constituer la majeure partie, voire la totalité, de la matière noire présente aujourd'hui dans l'univers. Ce serait le cas si leur masse typique 𝑀, au sommet de la distribution de masse, se situait dans la fourchette entre 1017  g et 1023  g. Cette fourchette est appelée la « gamme de masse des astéroïdes », elle correspond à une fourchette de taille comprise entre la taille d’un noyau atomique et 0,1 µm.

On peut calculer la masse d’un PBH au moment de sa formation qui correspond à une durée de vie égale à l'âge actuel de l'Univers. Cela donne une masse limite 𝑀*≃5 1014  g. En d'autres termes, un PBH qui s'est formé avec M = 5 1014  g (500 millions de tonnes) serait en train de subir son processus d'évaporation final et exploserait aujourd'hui.

Alexandra Klipfel et David Kaiser (MIT) ont calculé que si les PBH constituaient la majeure partie de la matière noire de l'univers, alors une petite sous-population d'entre eux subirait aujourd'hui leur explosion finale dans toute notre galaxie.

Et il devrait y avoir une probabilité statistiquement significative qu'une telle explosion ait pu se produire relativement près de notre système solaire. L'explosion aurait libéré un flux de particules à haute énergie, notamment des neutrinos, dont l'un aurait pu avoir de bonnes chances d'atteindre un détecteur sur Terre, par exemple celui mesuré par KM3Net il y a quelques mois…

Si un tel scénario s'était effectivement produit, la détection du neutrino le plus énergétique de KM3Net représenterait la première observation du rayonnement de Hawking, qui a longtemps été supposé, mais qui n'a jamais été directement observé à partir d'un trou noir. De plus, cet événement indiquerait que les trous noirs primordiaux existent bel et bien et qu'ils constituent la majeure partie de la matière noire.

C’est en février 2025 que les chercheurs de la collaboration du Cubic Kilometer Neutrino Telescope, (KM3NeT), ont annoncé avoir détecté le neutrino le plus énergétique jamais enregistré à ce jour avec une énergie supérieure à 100 pétaélectronvolts et depuis, il n'y a pas vraiment eu de consensus sur l'origine de cette particules à ultra-haute énergie.

Des neutrinos d'énergie similaire, bien que moins élevée que celle observée par KM3NeT, ont également été détectés par l'observatoire IceCube, au pôle Sud. IceCube a détecté environ une demi-douzaine de neutrinos de ce type, dont l'énergie inhabituellement élevée reste également inexpliquée. Quelle que soit leur source, les observations d'IceCube permettent aux physiciens des astroparticules de calculer un taux plausible auquel les neutrinos à ces énergies frappent généralement la Terre. Si ce taux était est correct, il apparaît extrêmement improbable d'avoir observé le neutrino à très haute énergie détecté par KM3NeT. Les découvertes des deux détecteurs semblaient donc être « en tension ».

Klipfel et Kaiser qui travaillaient à l’origine sur un projet distinct concernant les trous noirs primordiaux, se sont demandés si un PBH aurait pu produire à la fois le neutrino de KM3NeT et la poignée de neutrinos de IceCube, dans des conditions où les PBH constituent la majeure partie de la matière noire de la galaxie.

Klipfel et Kaiser ont tout d’abord calculé le nombre et les énergies des particules qui seraient émises par un trou noir primordial en phase d’explosion, compte tenu de sa température et de sa masse en diminution. Ils estiment qu'au cours de sa dernière nanoseconde, une fois qu'un trou noir est plus petit qu'un atome, il devrait émettre une dernière bouffée de particules, comprenant environ 1020 neutrinos, avec des énergies d'environ 100 pétaélectronvolts (tiens, tiens… environ l'énergie du neutrino observé par KM3NeT ! ). Par exemple, pour produire une particule de 1 PeV, le trou noir doit avoir une masse de 4,8 107 g (48 tonnes) (il ne lui reste alors plus que 0,457 µs à vivre) et pour produire une particule de 60 PeV, sa masse doit être de 800 kg et il ne lui reste alors plus que 0,2 ns avant la fin définitive. La théorie stipule que la toute dernière particule émise par le trou noir avant de disparaître doit atteindre l’énergie de Planck, soit 1/√8πG  ce qui fait 2,43 1012 PeV.

Klipfel et Kaiser ont ensuite utilisé ce résultat pour calculer le nombre d'explosions de PBH qui devraient se produire dans une galaxie afin d'expliquer les résultats rapportés par IceCube. Ils trouvent que, dans notre région de la Voie lactée, environ 1 410 trous noirs primordiaux devraient exploser par parsec cube et par an.

La suite a consisté à calculer la distance à laquelle une telle explosion aurait pu se produire dans notre galaxie, pour qu'une poignée de neutrinos à haute énergie auraient pu atteindre la Terre et produire l'événement KM3NeT. Ils ont trouvé qu'un PBH aurait dû exploser relativement près de notre système solaire, à une distance environ 2 000 Unités Astronomiques de la Terre !

Les particules émises par une explosion aussi proche partent dans toutes les directions. Mais  Klipfel et Kaiser montrent qu'il existe une probabilité de 8 % qu'une explosion se produise suffisamment près du système solaire, une fois tous les 14 ans, pour que suffisamment de neutrinos à très haute énergie atteignent la Terre et expliquent les observations de IceCube et KM3Net.

8 % n'est pas très élevé, mais n’est pas très faible non plus…

Non seulement l'hypothèse selon laquelle ces événements de neutrinos à haute énergie proviennent chacun d'explosions de PBH réduit la tension entre les flux rapportés par IceCube et KM3NeT, mais elle permet également d'estimer ab initio le nombre attendu de tels événements. Si les PBH se sont formés par effondrement critique très tôt dans l'histoire cosmique, la population qui en résulte suivrait nécessairement une distribution de masse non triviale, comprenant une queue de loi de puissance pour les masses inférieures au pic de la distribution. Compte tenu des larges barres d'erreur sur le taux d'explosion isotrope des PBH déduit des données IceCube, les chercheurs trouvent des régions de l'espace des paramètres dans lesquelles une population de PBH inclurait une petite fraction de PBH qui subissent leur évaporation finale de Hawking et explosent aujourd'hui à un taux compatible avec le taux nécessaire pour expliquer tous les événements neutrinos signalés à ce jour avec 𝐸 > 1  PeV.

Cette estimation théorique est heureusement testable. Au moins trois données différentes pourraient tester ou contraindre le scénario. Premièrement, des événements supplémentaires de neutrinos à haute énergie provenant d'IceCube et/ou de KM3NeT réduiront les incertitudes sur les flux signalés et testeront davantage la compatibilité entre les taux d'explosion attendus des PBH et les flux de neutrinos observés. Deuxièmement, les détecteurs de rayons gamma à haute énergie à venir, tels que le Large High Altitude Air Shower Observatory (LHAASO), pourrait être sensibles à des taux d'explosion locaux de PBH aussi faibles que 1200 pc−3 an−1, comparables au taux déduit des données actuelles d'IceCube. Et troisièmement, d'autres sondes astrophysiques des PBH de la gamme de masse des astéroïdes, notamment les perturbations gravitationnelles et les rayons cosmiques, pourraient restreindre davantage l'espace des paramètres, modifiant ainsi les taux d'explosion de PBH attendus.

Et puis, avec davantage d'événements de détection de neutrinos avec une énergie 𝐸𝜈 ≥1  PeV, nous pourrons clarifier davantage si des taux d'événements plus élevés proviennent de la direction du centre galactique, là où la densité de matière noire est sensée être la plus élevée...

 

Source

Ultrahigh-Energy Neutrinos from Primordial Black Holes

Alexandra P. Klipfel and David I. Kaiser

Phys. Rev. Lett. 135, 121003 (18 September 2025)

https://doi.org/10.1103/vnm4-7wdc

 

Illustrations

1. Vue d'artistee d'un rayonnement de Hawking proche de la Terre (Toby Gleason-Kaiser)

2. Alexandra Klipfel


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