jeudi 12 juillet 2018

Un blazar identifié comme source d'un neutrino ultra-énergétique


Pour la première fois, l'origine d'un neutrino de haute énergie détecté par IceCube vient d'être identifiée grâce à une éruption gamma observée en coïncidence provenant d'un blazar : le jet de particules d'un trou noir supermassif...




C'est le 22 septembre dernier que IceCube a détecté un neutrino particulièrement énergétique. Aussitôt cette observation faite, l'alerte a été lancée auprès de l'ensemble des observatoires intéressés, surtout ceux qui traquent les rayons cosmiques et autres rayons gamma de très haute énergie. Car on se doutait fortement que les neutrinos énergétiques provenant forcément d'autres galaxies que la nôtre, devaient être associés au rayonnement cosmique. 
Ce neutrino en question est nommé par l'identifiant IceCube-170922A, il avait une énergie de 290 TeV. Plusieurs observatoires n'ont tout d'abord rien observé de particulier, mais six jours plus tard, les chercheurs exploitant le satellite Fermi-LAT, spécialisé dans la détection de sources gamma, a indiqué que le satellite avait observé un blazar, connu depuis quelques années sous le nom de TXS 0506+056, qui montrait une forte luminosité et situé juste à 0.1° de la localisation suggérée par IceCube. Cette émission gamma intense produite par le coeur d'une galaxie lointaine était particulièrement forte, ayant commencé à augmenter en luminosité gamma quelques mois avant.


Rappelons que les blazars ne sont rien d'autre que des quasars dont le jet produit par le trou noir supermassif pointe quasiment dans notre direction. 
Après l'identification de Fermi-LAT, une douzaine d'instruments différents se sont tournés rapidement vers le blazar : MAGIC, AGILE, ASAS-SN, HAWC, H.E.S.S., INTEGRAL, Kanata, Kiso, Kapteyn, Liverpool Telescope, Subaru, Swift, NuSTAR, VERITAS et VLA... La campagne d'observation intensive qui a suivi dans de multiples longueurs d'ondes, des ondes radio aux rayons gamma, ont permis de caractériser la source notamment en termes de variabilité et d'énergie. Les astrophysiciens en concluent que la probabilité pour que la coïncidence entre le neutrino IceCube-170922A et l'émission gamma de TXS 0506+056 soit fortuite est de 0,1%. 

Les physiciens de IceCube se sont ensuite penchés sur plus de 10 ans d'archives de données pour voir si un excès de neutrinos n'aurait pas par hasard été observé en provenance de la même source et non repérée jusqu'à maintenant. Et bingo ! Entre la fin 2014 et le printemps 2015, sur une période de 150 jours, un excès de 13 neutrinos par rapport à la normale avait été détecté par IceCube en provenance de cette même zone restreinte du ciel. On ne sait en revanche pas encore si il y avait une plus forte activité du blazar à cette même période. 

Dans les blazars, les photons gamma et les neutrinos sont tous les deux des sous-produits de réactions secondaires. Des particules chargées, protons, électrons, ou noyaux d'atomes, sont fortement accélérées dans le jet polaire induit par le trou noir supermassif et c'est ensuite les interactions de ces particules ultra-énergétiques avec le gaz intergalactique qui vont produire de nouvelles particules en cascade, dont des neutrinos et des photons gamma. Certaines particules chargées ultra-énergétiques poursuivent aussi leur chemin et peuvent arriver jusqu'ici. Mais les neutrinos et les photons ont le gros avantage de filer tout droit, sans être influencés par les champs magnétiques omniprésents dans les galaxies et autour. 
Cette belle observation de type multimessagers (neutrinos + photons gammas) qui fait l'objet de deux articles dans le journal Science d'aujourd'hui et qui a été présentée en grandes pompes par la National Science Foundation (qui finance IceCube) doit maintenant être rendue encore un peu plus robuste, et si elle se confirme, nous assistons peut-être à la véritable naissance de l'astronomie en neutrinos, à peine quelques années après l'apparition de l'astronomie gravitationnelle. Il n'est d'ailleurs plus exclu qu'à moyen terme nous vivions une observation photons+neutrinos+ondes gravitationnelles sur un objet cataclysmique. 

En attendant, les équipes de IceCube planchent sur le futur détecteur qui devra décupler son volume pour toujours détecter plus de neutrinos ou des neutrinos encore plus énergétiques. Il paraît que la glace de l'Antarctique est plus translucide que prévue ce qui permettrait d'économiser sur le coût des photomultiplicateurs. Ce qui est sûr, c'est que ça en vaut la chandelle.


Sources

Multimessenger observations of a flaring blazar coincident with high-energy neutrino IceCube-170922A
The IceCube Collaboration, Fermi-LAT, MAGIC, AGILE, ASAS-SN, HAWC, H.E.S.S., INTEGRAL, Kanata, Kiso, Kapteyn, Liverpool Telescope, Subaru, Swift/NuSTAR, VERITAS, VLA teams
Science  (12 Jul 2018)

Neutrino emission from the direction of the blazar TXS 0506+056 prior to the IceCube-170922A alert
IceCube Collaboration
Science (12 Jul 2018)


Ilustrations

1) Schéma expliquant l'origine commune des neutrinos ultra-énergétiques et des rayons gamma, un blazar (National Science Foundation, IceCube Collaboration)

2) Le laboratoire Icecube (en surface) situé au pôle Sud  (MARTIN WOLF, ICECUBE/NSF)

3) Vue d'artiste du satellite Fermi-LAT (Fermi collaboration)

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