15/03/12

L'Astrophysique Souterraine

L’astrophysique est une science qui fait lever les yeux vers le ciel. Ça semble évident. Mais aujourd’hui, dans ces développements particulo-cosmologiques, l’astrophysique a besoin de plus en plus de se cacher dans les profondeurs de la Terre…

A la recherche de particules cosmiques qui n’interagissent que très peu avec la matière, donc très difficiles à détecter, il est indispensable de protéger les systèmes de détection de la moindre interférence. Quand on cherche une aiguille dans une grange de foin, on aime transformer la grange en botte, effectivement…
Laboratoire souterrain du Gran Sasso (credit INFN)
Dans le cas des recherches sur les neutrinos ou bien sur la matière noire (sous forme de particules), les astrophysiciens des particules (adeptes de la cosmologie observationnelle), se sont donc depuis de longues années déjà, enterrés dans des laboratoires très profondément enfouis, qu’ils soient situés dans des mines abandonnées, ou bien sous des montagnes (en profitant de tunnels existants).
Schéma d'une gerbe produite par un proton (rayon cosmique)
Car les principales particules qui font du foin pour reprendre notre image sont les muons dits cosmiques (µ). Ces muons, qui font partie de la famille des électrons, mais 140 fois plus lourds, sont en fait produits dans la haute atmosphère par de vrais rayons cosmiques pour le coup, qui sont principalement des protons de haute énergie (pour 50%) et des noyaux d’hélium (25%) puis des noyaux plus lourds, provenant pour la plupart du Soleil mais aussi de plus loin dans notre Galaxie.
 Ces protons et noyaux d’hélium collisionnent les atomes de l’atmosphère et produisent alors des pions qui produisent à leur tour ces fameux muons, qui se trouvent être fort gênants car détectés dans nos détecteurs préférés de neutrinos ou de WIMPs (particules pouvant former la matière noire).

Et il n’existe qu’une seule solution efficace pour réduire ce flux permanent de muons, c’est d’intercaler entre l’atmosphère et le détecteur une grosse, très grosse quantité de matière qui va les absorber. Quoi de mieux que plusieurs centaines ou milliers de mètres de roche ?
C’est ainsi que sont nés les laboratoires souterrains dédiés à la physique des astroparticules (presque toutes, sauf les muons et leurs progéniteurs, bien sûr).

Et c’est donc dans une sorte de course à l’échalote du laboratoire qui s’implantera au plus profond de manière à obtenir le bruit de fond (muons parasites) le plus bas possible. De nombreux pays sur tous les continents se sont lancés dans cette course, et l’Europe se trouve assez bien pourvue…
De manière à pouvoir comparer les différents sites, dont les roches ne sont pas forcément similaires, les épaisseurs ou profondeurs sont exprimées en mètres équivalent d’eau, les différents laboratoires sont aussi comparés en termes de flux résiduel de muons cosmiques arrivant dans le labo, qui est exprimé en nombre de muons/m²/jour.

Il faut rappeler que le flux de muons cosmiques qui nous arrive constamment sur nos têtes, lorsque nous sommes au niveau de la mer, est de l’ordre de 10 000 muons/m²/minute ! (n’ayez crainte, la très grande majorité d’entre eux nous traversent sans rien nous faire…).

On peut ainsi classer les laboratoires souterrains selon leur performance de bruit de fond le plus bas, en traçant le flux de muons résiduel en fonction de l’épaisseur d’eau équivalente correspondant à la profondeur du site, et en positionnant où se situe tel labo sur la courbe.

A ce petit jeu, on voit que les gagnants de cette course sont les chinois, avec un tout nouveau labo en cours de construction, JingPing, qui devrait bénéficier sous sa montagne de 2500 m, de plus de 7,5 km d’épaisseur d’eau équivalente !... 
Mais au fait, qu’est ce qui y est étudié dans ces labos, au juste ? Faisons un petit tour d’horizon par ordre de profondeur : 

Solotvina (mine, Ukraine, 1000 m eq. eau) :
Le laboratoire souterrain de Solotvina  n’abrite pas d’expérience en tant que telle mais est surtout utilisé pour effectuer de la R&D sur de nouveaux types de détecteurs scintillateurs de très haute pureté, notamment pour la détection de matière noire, mais aussi pour l’étude de la radioactivité « double béta », qui fournit de précieux éléments sur la physique des neutrinos.

OTO (tunnel, Japon, 1400 meq. Eau) :
Ce laboratoire souterrain modeste accueille deux expériences principales :
  • ELEGANT : détection de la décroissance double béta (étude des caractéristiques des neutrinos).
  • MOON : détection de matière noire avec scintillateurs.
·          
Y2L (Corée du Sud, 2000 m eq. Eau) :
Les coréens ont décidé de se lancer eux aussi dans la recherche de la matière noire, en refaisant une expérience semblable à celle de l’expérience controversée DAMA (installée elle au Gran Sasso).
·         KIMS : détection de matière noire avec scintillateur.

Kamioka (tunnel, Japon, 2000 m eq. Eau) :
Le laboratoire souterrain de Kamioka abrite le plus fameux détecteur de neutrinos, SuperKamiokande, mais aussi d’autres expériences plus méconnues :
  • Superkamiokande : détection de neutrinos cosmologiques et solaires
  • XMASS : détection de matière noire avec Xénon liquide
  • NEWAGE : détection de matière noire
  • CLIO : détection d’ondes gravitationnelles
  • CANDLE : détection de décroissance double béta (étude des caractéristiques des neutrinos)

Soudan (mine, Etats-Unis, 2000 m eq. Eau) :
Le laboratoire souterrain de la mine de sel de Soudan abrite notamment l’expérience MINOS qui devait remesurer la vitesse des neutrinos après les résultats stupéfiants de OPERA. Il accueille aussi l’une des plus performantes expériences de détection des WIMPs malgré sa profondeur moyenne.
  • CDMS II : détection de matière noire avec détecteurs cryogéniques Germanium
  • CoGent : détection de matière noire avec détecteurs Germanium
  • MINOS : détection de faisceaux de neutrinos à longue distance (oscillométrie)

Canfranc (tunnel, Espagne, 2400 m eq. Eau) :
Bénéficiant des Pyrénées et d’un tunnel ferroviaire désaffecté, les scientifiques espagnols mettent à disposition ce laboratoire certes pas très grand, mais assez profond. Deux expériences principales y ont compté ou y compte encore des particules :
  • ANAIS : détection de matière noire
  • ROSEBUD : détection de matière noire

Boulby (mine, Royaume-Uni, 2800 m eq. Eau) :
Les mines anglaises sont-elles réputées pour leur profondeur ? En tous cas, celle de Boulby permet de chercher furieusement des trac es de matière noire, noire comme une tête de mineur anglais.
  • ZEPLIN III : détection de matière noire
  • DRIFT II : détection de matière noire

Gran Sasso (tunnel, Italie, 3200 m eq. Eau) :
C’est un peu la star des labos souterrains, avec sa surface très importante et sa profondeur tout à fait enviable… Il abrite de fait un très grand nombre d’expériences très variées :
  • DAMA/LIBRA : détection de matière noire avec scintillateurs
  • CRESST2 : détection de matière noire avec scintillateurs cryogéniques
  • XENON100 : détection de matière noire avec xénon liquide
  • WARP : détection de matière noire
  • COBRA : détection de la décroissance double béta (étude des caractéristiques des neutrinos).
  • CUORICINO : détection de la décroissance double béta (étude des caractéristiques des neutrinos).
  • GERDA : détection de la décroissance double béta (étude des caractéristiques des neutrinos).
  • BOREXINO : détection de neutrinos solaires
  • LVD : détection de neutrinos de supernovae
  • LUNA2 : astrophysique nucléaire
  • OPERA : détection de faisceaux de neutrinos à longue distance
  • ICARUS  : détection de faisceaux de neutrinos à longue distance
Et d’autres en géologie, biologie, environnement, …

Homestake (mine, Etats-Unis, 4000 m eq. Eau) :
Ancienne mine d’or, Homestake s’est rendue célèbre grâce aux découvertes de R. Davis sur les flux de neutrinos solaires dès les années 60. Le laboratoire est encore en activité et devrait s’agrandir dans les années qui viennent. Les principales expériences de physique des astroparticules qui s’y trouvent implantées sont les suivantes :
  • LUX : détection de matière noire
  • MAJORANA : détection de la décroissance double béta (étude des caractéristiques des neutrinos).

Baksan (mine, Russie, 4700 m eq. eau) :
Très ancien labo, emblème à l’époque du dégel des relations américano-russes.
  • SAGE : détection de neutrinos

Modane (tunnel, France, 4800 m eq. Eau) :
Situé en plein milieu (km 7) du tunnel du Fréjus reliant la France et l’Italie, ce labo souterrain géré conjointement par le CNRS et le CEA bénéficie d’une profondeur exceptionnelle grâce à la haute montagne le surplombant. Il abrite deux grosses expériences principales qui le remplissent presque entièrement. Le projet d’extension en cours sera le bienvenu.
  • NEMO : détection de la décroissance double béta (étude des caractéristiques des neutrinos).
  • EDELWEISS : détection de matière noire avec détecteurs cryogéniques Germanium

Sudbury (SNOLAB) (mine, Canada, 6000 m eq. eau) :
Les canadiens aussi ont leurs gueules noires, à défaut d’avoir leur matière noire (quoique…), encore pour quelques temps le labo avec expériences actives le plus profond du monde. 6000 m d’eau équivalent au-dessus de la tête !...
  • PICASSO : détection de matière noire
  • SNO : détection de neutrinos solaires
  • DEAP/CLEAN : détection de matière noire
  • SuperCDMS : détection de matière noire avec détecteurs cryogéniques Germanium

JingPing( tunnel, Chine, 7500 m eq. eau) :
En cours de construction, la profondeur est tellement prometteuse que ça fait presque peur…


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