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29/06/25

Découverte d'un mini halo radio dans un amas de galaxie distant de 10 milliards d'années-lumière

Une équipe d'astrophysiciens a découvert un halo radio situé à 10 milliards d'années-lumière, il révèle que les amas de galaxies de l'univers primordial étaient déjà imprégnés de particules de haute énergie. Cette découverte suggère une activité ancienne de trous noirs ou bien des collisions de particules cosmiques énergétiques. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

Ces vastes nuages de particules énergétiques sont appelés des « mini halos ». Ils entourent généralement des amas de galaxies. Celui que Julie Hlavacek-Larrondo (université de Montréal) et ses collaborateurs internationaux ont découvert est le plus éloigné jamais observé : 10 milliards d'années-lumière, doublant le précédent record.

Cette découverte démontre que des amas de galaxies, parmi les plus grandes structures de l’univers, ont été immergés dans des particules de haute énergie pendant la majeure partie de leur existence. Un tel mini-halo est constitué de particules chargées et hautement énergétiques dans le vide entre les galaxies d'un amas, qui émettent ensemble des ondes radio qui peuvent être détectées depuis la Terre. Les résultats montrent que même dans l'univers primitif, les amas de galaxies étaient déjà façonnés par des processus énergétiques.

Les chercheurs ont analysé les données du radiotélescope Low Frequency Array (LOFAR), un vaste réseau de plus de 100 000 petites antennes couvrant huit pays européens, dans la bande de fréquences entre 120 et 168 MHz.

En étudiant l'amas de galaxies nommé SpARCS 1049+5640, qui est l'amas de galaxies à cœur froid le plus éloigné identifié à ce jour (z=1,7), ils ont détecté un signal radio faible et étendu et ont déterminé qu'il ne provenait pas de galaxies individuelles, mais d'une vaste région remplie de particules de haute énergie et de champs magnétiques. La zone s'étend sur plus d'un million d'années-lumière et les chercheurs montrent que l'émission radio diffuse coïncide spatialement avec l'émission X du milieu chaud intra-amas. Il possède une puissance radio de 49,8 1024 W.Hz-1, présentant des similitudes frappantes avec les minihalos radio à faible décalage vers le rouge. Cette découverte double le record de décalage vers le rouge des minihalos précédemment connus. Selon Hlavacek-Larrondo et ses collaborateurs, cette découverte remet en question les modèles de pertes par processus Compton inverse et indique la présence de champs magnétiques intenses, d'une turbulence accrue dans les amas à fort décalage vers le rouge, ou bien de processus hadroniques actifs nécessitant un rapport énergie des rayons cosmiques / énergie thermique de 0,07 sur une distance de 200 kpc. 

Cela implique en outre que les champs magnétiques sont efficacement amplifiés jusqu'à 10 µG dans un volume de 1 Mpc3 pendant l'époque de formation des amas avant z=2. 

Selon Hlavacek-Larrondo et ses collaborateurs, il y a deux explications probables derrière la formation de ce mini-halo.

La première met en scène des trous noirs supermassifs au cœur des galaxies de l'amas, qui sont capables d'éjecter des flux de particules de haute énergie dans le milieu intergalactique. Mais cette hypothèse se heurte à la question de savoir comment ces particules pourraient s'éloigner du trou noir pour créer un nuage de particules aussi gigantesque, tout en conservant une telle quantité d'énergie.

La deuxième explication fait intervenir des collisions de particules cosmiques. Il s'agit de collisions de particules chargées au sein du plasma chaud de l'amas de galaxies à des vitesses proches de celles de la lumière, interagissant entre elles pour former des particules hautement énergétiques qui émettent au final des ondes radio par effet Synchrotron dans les champs magnétiques.

Étant donné la nature de cet amas (sa masse élevée pour son décalage vers le rouge, ses caractéristiques de noyau froid prononcé et le fait que le noyau froid soit déplacé par rapport à la BCG (la galaxie la plus brillante de l'amas), il n'est peut-être pas surprenant de détecter une telle structure dans ce système, pour les astrophysiciens qui ont fait cette découverte. Ils ajoutent dans la conclusion de leur article  que leurs résultats suggèrent que de telles structures pourraient s'être formées très tôt dans la vie des amas de galaxies. Et donc, cela implique que des particules relativistes et des champs magnétiques puissants étaient déjà présents dès z∼1.7 (c'est-à-dire quand l'Univers n'était âgé que de 3,8 Gigannées), et que des processus de réaccélération ou des mécanismes hadroniques étaient actifs à l'époque de la formation des amas. 

Par conséquent, les amas de galaxies, y compris leurs progéniteurs (les proto-amas), pourraient avoir été immergés dans des particules relativistes pendant la majeure partie de leur existence. Cet environnement pourrait influencer les galaxies qui y résident, et potentiellement façonner leur évolution. Cette étude apporte ainsi de nouvelles perspectives sur l'évolution des structures à grande échelle et le rôle de l'émission radio diffuse au cours du temps cosmique.

L'avènement d'installations de nouvelle génération, notamment les relevés à haute sensibilité et haute résolution du SKA et du ngVLA, fera sans aucun doute progresser ce domaine, permettant l'exploration de ces phénomènes avec une précision sans précédent.


Source

Discovery of Diffuse Radio Emission in a Massive z = 1.709 Cool Core Cluster: A Candidate Radio Mini-Halo

Julie Hlavacek-Larrondo et al.

à paraître dans The Astrophysical Journal Letters


Illustrations

1. L'amas SpARCS 1049+5640 et son mini halo imagés dans différentes longueurs d'ondes (visible, rayons X et radio) (HLavacek-Larrondo et al.)

2. Julie Hlavacek-Larrondo 


05/02/25

Les microquasars de faible masse sont aussi des sources de rayons cosmiques


Des chercheurs ont trouvé pour la première fois la preuve que même les microquasars contenant une étoile de faible masse sont des accélérateurs de particules efficaces, ce qui a un impact significatif sur l'interprétation de l'abondance des rayons gamma dans notre galaxie et au-delà. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters.

La production et l'accélération des rayons cosmiques les plus énergétiques (des particules chargées, essentiellement des protons) reste un sujet mal connu en physique des astroparticules. Une accélération très efficace des particules semble se produire dans les jets des microquasars. Mais, jusqu'à présent, ce phénomène n'a été observé que dans de rares systèmes de microquasars de masse élevée. A ce jour, une vingtaine de microquasars ont été identifiés, dont trois seulement ont été détectés avec certitude dans le domaine des rayons gamma de l’ordre du GeV.

Les écoulements de matière en mouvement rapide (ou « jets ») lancés par les trous noirs constitueraient un site idéal pour l'accélération des particules, mais les détails sur la manière et les conditions dans lesquelles les processus d'accélération peuvent se produire ne sont pas clairs. On sait que les jets les plus puissants à l'intérieur de notre galaxie se produisent dans les microquasars, qui sont des systèmes composés d'un trou noir de masse stellaire et d'une étoile « normale ». Les deux objets orbitent l'un autour de l'autre et, lorsqu'ils sont suffisamment proches, le trou noir commence à avaler lentement sa compagne. En conséquence, des jets sont lancés depuis la région proche du trou noir.

Ces dernières années, il est devenu de plus en plus évident que les jets des microquasars sont des accélérateurs de particules efficaces, mais on ne sait pas exactement dans quelle mesure ils contribuent, en tant que groupe, à la quantité totale de rayons cosmiques dans la galaxie. Pour répondre à cette question, il faut savoir si tous les microquasars sont capables d'accélérer les particules ou seulement certains.

Les microquasars sont généralement classés, en fonction de la masse de l'étoile qui les compose, en systèmes de « faible masse » ou de « forte masse », les systèmes de faible masse étant beaucoup plus abondants. Et, jusqu'à présent, les preuves de l'accélération des particules n'ont été trouvées que pour les systèmes de masse élevée. Par exemple, le microquasar SS 433, dont il a été récemment révélé (il y a un an) qu'il était l'un des plus puissants accélérateurs de particules de la galaxie, contient une étoile d'une masse d'environ dix fois la masse du Soleil.

Par conséquent, on pensait généralement que les microquasars de faible masse n'étaient pas assez puissants pour produire des rayons gamma. Guillem Martí-Devesa, de l'Università di Trieste, en Italie et Laura Olivera-Nieto, du Max-Planck-Institut für Kernphysik à Heidelberg, en Allemagne, viennent de faire une découverte qui ébranle ce paradigme. Ils ont utilisé 16 années de données provenant du télescope gamma spatial Fermi LAT de la NASA pour détecter un faible signal de rayons gamma correspondant à la position de GRS 1915+105, un microquasar dont l'étoile est plus petite que le soleil.

Le microquasar GRS 1915+105 a été détecté pour la première fois en tant que source de rayons X par l'instrument WATCH à bord de l'observatoire GRANAT en 1992. Des observations complémentaires avec le Very Large Array et MERLIN en 1999 dans la bande radio ont révélé une contrepartie très variable avec des éjections bilatérales apparemment superluminales. Il s'agissait de la première observation de mouvements relativistes dans un objet situé à l'intérieur de notre galaxie, ce qui impliquait des vitesses intrinsèques pour les éjectas proches de la vitesse de la lumière. Ces résultats avaient établi la présence d'un jet avec une vitesse v ∼ 0,8c et un angle par rapport à la ligne de visée θ ∼ 63°, ce qui faisait du système un microquasar.

Des mesures récentes de parallaxe ont abouti à une estimation de la distance de GRS 1915+105  d = 9,4 ± 0,6 ± 0,8 kpc. La masse du trou noir a fait l'objet de débats, avec une affirmation initiale de 14 M⊙ en 2001, qui a ensuite été révisée à des valeurs plus basses allant de 10 M⊙ en 2013 à 12 M⊙ en 2014 puis 2023.

Le signal gamma que Martí-Devesa et Olivera-Nieto ont mesuré est à des énergies supérieures à 10 GeV, ce qui indique que le système pourrait accélérer des particules à des énergies encore plus élevées. Aucune périodicité ou variabilité n'est trouvée dans la source gamma, ce qui indique une source persistante. Pour les chercheurs, les propriétés de l'émission sont compatibles avec un scénario dans lequel les protons accélérés dans les jets interagissent avec le gaz proche et produisent des rayons gamma. Martí-Devesa et Olivera-Nieto trouvent que si le jet a fonctionné à une moyenne de 1% de la limite d'Eddington pendant 10% du temps que GRS 1915+105 a passé dans son état de transfert de masse, 10% de la puissance disponible transférée aux protons serait suffisants pour atteindre les ∼3 × 1049 erg nécessaires pour expliquer le signal observé de quelques GeV.

Pour arriver à cette conclusion, les astrophysiciens des particules ont également utilisé les données du radiotélescope de 45 mètres de Nobeyama, au Japon, ce qui leur a permis de montrer qu'il y a suffisamment de gaz autour de la source pour que leur scénario soit possible.

Ce résultat montre donc que même les microquasars abritant une étoile de faible masse sont capables d'accélérer les particules. Comme il s'agit de la classe la plus nombreuse dans les microquasars, ce résultat a des implications significatives sur la contribution estimée des microquasars au contenu en rayons cosmiques de notre galaxie.

Dans la conclusion de leur article, Martí-Devesa et Olivera-Nieto précisent que bien qu’ils ne puissent pas totalement écarter une association avec la source de rayons X proche 4XMM J191551.2+105814, beaucoup plus faible, ou bien avec un blazar inconnu qui serait vu à travers le plan galactique, ils notent qu'il n'y a pas de preuve d'une coupure dans le spectre GeV de la source gamma, ce qui suggère que l'émission pourrait s'étendre à des énergies de rayons gamma encore plus élevées. Une détection dans la bande multi-TeV exclurait définitivement une origine extragalactique et confirmerait l'association avec GRS 1915+105, une détection faisable avec des télescopes Cherenkov. La validation ferme que ce microquasar est un émetteur de rayons gamma permettrait d'établir que les binaires X à faible masse sont bien des accélérateurs de particules de haute énergie et de contraindre leur contribution au contenu en rayons cosmiques de notre galaxie.


Source

Persistent GeV Counterpart to the Microquasar GRS 1915+105

Guillem Martí-Devesa and Laura Olivera-Nieto

The Astrophysical Journal Letters, Volume 979, Number 2 (28 january 2025)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ada14f


Illustrations

1. Vue d'artiste d'un microquasar (NASA)

2. Le spectre des rayons cosmiques, la première cassure, le genou (knee) se situe à environ 4 PeV (4. 106 GeV) (Blümer et al.)

3. Guillem Martí-Devesa


25/07/24

Découverte d'une source de rayons gamma très énergétiques au coeur de la nébuleuse de la Tarentule


La nébuleuse de la Tarentule, située dans le Grand Nuage de Magellan, est connue pour sa forte activité de formation d'étoiles. En son centre se trouve le jeune amas d'étoiles massives R136, qui fournit une grande partie de l'énergie qui fait briller la nébuleuse. La collaboration internationale H.E.S.S vient de découvrir que cet amas d’étoiles produit également une forte émission de rayons gamma très énergétiques. Ils publient leur découverte dans The Astrophysical Journal Letters.

Il a été récemment suggéré que les jeunes amas d'étoiles massives produisent efficacement des rayons cosmiques de très haute énergie, potentiellement au-delà des énergies de l’ordre du PeV. On sait depuis plusieurs décennies que des rayons cosmiques ayant des énergies extrêmement élevées nous atteignent sur Terre. Ces dernières années, des observations de rayons γ de plusieurs pétaélectron-volt (1015 eV) provenant de toute la Galaxie par les collaborations Tibet ASγ (2021) et LHAASO (2023) ont confirmé l'hypothèse selon laquelle ces rayons cosmiques sont produits dans la Voie Lactée. Malgré des décennies de recherches, leur origine précise n'est cependant toujours pas résolue. Alors que les fronts de chocs des jeunes restes de supernova ont longtemps été considérés comme les principaux sites d'accélération des noyaux atomiques formant ces rayons cosmiques galactiques, le potentiel des vents stellaires pour accélérer les rayons cosmiques a également été réalisé très tôt, au début des années 1980. Au cours des cinq dernières années, les jeunes amas d'étoiles massives ont été de plus en plus discutés comme étant des sources potentiellement prédominantes pour les rayons cosmiques galactiques les plus énergétiques (Aharonian et al. 2019 ; Morlino et al. 2021 ; Vieu & Reville 2023). Si les jeunes amas d'étoiles massives génèrent des rayons cosmiques hadroniques de haute énergie, on s'attend à ce qu'ils soient également des sources de rayons γ, qui sont créés principalement dans la désintégration des mésons pi neutres qui sont produits lorsque les noyaux atomiques interagissent avec le gaz ambiant. C'est ce que l'on appelle le « scénario hadronique » pour la génération d'émissions de rayons γ de haute énergie. L'hypothèse selon laquelle les jeunes amas d'étoiles massives sont des accélérateurs de rayons cosmiques efficaces peut donc être testée par des observations dans le domaine des rayons γ à très haute énergie (E > 0.1 TeV).

C’est ce qu’essayent de faire les chercheurs de la collaboration H.E.S.S avec leur télescope Cherenkov installé en Namibie. En 2022, ils avaient déjà pu associer la source de rayons très énergétique nommée HESS J1646-458 à Westerlund 1, qui est le jeune amas d'étoiles le plus massif de notre galaxie, révélant ainsi qu'il s'agit bien d'un puissant accélérateur de particules.

Mais cette première découverte dont nous nous étions fait l’écho ici ne constitue pas encore une preuve sans équivoque de l'accélération de rayons cosmiques hadroniques par l'amas, car la nature des particules émises reste ambiguë. En effet, pour le cas de Westerlund 1, Härer et al. ont démontré en 2023 que sa morphologie n'est pas compatible avec le scénario hadronique standard, et qu'un modèle expliquant l'émission de rayons γ comme étant due à la diffusion Compton inverse des électrons (le scénario leptonique) fournissait une explication plus naturelle des mesures de H.E.S.S. De plus, le site exact de l'accélération n'est toujours pas identifié, les propositions dans la littérature incluent des chocs se formant à l'interaction des vents d'étoiles massives à l'intérieur de l'amas, le choc de terminaison du vent collectif de l'amas, et des turbulences magnétiques à l'intérieur de la superbulle soufflée par le vent de l'amas. Une confirmation observationnelle définitive de l'une ou l'autre de ces propositions fait toujours défaut. Malheureusement, seule une poignée de jeunes amas d’étoiles massives dans la Voie Lactée a été détectée dans le domaine gamma à très haute énergie jusqu'à présent et l'association de l'émission de rayons γ avec l'amas d'étoiles n'est pas toujours certaine.



C’est dans ce cadre que les chercheurs de H.E.S.S se sont intéressés à l’amas de jeunes étoiles massives qui se trouve au cœur de la nébuleuse de la Tarentule, le dénommé R136, dans le Grand Nuage de Magellan (LMC). Le LMC est connu pour contenir de nombreux amas d'étoiles massives. En effet, il abrite 30 Dor C, une superbulle gonflée par l'association d'amas d'étoiles LH 90, qui est visible non seulement dans les domaines radio et optique mais aussi dans les rayons X non thermiques, ce qui indique déjà la présence d'électrons de haute énergie. Et 30 Dor C est aussi la seule superbulle confirmée qui a été détectée dans les rayons γ jusqu'à présent (par H.E.S.S. en 2015). L’amas d'étoiles R136 se trouve à proximité, au cœur de la nébuleuse de la Tarentule et de son amas ouvert central NGC 2070. R136 est exceptionnellement riche en étoiles massives, avec un âge estimé entre 1 et 2 Mégannées. Il  est donc relativement jeune, ce qui implique que seules quelques supernovas devraient s'être produites depuis sa naissance (bien que quelques étoiles massives plus anciennes aient également été trouvées dans NGC 2070).

Les astrophysiciens des particules (ou astroparticulistes) ont analysé les rayons gamma de très haute énergie provenant de cette zone restreinte du ciel en utilisant une modélisation multicomposante, basée sur la vraisemblance, de la distribution spatiale et spectrale des événements gamma détectés via les cascades de particules secondaires produites dans l’atmosphère. De plus, à partir de la même analyse, ils ont également fourni des résultats mis à jour sur le superbulle 30 Dor C située à proximité. Ils rapportent la détection d'une émission de rayons γ de très haute énergie dans la direction de R136. La luminosité γ au-dessus de 0,5 TeV des deux sources (30 Dor C et R136) est de 2 × 1035 erg s-1. Elle dépasse de plus d'un facteur 2 la luminosité de HESS J1646-458, qui est associée au jeune amas d'étoiles Westerlund 1. De plus, l'émission γ-ray de chaque source apparaît étendue avec une largeur de gaussienne d'environ 30 pc.

Pour 30 Dor C, une connexion entre l'émission de rayons γ et l'émission de rayons X non thermiques semble probable selon les chercheurs. De plus, l'extension de l'émission γ, mesurée pour la première fois, est comparable à la taille de la coquille de rayons X non thermiques autour de l'association d'amas d'étoiles LH 90, ce qui suggère une origine commune. Les chercheurs montrent que les besoins en énergie pointent vers une émission qui serait est alimentée par une supernova récente dans ce cas. Et l'absence de corrélation entre l'émission de rayons γ et la distribution du gaz moléculaire ne plaide pas en faveur d'une origine hadronique.

Et le cas de R136 est plus intéressant, puisqu’il s’agit de la découverte d’une toute nouvelle source de gamma très énergétiques. Elle est désormais étiquetée HESS J0538-691. Cette source est similaire en termes d'extension spatiale et de spectre en énergie à la source associée à 30 Dor C. Il n’existe pas d’estimation de l'intensité moyenne du champ magnétique dans les environs de l'amas R136 contrairement à 30 Dor C. Les chercheurs ont donc utilisé la même valeur adoptée pour 30 Dor C (15 μG). Compte tenu de sa masse totale (∼22000 × M) et de sa compacité, R136 devrait présenter un vent collectif et gonfler une superbulle, comme dans le cas de 30 Dor C. Mais aucune superbulle autour de R136 n'a encore pu être identifiée sans ambiguïté. L'absence d'une superbulle autour de R136 complique l'interprétation. Pour les chercheurs, l'absence de coquille sphérique peut être attribuée à l'inhomogénéité du milieu interstellaire autour de R136.

Etant donné que R136 est susceptible de présenter un fort vent collectif d'amas, une origine à la fois leptonique et hadronique de l'émission de rayons γ semble viable pour les chercheurs. La détection d'une émission de rayons γ dans la direction de R136 s'ajoute en tous cas à la liste croissante des amas de jeunes étoiles massives qui sont associés à une émission gamma de haute énergie. Bien qu'elle soit encore petite, la population montre une certaine variété, à la fois en termes d'émission de rayons γ et d’interprétation. L’analyse des chercheurs de H.E.S.S. fournit des informations cruciales pour mieux comprendre la capacité des amas d’étoiles à accélérer les particules des rayons cosmiques. Différentes interprétations du signal γ sont discutées dans l’article des chercheurs de HESS.

Dans les deux cas, 30 Dor C  et R136, l'émission de rayons γ s'étend bien au-delà de la localisation attendue du choc de terminaison du vent collectif de l'amas. Ceci peut indiquer un scénario différent de celui de Westerlund 1, où l'émission de rayons γ montrait une structure en anneau avec un rayon similaire à celui du choc de terminaison. Il faut noter que par rapport à Westerlund 1, R136 et 30 Dor C sont situés dans une région où la densité du milieu interstellaire est, en moyenne, plus importante d'un ordre de grandeur. Par conséquent, dans un scénario hadronique, il est concevable que les noyaux atomiques accélérés lors du choc de terminaison du vent, interagissant ensuite avec des nuages de gaz plus éloignés de l'amas, soient responsables de l'émission de rayons γ. Dans ce cas, on s'attendrait à ce que le centroïde de l'émission γ coïncide avec les positions des nuages de gaz les plus denses, mais  les données montrent que ce centroïde est en fait très proche de la position de l’amas d’étoiles lui-même, à la fois pour 30 Dor C et pour R136, ce qui défavorise quelque peu une origine hadronique de l'émission.

Les chercheurs examinent aussi la faisabilité des scénarios d'émission leptonique et hadronique en comparant la puissance des rayons cosmiques primaires qui est nécessaire pour soutenir l'émission de rayons γ avec la puissance fournie, par exemple, par le vent de l'amas, en notant que les grandes incertitudes associées à l'un ou l'autre de ces scénarios empêchent une discussion détaillée. Pour 30 Dor C, les astrophysiciens obtiennent dans le scénario leptonique un rapport entre ces deux puissances d’environ 10%, une valeur étonnamment élevée. Il semble donc difficile dans ce scénario d'expliquer entièrement l'émission de rayons γ comme résultant du vent collectif de l’amas. Les chercheurs penchent plus vers l’idée d’une supernova récente dans l'association LH 90 qui pourrait fournir l'énergie supplémentaire nécessaire pour expliquer le signal γ de 30 Dor C.  Pour R136, en revanche, avec son vent plus puissant, les chercheurs trouvent une efficacité moins exigeante, mais tout de même considérable, d’environ 1% dans le scénario leptonique.

Dans le scénario d’une origine hadronique de l'émission γ cette fois, les chercheurs calculent un rapport minimum entre la puissance requise en protons et la puissance fournie par le vent de l'amas de 0,7% pour 30 Dor C et de 0,2% pour R136. Ils supposent dans ce cas que l'émission de rayons γ provient des interactions des rayons cosmiques dans les nuages de gaz denses qui entourent les superbulles respectives. Les efficacités d'accélération trouvées sont considérablement plus faibles que celles généralement obtenues dans le cadre de l'accélération par choc diffusif qui sont de l’ordre de 10%. En termes de besoins énergétiques, le scénario hadronique semble donc viable, même pour des densités de gaz un peu plus faibles que celles supposées ici. Cependant, selon les chercheurs, un scénario hadronique pour 30 Dor C est déconseillé, car il nécessite des intensités de champ magnétique relativement importantes, ce qui est en désaccord avec l'estimation du champ magnétique qui a été faite par Kavanagh et al. en 2019 (15 μG) .

En conclusion, les chercheurs de la collaboration H.E.S.S notent que pour les deux sources, 30 Dor C  et R136, un scénario mixte leptonique-hadronique est toujours possible... On le voit, les amas de jeunes étoiles massives sont dans tous les cas des sites d’accélération de particules très efficaces, qu’il s’agisse d’électrons ou de noyaux atomiques, pouvant les porter jusqu’à des énergies 1000 fois plus élevées que ce qu’on fait de mieux avec notre LHC au CERN.

Vous pourrez désormais briller sur la plage ou ailleurs en racontant autour de vous comment la nébuleuse de la Tarentule est aussi un PeVatron grâce à ses jeunes étoiles massives et leurs vents de particules puissants.

 

Source

 

Very-high-energy γ-Ray Emission from Young Massive Star Clusters in the Large Magellanic Cloud

F. Aharonian et al. (HESS collaboration)

The Astrophysical Journal Letters, Volume 970, Number 1 (19 july 2024)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ad5e67



Illustrations


1. La nébuleuse de la Tarentule (ESO)

2. Image gamma de 30 Dor C  et R136 par HESS (HESS Collaboration)

3. Localisation de la source gamma associée à R136 (HESS Collaboration)

4. Le télescope Cherenkov HESS2 (Observatoire de Paris)

5. Localisation de la source gamma associée à 30 Dor C (HESS Collaboration)

23/04/24

7 neutrinos de type tau détectés par IceCube


Au cours de ses dix années d'existence, l'Observatoire de neutrinos IceCube en Antarctique a enregistré les signaux de près d'un million de neutrinos énergétiques, principalement des neutrinos de la saveur électronique et muonique, fournissant ainsi des informations précieuses sur les sources de particules de haute énergie dans l'Univers. L'année dernière, la collaboration IceCube a rapporté le premier signal candidat directement liés à un neutrino de la saveur tau. Et aujourd'hui, ce ne sont pas deux, ce ne sont pas trois, mais ce sont six nouveaux neutrinos tau qui ont été détectés par IceCube. Les physiciens de la grande collaboration internationale publient leur étude dans Physical Review Letters

31/01/24

Cassiopeia A : PeVatron ou pas PeVatron ?


Pendant des décennies, les résidus de supernova (SNR) ont été considérés comme les principales sources de rayons cosmiques galactiques. Mais la question de savoir si les SNR peuvent accélérer des protons jusqu'aux énergies de l'ordre du PeV (ce qui en ferait donc des PeVatrons) fait actuellement l'objet d'un débat intense. Une équipe d'astrophysiciens à étudié un site de production potentiel, à savoir le jeune résidu de supernova Cassiopeia A, grâce aux photons gamma ultra-énergétiques qui en proviennent et qui doivent être liés à la production de rayons cosmiques. Ils publient leurs résultat dans The Astrophysical Journal Letters.

28/01/24

Le microquasar SS 433 est une source de rayons cosmiques énergétiques


L'origine de certaines des particules les plus énergétiques que la Galaxie puisse produire a été identifiée grâce au télescope gamma H.E.S.S en Namibie. Les observations indiquent la position où les particules sont accélérées à une vitesse proche de la vitesse de la lumière par le voisinage d'un trou noir stellaire, qui se trouve dans la région connue sous le nom de nébuleuse du Lamantin. Il s'agit du microquasar SS 433. L'étude est publiée dans Science.

29/11/23

Détection d'une particule de 244 milliards de GeV, soit 40 Joules

Une astroparticule dont l'énergie se mesure en Joules plutôt qu'en électron-volts, c'est ce qu'ont observé les chercheurs de la collaboration américaine Telescope Array, avec une particule d'environ 244 Exa-électronvolts, soit 244 milliards de GeV, ce qui fait 40 joules : 10 million de fois plus énergétique que les protons les plus énergétiques produits par le LHC au CERN... Il s'agit de la deuxième particule du genre à être détectée, après la fameuse particule surnommée Oh My God détectée en 1991. On ne comprend évidemment pas d'où peuvent provenir ces particules ultra-hyper-énergétiques. L'étude est parue dans Science.  


29/08/23

Première analyse des rayons gamma de Jupiter, à la recherche de matière noire...


Pour la première fois, des astrophysiciens ont analysé l’émission gamma de Jupiter. Cette recherche est importante car elle pourrait indiquer des traces de phénomènes très particuliers comme des annihilations de particules de matière noire qui se seraient accumulées dans la géante gazeuse. La détection des rayons gamma par le télescope Fermi-LAT montre la présence d’un signal à basse énergie mais qui n’est pas statistiquement significatif, menant donc à la détermination de limites drastiques sur la probabilité d’interaction de la particule de matière noire hypothétique avec les protons. Jupiter est ainsi devenue notre plus gros détecteur de matière noire et le plus sensible à basse énergie. L’étude est parue dans Physical Review Letters.

28/06/23

Trace de détection directe des rayons cosmiques à l'origine des bulles de Fermi


Le centre de notre galaxie a connu dans le passé des événements de sursaut de rayons cosmiques, qui ont été responsables des bulles de Fermi visibles aujourd'hui en rayons gamma et des bulles de eROSITA visibles en rayons X. Aujourd'hui, un duo de chercheurs pense avoir décelé une trace de positrons provenant de ces mêmes événements dans le détecteur orbital AMS-02. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal. 

14/06/23

La gravité quantique ralentit-t-elle les neutrinos ?


C'est une analyse très intéressante que viennent de faire des chercheurs italiens : ils ont trouvé que parmi les neutrinos énergétiques qui peuvent être associés à des sursauts gamma, il existe une dépendance entre l'énergie des neutrinos et leur retard par rapport aux photons gamma du sursaut. En d'autre termes, plus les neutrinos ont une énergie élevée, plus ils sont ralentis par rapport aux photons... Ce type d'effet très curieux ne pourrait s'expliquer que si l'espace-temps à une structure quantifiée... L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

06/05/23

L'excentricité de l'orbite terrestre mesurée grâce aux neutrinos solaires


C'est une mesure de précision assez dingue qu'ont réussie les physiciens de la collaboration BOREXINO : ils ont mesuré l'excentricité de l'orbite de la Terre grâce aux neutrinos du Soleil détectés durant plus de 10 ans... Ils publient leur étude dans Astroparticle Physics.

11/11/22

Matière noire : L'excès de signal observé par XENON1T n'était qu'un bruit de fond

Nous ne savons toujours pas ce qu'est la matière noire. Depuis plus de trente ans, plusieurs expériences de détection directe de particules massives interagissant faiblement (WIMPs) rivalisent de sensibilité pour tenter l'impossible : détecter directement cette matière noire. En octobre 2020, je vous avais relaté les résultats surprenants de l'expérience XENON1T qui détectait des reculs électroniques suspects à basse énergie, et qui pouvaient être interprétés comme des interactions d'axions solaires ou bien un signal parasite d'une pollution infinitésimale de tritium dans le xénon liquide du détecteur. Après une amélioration importante du détecteur, XENON1T devenant XENONnT, 6 fois plus massif, les nouveaux résultats viennent d'être publiés et balayent le sursignal à basse énergie : ce n'était que du bruit de fond. Et pendant ce temps, l'expérience chinoise concurrente PandaX a elle aussi fait grossir son détecteur et publie ses nouveaux résultats dans le même numéro de Physical Review Letters, apportant de nouvelles limites pour certaines particules... 

05/10/22

Confirmation d'une bosse dans le spectre en énergie des protons des rayons cosmiques


Notre compréhension actuelle du spectre énergétique des rayons cosmiques galactiques suggère qu'il doit suivre une dépendance de type loi de puissance. Mais des observations récentes réalisées à l'aide de calorimètres en orbite comme CREAM III ou DAMPE ont laissé entrevoir une déviation de cette variation en loi de puissance, avec un flux de protons qui remonte à partir de 600 GeV jusqu'à 10 TeV. Aujourd'hui, l'expérience CALET (CALorimetric Electron Telescope), un détecteur installé sur la station spatiale internationale, confirme l'existence de cette bosse dans le spectre en mesurant la baisse du flux après 10 TeV, jusque 60 TeV. Reste à comprendre son origine... L'étude est parue dans Physical Review Letters. 

30/08/22

Mesures de noyaux au delà du fer dans les rayons cosmiques galactiques


La composition du rayonnement cosmique galactique (GCR) en noyaux atomiques plus lourds que le fer a été déterminée par la première fois, grâce au spectromètre isotopique CRIS qui est à bord de la sonde ACE (Advanced Composition Explorer) au point de Lagrange L1 depuis 1997. Les chercheurs ont exploité plus de 20 ans de mesures... L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal.

12/03/22

Des particules accélérées par une nova révélées par des rayons gamma très énergétiques


Les novas récurrentes sont des explosions thermonucléaires répétées qui ont lieu dans les couches externes des naines blanches, dues à l'accrétion de matière provenant d'une étoile compagne. Ces explosions peuvent être à l'origine de très fortes accélérations de particules produisant secondairement des photons gamma. La collaboration H.E.S.S. vient de mesurer pour la première fois des photons gamma de plus de 100 GeV provenant d'une nova, nommée RS Ophiuchi. L'étude est publiée cette semaine dans Science.

14/02/22

Nouvelle mesure directe de la masse maximale des antineutrinos


Les physiciens qui exploitent l'expérience KATRIN viennent de publier la meilleure estimation à ce jour de la masse maximale du neutrino électronique, en mesurant le plus précisément possible le spectre en énergie des électrons de la désintégration du tritium : sa masse est inférieure à 0,8 eV et on pourrait enfin connaître sa masse minimale dans deux ans. L'étude est publiée dans Nature Physics.

05/02/22

Observation d'un excès de fluor dans les rayons cosmiques galactiques


Depuis son lancement, le détecteur de rayons cosmiques AMS-02, installé sur l'ISS, a fourni des mesures de qualité exceptionnelle sur les spectres de nombreuses espèces de rayons cosmiques : protons, antiprotons, électrons, positrons, noyaux légers, et plus lourds, jusqu'au néon, magnésium, silicium, et même le fer. Le résultat le plus récent d'AMS-02 en février 2021 concerne la mesure du spectre du fluor jusqu'à 18 TeV.  Une analyse de ces mesures qui vient d'être publiée aujourd'hui dans The Astrophysical Journal conclut à l'existence d'un excès de flux de noyaux de fluor à une énergie inférieure à 90 GeV...

20/11/21

Ordinateur quantique et rayons cosmiques ne font pas bon ménage


Ces derniers temps, on parle beaucoup d'"ordinateur quantique", de "calcul quantique", de qubits et autres révolutions informatiques à la mode en cours de développement. Ce que l'on sait moins en revanche, c'est qu'il existe une limitation naturelle à l'utilisation de tels bits quantiques : les rayons cosmiques. Récemment, des chercheurs américains ont montré que les rayons cosmiques produisaient en continu des erreurs corrélées dans un réseau de qubits, des erreurs impossibles à corriger. L'étude a été publiée dans Nature en juin dernier.

02/11/21

Un pulsar binaire à l'origine de neutrinos et de photons gamma très énergétiques en coïncidence


Le 4 août dernier (voir ici), les chercheurs russes de l'expérience Carpet-2, menée par Dahir Dzhappuev publiaient l'observation d'une émission gamma coïncidente avec un neutrino ultra-énergétique détecté par IceCube en Antarctique. Cette observation indiquait une provenance du Pevatron du Cocon du Cygne, une première pour une détection à multimessagers sur une telle source. Aujourd'hui, une autre équipe de physiciens russes publie une explication pour la production de neutrinos ultra-énergétiques dans un Pevatron impliquant un système binaire d'étoiles. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters.

20/09/21

L'origine du fond diffus gamma dévoilée


Il n'y a pas que le fond diffus cosmologique, le fond diffus de neutrinos ou le fond diffus de lumière extragalactique, il existe aussi un autre fond diffus qui baigne tout le ciel, un fond de rayons gamma. Depuis les années 1960, les astrophysiciens cherchent à savoir quelle est la source de ce rayonnement gamma. Deux origines sont en compétition : noyaux actifs de galaxies et galaxies à forte formation stellaire. Une étude parue dans Nature la semaine dernière vient de montrer quelle est la bonne source.