23/10/12

La Soupe Primordiale de Quarks et Gluons

Il y a 12 ans, au tournant du siècle, des physiciens parvenaient à reproduire une forme exotique de matière qu'on appelle plasma de quarks et de gluons, grâce à un accélérateur géant. Cette matière exotique qui formait l'Univers quelques microsecondes seulement après le "temps 0".

Et 12 ans plus tard, après de nombreuses et très subtiles mesures répétées sur des plasmas quark-gluons, on commence tout juste à concevoir un "modèle standard" de ce plasma. Chaque plasma créé est comme une sorte de petit big bang, sans l'expansion qui suit bien sûr, mais il permet aux physiciens d'explorer l'Univers tel qu'il était probablement dans ses premiers instants, en même temps que d'explorer la matière nucléaire dans ses états extrêmes.

Simulation d'un plasma Quarks-gluons à STAR (BNL)
Les études du plasma quarks-gluons (qu'on appellera PQG) semblent évoluer un peu de la même manière que celles du fond diffus cosmologique : découvert en 1965, puis observé assez finement en 1992 par le satellte COBE, puis encore plus finement par WMAP en 2003, et encore avec plus de détails très bientôt avec Planck... Et ce n'est qu'à partir de 2003 qu'on a pu en tirer des informations cruciales notamment sur l'âge de l'Univers.
Le PQG, lui, est sur la même trajectoire, entre les premiers cris de joie de sa découverte (ou plutôt de sa production) et l'obtention des premiers paramètres numériques le caractérisant.

Mais la production de plasma de quarks et gluons est fragile. Elle ne repose actuellement que sur deux machines : le (toujours fameux) LHC et le moins connu (mais néanmoins fameux) RHIC (Relativistic Heavy Ion Collider), situé à Brookhaven, NY.

Tunnel du RHIC (BNL)
Le RHIC est un accélérateur spécifique, entièrement dédié à la production du PQG : il accélère des ions (des noyaux d'atomes) à des vitesses relativistes et les collisions de ces noyaux provoquent l'apparition de cette soupe de particules très élémentaires.

Pour créer cette délicieuse soupe, il faut littéralement faire fondre les noyaux d'atomes. Rappelons que les noyaux sont constitués de protons et de neutrons, qui eux-mêmes sont formés de trois quarks chacun (deux quarks up et un quark down pour le proton et deux quarks down et un quark up pour le neutron), qui sont reliés entre eux, ou plutôt englués entre eux par de nombreux gluons, de diverses "couleurs".
Les gluons sont les bosons vecteurs de la force nucléaire dite "forte" qui attire si fortement les quarks entre eux.
Les quarks s'attirent tellement fort qu'on ne parvient pas à en isoler un tout seul. Quand on commence à arriver à faire sortir un quark d'un proton, il s'arrange tout de suite à produire autour de lui une série de couples quarks-antiquarks à partir du vide et forme alors un jet de particules pleines de quarks.

Mais il est tout de même possible de former un plasma de quarks en faisant fondre les nucléons (protons et neutrons) de deux noyaux d'atomes lourds, typiquement des noyaux de plomb ou d'or.

Détecteur STAR au RHIC
On obtient des quarks et des gluons, qui ne sont plus liés entre eux! Et durant un temps extrêmement court, de l'ordre du temps de Planck, ce plasma est la  "chose" la plus chaude de l'Univers, avec quelques milliers de milliards de degrés... Mais très vite, le plasma se refroidit, et il se transforme en  plusieurs milliers de particules bien plus ordinaires, que les physiciens peuvent détecter confortablement. En 2001, les physiciens du RHIC (détecteur STAR) ont pu montrer que le plasma s'écoulait comme un liquide sans aucune viscosité, grâce à l'observation de la distribution ellipsoïde des jets de particules produites.

En 2003, une autre équipe travaillant avec le second détecteur du RHIC, PHENIX, a montré que les collisions de noyaux d'or (quel gâchis) produisaient bien moins de jets que des collisions de protons, ce qui était inattendu.
Les études sur le PQG permettent également d'étudier avec force détails les relations quarks-antiquarks.
Ce qui se passe lors de l'accélération prodigieuse des noyaux lourds avant leur collision est un effet purement relativiste : la contraction de Lorentz (contraction des distances dans le sens de la vitesse) aplatit complètement les noyaux d'atomes comme des crêpes, et la dilatation du temps ralentit considérablement tout ce qui se passe dans leur interieur : les gluons se retrouvent comme figés dans une sorte de disque de verre.
Lorsque les deux noyaux collisionnent, les quarks se passent à travers l'un de l'autre, mais les "disques" de gluons, eux, s'entrechoquent en créant un état chaud en déséquilibre qu'on appelle un "glasma". Ce milieu s'équilibre ensuite très vite pour former le plasma à proprement parler, qui s'étend puis se refroidit à son tour pour produire de nombreuses particules.
Le Big Bang au bout du tunnel... (CERN)

La grosse question qui se pose est la suivante : "Est ce que la bonne vieille théorie quantique des champs s'applique encore, ou bien faut-il utiliser des théories plus exotiques ?" Il n'y a pas encore de réponse.

Le LHC aussi a commencé à fabriquer du plasma de quarks et de gluons. Il n'emploie pas des noyaux d'or, mais des noyaux de plomb. Son premier PQG date de 2010 et le détecteur ALICE est dédié uniquement à ces recherches, qui bénéficient d'une énergie de collision près de 14 fois plus grande que celle pouvant être atteinte avec le RHIC.
Des chercheurs au LHC ont ainsi trouvé un comportement inattendu : dans le cas de collisions "ultra-centrales", dans lesquelles les noyaux se frappent exactement en leur milieu, ils ont pu observer des formes de flux causées par des fluctuations quantiques de la forme des noyaux. Ils ont pu décrire la forme unique de chaque collision comme une somme de formes géométriques simples : ovales, triangles, carrés et d'autres. Très étrange...

En 2010 et 2011, les physiciens de RHIC ont cherché le "point critique", la frontière entre matière à l'état normal et l'état de plasma. Le RHIC possède en effet le gros avantage par rapport au LHC de pouvoir faire varier l'énergie de collision, et surtout d'abaisser cette énergie, ce que le LHC ne peut pas faire.
Ce qu'ont trouvé les physiciens américains, c'est que la transition, sous certaines conditions, peut montrer une variation abrupte, un peu à l'image de l'eau qui se met à bouillir exactement à 100°C. Ce point critique pourrait bien se situer aux environs de 20 GeV par nucléon d'après les résultats obtenus en 2011.
Mais d'autres équipes expliquent qu'à des énergies aussi "basses", la production de plasma devrait s'arrêter, alors que les physiciens de STAR n'ont pas vu une telle chute de production de plasma quark-gluons...

Graphe de transition matière-plasma quarks-gluons (Science)
Au contraire, même aux plus basses énergies, le RHIC parvient toujours à créer un plasma, ce qui laisse songeur plus d'un physicien, étant donné qu'ils ont cherché durant plus de vingt ans à créer un tel plasma de quarks et de gluons, et que maintenant, ils se demandent comment ils peuvent faire pour le faire disparaître (ou au moins ne pas le créer...).
C'est malheureusement au moment où la science du plasma quarks-gluons, reflet de l'Univers très primordial, devient enfin mature et que l'on commence à pouvoir étudier ces étrangetés, qu'il est question de réduire drastiquement le budget de sa machine-phare, le RHIC, gérée par le Department of Energy qui gère toutes les grosses installations de physique des hautes énergies américaines.
 
La décision qui sera rendue en janvier prochain impactera fortement ces recherches, car le LHC a lui seul ne pourra jamais explorer cette physique comme le fait le RHIC : non seulement leurs domaines d'énergie sont différents, mais leurs durées utiles de fonctionnement en faisceau de type "noyaux lourds" sont également sans commune mesure : 6 mois par an pour le RHIC contre 1 mois tous les deux ans pour le LHC...

Les instances scientifiques américaines feront-elles le bon choix (que vous avez deviné) ? Réponse en janvier.

1 commentaire :

Anonyme a dit…

Encore un article d'une grande qualité et d'une grande clarté qui de toutes évidences ne provient pas d'un copier/coller avec un autre site. Même un simple amateur comme moi en redemande !