09/11/16

Calcul théorique de la masse des axions, particules candidates pour la matière noire


Des calculs massifs ont permis à des physiciens hongrois et allemands de prédire quelle devrait être la masse de l'axion, une particule candidate très intéressante pour expliquer la matière noire. Ils publient leur découverte dans le journal Nature.




La caractéristique fondamentale de la matière dite "noire", par définition, est qu'elle ne produit que très peu d’interactions (voire aucune) avec la lumière. Et une autre chose évidente est que toutes les particules candidates pour la matière noire doivent induire une extension du modèle standard de la physique des particules. Ces extensions théoriques du modèle standard doivent non seulement fournir des bonnes pistes de recherche en terme de nature de particules, mais aussi des valeurs numériques comme la masse qui doit être celle des particules recherchées, de manière à aider les expérimentateurs dans leur recherche de ces particules candidates. 
Comme on le sait, les deux types de particules candidates les plus recherchées actuellement sont d'une part les WIMPs (weakly interacting massive particles), particules particulièrement massives et d'autre part les axions, particules beaucoup plus légères et qui seraient beaucoup plus nombreuses. 
Plusieurs arguments théoriques indiquent que l'axion est un candidat très sérieux. Il existe d'ailleurs des moyens de détection des axions grâce à leur production de photons dans un champ magnétique. Mais sans la connaissance a priori de la masse de ces particules, les techniques de détection directe doivent "scanner" une vaste plage d'énergie, rendant cette détection vite fastidieuse. C'est donc une grande avancée qu'a permis l'équipe de Zoltán Fodor (Université de Wuppertal) en obtenant théoriquement une plage de masse réduite pour la première fois. 

Les axions sont prédits dans une extension de la théorie quantique qui gouverne l'interaction forte, la chromodynamique quantique (QCD). L'interaction forte, cette force qui lie entre eux les quarks par l'intermédiaire des gluons à l'intérieur des protons et des neutrons (entre autres), est l'une des quatre interactions fondamentales à côté de l'interaction faible, l'interaction électromagnétique et la gravitation. 
Le problème est que l'on a observé que les quarks et les gluons respectaient la symétrie CP dans les neutrons, alors qu'ils ne devraient pas d'après ce que prédit la théorie de l'interaction forte, par ailleurs bien comprise et testée très précisément depuis longtemps. Comme l'interaction faible brise la symétrie CP, on s'attendrait à ce que l'interaction forte la brise aussi... 
La symétrie CP (symétrie de charge et de parité) peut être visualisée si on imagine qu'à partir d'un paquet de quarks et de gluons, on inverse toutes les particules ainsi que leurs positions et leurs vitesses. Le paquet de particules apparaît exactement comme le paquet précédent et se comporte de la même façon.
Si la symétrie CP était brisée dans la force nucléaire forte, le neutron, qui est composé de deux quarks down et un quark up plus une kyrielle de gluons, aurait plus de charges positives associées à l'un de ses pôles magnétiques et plus de charges négatives associées à son autre pôle magnétique. Cette distribution, de charges qu'on appelle le moment dipolaire électrique du neutron, subirait alors une inversion lorsqu'on inverse tous les paramètres dans la transformation CP. Mais les physiciens nucléaires ont montré depuis quelques décennies que le neutron ne se comportait pas du tout comme ça, il n'a aucun moment dipolaire électrique. La symétrie CP semble donc régner dans l'interaction nucléaire forte.
Et ce n'est pas cohérent avec la chromodynamique quantique. Cette dernière stipule que certaines interactions entre gluons doivent briser la symétrie CP. Elle indique qu'il doit exister des fluctuations quantiques topologiques qui seraient à l'origine de cette brisure. C'est pour expliquer cette observation d'une absence de violation de la symétrie CP que les théoriciens Helen Quinn et Roberto Peccei ont proposé dans les années 1970 une extension de la chromodynamique quantique, et cette extension théorique prédit l'existence de cette nouvelle particule nommée axion. La masse de cet axion dépend de l'importance des fluctuations quantiques topologiques et donc indirectement de la température. 


Les physiciens hongrois et allemands ont exploité le superordinateur JUQUEEN du centre de recherche de Jülich en Allemagne pour effectuer des calculs quantiques très précis et étendus. Les quantités-clé du calcul sont l'équation d'état de l'Univers et la dépendance en température de la susceptibilité topologique de la QCD, une fonction connue pour être très difficile à calculer, notamment dans la région des hautes températures, la plus pertinente.

En plus de fournir une méthode de calcul performante pour étudier l'évolution de l'Univers primordial via son équation d'état, Zoltán Fodor et son équipe trouvent que si les axions constituent l'essentiel de la matière noire, leur masse ne peut être comprise qu'entre 50 µeV et 1,5 meV.
Chaque centimètre cube d'Univers contiendrait alors en moyenne 10 millions d'axions. Mais la matière noire n'étant pas répartie uniformément, mais plutôt sous la forme de vastes filaments entrecroisés, la densité d'axions pourrait atteindre, par exemple dans notre environnement galactique proche, la valeur de 1000 milliards d'axions par centimètre cube. 

Cette restriction de la plage de masse pour les axions est une découverte très importante. Elle pourrait maintenant booster les recherches directes d'axions comme celles mises en oeuvre au CERN (CAST) ou aux Etats-Unis (ADMX). L'exclusion expérimentale, ou, à l'inverse, la découverte des axions pourrait maintenant être à portée de main d'ici à quelques années seulement. 


Source : 

Calculation of the axion mass based on high-temperature lattice quantum chromodynamics
S. Borsanyi et al.
Nature 539, 69–71 (03 November 2016)


Illustrations : 

1) Diagramme de Feynmann de la désintégration d'un axion dans un champ magnétique

2) Schéma de la structure des nucléons (University of California)

3) Le superordinateur JUQUEEN (Forchung Zentrum Jülich)

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