mardi 7 février 2017

Plus de 10 ans pour dévorer une étoile massive


Même supermassifs, les trous noirs sont des objets qui peuvent prendre leur temps. XJ1500+154 est de ceux-ci; Ce trou noir a commencé à avaler une étoile après l'avoir détruite il y a plus de 10 ans et n'a pas fini son festin...




Généralement, une destruction d'étoile par un trou noir supermassif par ses effets gravitationnels (une crêpe stellaire flambée), dure environ un an avant que tout le gaz soit absorbé par le trou noir. Dans ces événements, la matière de l'étoile qui se retrouve accrétée est échauffée à très haute température et rayonne intensément en rayons X. C'est une telle bouffée de rayons X qui a été observée par le trio de télescopes spatiaux à rayons X Chandra, Swift et XMM-Newton.
L'équipe menée par Dacheng Lin (Université Durham) surveille fréquemment cette source X située au centre d'une petite galaxie à 1,8 milliards d'années-lumière et qui fut détectée pour la première fois le 23 juillet 2005 par XMM-Newton, alors qu'elle n'apparaissait pas au même endroit dans une observation de Chandra faite 3 mois avant, le 2 avril 2005. 
Un maximum d'intensité a d'ailleurs été observé par Chandra le 5 juin 2008, avec une augmentation d'un facteur 100 en luminosité X.
Quelques dizaines d'événements de destruction gravitationnelle d'étoile ont été repérés depuis une vingtaine d'années, mais aucun n'a duré aussi longtemps que celui de XJ1500+154.
Les astrophysiciens, qui publient leur recherche dans Nature Astronomy, pensent que l'exceptionnelle durée de l'émission de rayons X associée à la destruction de cette étoile implique qu'il s'agit de la plus grosse étoile déchirée par un trou noir jamais observée, avec une masse au moins deux fois plus forte que celle du Soleil.

Mais des observations plus récentes montrent un élément étonnant : le rayonnement de la matière entourant le trou noir aurait dépassé la limite d'Eddington de manière continue durant toutes ces années. La limite d'Eddington (du nom du célèbre astronome britannique Arthur Eddington qui à élaboré cette idée en 1921) est la limite de luminosité d'un objet à partir de laquelle la pression du rayonnement devient plus forte que la force de gravitation, ce qui signifie une dispersion de l'objet en question au delà de cette limite. Dans le cas de ce gaz en accrétion autour du trou noir, son rayonnement extrêmement intense ne permettrait cependant pas de contrecarrer le champ gravitationnel du trou noir. Ce n'est pas le premier trou noir qui est observé en dépassement flagrant de la limite d'Eddington, mais cela concernait surtout des trous noirs stellaires.

Les spécialistes en concluent que ces trous noirs supermassifs peuvent donc continuer à grossir en avalant de grandes quantités de matière même rayonnant intensément sur de longues durées. La limite d'Eddington que l'on pensait valable pour les trous noirs supermassifs, fixant donc une limite à leur taux de grossissement (lié au rayonnement de leur disque d'accrétion) se révèle donc de plus en plus inappropriée pour ces objets extrêmes.
Ce pouvoir de dépasser allègrement la limite indique aussi que les premiers trous noirs de l'Univers auraient pu grossir beaucoup plus rapidement que ce qu'on imaginait en leur affublant la limite d'Eddington.
D'après des simulations qu'ont effectuées Dacheng Lin et ses collègues, le gaz résiduel de l'étoile déchiquetée en rotation autour du trou noir devrait finir par disparaître totalement dans la prochaine décennie, menant alors à une forte baisse de luminosité X de XJ1500+0154 dans les années qui viennent, ce que ne manqueront pas de suivre les astronomes pour valider leur scénario.

Référence

A likely decade-long sustained tidal disruption event
Dacheng Lin et al.
Nature Astronomy 1, 0033 (2017)


Illustration

Vue d'artiste d'un événement de destruction par effet de marée gravtationnelle et images en visible et en rayons X de XJ1500+0154
(rayons X: NASA/CXC/UNH/D.Lin et al, visible : CFHT, Illustration: NASA/CXC/M.Weiss)

2 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour,

La limite d'Eddington est fondée sur l'approximation d'un astre en équilibre hydrostatique et à symétrie sphérique, ce qui n'est pas le cas à priori de ces TN (et pulsars) accrétant qui la franchissent ; a-t-on une idée précise des mécanismes en jeu ?

Dr Eric Simon a dit…

Dans le cas des disques d'accrétion des trous noirs, de nombreux paramètres entre en jeu, comme l'épaisseur du disque, sa viscosité, sa transparence optique, l'effet du champ magnétique... bref c'est effectivement assez différent du cas cas classique d'une masse sphérique. Je conseille la lecture de ce petit cours qui explique assez clairement la physique de l'accrétion (en anglais) :
http://www-astro.physics.ox.ac.uk/~garret/teaching/lecture7-2012.pdf
http://www-astro.physics.ox.ac.uk/~garret/teaching/lecture8-2012.pdf