Un télescope virtuel bien plus grand que la Terre, capable d’imager des détails d’un jet de trou noir d’une fraction d’année-lumière à une distance de 230 millions d’années-lumière, c’est l’exploit que vient de réaliser une collaboration internationale impliquant européens, américains et russes.
Il s’agit d’une observation par interférométrie radio à très longue base. Cette fois-ci, la méthode a été poussée encore plus loin que par l’utilisation de radiotélescopes disséminés sur différents continents. Un radiotélescope de 10 m en orbite, le russe Spektr-R (ou SRT, Space Radio Telescope) a été intégré au vaste réseau de radiotélescopes terrestres exploités ensemble pour former un réseau interférométrique gigantesque dénommé pour l’occasion RadioAstron Space VLBI. L’observation simultanée a eu lieu le 21 septembre 2013 mais ce n’est qu’aujourd’hui que les résultats sont publiés par l’équipe internationale menée par l’italien Gabriele Giovannini (Istituto di Radio Astronomia, Bologne) dans Nature Astronomy, à l’issue de nombreuses années de traitements et d’analyse des données.
La cible de cette observation hors du commun était le noyau actif de la galaxie NGC 1275, la galaxie centrale de l’amas de Persée qui contient un énorme trou noir supermassif de 2 milliards de masses solaires actif dans son centre. La base du réseau interférométrique ainsi formée a une longueur égale à 8 fois le diamètre de la Terre, ce qui permet aux astrophysiciens d’atteindre une résolution de 30 microarcsecondes… RadioAstron est devenu l’instrument astronomique ayant la résolution angulaire la plus élevée de l’histoire.
Plus la séparation entre les différents éléments du réseau interférométrique est grande, plus le diamètre du radiotélescope virtuel est grand, et donc plus la résolution angulaire ou spatiale est importante. Grâce à l’ajout du radiotélescope spatial russe, les chercheurs sont parvenus à voir ce qui se passe à une distance de seulement 0,033 années-lumière du trou noir de NGC 1275, soit à seulement une centaine de fois son rayon gravitationnel.
Les trous noirs actifs produisent très souvent (indirectement) des jets de particules et de plasma lancés à des vitesses relativistes le long de leur axe de rotation. Les spécialistes cherchent depuis des années à comprendre comment naissent ces jets, en essayant de les observer toujours plus près de l’engin infernal qui en est à l’origine, pour pouvoir confronter les observations avec les modèles théoriques. Le trou noir supermassif de NGC 1275, correspondant à la source radio Perseus A ou encore 3C84, était un bon candidat pour tenter un zoom vers la région de la base du jet.
L’ajout du radiotélescope spatial à un réseau terrestre comprenant près de 20 observatoires différents a été déterminant pour voir des détails de la base du jet du trou noir. Les chercheurs observent que le jet est illuminé par son limbe, ce qui est plutôt rare, la plupart des jets qui ont pu être observés de près étant éclairés par leur arête (le jet de M87 est aussi de type « limbe »). D’après Giovannini et ses collaborateurs, le jet de NGC 1275 possède un grand angle d’ouverture à sa base, suivie par une rapide collimation de forme quasi-cylindrique qui se poursuit ensuite sur une distance de plusieurs milliers de rayons gravitationnels. A une distance de 350 rayons gravitationnels du trou noir, le jet semble s’étaler et montre une largeur inattendue de 250 rayons gravitationnels. La largeur du jet semble donc plus importante dans sa partie basse que ce que les chercheurs attendaient d’après le modèle préféré qui prédit une origine du jet au niveau de l’ergosphère du trou noir (là où l’espace-temps s’enroule autour du trou noir à cause de sa rotation) et donc une base plus étroite. Il se pourrait ainsi qu’une bonne partie du jet, si ce n’est la totalité, prenne naissance plutôt au niveau du disque d’accrétion entourant le trou noir.
Les images du jet de 3C84, l’autre nom de cette source radio, montrent également une structure qui est sensiblement différente de celle du jet du trou noir de M87, observé lui aussi récemment de manière assez détaillée (voir ici). Les astrophysiciens estiment que la différence observée entre les deux jets vient de leur âge respectif. Le jet de 3C84 (alias NGC 1275) s’est reformé à peine 10 ans avant cette observation (en 2003) et il serait encore en cours de formation. Il sera donc très important de suivre dans la durée l’évolution de ce jet de particules relativistes dans les années à venir, et si possible toujours plus près de l’horizon des événements.
Source
A wide and collimated radio jet in 3C84 on the scale of a few hundred gravitational radii
G. Giovannini et al.,
Nature Astronomy (02 April 2018)
Illustrations
1) Image de la structure du jet de NGC 1275 et vue d'artiste du concept d'interférométrie spatiale (Pier Raffaele Platania INAF/IRA (compilation); ASC, Lebedev Institute (RadioAstron ))
2) Vue d'artiste du radiotélescope spatial Spektr-R (NPO Lavochkin)
3) Les différents radiotélescopes terrestres impliqués dans le projet RadioAstron (Blue Marble Next Generation, NASA Visible Earth. Paul Boven)
4 commentaires :
Bonjour Eric,
Pour pouvoir collimater des télescopes, il faut que leur position soit connue à une longueur d'onde près?
Bonjour
La forme du jet n'est-elle pas liée à la forme do potentiel du TN ?
Dans le cas d'un réseau interférométrique, la position de chaque unité doit être connue avec précision bien sûr, mais je ne crois pas à une longueur d'onde près (à vérifier)
Le jet des trous noirs est issu de phénomènes magnétiques, le potentiel gravitationnel peut jouer mais c'est surtout une affaire de champs magnétiques
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