vendredi 14 décembre 2018

Des champs magnétiques enchevêtrés à l'origine des grands accélérateurs cosmiques


Des chercheurs américains ont trouvé une nouvelle explication de l'accélération des particules phénoménale qui est produite par les jets de plasma aux pôles des trous noirs. Ces résultats obtenus grâce à des simulations pourraient par ailleurs avoir des implications au-delà de la physique associée aux trou noirs, jusqu'à sur Terre.




Ce n'est pas un hasard si cette étude émane du laboratoire national américain SLAC (Standford), spécialisé dans les grands instruments pour la physique des particules. Le mécanisme que les physiciens ont trouvé grâce à des simulations intensives des émissions de particules dans les jets de plasma de noyaux actifs de galaxies est lié à la forme que peuvent prendre les lignes de champ magnétiques avec leurs implications sur les champs électriques. Ce qu'ils montrent, c'est que les lignes de champs peuvent littéralement s’enchevêtrer les unes dans les autres à l'image de spaghettis dans une assiette que l'on aurait bien mélangée. Ce faisant, ces champs magnétiques produisent des champs électriques extrêmement forts dans la direction du jet de plasma, ce qui devient le moteur de l'accélération formidable des particules chargées, en premier lieu des électrons et des protons qui peuvent être propulsés avec une ultra-haute énergie jusqu'à des millions d'années-lumière de distance.
On sait déjà que des particules chargées peuvent être fortement accélérées dans des ondes de chocs produites lors de supernovas ou lors de reconnexions magnétiques (quand des lignes de champ magnétique se brisent et se "rebranchent" différemment). Le mécanisme d'enchevêtrement que publient cette semaine Paulo Alves, Jonathan Zrake et Frederico Fiuza dans Physical Review Letters est bien différent. Il est lié à la disruption du champ magnétique hélicoidal lorsqu'il se distord et devient instable. Alves et ses collaborateurs, en simulant les zones proches des instabilités du champ magnétique à l'intérieur du jet de plasma, observent que l'enchevêtrement des lignes de champ magnétique permet aux particules de les traverser littéralement, au lieu de se mouvoir le long de ces lignes de champ, et donc d'être beaucoup plus sensibles au champ électrique qui reste orienté dans l'axe du jet. C'est alors que les particules chargées peuvent être accélérées à des énergies démesurées et devenir des rayons cosmiques de ultra-haute énergie.


C'est la forte distorsion à petite échelle du champ magnétique  qui produit l'enchevêtrement des lignes de champs qui à son tour génère des champs électriques très puissants. Les électrons et les protons qui sont accélérés ont un destin différent : les électrons de très haute énergie rayonnent leur énergie sous forme de rayons X (par effet synchrotron) et de rayons gamma (par effet Compton inverse), tandis que les protons, eux, s'échappent du jet en conservant la direction de leur accélération qui correspond à l'axe du jet.
Pour en arriver à leur conclusions, les physiciens ont simulé 550 milliards de particules sur un supercalculateur du Laboratoire National d'Argonne aux Etats-Unis, en reproduisant un mini-jet de trou noir numérique qu'ils ont pu ensuite extrapoler à un cas réel.
Ce qui apparaît bluffant c'est que ce mécanisme d'accélération explique très bien (et pour la première fois) à la fois le spectre des photons de très haute énergie qui est observé dans les noyaux de galaxies actives et les rayons cosmiques les plus énergétiques (jusqu'à 1020 eV), dont l'origine est toujours débattue.
Alvès et ses collaborateurs vont maintenant essayer d'expliquer les observations astrophysiques qui montrent souvent l'existence de variations rapides du rayonnement des jets de trous noirs dans le temps. Ce nouveau mécanisme mis en évidence grâce à la simulation pourrait avoir une importance ici bas : il pourrait être à l'origine de disruptions et d'accélérations de particules plus ou moins intempestives dans les plasmas de fusion tels que ceux des tokamaks. Mais ce nouveau mécanisme pourrait également exister au niveau de la couronne solaire et même dans la magnétosphère terrestre.


Source

Efficient Nonthermal Particle Acceleration by the Kink Instability in Relativistic Jets
E. P. Alves, J. Zrake and Frederico Fiúza,
Physical Review Letters, 121, 245101 (14 December 2018)


Illustration

Visualisation de la forme des lignes de champ et de densité de courant simulés dans un jet relativiste de trou noir (Greg Stewart/SLAC National Accelerator Laboratory)

Aucun commentaire :