Ruprecht 147, ce nom ne vous dit peut-être rien... et pourtant, cet amas d'étoiles situé à 1000 années-lumière, également catalogué sous le nom NGC 6774, est sans doute l'amas d'étoiles le plus ancien situé à proximité du Soleil. Une équipe d'astronomes s'est penché sur cet amas un peu oublié avec les données astrométriques de Gaia, et montre qu'il est en train de se dissoudre à grande vitesse.
Ruprecht 147 est ce qu'on appelle un amas ouvert, un groupe de quelques centaines d'étoiles liées gravitationnellement entre elles. Il est visible avec une paire de jumelles dans la constellation du Sagittaire au début de l'automne. Etant très vaste et situé proche du plan galactique (de très nombreuses étoiles sont situées en arrière-plan) son étude globale est rendue difficile et il n'a de fait jamais été étudié de manière approfondie entre sa découverte en 1830 par John Herschel et sa redécouverte au 20ème siècle par l'astronome Tchèque Jaroslav Ruprecht et le début des années 2000. Ce n'est qu'en 2005 que la distance de Ruprecht 147 a pu être estimée assez précisément, et en 2012 que son âge a été estimé : 2,5 milliards d'années, alors que les amas ouverts, qui sont des restes de régions de formation d'étoiles, sont généralement beaucoup plus jeunes.
Il faut se souvenir que la plupart des étoiles de notre galaxie se forment en groupes dans de grandes régions de formation stellaire, des nuages de gaz et de poussière massifs qui se fragmentent et s'effondrent par fragments jusqu'à atteindre une température à même d'initier des réactions de fusion nucléaire. Les étoiles les plus grosses peuvent devenir si lumineuses qu'elles peuvent décomposer leur voisinage gazeux proche. Les étoiles ainsi formés dans un même nuage initial restent liées entre elles gravitationnellement, séparées par une distance qui peut atteindre plusieurs années-lumière. Après plusieurs centaines de millions ou quelques milliards d'années, ces étoiles se seront éloignées les unes des autres, emportées par des effets de marée gravitationnelle induits par la galaxie ou par des interactions de nuages de gaz rencontrés au cours de leur rotation galactique.
C'est pour cette raison que la plupart sinon tous les amas ouverts que nous connaissons aujourd'hui sont plutôt jeunes : moins d'1 milliard d'années. Les amas ouverts massifs qui parviennent à "survivre" plus d'1 milliard d'années sont très rares et les plus proches sont situés à plus de 2000 années-lumière. Ruprecht 147 s'avère être une exception : il est à la fois très vieux et très proche de nous.
Les amas ouverts d'étoiles nous apprennent beaucoup sur le fonctionnement des étoiles, ce qu'on appelle l'astrophysique stellaire : les caractéristiques et l'évolution des étoiles en fonction de leur masse par exemple. En effet, étant donné que toutes les étoiles d'un amas ouvert sont constituées de la même matière initiale, celle du nuage de gaz et de poussière qui s'est fragmenté, et se sont formées au même moment, les amas fournissent un échantillon d'étoiles similaires mais de masse différente.
On comprend l'énorme intérêt que représente en fait Ruprecht 147, avec son âge de 2,5 milliards d'années et suffisamment proche de nous pour que l'on puisse étudier ces plus petites étoiles (les moins brillantes) en spectroscopie.
Fu Chi Yeh (Vicolo Osservatorio, Padoue) et ses collaborateurs ont eu l'idée d'étudier le statut dynamique de Ruprecht 147 à partir des données de vitesses et de positions très précises qui ont été fournies par le télescope Gaia l'année dernière. Ils publient cette semaine leurs résultats dans The Astronomical Journal, et on peut y découvrir que l'amas ne fait aujourd'hui plus qu'une masse totale de 234 ± 52 M⊙, alors sa masse originelle, estimée par les astronomes par des simulations à N corps (simulations de dynamique stellaire à grand nombres d'objets) devait être de 50 000 ± 6500 M⊙. Ce que Fu Chi Yeh et ses collaborateurs observent surtout, c'est la présence d'une longue traînée d'étoiles à l'arrière de l'amas le long de son orbite galactique : Ruprecht 147 est en train de littéralement se dissoudre dans le disque galactique, et à grande vitesse. Il a déjà perdu 99% de sa masse initiale et il ne lui reste plus qu'à peine plus de 10 millions d'années avant d'avoir complètement disparu, ces étoiles étant dispersées dans le disque de la Galaxie.
Les astrophysiciens ont identifié la cause de cette dissolution de l'amas grâce à la forme de la traînée d'étoiles laissée derrière lui : ce sont uniquement des effets de marée gravitationnelle produits par la Galaxie qui en sont responsables. En quelque sorte, la Galaxie s'uniformise sous nos yeux.
Source
Ruprecht 147: A Paradigm of Dissolving Star Cluster
Fu Chi Yeh, Giovanni Carraro, Marco Montalto, and Anton F. Seleznev
The Astronomical Journal, Volume 157, Number 3 (13 February 2019)
Illustration
L'amas ouvert Ruprecht 147 (Chris Beckett and Stefano Meneguolo, Royal Astronomical Society of Canada)
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