05/08/24

Les plus grosses étoiles ne font pas les plus gros trous noirs

Les plus grosses étoiles ne font pas les plus gros trous noirs quand elles explosent… c’est ce que vient de montrer une équipe d’astrophysiciens, qui publient leur étude dans Astronomy&Astrophysics.

Récemment, un trou noir de 33 M a été découvert dans notre galaxie par Gaia (Gaia BH3). La masse de Gaia BH3 est plus élevée que celle des trous noirs stellaires les plus massifs issus de la génération d’étoiles actuelles (étoiles de la Population I), qui est de 10 à 20 M. L'explication la plus logique de la masse élevée de Gaia BH3 est une faible métallicité (qu’on note Z) de l'étoile progénitrice. Une faible métallicité (abondance en éléments lourds) a également été invoquée pour expliquer la masse des premiers trous noirs détectés par ondes gravitationnelles.

Au cours des cinq dernières années, Jorick Vink (Armagh Observatory, Irlande du Nord) et ses collègues ont étudié systématiquement les ingrédients clés de l'évolution des étoiles massives, qui varient en raison des incertitudes liées au mélange entre le cœur et la surface de l'étoile et à la perte de masse produite par le vent stellaire de l'étoile en fin de vie. En effet, la perte de masse est particulièrement influente pour les étoiles les plus massives (les étoiles de plus de 100 M sont appelées étoiles "très massives"), ainsi que d'autres processus de mélange, y compris ce qu’on appelle la semi-convection ou le transfert d'énergie supplémentaire dans les couches super-adiabatiques.

Comme il y a beaucoup d'incertitudes dans les processus de mélange interne et la perte de masse du vent stellaire des étoiles massives, il n'est pas possible de prédire avec précision la masse stellaire finale au moment de la supernova ou la masse du trou noir résultant, pour une étoile de masse initiale donnée. Mais, en utilisant les contraintes observationnelles et théoriques disponibles, Vink et ses collaborateurs montrent qu'il est possible de compartimenter ces questions et de fournir une masse maximale réaliste de trou noir.

Les chercheurs avaient précédemment effectué l'analyse de la masse maximale de trou noir pour les étoiles à faible métallicité. Ils avaient montré qu’à faible Z (en dessous de ∼10% de la métallicité solaire Z), la masse maximale du trou noir est fixée par la physique de l'instabilité de paires lors de l’effondrement gravitationnel (quand les photons à l’intérieur de l’enveloppe stellaire sont suffisamment énergétiques pour produire des paires électron-positron qui déstabilise la pression de radiation interne), mais à fort Z, cet effet devrait être réduit et on s’attend plutôt à voir la masse maximale de trou noir final fixée par la perte de masse du vent stellaire juste avant l’effondrement et l’explosion de la supernova.

Dans leur étude, Vink et ses collaborateurs utilisent la connaissance globale du mélange intérieur de l’enveloppe stellaire, de la perte de masse par le vent stellaire, ainsi que de la physique associée à la luminosité des supergéantes rouges dans le cadre de ce qu'on appelle la limite de Humphreys-Davidson (théorisée en 1979), qui permet de tenir compte indirectement de la perte de masse éruptive, afin de déduire la masse maximale des trous noirs produits par des étoiles de métallicité solaire Z.

Grâce à leur nouvelle modélisation, les chercheurs trouvent que la masse de trou noir stellaire la plus élevée n'est pas obtenue pour les masses d’étoiles les plus élevées, comme on aurait pu s'y attendre, mais au contraire, la masse de trou noir maximale (qui vaut 30 M) est trouvée pour la gamme de masses stellaires comprises entre 35 et 45 M. Le modèle d’étoile à 35 M perd par exemple seulement 4 M⊙ pendant la combustion de H dans le noyau et 1 M supplémentaire pendant la combustion de l’hélium.

La raison de ce comportement apparemment contre-intuitif est que les astrophysiciens ont inclus une perte de masse qui s'installe au-dessus de la masse de transition de 80 à 100 M. Pour les étoiles les plus massives, les taux de perte de masse sont suffisamment élevés pour non seulement éliminer l'enveloppe d’hydrogène, mais aussi pour enlever de la masse au noyau stellaire. Les masses des trous noirs issus de ces étoiles de Wolf Rayet dépouillées sont de 10 à 15 M au maximum (à Z⊙ rappelons-le). Pour la gamme de masse inférieure à 50 M, la combustion de l'Hélium dans le cœur n'a pas lieu pendant la phase Wolf-Rayet, mais pendant la phase supergéante (bleue, jaune ou rouge). La durée de vie après la combustion de l'He ne représente que 1% de l'évolution stellaire, de sorte que cette perte de masse ne devient pertinente que si le taux de perte de masse après la combustion de l'Hélium du coeur est 100 fois plus puissant que pendant la séquence principale, ou 10 fois plus puissant que pendant les phases de combustion de l'Hélium du coeur.

L'analyse effectuée par Vink et ses collaborateurs implique qu'il serait très improbable de découvrir un trou noir stellaire de 70 M issu d’une étoile de métallicité solaire. Cela ne veut pas dire qu'un trou noir de 70 M ne pourrait pas exister dans la Voie Lactée, mais qu’il devrait dans ce cas s'être formé à une époque antérieure, quand la métallicité était encore inférieure à ∼10% de Z.

La masse totale perdue par les étoiles en fin de vie dans les vents stationnaires dépend à la fois du taux de perte de masse dépendant de la température et de la durée de l'évolution. Pour cette raison, les chercheurs ont considéré à la fois les effets de la perte de masse dans les vents ainsi que du mélange intérieur, mais ils concluent que la masse maximale de trou noir est fixée par la limite de Humphreys-Davidson.

En conclusion, les astrophysiciens mettent en garde sur le fait qu’ils ont utilisé des taux de perte de masse plus élevés pour les étoiles très massives, ce qui leur a permis de conclure que ces étoiles ne produisent pas la masse maximale de trou noir à la métallicité solaire. La raison pour laquelle on peut avoir confiance dans l'implémentation d'un taux de perte de masse élevé pour les étoiles très massives, selon eux, c’est que cette solution est la seule qui explique naturellement les températures effectives presque constantes de ces étoiles à différentes métallicités. Si les taux de perte de masse étaient plus faibles, ils devraient être ajustés pour chaque valeur de masse de ces étoiles très massives afin d'éviter soit une évolution vers le rouge résultant de taux de perte de masse trop faibles, soit une évolution vers le bleu induite par une perte de masse trop élevée.

Les auteurs soulignent également qu'il existe encore de nombreuses incertitudes concernant le mélange intérieur des étoiles massives et la perte de masse du vent stellaire, mais en utilisant des contraintes observationnelles et théoriques clés, ils ont montré qu'il est possible de fournir une masse maximale réaliste pour le trou noir résultant de leur explosion. Si on découvrait un jour un trou noir (à métallicité solaire) d'une masse nettement supérieure à 30 ou 40 M, il faudrait selon eux sérieusement reconsidérer les taux de perte de masse pour les étoiles très massives, car Vink et al. semblent avoir épuisé toutes les autres incertitudes physiques pertinentes dans la modélisation détaillée de l'évolution stellaire.


Source

The maximum black hole mass at solar metallicity

Jorick S. Vink, Gautham N. Sabhahit and Erin R. Higgins

Astronomy&Asrophysics Volume 688 (2 August 2024)

https://doi.org/10.1051/0004-6361/202450655


Illustration

1. Vue d'artiste d'un trou noir dans un système binaire (ESO/L. Calçada)

2. Jorick Vink

2 commentaires :

Anonyme a dit…

Bonjour. Le fichier posté n est pas le bon (C est celui du podcast précédent). Merci encore pour votre excellent podcast

Dr Eric Simon a dit…

Erreur corrigée, merci de m'avoir prévenu !