19/02/25

Sgr A* produit des éruptions en continu


Des astrophysiciens ont découvert avec le télescope Webb que le trou noir supermassif central de notre galaxie, Sgr A*, émettait constamment des éruptions visibles en infra-rouge, sans période de repos, via le disque d’accrétion qui l’entoure. Des éruptions courtes et faibles et des éruptions longues et brillantes semblent être générées par des processus distincts. Ils publient leur découverte dans
 The Astrophysical Journal Letters.

Maintenant que la taille de l'ombre de l'horizon des événements de Sgr A* silhouettée par son disque d'accrétion a été mesurée par l’Event Horizon Telescope à 51,8 μs d’arc, la variabilité de l'émission s'étendant des longueurs d'onde radio aux rayons X est aujourd’hui étudiée de près. La variabilité de l'émission dans le proche infrarouge est notamment un traceur clé de la dynamique du disque d'accrétion interne et des mécanismes qui y sont à l'œuvre. Combiné à d'autres longueurs d'onde, le proche infrarouge sonde l'éjection, l'expansion et le mouvement orbital de la matière (des points chauds) qui se produisent près de l'horizon des événements de Sgr A*. Les observations dans le proche infrarouge ont déjà révélé l’existence de plusieurs éruptions lumineuses par jour à l'échelle de l’heure, localisées dans le disque d'accrétion à quelques rayons gravitationnels du trou noir. Les orbites projetées des points chauds du disque d'accrétion situés à quelques microsecondes d’arc de Sgr A* ont été déterminées à l'échelle par l’instrument GRAVITY sur le VLT en 2018. Les mesures de GRAVITY ont également rapporté une vitesse de point chaud de ~0,3c avec une région émettrice de 2,5 rayons de Schwarszchild (le rayon du trou noir).


En raison de la grande concentration d’étoiles dans le centre galactique, la soustraction du bruit de fond de l'émission variable de Sgr A* est une source de confusion considérable. La complexité de la région au voisinage immédiat de Sgr A* a suscité des débats sur la distribution du flux, le spectre de puissance, l'indice spectral et la périodicité des émissions.

Cette fois, Farhad Yusef-Zadeh (Université Northwestern) et ses collaborateurs ont observé le voisinage très proche de Sgr A* avec le spectroimageur NIRCam de Webb durant 48 heures, réparties sur toute une année (sur plusieurs époques). Les observations du JWST ont l'avantage, par rapport aux instruments d'optique adaptative au sol, d'observer pendant de longues périodes continues et de suivre l'évolution spectrale de l'émission variable grâce à des observations simultanées à plusieurs longueurs d'onde. Ici, les chercheurs se sont concentrés sur les données de NIRCam à 2,1 et 4,8 μm.

Les chercheurs trouvent une variabilité de Sgr A* qui est corrélée à 2,1 et 4,8 μm dans toutes les époques, ainsi qu’une variabilité continue à courte échelle de temps (quelques dizaines de secondes), et une émission variable d'époque à époque impliquant une variabilité à long terme (quelques jours à mois) de Sgr A*. Un point fort de cette analyse est la preuve d'une variabilité temporelle inférieure à la minute, donc à l'échelle de l'horizon de Sgr A*. Les fréquences les plus élevées sont estimées entre 0,45 et 2,34 minute-1, ce qui correspond à des échelles de temps de ~2,2 et 0,43 minute, respectivement. De telles échelles de temps très courtes permettent donc de sonder la taille du disque d'accrétion interne. C’est une première.

Avec des observations continues, les données du JWST suggèrent que le flux de Sgr A* fluctue constamment. L'analyse indique deux processus différents contribuant à la variabilité de Sgr A*. Yusef-Zadeh et ses collaborateurs montrent que l'émission plus brillante tend vers des indices spectraux moins profonds que l'émission plus faible. Et la corrélation croisée des courbes de lumière indique pour la première fois un retard temporel entre 3 et 40 s dans la variabilité de l’émission à 4,8 μm par rapport à celle à 2,1 μm.

La modélisation suggère que l'émission synchrotron de la population d'électrons, en évolution et stratifiée par l'âge, reproduit la forme des courbes de lumière observées avec une estimation directe des intensités de champ magnétique dans la gamme entre 40 et 90 G et une énergie de coupure supérieure, Ec, comprise entre 420 et 720 MeV. Il existerait ainsi des échelles d'énergie caractéristiques des événements d'accélération pour les flux brillants et faibles. L’analyse des astrophysiciens indique que deux populations différentes de particules sont nécessaires pour expliquer la distribution du flux de Sgr A*.  Selon les chercheurs, un scénario plausible est que la composante faible serait l'émission synchrotron de la population électronique dans le disque d'accrétion interne (dont l’énergie suit une loi de puissance à haute énergie (typiquement ~E-4.2)) , et qu'elle serait modérée par les fluctuations turbulentes de la densité et de l'intensité du champ. Cela implique que le disque d'accrétion évolue significativement sur des échelles de temps de l’ordre de 10 heures, comme c’est d’ailleurs apparent dans de nombreuses simulations de magnétohydrodynamique relativiste de Sgr A* (les chercheurs de l’EHT en savent quelque chose).

Comme les données suggèrent que l'éruption brillante ne se produit pas indépendamment des variations plus faibles, Yusef-Zadeh et ses collaborateurs pensent que les électrons non thermiques sont accélérés par des événements de reconnexion occasionnels dans la masse du disque d'accrétion ou bien, alternativement, par l'éjection de plasmoïdes hors du plan du disque. Et les chercheurs ont remarqué une tendance dans les éruptions multiples : les sous-éruptions deviennent de plus en plus fortes sur les côtés ascendants et/ou descendants des événements d'éruption. Si les sous-éruptions et les éruptions sont physiquement associées l'une à l'autre, alors les sous-éruptions doivent être des précurseurs d'éruptions lumineuses.

De plus, les astrophysiciens ont noté un comportement étrange : l'émission IR de base sous-jacente est souvent augmentée immédiatement après une forte éruption. Selon eux, il peut s'agir de signatures d'une activité corrélée : par exemple, l'émission des fortes éruptions lumineuses pourrait rétroagir sur le disque d'accrétion et augmenter son émission globale dans le proche infrarouge, comme une sorte d’écho lumineux.

Les astrophysiciens montrent aussi qu’au cours des sept époques observées sur une année, Sgr A* fluctue constamment aux longueurs d'onde du proche infra-rouge, sans aucune preuve d'un état de repos. On peut dire qu’à 26666 années-lumière de nous, un monstre ne cesse d’agir sur son environnement le plus proche, un trou noir supermassif pas si calme qu’il n’y paraît...


Source

Nonstop Variability of Sgr A* Using JWST at 2.1 and 4.8 μm Wavelengths: Evidence for Distinct Populations of Faint and Bright Variable Emission

F. Yusef-Zadeh,  et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 980, Number 2 (18 february 2025)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ada88b

 

Illustrations

1. Les variations d'intensité du signal infra-rouge émanant de Sgr A* (F. Yusef-Zadeh,  et al.)
2. Images en infra-rouge reconstituées des éruptions de Sgr A* ((F. Yusef-Zadeh,  et al.)
3. Farad. Yusef-Zadeh

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