Le diagramme de Herzprung Russell est une représentation graphique représentant toutes les étapes possibles de la vie des étoiles, en montrant la distribution de leur luminosité en fonction de leur masse qui forme notamment ce qu'on appelle la séquence principale. Une équipe d’astrophysiciens vient de calculer pour la première fois à quoi ressemblerait ce diagramme HR dans les cas où les étoiles baigneraient dans une forte concentration de matière noire qui influerait sur elles en leur apportant de l’énergie additionnelle. On obtient une nouvelle séquence principale avec des températures bien plus basses pour une luminosité équivalente, de quoi faire le lien avec les étoiles apparemment jeunes qui sont observées dans le centre galactique et dont la présence est mal comprise. Et ces étoiles pourraient être éternelles, la matière noire leur fournissant de l’énergie en continu… L’étude est publiée dans Physical Review D.
Au cours de leur vie, les étoiles évoluent le long de trajectoires bien établies au sein desquelles un équilibre entre la force gravitationnelle et la pression de la fusion nucléaire peut être maintenu. Leur spectre de corps noir établit également un lien direct entre leur luminosité, leur température et leur rayon. Ces relations sont visibles sur le diagramme de Hertzprung-Russell, qui représente les luminosités et les températures stellaires observables, traçant les différentes trajectoires que les étoiles empruntent au cours de leur vie en fonction de leur masse.
Cette image standard de l'évolution stellaire suppose que la fusion nucléaire est le seul processus capable de fournir un support de pression à l'étoile. Cependant, dans l'Univers jeune, ou dans les régions très proches du centre des galaxies, où la densité de particules de matière noire devrait être maximale, l'annihilation de ces particules/antiparticules peut constituer une source d'énergie supplémentaire considérable. Dans les cas extrêmes, l'annihilation de la matière noire peut faire reculer les étoiles le long des diagrammes HR vers des configurations protostellaires (ce qu’on appelle la trajectoire de Hayashi) produisant des étoiles qui ont des rayons extrêmement grands et des températures basses par rapport aux étoiles standard. Dans certains cas, l'annihilation de la matière noire peut aussi entraîner la dislocation totale des étoiles.
Isabelle John (université de Stockholm) et ses collaborateurs ont calculé pour la première fois l'évolution de la séquence principale sous l'influence d'une injection significative d'énergie issue de l’annihilation de la matière noire dans le cœur des étoiles. Ils ont construit un nouveau diagramme HR dans lequel apparaît une nouvelle séquence principale, dite séquence principale sombre. Plus précisément, ils y découvrent l’existence d’une nouvelle branche d'étoiles de masse plus élevée, qui se distinguent de la séquence principale standard d'un point de vue observationnel. La stabilité de ces étoiles est analogue à l'équilibre hydrostatique des étoiles standard : lorsque l'étoile se dilate, le taux de capture de matière noire peut diminuer, ce qui provoque une nouvelle contraction de l'étoile. Et l'accrétion continue de matière noire permet à ces étoiles de maintenir l'équilibre éternellement, selon les chercheurs, ce qui fait que la séquence principale sombre domine la population stellaire.
À ce jour, le nombre d'étoiles connues dans le parsec interne du centre galactique est limité, et un plus grand nombre d'étoiles est nécessaire pour détecter de manière robuste tout effet éventuel de la matière noire. John et ses collaborateurs estiment que ce sera possible avec les prochains télescopes de la classe des trente mètres, qui mesureront de nombreuses nouvelles étoiles près du centre galactique. D’après les astrophysiciens, les étoiles du centre de notre galaxie qui sont déjà connues sont en fait déjà très intéressantes car elles révèlent de nombreuses anomalies qui pourraient être résolues par la séquence principale sombre, selon John et ses collaborateurs.
Les modèles de formation stellaire suggèrent que les étoiles ne peuvent pas se former à moins de ∼0,1 pc du trou noir central. Et c’est justement là où se trouvent les étoiles de l'amas S, les étoiles les plus proches de Sgr A*. On pense aujourd’hui que ces étoiles doivent s'être formées ailleurs et avoir migré vers le centre galactique. Mai a contrario, les observations suggèrent que les étoiles de cette région sont jeunes ( ≲15 Mégannées), ce qui indique que ces étoiles pourraient s'être formées plus localement... La tension entre ces deux observations est connue sous le nom de « paradoxe de la jeunesse » : les étoiles du centre galactique sont aussi brillantes que des étoiles jeunes mais présentent des caractéristiques spectroscopiques d'étoiles plus évoluées. En outre, il existe aussi une « énigme de la vieillesse », qui décrit la rareté des étoiles vieilles et évoluées, malgré le fait que les modèles prédisent qu’on devrait détecter de nombreuses étoiles évoluées. Enfin, les observations indiquent que la fonction de masse initiale des étoiles près du centre galactique est étonnamment lourde au sommet (c’est-à-dire biaisée en faveur des étoiles à haute masse). Les observations indiquant que la distribution des naissances stellaires se situe entre dN/DM ~ 𝑀-1,7 et ~𝑀-0,45, alors que l'indice de Salpeter standard dN/DM (la distribution des masses initiales) est ~𝑀-2,35. Ces observations anormales sont propres aux étoiles du Centre Galactique, et ne sont pas bien expliquées par les modèles conventionnels d'évolution stellaire.
Or, le centre de la galaxie est exactement l'endroit où la densité de matière noire serait suffisamment élevée pour que l'annihilation de la matière noire remplace substantiellement la fusion nucléaire comme source d'énergie stellaire, ce qui permettrait aux étoiles de rester éternellement jeunes malgré leur âge avancé.
Ca expliquerait le paradoxe de la jeunesse (parce que les étoiles ont eu suffisamment de temps pour migrer vers le centre galactique). Et ça expliquerait également l'énigme de la vieillesse (parce que les étoiles continuent à résider sur la séquence principale ou à proximité). L'effet est maximisé dans les étoiles de masse relativement élevée ( ≳5𝑀⊙), alors que les étoiles moins massives ont tendance à évoluer vers l'arrière le long de la bande de Hayashi dans le diagramme ou à être entièrement perturbées. Cela implique mécaniquement que la distribution stellaire devrait avoir une fonction de masse initiale très élevée. Et c'est ce qui est observé aujourd'hui...
John et ses collaborateurs, en prenant en compte l'effet de l'annihilation de la matière noire à l'intérieur des étoiles, ont en fait simulé une population stellaire complète qui inclut, pour la première fois, les étoiles les plus massives, qui correspondent aux étoiles récemment détectées dans la partie la plus interne de la Galaxie.
Cette nouvelle séquence principale sombre présente donc trois caractéristiques qui la distinguent clairement de l'évolution stellaire standard de la séquence principale classique :
(1) une fonction de masse initiale lourde au sommet, produite par l'élimination efficace des étoiles de faible masse de la séquence principale vers des emplacements sur les bandes de Hayashi ou au-delà,
(2) une bande de Hayashi brillante et densément peuplée, produite par les étoiles de plus faible masse de la séquence principale qui atteignent des équilibres éternellement stables dans des configurations à grands rayons stellaires et à basses températures,
(3) une bande de Henyey brillante et densément peuplée aux masses plus élevées, peuplée d'étoiles pratiquement immortelles (avec une durée de vie typique >10 Gigannées), des étoiles de grande masse avec des luminosités similaires mais des températures légèrement inférieures à leurs configurations de la séquence principale classique.
Donc les trois anomalies dans les observations stellaires du centre galactique peuvent être expliquées simultanément par l'évolution stellaire le long de la séquence principale sombre. La fonction de masse initiale très dense, le paradoxe de la jeunesse et l'énigme de la vieillesse. Elles peuvent être expliquées si les étoiles de masse relativement élevée sont alimentées indéfiniment par l'annihilation de la matière noire.
Les prédictions de population stellaire auront des implications importantes pour les observations extrêmement difficiles des étoiles du centre galactique. Vérifier ou infirmer l'évolution de la séquence principale sombre nécessitera la détection de nouvelles étoiles pour un échantillonnage suffisant et une population suffisante de la séquence principale sombre. Cela sera possible grâce à de nouveaux télescopes, ceux de la classe des 30 mètres, ou grâce à des étoiles supplémentaires du groupe S entourant Sgr A* mesurées avec le Very Large Telescope ou le télescope Keck. En détectant la séquence principale sombre, les futurs télescopes offriraient ainsi une nouvelle voie de découverte de la matière noire.
Source
Dark branches of immortal stars at the Galactic Center
Isabelle John et al.
Phys. Rev. D 112 (18 July, 2025)
https://doi.org/10.1103/PhysRevD.112.023028
Illustration
1. La séquence principale "sombre" (à droite) comparée à la séquence principale standard du diagramme de Herzsprung-Russell
2. Isabelle John
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