mercredi 2 décembre 2015

Mise au jour des baryons manquants de l'Univers

On parle souvent de la très faible abondance de matière ordinaire dans l’Univers : à peine 5% de la quantité totale de matière-énergie, le reste étant accaparé par l’énergie noire (68%) et la matière noire (27%). Mais parmi ces 5% de matière baryonique, celle dont sont faites les étoiles et nous avec, saviez-vous que près de la moitié est encore introuvable ? Enfin, plus maintenant car un grand pas vient tout juste d’être franchi...



L'amas de galaxies Abell 2744 imagé par le télescope
spatial Hubble (NASA/ESA)
Des simulations numériques montraient que ces « baryons manquants », comme on appelle cette portion de matière formant la moitié de la matière baryonique, devaient se trouver sous la forme de vastes étendues de gaz chaud à quelques millions de degrés, tapissant la toile cosmique. Ce n’étaient que des hypothèses fortes mais une équipe d’astrophysiciens vient d’observer pour la première fois ce gaz très diffus associé aux filaments intergalactiques de matière.

Les chercheurs suisses de l’Université de Genève et de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne ont observé un amas de galaxie nommé Abell 2744 avec le télescope à rayons X XMM-Newton, qui est capable de détecter l’émission de gaz très chaud. Plus précisément, les astrophysiciens se sont intéressés aux régions situées juste autour de Abell 2744, qui sont répertoriées comme des zones filamentaires. Rappelons que la matière à très grande échelle se distribue en une sorte de réseau formé de nœuds reliés entre eux par de grands filaments de matière. Les nœuds sont les zones de plus forte de densité de matière (ordinaire et noire) où l’on retrouve naturellement les amas de galaxies. Ce vaste réseau est parfois appelée la « toile cosmique ».
Dominique Eckert et ses collaborateurs ont donc pointé XMM-Newton dans les zones filamentaires entourant l’amas Abell 2744 et ont réussi à détecter la présence de gaz  dont la température avoisine les 10 millions de degrés. Les chercheurs parviennent non seulement à mesurer la température de ce gaz chaud mais aussi à en déterminer la densité sur une distance s'étalant jusque 8 Mégaparsecs (environ 30 millions d'années-lumière). Et la valeur de masse qu’ils obtiennent colle parfaitement aux modèles de simulation numérique en expliquant la vraie nature de ces baryons manquants vus directement pour la première fois. Ce gaz chaud ferait entre 5 et 10% de toute la masse des filaments (matière noire comprise).
Cartographie du gaz chaud à l'intérieur et autour de Abell 2744
(Eckert et al./Nature)

Les résultats de cette étude publiée cette semaine dans la prestigieuse revue britannique Nature apportent ainsi une validation importante des modèles de formation des galaxies développés depuis de nombreuses années par les astrophysiciens et cosmologistes. Il reste maintenant à montrer que le cas observé autour de Abell 2744 n’est pas un cas particulier et qu’il peut se généraliser à l’Univers entier, mais les astrophysiciens semblent désormais confiants que l’explication des baryons manquants par la présence de gaz chaud peuplant les filaments de matière de la toile cosmique soit la bonne explication.

L’intérêt pour les régions filamentaires de l’Univers ne fait que commencer. Il sera notamment très intéressant pour les astrophysiciens de connaître plus en détail la composition chimique de ces vastes étendues, notamment en noyaux « lourds », qui tracent la production totale des étoiles depuis l’origine des premières galaxies.

Le futur télescope à rayons X Athena, que doit lancer l’Agence Spatiale Européenne à la fin des années 2020 devrait notamment jouer un rôle important dans la suite de cette caractérisation des baryons « manquants » qui vont finir par perdre définitivement leur qualificatif.


Source :

Warm–hot baryons comprise 5–10 per cent of filaments in the cosmic web
D. Eckert et al.
Nature 528, 105–107 (03 December 2015)
http://dx.doi.org/10.1038/nature16058


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