Le 26 février dernier je vous relatais la découverte d'un énorme trou noir supermassif de 12 milliards de masses solaires situé dans l'Univers âgé de seulement 900 millions d'années, une véritable énigme pour les astrophysiciens qui comprennent mal comment un tel objet a pu grossir autant en si peu de temps. Aujourd'hui, un astrophysicien théoricien propose une solution qui sort des sentiers battus.
C'est à Lucio Mayer, de l'Université de Zürich, que l'on doit cette proposition, qui a été présentée le 15 décembre dernier au Texas Symposium on Relativistic Astrophysics et qui avait été publiée dans The Astrophysical Journal en septembre. L'idée repose sur le fait que ces premiers trous noirs supermassifs ne seraient pas nés par coalescence puis fusion successives de trous noirs plus petits, prenant pour origine des graines de trous noirs stellaires, mais directement par l'effondrement de très gros nuages de gaz très denses dans le cœur des premières galaxies naissantes. La proposition de Mayer devra certes être acceptée par les spécialistes, mais si elle se trouve correcte, elle permettrait d'expliquer ce mystère des très gros trous noirs qui sont trouvés dans l'Univers jeune (moins d'un milliard d'années).
Vue d'artiste d'un trou noir supermassif (Swinburne Astronomy Productions) |
Les toutes premières étoiles, certaines d'entre elles faisant facilement 100 masses solaires, sont apparues quelques centaines de millions d'années après le Big Bang, formant les toutes premières galaxies. Ces grosses étoiles ne vécurent pas très longtemps, quelques millions d'années, et laissèrent derrière elles des trous noirs de même masse environ (de l'ordre de 100 masses solaires). Mais c'est à peine quelques centaines de millions d'années après l'apparition de ces premiers trous noirs de 100 masses solaires que sont observés les trous noirs supermassifs les plus lointains, ayant une masse de l'ordre de 10 milliards de masses solaires. Comment expliquer un grossissement d'un facteur 100 millions en 500 millions d'années ? Des idées ont été proposées mais aucune ne permet d'expliquer facilement les observations sans avoir recours à des subterfuges difficilement acceptables.
Lucio Mayer a lui aussi essayé de donner une explication à ce mystère, et en a trouvé une qui semble tout à fait intéressante, pour ne pas dire élégante. La recette nécessite une très grosse quantité de matière, on s'en doute. Il faut que cette matière puisse se concentrer sur elle-même sous l'effet de sa propre gravité. Le gaz galactique apparaît être un très bon candidat, mais le problème est qu'il semble ne pas pouvoir atteindre l'état ultra-dense requis, car il a plutôt tendance à se refroidir et à s'arranger en petits globules qui finissent par former des étoiles.
Mais il existe un cas où ce pourrait ne pas être le cas et c'est ce qu'à trouvé Lucio Mayer : Lorsque deux galaxies primordiales se collisionnent - des galaxies pleines de gaz -, leur gaz pourrait ne pas former d'étoiles tout de suite. La fusion des deux galaxies peut en effet produire des fortes instabilités qui ont pour effet de réchauffer le gaz et ainsi empêcher la condensation en étoiles. Il en résulterait que le gaz des deux galaxies continuerait à se densifier très rapidement et fortement au centre de la galaxie résultante sans pouvoir se fragmenter. Un flot de gaz de 10 000 masses solaires par an convergerait vers le centre du disque galactique qui finirait par devenir si compact qu'il s'effondrerait sur lui-même, en formant directement un trou noir supermassif de 100 millions à un milliard de masses solaires. Tout se passerait en seulement 10 000 ans, sans passer par la case étoile, bien sûr.
Lucio Mayer a obtenu ce résultat grâce à des simulations numériques avancées. Comme l'effondrement du gaz ainsi obtenu a lieu sans aucune émission de rayonnement, Mayer l'appelle un effondrement sombre (dark collapse).
Mais certains astrophysiciens restent sceptiques face au processus proposé, arguant que si le gaz est si échauffé qu'il ne peut pas former d'étoiles, il ne devrait pas pouvoir atteindre la masse critique non plus. Pour le moment, les astrophysiciens ne peuvent se fier qu'à des simulations numériques de plus en plus raffinées, car l'observation directe de la naissance des trous noirs supermassifs est encore hors de notre portée. Lucio Mayer annonce qu'il va effectuer de nouvelles simulations encore plus réalistes prenant en compte des effets relativistes. Mais il annonce tout de même que le processus d'effondrement sombre pourrait être détectable via les ondes gravitationnelles qu'il devrait générer en grandes quantités. Les ondes gravitationnelles de naissance des trous noirs supermassifs par ce processus seraient par exemple détectables avec le futur détecteur spatial eLisa.
Sources :
Direct formation of supermassive black holes; from mergers of protogalaxies to global relativistic collapse
L. Mayer, D. Fiacconi and P. Montero
28th Texas Symposium on Relativistic Astrophysics, Geneva, December 15, 2015.
Direct formation of supermassive black holes in metal-enriched gas at the heart of high-redshift galaxy mergers.
L. Mayer et al.
Astrophysical Journal. Vol. 810, September 1, 2015, p. 51.
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