vendredi 11 décembre 2015

KM3Net, gigantesque détecteur de neutrinos européen

Le premier élément du futur grand télescope à neutrinos vient d’être installé avec succès dans les eaux de la Méditerranée au large de la Sicile. KM3Net aura une dimension de plusieurs kilomètres cubes et devrait détecter des neutrinos ultra énergétiques en provenance d’autres galaxies ainsi que ceux issus des phénomènes les plus violents de l’Univers.



Le principe de KM3Net est similaire à celui déployé depuis plusieurs années par le détecteur IceCube dans la glace antarctique et avant lui par le détecteur Antarès en Méditerranée déjà, dont il est le successeur à plus grande échelle : les neutrinos interagissent dans l’eau sur des noyaux d’atomes d’oxygène ou d’hydrogène et produisent alors des muons (si  les neutrinos sont du type muonique). Les muons produits ayant une grande énergie cinétique, leur vitesse est supérieure à la vitesse de la lumière dans l’eau (qui est 30% inférieure à la vitesse de la lumière dans le vide), ces muons produisent alors un rayonnement lumineux appelé rayonnement Cherenkov. Le détecteur KM3Net, comme IceCube ou d’autres du même type est constitué d’une multitude de capteurs de lumière très sensibles qui vont mesurer la lumière Cherenkov. A partir de ces signaux, les physiciens reconstruisent toute l’histoire des interactions jusqu’à l’origine probable du neutrino qui a osé pénétrer dans les eaux turquoise de la Méditerranée ou dans la glace du pôle sud.
Illustration du système de détection de KM3Net
(échelles non respectées) (KM3Net Collaboration)

Les capteurs de lumière de KM3Net vont permettre de déterminer la position et l’instant des flashs de lumière Cherenkov avec une résolution spatiale de 10 cm et une résolution temporelle de 1 ns seulement. La direction du muon énergétique (et par suite celle du neutrino initial) pourra ainsi être déterminée avec une résolution angulaire de 0,1°.

Une fois complètement déployé, KM3Net, qui est un projet entièrement européen, sera le plus grand détecteur de neutrinos de l’hémisphère Nord. De tels volumes énormes sont rendus indispensables par le fait que les neutrinos n’interagissent que très rarement avec la matière (ils peuvent par exemple traverser la Terre de part en part). Et pour augmenter la probabilité d’en capturer quelques-uns, la seule solution, outre celle d’attendre très longtemps, est de multiplier la masse de détection, de l’eau ici en l’occurrence. La densité de l’eau étant difficilement compressible, il faut donc un très grand volume, de l’ordre du kilomètre cube… L’intérêt d’installer des détecteurs à très grande profondeur est aussi de pouvoir réduire l’effet du rayonnement cosmique naturel (des muons principalement), qui génère un bruit de fond indésirable pour la détection des neutrinos.

Les détecteurs de lumière Cherenkov de KM3Net seront disposés sous la forme d’un réseau de plusieurs centaines de cordes verticales, fermement attachées au fond de la mer à une profondeur de 3500 m. Chaque corde est munie de 18 capteurs de lumière espacés d’une distance égale sur 700 m. Les multidétecteurs envoient leurs signaux vers une centrale qui est reliée par 100 km de câbles électriques et de fibres optiques à une station sur terre située à Portopalo di Capo Passero, dans le sud de la Sicile, d’où sont alimentés et contrôlés les systèmes de détection. Le 3 décembre dernier, c’est la première ligne de détecteurs qui a été installée et attachée sur le fond marin grâce à un sous-marin robotisé téléguidé depuis un bateau.


Quelques unités de détection munies de photomultiplcateurs
(KM3Net)
Les toutes premières acquisitions de données ont pu être effectuées très vite après l’installation et ont montré le bon fonctionnement de l’ensemble. Ce succès vient couronner près de 10 ans de recherche et développement par de nombreuses institutions de recherche européennes. La production des milliers de capteurs de lumière nécessaires pour la poursuite de l’installation de KM3Net dans un premier temps sur deux sites méditerranéens (au large de la Sicile et au large de Toulon en France) va pouvoir être enclenchée, pour une mise en service d’une première version utile pour faire de la science dans le courant 2016. Un troisième site au large de la Grèce pourrait être ajouté dans quelques années, pour atteindre le nombre impressionnant de 700 lignes et plus de 12500 photodétecteurs et surpasser les performances de IceCube de plusieurs facteurs.

La science effectuée par KM3Net se divisera en deux grands projets, d’une part l’étude des sources de neutrinos astrophysiques avec le projet ARCA (Astroparticle Research with Cosmics in the Abyss), plutôt associé à l’installation sicilienne, et d’autre part l’étude des caractéristiques des neutrinos, notamment leur oscillation d’une saveur à l’autre avec le projet ORCA (Oscillations Research with Cosmics in the Abyss), dédié à l’installation française avec une structure de répartition des détecteurs légèrement différente, plus dense, et qui devrait fournir des données précieuses sur le problème de la hiérarchie des masses des neutrinos en mesurant les oscillations que subissent les neutrinos atmosphériques lors de leur traversée de la Terre depuis leur production aux antipodes.
L'astronomie neutrino européenne est prête à prendre son envol...

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