samedi 30 septembre 2017

Première mesure de la polarisation de la lumière d'une étoile chaude

Il arrive souvent en physique ou en astrophysique qu'un effet soit prédit théoriquement et soit observé seulement des décennies plus tard. Les ondes gravitationnelles en sont le plus bel exemple. Il existe un autre phénomène qui avait été prédit il y a 50 ans et qui vient tout juste d'être observé pour la première fois : l'existence de lumière polarisée sur les bords d'étoiles distordues par leur rotation très rapide.



C'est l'astrophysicien indien Subramayan Chandrasekhar qui a prouvé théoriquement en 1946 que les étoiles devaient émettre une lumière polarisée au niveau de leur limbe. Mais cette polarisation devient nulle en moyenne lorsque l'on observe tout le disque de l'étoile, ce qui est quasi tout le temps le cas. Le seul moyen de pouvoir observer ce phénomène physique serait lorsque l'étoile est éclipsée par une compagne de taille similaire. Mais en 1968, deux américains, Patrick Harrington et George Collins, ont proposé une nouvelle façon de détecter cette lumière polarisée, qui nécessite une brisure de la symétrie sphérique de l'étoile : certaines étoiles tournent si vite sur elles-mêmes qu'elles se trouvent déformées, et cette distorsion devait suffire à produire une polarisation nette non-nulle, donc observable. 
C'est la diffusion de la lumière par les électrons libres dans l'atmosphère chaude de l'étoile qui est responsable de l'apparition de polarisation. Chaque point de l'étoile doit montrer une polarisation de la lumière soit perpendiculaire, soit parallèle à la droite joignant le centre. Lorsque l'étoile est de symétrie sphérique, l'intégration sur toute la surface donne une polarisation nette nulle, mais ce n'est plus le cas pour les étoiles chaudes en rotation rapide, qui se déforment par la force centrifuge, et qui subissent également un gradient de température entre l'équateur et les pôles par cette rotation, ce qui influe également sur la polarisation créée. 
Une telle mesure semblait jusque là hors de portée tant la précision requise devait être grande. Mais la technologie des polarimètres a progressé fortement depuis quelques décennies et la mesure est devenue envisageable.
Daniel Cotton (University of New South Wales) et ses collègues se sont intéressés de près à une étoile en rotation très rapide, une étoile proche bien connue que vous pouvez admirer dans le ciel du printemps : Regulus, l'étoile principale de la constellation du Lion, qui est une étoile chaude, située à 24,3 pc (79 années-lumière), et en rotation rapide. Les astronomes ont exploité un polarimètre de très haute précision, nommé High Precision Polarimetric Instrument (HIPPI), monté sur le télescope de 3,9 m Anglo-Australian Telescope, leur permettant de mesurer des polarisations au niveau de la partie par million. Ils ont ainsi réussi à mesurer une polarisation de +42 ppm à la longueur d'onde de 741 nm (bleu) et -22 ppm à 395 nm (rouge). L'inversion de polarisation observée entre le bleu et le rouge est typique d'une polarisation induite par la rotation stellaire.
Grâce à cette polarisation de la lumière de Regulus, les astronomes australiens peuvent déduire avec une bonne précision la vitesse de rotation de l'étoile. Ils trouvent que Regulus tourne à 320 km/s, soit 96,5% ± 0,7% de sa vitesse angulaire critique avant brisure. Ils peuvent aussi déterminer comment est orientée Regulus : son axe de rotation est incliné de 79,5 ± 0.7°, une valeur en parfait accord avec des mesures interférométriques indépendantes.
Connaître précisément la vitesse de rotation des étoiles est très important pour bien comprendre leur environnement ainsi que leur évolution. Cette prouesse est importante non seulement pour valider une théorie vieille de 50 ans, mais aussi pour fournir un nouvel outil très performant pour fournir des mesures très précises en astronomie stellaire, plus précises que celles obtenues en spectroscopie ou en interférométrie. Les niveaux de précision atteints par ce nouveau polarimètre pourraient également être exploités pour l'étude d'exoplanètes dont le transit doit fournir lui aussi une très faible signature de polarisation en brisant périodiquement la symétrie de l'émission de leur étoile.


Source

Polarization due to rotational distortion in the bright star Regulus
Daniel V. Cotton, Jeremy Bailey, Ian D. Howarth, Kimberly Bott, Lucyna Kedziora-Chudczer, P. W. Lucas & J. H. Hough
Nature Astronomy (18 septembre 2017)


Illustration

Visualisation de la forme et de la polarisation de Regulus (D. Cotton et al., Nature Astronomy)

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