jeudi 20 décembre 2018

Une composition isotopique atypique dans une nébuleuse planétaire


L'abondance des éléments chimiques peut être mesurée assez facilement dans les étoiles qui les fabriquent dans leur cœur, mais il en est tout autrement lorsqu'il s'agit de l'abondance isotopique, la population de différents noyaux atomiques que peut avoir un même élément, des noyaux d'atomes qui ne diffèrent entre que par leur nombre de neutrons. Une étude publiée aujourd'hui dans Nature donne une mesure de l'abondance isotopique dans une nébuleuse planétaire, montrant un enrichissement inattendu en isotopes rares du carbone, de l'azote et de l'oxygène : le 13C, le 15N et le 17O, de quoi révéler l'existence de processus physiques insoupçonnés.




Deborah Schmidt (Université d'Arizona) et son équipe ont observé une jeune nébuleuse planétaire bipolaire située à 15000 années-lumière nommée K4-47, formée par l'éjection de matière d'une étoile en fin de parcours. Les spécialistes ne s'attendaient pas à trouver ces isotopes dans une nébuleuse planétaire de ce type. Toutes les simulations d'évolution stellaire montrent en effet que des étoiles du type du Soleil peuvent fabriquer du carbone et de l'azote mais très majoritairement dans leur isotopes les plus communs 12C et 14N. De plus, la théorie prédit que les isotopes les plus rares (avec un neutron en plus), ne sont pas fabriqués par les étoiles qui produisent une nébuleuse planétaire en fin de vie. C'est avant-tout après des phénomènes explosifs de type novas que l'on peut trouver le 13C, le 15N et le 17O, des processus où se conjuguent haute température, haute pression et grandes quantités de protons. K4-47 serait donc un objet très inhabituel. 
Les ratios isotopiques 12C/13C, 14N/15N et 16O/17O sont particulièrement importants car ils sont des traceurs des processus de nucléosynthèse dans les étoiles et peuvent donner des indications sur les processus chimiques qui apparaissent dans la matière interstellaire primitive qui a ensuite évolué et se retrouve aujourd'hui autour de nous et en nous. Or l'origine des isotopes 15N et 17O reste encore mal cernée.
Les astronomes américains ont observé K4-47 dans le domaine des ondes radio millimétriques avec le radiotélescope de Kitt Peak dans l'Arizona. Ils mesurent des raies d'émission d'espèces carbonées spécifiques qui permettent de déterminer des ratios isotopiques du carbone, de l'azote et de l'oxygène. Ils trouvent des ratios 12C/13C, 14N/15N et 16O/17O étonnamment faibles, respectivement de 2,2 ± 0,8 pour le carbone, 21,4 ± 10,3 pour l’oxygène et 13,6 ± 6,5 pour l'azote. Pour comparaison, ces mêmes valeurs de ratios isotopiques dans le Soleil valent respectivement 89,4 ± 0,2, 2632 ± 7 et 435 ± 57.
Deborah Schmidt et ses collaborateurs proposent plusieurs explications à ces ratios isotopiques inattendus dans la nébuleuse planétaire K4-47. La première explication serait que l'étoile progénitrice de la nébuleuse ait connu un événement explosif, un "flash de couche d'hélium" juste avant de produire la nébuleuse. Ce processus permettrait de mélanger du carbone-12 chaud du cœur de l'étoile avec ses couches externes plus froides et riches en hydrogène et hélium en train de fusionner. L'arrivée du carbone chaud dans ces couches élèverait leur température et induirait les réactions nucléaires du cycle CNO "chaud" produisant les isotopes riches en neutrons. Cette idée novatrice reste encore à vérifier, notamment par des simulations numériques. Le problème vient du fait que de tels phénomènes explosifs de type nova devraient aussi produire des éjections de matière à grande vitesse... qui ne sont pas observés dans K4-47.
Une autre explication avancée serait liée aux étoiles géantes de type J, qui montrent justement des ratios isotopiques similaires à ce qui est observé dans K4-47. L'origine des étoiles J est en revanche encore très mal comprise, mais elles pourrait être associée à l'évolution d'un système binaire en interaction étroite. Il est justement notable que des interactions entre étoiles d'un système binaire sont le plus souvent évoquées pour expliquer la forme particulière des nébuleuses bipolaires, ayant des émissions de matière très collimatées, comme c'est le cas pour K4-47. Les chercheurs spéculent que la forme particulière de K4-47 (en forme de sablier) et sa composition isotopique pourraient alors avoir une origine commune, l'interaction forte, voire la fusion, de deux étoiles...

Clairement, K4-47 qui possède en même temps des caractéristiques de nova et de nébuleuse planétaire, mais qui ne vont pas ensemble, va devoir subir de nouvelles observations et sans doute être l'objet de nouvelles simulations avancées si on veut comprendre de quoi cet objet atypique est le nom. Ces observations de K4-47 suggèrent en effet que la nucléosynthèse des trois éléments les plus abondant dans l'Univers après l'hydrogène et l'hélium, dans leurs variantes isotopiques, n'est pas encore très bien comprise.


Source

Extreme 13C,15N and 17O isotopic enrichment in the young planetary nebula K4-47
D. R. Schmidt, N. J. Woolf, T. J. Zega & L. M. Ziurys 

Nature volume 564, pages 378–381 (20 december 2018)
https://doi.org/10.1038/s41586-018-0763-1


Illustrations

1) La nébuleuse planétaire bipolaire M2-9, similaire à K4-47 (ESA/Hubble & NASA/Judy Schmidt)

2) K4-47 imagée avec ALMA en ondes millimétriques (D.R Schmidt et al.)

2 commentaires :

Anonyme a dit…

Bonjour,
dans le premier paragraphe, vous parlez d'isotope rare que sont 12C, le 15N et le 17O.
Or dans le second paragraphe, vous dites que 12C est un isotope commun, et vous parlez de 13C.

Je suppose qu'il y a une typo dans le premier paragraphe et que vous vouliez dire 13C.

Cordialement,
Flo

Dr Eric Simon a dit…

Oui, vous avez bien vu cette petite coquille... Merci.