lundi 23 mars 2020

Un scénario élégant pour expliquer les trous noirs supermassifs


Une équipe d'astrophysiciens italiens vient de publier une solution élégante pour expliquer la création des graines des trous noirs supermassifs et leur grossissement rapide. Elle serait liée à la migration et à la fusion de milliers de résidus compacts d'étoiles massives (étoiles à neutrons et trous noirs stellaires) dans les régions centrales des toutes premières galaxies. Une étude parue dans The Astrophysical Journal.



Lumen Boco (SISSA, Trieste) et ses collaborateurs s'intéressent à une des questions les plus passionnantes de l'astrophysique, celle de l'origine des trous noirs supermassifs qui peuplent le centre des galaxies. Ces trous noirs géants posent un problème car on en a découvert qui ont plusieurs milliards de masses solaires dans l'Univers âgé de moins de 1 milliard d'années. Or, d'après ce que l'on connait de la physique des trous noirs, il faut du temps pour faire grossir un tel trou noir jusqu'à ces niveaux de masse. A tel point que par la méthode classique d'accrétion de gaz, il faudrait que les trous noirs parviennent à accréter de la matière au delà de la limite d'Eddington, une limite qui apparaît en théorie lorsque le rayonnement du à l'échauffement du gaz accrété empêche le gaz de continuer à tomber vers le trou noir... et donc de faire grossir le trou noir. Un point un peu épineux.
Mais les chercheurs italiens montrent qu'à partir d'hypothèses et de conditions initiales raisonnables (sur le profil de densité du gaz des jeunes galaxies et la population de résidus stellaires compacts), un processus de type friction dynamique gazeuse, associé à la perte d'énergie orbitale par émission d'ondes gravitationnelles peut conduire à la migration des très nombreux résidus d'étoiles massives de première génération vers le centre des premières galaxies où elles sont nées et ont très vite explosé (en à peine quelques millions d'années). 
Les astrophysiciens sont partis du principe simple que les trous noirs supermassifs grossissent au centre des galaxies et c'est aussi au centre des galaxies que se trouvent d'énormes quantités de gaz, et là aussi que se sont formées le plus d'étoiles dans les premières galaxies. Or ces toutes premières étoiles, formées d'hydrogène pur, pouvaient être très massives (plusieurs centaines voire milliers de masses solaires) et donc ont dû exploser très rapidement en laissant derrière elles des trous noirs ou des étoiles à neutrons. 
Mais Boco et ses collègues montrent que le gaz qui les entoure alors est dense et a un puissant effet de friction dynamique, ce qui perturbe le mouvement des trous noirs stellaires et étoiles à neutrons et produit une migration très rapide des astres moribonds vers le centre de la galaxie. Selon les chercheurs, une fois concentrés au centre des galaxies, ces centaines ou milliers d'astres compacts auraient facilement fusionnés entre eux, menant très vite à un trou noir de très grande masse. Les astrophysiciens italiens calculent que le processus peut produire un trou noir central de masse comprise entre 1000 et 1 million de masses solaires en seulement 10 millions d'années ! Ces trous noirs de masse intermédiaire ou déjà supermassifs peuvent ensuite être les graines indispensables au mécanisme (classique) de grossissement par accrétion de gaz.
Le mécanisme proposé ôte une épine du pied des astrophysiciens en offrant une réponse pour expliquer l'existence des très gros trous noirs supermassifs qui sont observés quand l'Univers n'avait que 800 millions d'années, soit 500 millions d'années après l'apparition des premières étoiles. En effet, à partir de graines de trous noirs qui font déjà 1 million de masses solaires, le grossissement par accrétion de gaz devient très efficace et peut donner les gros trous noirs supermassifs qui sont observés dans l'Univers jeune sans avoir besoin de dépasser la fameuse limite d'Eddington.
La conclusion des chercheurs italiens est que c'est tout à fait normal de trouver des trous noirs supermassifs de plusieurs milliards de masses solaires dans l'Univers âgé de seulement 800 millions d'années. Le mystère du célèbre trou noir J0100+2802 avec ses 12 milliards de masses solaires 875 millions d'années après le Big Bang serait ainsi résolu...

Pour finir, les astrophysiciens théoriciens italiens font une évaluation des perspectives de détection de tels événements de fusions multiples d'astres compacts avec un trou noir supermassif en formation, via l'émission d'ondes gravitationnelles qui doit y être associée. Les futurs détecteurs gravitationnel comme le Einstein Telescope (au sol) et LISA (Laser Interferometer Space Antenna) (en orbite vers 2034), pourraient effectivement détecter un signal qui validerait ce scénario. Avant la mise en service de ces futurs grands instruments, les interféromètres LIGO, Virgo et KAGRA pourraient également, avec tout de même une meilleure sensibilité, fournir des indices intéressants en détectant le processus quand la graine de trou noir supermassif est encore relativement "petite".
Ce travail théorique supporté par des simulations numériques est une belle avancée dans la compréhension des trous noirs supermassifs et devrait capitaliser les informations qui seront obtenues par l'observation des ondes gravitationnelles dans le futur.


Source

Growth of Supermassive Black Hole Seeds in ETG Star-forming Progenitors: Multiple Merging of Stellar Compact Remnants via Gaseous Dynamical Friction and Gravitational-wave Emission
L. Boco et al.
The Astrophysical Journal, Volume 891, Number 1 (23 march 2020)

Illustration

Vue d'artiste d'un trou noir sans accrétion de gaz (SXS)

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