À l'aide du télescope spatial Webb, une équipe d'astrophysiciens a détecté les traces d'une supernova pour la première fois dans la lumière résiduelle du sursaut gamma le plus brillant jamais observé, GRB 221009A. Ils observent également de manière étonnante l'absence de certains éléments lourds liés au processus de nucléosynthèse de type r. L'étude est parue dans Nature Astronomy.
L'origine des éléments les plus lourds de l'Univers, en particulier ceux formés par nucléosynthèse par capture rapide de neutrons (le processus r), reste une question ouverte majeure en astrophysique. Étant donné la haute densité de matière riche en neutrons qui est nécessaire au processus r, les collisions d'étoiles à neutrons ont longtemps été une source suspectée et, en effet, les observations de la kilonova associée à GW170817 ont confirmé que les fusions d'étoiles à neutrons sont à l'origine d'au moins une partie du matériel du processus r dans l'Univers.
Un deuxième site proposé pour le processus r se situe dans les noyaux d'étoiles massives en rotation rapide qui s'effondrent en un trou noir en accrétion, produisant des conditions similaires à celles qui résultent d'une fusion d'étoiles à neutrons. Des simulations suggèrent que les sorties de disques d'accrétion dans ces effondrements pourraient atteindre l'état riche en neutrons requis pour que le processus r se produise. La plus grande masse d'éléments lourds du processus r synthétisés par événement par rapport aux fusions d'étoiles à neutrons suggère que ces effondrements stellaires pourraient en être une source dominante, ce qui en ferait la possible pièce manquante dans notre compréhension de l'enrichissement en éléments lourds du processus r dans l'Univers.
La découverte du sursaut gamma GRB 221009A, le GRB le plus brillant jamais observé, le 9 octobre 2022 à un redshift relativement proche de z = 0,151 présente une opportunité unique pour rechercher des signatures du processus r dans un collapsar. La nucléosynthèse du processus r est plus susceptible de se produire dans les effondrements gravitationnels qui impliquent de grandes masses de disques d'accrétion, et qui seraient également liés à des GRB plus brillants, faisant du GRB 221009A un candidat particulièrement puissant pour rechercher des signatures de processus r. Ces événements sont connus pour être accompagnés de supernovas de type Ic-BL, caractérisées par des vitesses plus élevées que les supernovas de type Ic normales, ce qui suggère que l'énergie alimentant les GRB affecte également les supernovas associées.
Peter Blanchard (Université Northwestern), et ses collaborateurs ont donc observé la lumière rémanente du sursaut gamma surnommé le BOAT (le plus brillant de tous les temps), alias GRB 221009A six mois après son apparition soudaine le 9 octobre 2022, très exactement 168 et 170 jours après le sursaut gamma. Grâce aux mesures spectroscopiques qu'ils ont effectuées sur la lumière résiduelle encore visible à l'emplacement du sursaut gamma, et à la comparaison avec des spectres de supernovas Ic et Ic BL connues, ils confirment que ce GRB est bien associé à l’effondrement d’une étoile massive qui aurait produit 0,09 masses solaire de nickel-56. Tandis que cette découverte résout un mystère, parce qu'on a longtemps cherché la trace d'une supernova dans la lumière rémanente de GRB221009A, un autre mystère s’approfondit : On s'attendait à voir la présence d’éléments lourds formés par le processus r, tels que le platine et l’or. Mais les données de Blanchard et al. n’ont pas permis de retrouver la signature qui accompagne ces éléments.
Il faut dire que le GRB était si brillant qu'il a masqué toute signature potentielle de supernova dans les premières semaines et mois qui suivirent. Les chercheurs ont dû attendre que la lumière résiduelle s’estompe considérablement pour avoir une chance de voir les traces de la supernova. Début 2023, le JWST venait tout juste de débuter ses opérations et pouvait effectuer ces observations. Et le JWST avait l'avantage considérable de pouvoir voir à travers la poussière du disque galactique car le BOAT se trouvait masqué par le disque de notre galaxie.
L'équipe de Blanchard a utilisé le spectrographe proche infrarouge du télescope Webb pour identifier la signature caractéristique d'éléments comme le calcium et l'oxygène que l'on trouve généralement dans une supernova. Mais comme ils ne voient pas de signatures des éléments lourds, Blanchard et ses collaborateurs suggèrent que les GRB extrêmement énergétiques comme le BOAT ne produisent pas ces éléments. C’est une information clé et les futures observations avec le télescope Webb détermineront si les cousins « normaux » du BOAT produisent ou non ces éléments.
D'après les mesures, les caractéristiques de la supernova semblent très normales, pas du tout extrêmes comme aurait pu le faire penser l'extrême luminosité du GRB. Nous avons donc un GRB extrêmement lumineux, mais une supernova normale. Et des éléments lourds manquants. Le principal mécanisme de production d’éléments lourds, le processus de capture rapide des neutrons (le processus r) nécessite une concentration élevée de neutrons. Jusqu'à présent, les astrophysiciens ont seulement confirmé la production d'éléments lourds via ce processus lors de la fusion de deux étoiles à neutrons (GW 170817).
Mais il y a tout simplement trop d’éléments lourds dans l’univers et trop peu de fusions d’étoiles à neutrons. La fusion des étoiles à neutrons binaires prend beaucoup de temps. Deux étoiles dans un système binaire doivent d’abord exploser pour laisser derrière elles des étoiles à neutrons. Ensuite, cela peut prendre des milliards d’années pour que les deux étoiles à neutrons se rapprochent progressivement et finalement fusionnent. Mais les observations d’étoiles très anciennes indiquent que certaines parties de l’univers ont été enrichies en métaux lourds avant que la plupart des étoiles à neutrons binaires n’aient eu le temps de fusionner. C'est pour cela que les astrophysiciens ont émis l'hypothèse que des éléments lourds pourraient également être produits par l'effondrement d'une étoile massive en rotation rapide - le type exact d'étoile qui a généré le BOAT.
Les chercheurs estiment que le fait de voir une supernova normale associée à un GRB hors normes pourrait être lié à la forme et à la structure des jets relativistes responsables du sursaut gamma. Lorsqu'elles tournent rapidement, les étoiles massives s'effondrent en trous noirs, et elles produisent des jets de matière qui se lancent à une vitesse proche de la vitesse de la lumière. Si ces jets sont étroits, ils produisent un faisceau de lumière plus concentré et plus brillant. En fait, il s’agissait de l’un des jets les plus étroits observés jusqu’à présent pour un sursaut gamma, ce qui donne une idée de la raison pour laquelle la rémanence est apparue aussi brillante. Il se peut que d’autres facteurs soient également responsables.
Des indices supplémentaires pourraient également provenir d’études sur la galaxie dans laquelle le BOAT s’est produit. En plus d'un spectre du BOAT lui-même, Blanchard et ses collaborateurs ont également obtenu un spectre de sa galaxie hôte. Or, ce spectre montre des signes clairs de formation d'étoiles, suggérant que l'environnement de naissance de l'étoile d'origine de GRB221009A peut être différent des GRB précédents. Les astrophysiciens ont modélisé le spectre de la galaxie et ont découvert que la galaxie hôte du BOAT possède la métallicité la plus faible de toutes les galaxies hôtes de GRB. Le fait que GRB 221009A semble naître d’un gaz quasi primordial pourrait être un indice important pour comprendre ses propriétés exceptionnelles.
Source
JWST detection of a supernova associated with GRB 221009A without an r-process signature
Peter K. Blanchard et al.
Nature Astronomy (12 april 2024)
Illustrations
1. Vue d'artiste de GRB 221009A (Aaron M. Geller / Northwestern / CIERA / IT Research Computing and Data Services)
2. Spectre mesuré par les auteurs comparé à ceux de supernovas de type Ic et Ic BL (Blanchard et al.)
3. Peter Blanchard
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