samedi 28 mars 2020

Axions : Superbes avancées expérimentales et théoriques

L'axion, ou boson de Peccei-Quinn, est un candidat très sérieux pour être la particule de matière noire tant recherchée. De nombreuses équipes partout dans le monde travaillent à sa détection, tandis que des théoriciens creusent le modèle théorique proposé en 1977. Aujourd'hui, une équipe d'expérimentateurs coréens publie ses premiers résultats pour une plage de masse autour de 6,7 µeV en atteignant une sensibilité record, tandis que deux théoriciens américain et japonais démontrent que le champ quantique associé à l'axion, en plus de la non violation de la symétrie CP dans l’interaction forte pour laquelle il avait été imaginé, peut aussi expliquer l'asymétrie matière/antimatière, en plus de la matière noire... Deux études parues dans le même numéro de Physical Review Letters.   



Soohyung Lee (Institute for Basic Science, Daejeon) et ses collègues de la collaboration CAPP (Center for Axion and Precision Physics Research) ont développé un détecteur d'axions depuis environ deux ans. Ce détecteur est ce qu'on appelle un haloscope, un système de petite dimension fondé sur l'utilisation d'un champ magnétique très puissant utilisant un refroidissement poussé et une cavité résonante micro-onde. Le principe de détection de la plupart des expériences de détection de l'axion de par le monde est presque toujours le même : il est fondé sur le fait que les axions doivent se transformer spontanément en photons lorsqu'ils passent dans un champ magnétique. 
Les photons produits par les axions ont une énergie directement liée à la masse de l'axion, dont on sait qu'elle devrait être très faible, inférieure à 1 milli-électron-volt. Pour des photons de ces énergies, on parle plutôt en fréquence de l'onde électromagnétique correspondante (rappelons que l'énergie est directement proportionnelle à la fréquence via la constante de Planck h). Des micro-eV ou des millieV correspondent au domaine des micro-ondes.
Pour faciliter la conversion d'axions en photons micro-ondes, les chercheurs coréens utilisent un énorme champ magnétique de 8 Teslas produit par un aimant supraconducteur refroidi à 50 mK grâce à un cryostat à dilution. Le signal micro-onde, très faible doit ensuite être amplifié par une cavité résonante sur laquelle la fréquence de résonance peut être ajustée. C'est en changeant lentement la fréquence de résonance de la cavité que les chercheurs peuvent balayer une plage de masse équivalente pour l'axion. Une détection avec certitude peut-être obtenue à partir de la détection d'un petit flash de 100 photons par seconde. 

Le détecteur, nommé CAPP-8TB (rapport à l'intensité du champ magnétique de 8T) a permis aux physiciens de scanner une plage comprise entre 1,6 et 1,65 GHz, ce qui correspond à une masse pour l'axion comprise entre 6,62 et 6,82 µeV. Les chercheurs n'ont évidemment pas trouvé d'axions (le titre de ce billet aurait différent, vous vous en doutez), mais ils parviennent à une telle sensibilité en seulement trois mois de run effectif qu'ils atteignent pour la première fois dans cette plage de masse la zone prédite théoriquement pour être la plus probable dans l'espace bi-dimensionnel décrivant la force du couplage axions/photons et la masse de l'axion. Autrement dit, le détecteur CAPP-8TB est suffisamment efficace pour explorer la zone théorique où devrait se cacher l'axion. Les chercheurs coréens prévoient dans un premier temps de scanner les fréquences comprises entre 1 et 10 GHz, puis ensuite entre 10 et 25 GHz, en adaptant la dimension de leur cavité résonante, qui est directement liée à la fréquence qui peut être étudiée. Ils pourraient ainsi scanner l'espace des paramètres jusqu'à une masse de 100 µeV.
La plage de masse explorée aujourd'hui par Lee et ses collaborateurs est encore très petite mais le détecteur ne fonctionne pleinement que depuis quelques mois, et d'autres expériences ont été montées pour explorer d'autres plages de fréquence (et donc de masse). Seules deux autres expériences dans le monde, toutes deux américaines, ont réussi à atteindre une sensibilité suffisante pour mordre sur la zone théorique. Parmi elles, l'expérience ADMX est certainement celle qui a pris le plus d'avance aujourd'hui pour des masses comprises entre 2 et 3 µeV. La seconde, nommée Haystac explore des masses aux alentours de 20 µeV. 
Même si la masse des axions peut sembler ridiculement faible, très inférieure à la masse des neutrinos, leur quantité serait si importante dans l'Univers qu'ils pourraient expliquer à eux seul le phénomène de matière noire qui est observé à grande échelle dans les galaxies et les amas de galaxies. Lorsque Roberto Peccei and Helen Quinn ont proposé en 1977 la symétrie qui porte désormais leur nom et que très vite Frank Wilczek et Steven Weinberg ont montré que le processus devait être associé à une nouvelle particule qui fut appelée axion, on ne parlait pas encore massivement du problème de la masse manquante des galaxies. Cette nouvelle symétrie et ce nouveau boson ont été imaginés avant tout pour résoudre le problème de la non violation de la symétrie de Charge-Parité (CP) dans les quarks (l'interaction forte qui les lie entre eux). Ce n'est que quelques années plus tard, dans les années 1980 qu'on s'est rendu compte que les axions, avec leur petite masse, pouvaient eux aussi participer à la matière noire, en plus des particules supersymétriques de type WIMP ou des neutrinos de 4ème génération.
La symétrie CP est la symétrie qui transforme les lois physiques lorsqu'on interchange les particules par leurs antiparticules (symétrie de charge C) et qu'on prend leur image inversée par un miroir (symétrie de parité P). La théorie de l'interaction nucléaire forte, la chromodynamique quantique, permet que la symétrie CP soit violée, comme ce qui est observé dans l'interaction nucléaire faible. Or une telle violation de CP n'a jamais été observée dans l'interaction forte. L'axion, et le mécanisme théorique de Peccei-Quinn, résolvent complètement ce problème qui est sans solution depuis près de 50 ans. Encore faut-il détecter le premier axion... Malheureusement, les modèles théoriques qui ont été développés suite aux travaux pionniers des physiciens italiens et américains ne prédisent pas quelle doit être la masse exacte de l'axion ni la force de son couplage avec les photons : l'une dépend de l'autre. Pour trouver l'axion, il faut donc parcourir inlassablement l'espace de ces deux paramètres.


Mais les théoriciens travaillent toujours aujourd'hui sur différents modèles dérivés du mécanisme de Peccei-Quinn.  Et par un heureux hasard, dans le même numéro de Physical Review Letters où les chercheurs de la collaboration CAPP ont publié leur beau résultat expérimental, on trouve un article théorique consacré aux axions et qui pourrait faire beaucoup parler de lui, avec un titre intriguant tenant un seul mot : "Axiogenesis"
Raymond Co (Université du Michigan) et Keisuke Harigaya (Princeton) sont deux physiciens théoriciens qui ne s'intéressaient pas particulièrement au problème fondamental de l'existence d'une asymétrie entre matière et antimatière. Ils s'intéressaient avant tout aux implications qu'aurait un champ quantique d'axion dans l'Univers primordial. Mais ce qu'ils ont découvert va bien au-delà de leurs attentes : ils montrent que le champ quantique associé à l'axion peut effectivement être à l'origine de l'asymétrie entre matière et antimatière. Co et Harigaya  voulaient savoir ce qui se passerait si le champ quantique de l'axion subissait une rotation au lieu d'une oscillation (qui avait déjà été étudiée). Une telle rotation est prédite par certains modèles théoriques de gravitation quantique. 
Les oscillations de l'intensité du champ de l'axion correspondent aux particules en tant que telles. Dans l'Univers primordial, le champ de l'axion devait avoir une énergie très importante avant de descendre dans son état de plus basse énergie. Co et Harigaya montrent qu'au lieu de descendre directement vers l'état de stabilité en "ligne directe", le champ aurait pu subir une rotation, autorisée par une brisure de la symétrie de Peccei-Quinn, et via une séquence d'interactions impliquant l'interaction nucléaire forte et l'interaction nucléaire faible. C'est cette évolution du champ de l'axion en "spirale" qui d'après leurs équations peut mener directement à une asymétrie entre la quantité de baryons et d'antibaryons (matière et antimatière).
Les deux théoriciens calculent que dans le cadre de leur modèle qu'ils nomment "axiogenèse" la vitesse de rotation du champ qui est nécessaire pour expliquer l'asymétrie matière/antimatière observée tous les jours dans l'Univers, produit naturellement une masse pour l'axion qui est largement suffisante pour expliquer toute la matière noire. Il serait même un peu trop massif dans le scénario minimal! Co and Harigaya montrent que pour que l'axion soit exactement dans les bonnes proportions pour expliquer la matière noire, des phénomènes de nouvelle physique devraient apparaître à une énergie de l'ordre de 10 TeV, donc a priori accessibles au LHC. Les théoriciens annoncent également que la masse de l'axion se trouverait plutôt au dessus de 100 µeV, mais qu'il serait facilement détectable par les expériences en cours... 
La conclusion de ce nouveau modèle théorique est que l'axion pourrait résoudre non plus seulement deux des grands mystères de la physique des particules et de l'astrophysique (la non violation de CP dans les quarks et ma matière noire), mais aussi le troisième (pourquoi n'y a-t-il pas d'antimatière) ! La nouvelle particule miracle est arrivée.

Sources

Axion dark matter search around 6.7 μeV
Soohyung Lee, et al.
Physical Review Letters, 124, 101802 (19 march 2020)

Axiogenesis
Raymond T. Co and Keisuke Harigaya
Physical Review Letters, 124, 101802 (19 march 2020)


Illustrations

1) Zones explorées par différentes expériences de recherche d'axions dans l'espace [masse de l'axion, couplage avec les photons] (IBS)

2) Le détecteur CAPP-8TB (IBS)

3) Illustration de la rotation du champ quantique de l'axion dans la descente du potentiel  (R. Co/ K. Harigaya/ NASA/ESA/Hubble Heritage Team (STScI/AURA))

2 commentaires :

Antoine a dit…

Axion-Reaxion : très bel article qui nous fait rêver à un futur meilleur en ces temps difficiles ! Merci pour votre travail !

Pascal a dit…

Bonjour,

Le modèle de Co et Harigaya est passionnant, et devrait renforcer la vague d’intérêt pour les axions, dont on espère qu'ils ne subiront pas le sort des wimps.

Leur estimation de Ma plutôt > 100 µev est cohérente avec les résultats de Zoltan Fodor (50 à 1500 µev) rapportés sur ce blog en 2016. Mais les expériences de détection portées sur le diagramme g/m concernent des masses inférieures, dont CAPP, et ADMX (2 à 3 µev pour ce dernier) ou Haystac (vers 20 µev) ; quant à CAST, sa limite pour g (o.66 . 10^-10 Gev ^-1) est encore loin de la zone d’intérêt ; peut-être son successeur IAXO ? Y a-t-il d'autres recherches aux masses "élevées" ?

Bonne journée