Comment faire pour mesurer le champ magnétique de notre galaxie dans son halo, au dessus ou en dessous du plan de son disque ? Une équipe d'astrophysiciens a trouvé une solution : il suffit d'observer la polarisation des ondes électromagnétiques qui sont produites par des pulsars, et ça tombe bien car dans le halo galactique se trouve un amas globulaire qui contient de nombreux pulsars... Une étude parue dans Nature Astronomy.
Le champ magnétique galactique est important à connaître car il joue un rôle non négligeable dans l'évolution de la galaxie. Mais jusqu'à aujourd'hui, le comportement de ce champ magnétique à petite échelle était très mal connu. On ne savait pas non plus si il traversait le halo de la galaxie.
Federico Abbate (Max Planck Institut für Radioastronomie, Bonn) et ses collaborateurs italiens, allemands et néo-zélandais ont pensé qu'ils pourraient obtenir des indications sur le champ magnétique émanant de la galaxie à l'échelle de quelques années-lumière, en observant des pulsars situés dans le halo. Pour cela, le plus évident pour eux était de scruter des amas globulaires, les endroits du halo galactique où la population de pulsars est la plus importante. Et notamment l'un des plus imposants amas globulaires de la Voie Lactée qui se nomme 47 Tucanae (47 Tuc, ou NGC 104). 47 Tuc, distant de 15 000 années-lumière de nous et situé 10 400 A.L en dessous du plan du disque galactique, est visible à l'oeil nu dans l'hémisphère sud, tout juste à côté du Petit Nuage de Magellan. Le premier pulsar abrité par cet amas globulaire a été découvert en 1990, et depuis lors, 24 autres pulsars y ont été trouvés, la plupart très près de son centre. On comprend pourquoi 47 Tuc est un véritable laboratoire astronomique pour les spécialistes des pulsars.
L'émission radio pulsée qui suit la rotation intrinsèque des pulsars s'étale généralement non pas à une fréquence unique mais sur une bande de fréquences assez large. Et ce type de rayonnement subit ce que les astrophysiciens nomment une dispersion : des photons de fréquence différente sont légèrement décalés dans le temps au sein d'un même pulse. Cette mesure de dispersion, ce délai temporel, est proportionnel à la densité d'électrons libres qui se trouvent sur la ligne de visée entre le pulsar et la Terre. C'est par ce type de mesure de dispersion que la présence de gaz à l'intérieur de l'amas 47 Tuc avait pu être mise en évidence il y a quelques années par l'observation d'une différence de dispersion entre des pulsars situés d'un côté ou de l'autre de l'amas.
Mais en dehors de l'amas globulaire, comme le halo galactique est très pauvre en gaz et en étoiles, le signal radio des pulsars de 47 Tuc est très peu perturbé par ce qui se trouve sur le trajet entre l'amas globulaire et nous. Le seul phénomène restant pouvant modifier les signaux radio périodiques des pulsars de 47 Tuc est le champ magnétique. Federico Abbate et ses collaborateurs utilisent ces perturbations induites par le champ magnétique pour justement le caractériser : ils mesurent grâce au radiotélescope australien Parkes de 64 m comment la polarisation des ondes radio des pulsars est modifiée par la présence des lignes de champ magnétique sur la ligne de visée.
Ce qu'on appelle la polarisation d'une onde électromagnétique décrit la direction dans laquelle oscillent les champs électrique et magnétique dans l'onde. Et l'émission radio des pulsars est fortement polarisée, ce qui signifie que le champ électrique et le champ magnétique des ondes oscillent dans une direction bien déterminée (les deux champs étant orthogonaux entre eux et orthogonaux à la direction du mouvement de l'onde).
Or, la présence d'un champ magnétique externe a pour effet de perturber cette polarisation de la lumière. Cette modification de la polarisation de la lumière est appelée la rotation de Faraday : les champs électrique et magnétique tournent. En mesurant l'effet de rotation de Faraday dans les ondes radio des pulsars de 47 Tuc, les astrophysiciens peuvent déterminer la direction et l'intensité des champs magnétiques qui se trouvent dans le halo galactique, entre l'amas globulaire et nous.
Et ce que trouvent Federico Abbate et ses collègues de manière inattendue, ce sont des lignes de champs très intenses et tout à fait orthogonales au plan du disque galactique. Une explication possible pour la distribution de ces lignes de champ selon les chercheurs serait qu'elles viendraient d'une interaction d'un "vent" galactique magnétisé (un écoulement de gaz magnétisé) avec l'amas globulaire 47 Tuc. Cette interaction produirait une amplification du champ magnétique déjà présent au sein de l'amas globulaire. L'écoulement magnétisé (de l'ordre de 60 µGauss) paraît ainsi s'étendre depuis le disque jusque dans le halo, avec un fort gradient.
Comprendre la géométrie et l'intensité des champs magnétiques est crucial pour avoir une image complète de notre galaxie. Les champs magnétiques peuvent en effet influer non seulement sur la propagation des particules chargées, mais aussi sur la formation des étoiles. Et ils permettent donc de déceler aussi la présence d'écoulements de gaz à l'échelle galactique. Il est à parier que d'autres amas globulaires vont sans doute être bientôt scrutés à leur tour pour tenter de décortiquer la structure des ondes radio de leurs pulsars pour confirmer cette découverte.
Source
Constraints on the magnetic field in the Galactic halo from globular cluster pulsars
Federico Abbate et al.
Nature Astronomy (2 marche 2020)
Illustrations
1) Illustration du gradient de mesure de rotation de Faraday dans l'amas globulaire 47 Tucanae. La position des pulsars est précisée (Abbate et al.)
2) Principe de la rotation de Faraday sur une onde polarisée dans un champ magnétique (Wikipedia)
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