Une étude menée par l'ESO (European Southern Observatoy) s'est penchée sur l'impact sur les observations astronomiques que devraient avoir les méga-constellations de milliers de satellites qui sont programmées, non seulement par SpaceX mais aussi par Amazon, OneWeb et d'autres acteurs de l'industrie spatiale. Un constat accablant publié dans Astronomy & Astrophysics.
La communauté scientifique s'est récemment alarmée de l'impact néfaste des méga-constellations sur les observations astronomiques, notamment depuis le lancement des premiers spécimens de la constellation Starlink par SpaceX. L'ESO, organisme européen qui gère de nombreux télescopes parmi les plus performants du monde a donc engagé une étude scientifique pour évaluer de manière précise l'impact de dizaines de milliers de satellites qui passeront sans cesse au dessus de nos têtes en produisant une trace lumineuse sur des images à longue pose. L'étude s'est basée sur un total de 18 constellations de satellites en cours de développement, résultant en la mise en orbite de 26000 satellites.
L'étude, signée par Olivier Hainaut et Andrew Williams (ESO, Garching) montre que les grands télescopes de l'ESO que sont l'actuel Very Large Telescope (VLT) et le futur Extremely Large Telescope (ELT) seront affectés modérément (environ 1% des expositions). Mais l'impact est beaucoup plus prononcé pour les expositions de longue durée (d'environ 15 minutes) : près de 3% d'entre elles seront bousillées lors de l'aube et du crépuscule (4 heures par nuit), les moments où les satellites produisent le plus de reflets. Plus tard dans la nuit, les télescopes seront moins affectés car les satellites se retrouvent dans l'ombre de la Terre.
Mais l'étude montre surtout que le plus gros impact serait sur les vastes relevés à grand champ, en particulier avec des grands télescopes. Par exemple, 30 à 50% des expositions du télescope Vera Rubin (VRST, ex-LSST, qui n'est pas un télescope de l'ESO), seraient sévèrement affectées, selon l'époque de l'année et l'heure dans la nuit. Les techniques de mitigation qui pourraient être utilisées pour les télescopes de l'ESO seraient d'ailleurs inefficaces pour le VRST. Les trainées lumineuses des satellites produiront une saturation des détecteurs, ruinant complètement l'exposition correspondante.
Or, les télescopes à grand champ comme le télescope Vera Rubin sont dédiés à scanner une grande partie du ciel rapidement, ce qui les rend cruciaux pour détecter des événements de courte durée comme des supernovas ou des astéroïdes potentiellement dangereux. De par leur capacité unique à déceler rapidement des cibles d'observation pour d'autres observatoires, ces télescopes synoptiques sont considérés par la communauté astrophysique comme une priorité absolue pour le développement futur de l'astronomie.
Olivier Hainaut et Andrew Williams calculent qu'environ 1600 satellites de ces constellations seraient en permanence au dessus de l'horizon jusqu'à 30° pour un observatoire situé à mi-latitude. Au dessus de 30° de l'horizon, là où la majorité des observations sont effectuées, il y aurait en permanence 250 satellites de constellations. Alors qu'ils sont tous illuminés par le Soleil en début et en fin de nuit, de plus en plus disparaissent au cours de la nuit.
Les astrophysiciens calculent la luminosité de ces satellites en faisant une hypothèse réaliste sur leur caractéristique de brillance. Au-delà de l'impact sur les images produites par les grands télescopes, ils trouvent qu'un total de 260 satellites seraient visibles à l'oeil nu en permanence, avec une magnitude inférieure à 6 (visibles dans d'excellentes conditions) et 110 satellites avec une magnitude de 5 ou moins, visibles en début et en fin de nuit, dont une dizaine à une élévation de plus de 30°, en permanence !
Et ces estimations ne prennent pas en compte les trains de satellites qui sont et seront visibles immédiatement après leur lancement sur une zone limitée de la Terre, mais à n'importe quelle heure, sur une période relativement courte.
Les deux chercheurs se sont surtout intéressés à l'impact des constellations de satellites sur les télescopes dédiés au visible et à l'infra-rouge de l'ESO, mais leurs résultats s'appliquent de la même façon aux autres télescopes similaires. Mais les méga-constellations de satellites auront aussi un impact important sur d'autres observatoires comme ceux observant en ondes radio, millimétriques et submillimétriques. on pense notamment du côté de l'ESO à ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) et à APEX (Atacama Pathfinder Experiment). Mais ces impacts doivent encore être mieux précisés dans une étude qui est en préparation.
Aujourd'hui, à partir de travaux comme celui-ci, l'ESO, l'Union Astronomique Internationale, l'American Astronomical Society ou encore la Royal Astronomical Society tentent d'alerter le Comité des Nations-Unies pour l'Utilisation Pacifique de l'Espace (COPUOS) et le Comité Européen des Fréquences Radioastronomiques (CRAF) sur le danger pour la science que représentent ces projets déjà très avancés pour certains d'entre eux.
Parallèlement, ils essayent de parler avec les sociétés spatiales pour trouver des solutions pratiques pour sauver les grands observatoires et la science qu'ils produisent, ce qui pourrait se traduire par exemple par simplement peindre en noir tous ces satellites pour éviter des réflexions solaires.
L'ESO défend aujourd'hui le développement d'un cadre réglementaire qui permettrait d'assurer une coexistence harmonieuse entre les business de Elon Musk, Jeff Bezos et leurs consorts chinois ou coréens d'un côté, et les sciences de l'Univers de l'autre. Mais face à des gens qui nient encore aujourd'hui la réalité et ne vivent que pour le dieu dollar, la science a bien du souci à se faire...
Source
Impact of satellite constellations on astronomical observations with ESO telescopes in the visible and infrared domains
O. R. Hainaut, A. P. Williams
Astronomy&Astrophysics (3 march 2020)
Illustration
Galaxies NGC 5353 et 5354 imagées par le télescope Lowell en Arizona. Vingt-cinq des soixante premiers satellites Starlink sont passés dans le champ lors de la pose (2 jours après leur lancement), rendant l’image inexploitable (Victoria Girgis/Lowell Observatory)
1 commentaire :
Il doit y avoir moyen de chiffrer un préjudice, vu qu'une société (spacex) fait perdre de l'argent à une autre (l'observation) puisqu'un même cliché demandera plus de temps de travail ou produira moins de résultats. Que dirait la justice dans les cas comme ça?
Mais pour de futurs projets qui risquent d'être tout simplement annulés, ça ne coûterait rien à spacex...
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