mardi 23 avril 2024

7 neutrinos de type tau détectés par IceCube


Au cours de ses dix années d'existence, l'Observatoire de neutrinos IceCube en Antarctique a enregistré les signaux de près d'un million de neutrinos énergétiques, principalement des neutrinos de la saveur électronique et muonique, fournissant ainsi des informations précieuses sur les sources de particules de haute énergie dans l'Univers. L'année dernière, la collaboration IceCube a rapporté le premier signal candidat directement liés à un neutrino de la saveur tau. Et aujourd'hui, ce ne sont pas deux, ce ne sont pas trois, mais ce sont six nouveaux neutrinos tau qui ont été détectés par IceCube. Les physiciens de la grande collaboration internationale publient leur étude dans Physical Review Letters

La collaboration IceCube a repéré pour la première fois des neutrinos astrophysiques en 2013, peu de temps après la mise en service de l'observatoire sur la base Amundsen-Scott au niveau du pôle sud géographique. Ces neutrinos, ainsi que les autres observés depuis, sont détectés grâce aux interactions qu'ils produisent avec les noyaux des atomes présents dans les 1 km3 de la calotte de glace optiquement transparente qui composent le détecteur IceCube. De telles interactions produisent des particules chargées qui se déplacent ensuite à travers la glace, émettant des photons bleus que des capteurs optiques intégrés dans la glace captent.
À ce jour, les signaux lumineux induits par les neutrinos détectés par IceCube ont été regroupés dans l'une des deux catégories « traces » ou « cascades ». Une trace, qui est la signature la plus courante, apparaît comme une ligne droite de détections de photons qui peut s'étendre sur toute la longueur du détecteur et se développe après la collision d'un neutrino muonique dans la glace du détecteur. Une cascade apparaît plutôt comme une boule de détections de photons avec un rayon de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de mètres et peut survenir après la collision d'un neutrino électronique ou d'un neutrino tauique avec un atome dans la glace.
Les signaux en cascade produits par les neutrinos électroniques et tau peuvent être si similaires qu’il est difficile de les discriminer. Par exemple, lorsqu’un neutrino électronique interagit avec le détecteur IceCube, il produit un électron qui ne parcourt qu’une courte distance avant de diffuser et crée ainsi une boule d'émission de photons très localisée. Un neutrino tau produit quant à lui un lepton tau, le cousin le plus lourd de l'électron, qui émet une boule d'émission de photons à la fois lors de sa production (l'interaction du neutrino sur une molécule de H2O) et lors de sa désintégration (parce que le tau à une durée de vie très courte :  2,8 10-13 s, alors que celle du muon est de 2,2 µs). Mais la distance entre ces deux cascades est souvent si courte – quelques millimètres ou centimètres – que les deux motifs se chevauchent et n’en font plus qu’un. Pour apparaître comme des objets distincts dans le détecteur, la distance entre les cascades doit être d'au moins 10 m, ce qui n'est le cas que pour les neutrinos tau les plus énergétiques.
Et ce sont les signaux de ces particules énergétiques que la collaboration a désormais découvert. Pour repérer ces signaux, les chercheurs ont développé un modèle d'intelligence artificielle pour extraire les signaux candidats de près d'une décennie de données de l'observatoire IceCube. Le modèle a été entraîné à l’aide de modèles à double cascade créés par des neutrinos tau simulés et par de « faux » événements ou bruits de fond. Le modèle a ainsi identifié sept événements candidats de neutrinos tau, chacun ayant une énergie entre 20 TeV et 1 PeV, soit plusieurs million de fois supérieure aux énergies typiques des neutrinos solaires.


Les physiciens ne peuvent pas encore dire avec une certitude absolue qu'ils ont trouvé des neutrinos tau, mais les sept signaux ont toutes les caractéristiques attendues de ces particules. Ils ont exploité 9,7 ans de données archivées de IceCube. La technique utilisée par IceCube représente un grand pas en avant dans la recherche d'événements rares dans les détecteurs. La nouvelle méthode de recherche peut effectivement capturer des événements inhabituels de neutrinos tau, mais elle présente aussi des limites : elle suppose que les événements simulés représentent bien le signal, par exemple, et que le bruit de fond est entièrement décrit dans les données d'entraînement. Mais heureusement, les physiciens de IceCube ont inclus plusieurs contrôles de cohérence pour garantir que la recherche n'est pas sujette à de faux positifs. L'analyse de la signification statistique des événements candidats indique que la probabilité qu'ils proviennent d'une autre particule ou d'un autre événement est inférieure à 1 sur 3,5 millions. Bien que le nombre de neutrinos tau détectés puisse sembler faible, les chercheurs de IceCube précisent qu'il correspond à ce qu'on attend. Ils s'attendaient à en détecter entre 4 et 8 sur la durée étudiée, sur la base d'autres mesures de neutrinos de très haute énergie. 

Ce n’est qu’avec ce résultat qu’il est désormais prouvé que les trois saveurs de neutrinos arrivent sur Terre à partir de sources astrophysiques à très haute énergie. Les modèles prédisent que les neutrinos oscillent entre les saveurs lorsqu'ils se propagent dans l'espace, mais la question de savoir si ces oscillations se produisent à des énergies aussi élevées et sur de si longues distances n'avait jamais été démontrée auparavant. Si quelque chose n'allait pas avec le modèle standard de saveur des neutrinos, cela aurait pu apparaître dans ce résultat. Le modèle standard de l'oscillation des neutrinos est toujours cohérent.

Les observations de IceCube ont également des implications importantes pour la compréhension des sources astrophysiques lointaines de neutrinos. Les physiciens connaissent les proportions de neutrinos électroniques, muoniques et tauiques produits sur Terre, mais les sources astrophysiques pourraient produire des neutrinos avec un mélange de saveurs de départ différent. Maintenant qu'IceCube a démontré cette capacité de détecter les trois saveurs, les physiciens seront en mesure de rechercher des signes d'une nouvelle physique dans le secteur des neutrinos astrophysiques.
Selon les physiciens, en tous cas, les sources astrophysiques énergétiques, en conjonction avec les oscillations des neutrinos sur une ligne de base cosmologique, constituent le seul moyen connu de produire un grand nombre de neutrinos tau suffisamment énergétiques pour créer les morphologies d'événements observées dans IceCube. 

Et les neutrinos tau pourraient permettre d’autres façons d’observer l’Univers, car la détection d’un neutrino tau pourrait par exemple déclencher un réseau de télescopes pour rechercher la zone particulière du ciel d'où provient ce neutrino et les données à multimessagers pourraient révéler où et comment ces neutrinos de haute énergie sont produits. Mais il faudra encore attendre quelques années avant de pouvoir produire des alertes en temps réel lors de la détection d'un neutrino tau.

Source

Observation of Seven Astrophysical Tau Neutrino Candidates with IceCube
Collaboration IceCube
Physical Review Letters 132, 151001 (11 april 2024)


Illustrations

1. Forme du signal lumineux détecté par IceCube dans le cas d'un neutrino tau (NSF)
2. Le bâtiment de l'observatoire IceCube (Christopher Michel)
3. Illustration de l'oscillation entre les trois saveurs de neutrinos

1 commentaire :

Xavier S. a dit…

Bonjour
Entraîner un modèle à partir de données de synthèse "artificielles" elles-même issues de modèles complique terriblement la justification des conclusions prises sur des données empiriques. On apprécie la réserve sur l'interprétation!
C'est intéressant de voir un cas concret où il faut briser le problème de la poule et de l'oeuf en introduisant un mal nécessaire. Ici on palie la pauvreté d'un training set réel à bon escient mais il faudra vraiment un signal empirique sans ambiguité pour commencer à valider la démarche. Je trouve ça courageux en fait, c'est un bon exemple à garder en tête...